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Le coeur du monachisme est l'adoration

Discours devant les moines de l'Abbaye cistercienne de Heiligenkreuz (Autriche), en septembre 2007.

>>> D'autres photos ici: benoit-et-moi.fr/2007

>>> Voir aussi: Floraison de vocations à Heiligenkreuz

Dans son discours devant les moines de l'Abbaye cistercienne de Heiligenkreuz, lors de son pélerinage en Autriche, en septembre 2007 (cf. benoit-et-moi.fr/2007), Benoît XVI aborde des thèmes qui lui tiennent particulièrement à coeur: le monachisme - thème qu'il développera plus amplement un an plus tard à Paris, aux Bernardins, et dont on sait qu'il est devenu la clé pour "lire" le sens de sa renonciation -, la liturgie, la théologie, dont il souligne la nécessité qu'elle prenne ses racines dans la foi catholique et l’adoration.

La disposition intérieure de chaque prêtre, de chaque personne consacrée doit être de "ne rien placer avant l'Office divin". La beauté d'une telle disposition intérieure s'exprimera à travers la beauté de la liturgie au point que là où, ensemble, nous chantons, nous louons, nous exaltons et nous adorons Dieu, un fragment du ciel devient présent sur terre. Il n'est vraiment pas téméraire de voir, dans une liturgie entièrement centrée sur Dieu, dans les rites et dans les chants, une image de l'éternité.
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Dans son désir d’être reconnue comme une discipline scientifique rigoureuse dans le sens moderne du terme, la théologie peut perdre le souffle vital donné par la foi... Une théologie qui ne tire plus son souffle de la foi cesse d’être une théologie. Elle finit par se réduire à un ensemble de disciplines plus ou moins reliées entre elles.

Discours du Saint-Père

Dimanche 9 septembre 2007

Au cours de mon pèlerinage à la Magna Mater Austriae, je suis heureux d'être venu également à l'Abbaye de Heiligenkreuz, qui n'est pas seulement une étape importante sur la Via Sacra vers Mariazell, mais également le plus ancien monastère cistercien au monde qui est demeuré en activité sans interruption. J'ai voulu venir en ce lieu riche d'histoire, pour attirer l'attention sur la directive fondamentale de saint Benoît, selon la Regula duquel vivent aussi les cisterciens. Benoît indique avec concision de "ne rien placer avant l'Office divin".

C'est pourquoi dans un monastère d'orientation bénédictine, les louanges à Dieu, que les moines célèbrent en une solennelle prière chorale, ont toujours la priorité. Bien sûr - et grâce à Dieu! - les moines ne sont pas seuls à prier; d'autres personnes prient également: des enfants, des jeunes et des personnes âgées, des hommes et des femmes, des personnes mariées ou en âge de l'être - chaque chrétien prie, ou tout au moins devrait le faire!

Dans la vie des moines, toutefois, la prière a une importance particulière: elle est le centre de leur tâche professionnelle. Ceux-ci, en effet, exercent la profession d'orant.
A l'époque des Pères de l'Eglise, la vie monastique était définie comme une vie à la manière des anges. Et la caractéristique essentielle des anges que l'on voyait en eux était d'être des adorateurs. Leur vie est adoration. Cela devrait valoir également pour les moines. Ceux-ci prient avant tout non pas pour telle ou telle autre chose, mais simplement parce que Dieu mérite d'être adoré. "Confitemini Domino, quoniam bonus! - Rendez grâce au Seigneur car il est bon, car éternel est son amour!" exhortent divers Psaumes (par ex. Ps 106, 1). Une telle prière sans objectif spécifique, qui se veut un pur service divin est donc appelée à juste titre "officium". C'est le "service" par excellence, le "service sacré" des moines. Il est offert au Dieu trinitaire qui, par dessus toute chose, est digne "de recevoir l'honneur, la gloire et la puissance" (Ap 4, 11), parce qu'il a créé le monde de manière merveilleuse et de manière plus merveilleuse encore il l'a renouvelé.

Dans le même temps, l'officium des personnes consacrées est également un service sacré aux hommes et un témoignage pour eux. Chaque homme porte dans l'intimité de son cœur, consciemment ou de manière inconsciente, la nostalgie d'une satisfaction définitive, du bonheur suprême, et donc au fond de Dieu. Un monastère, où la communauté se réunit plusieurs fois par jour pour louer Dieu, témoigne que ce désir humain originel ne finit pas dans le néant: le Dieu Créateur ne nous a pas placés, nous les hommes, dans des ténèbres effroyables où, procédant à tâtons, nous devrions désespérément chercher un sens ultime et fondamental (cf. Ac 17, 27); Dieu ne nous a pas abandonnés dans un désert de néant, privé de sens, où, en définitive, nous attend seulement la mort. Non! Dieu a éclairé nos ténèbres avec sa lumière, par l'œuvre de son Fils Jésus Christ. En Lui, Dieu est entré dans notre monde avec toute sa "plénitude" (cf. Col 1, 19), en Lui, toute vérité, dont nous avons la nostalgie, a son origine et son sommet.

Notre lumière, notre vérité, notre but, notre satisfaction, notre vie - tout cela n'est pas une doctrine religieuse, mais une Personne: Jésus Christ. Bien au-delà de nos capacités de chercher et de désirer Dieu, nous sommes déjà auparavant cherchés et désirés, et plus encore, trouvés et rachetés par Lui! Le regard des hommes de tous les temps et de tous les peuples, de toutes les philosophies, les religions et les cultures, rencontre en fin de compte les yeux grands ouverts du Fils de Dieu crucifié et ressuscité; son cœur ouvert est la plénitude de l'amour. Les yeux du Christ sont le regard de Dieu qui aime. L'image du Crucifié au-dessus de l'autel, dont l'original romain se trouve dans la Cathédrale de Sarzana, montre que ce regard se tourne vers chaque homme. Le Seigneur en effet, regarde dans le cœur de chacun de nous.

Le cœur du monachisme est l'adoration - une vie à la manière des anges. Mais les moines étant des hommes de chair et de sang sur cette terre, saint Benoît, à l'impératif central de l'"ora", en ajoute un second: le "labora". Selon la conception de saint Benoît comme celle de saint Bernard, une partie de la vie monastique, en plus de la prière, est aussi le travail, la culture de la terre conformément à la volonté du Créateur. Ainsi, au fil de tous les siècles, les moines, à partir de leur regard tourné vers Dieu, ont rendu la terre vivable et belle. La sauvegarde et l'assainissement de la création venaient précisément de leur regard tourné vers Dieu. A travers le rythme de l'ora et labora, la communauté des personnes consacrées rend témoignage de ce Dieu qui en Jésus Christ nous regarde, et l'homme et le monde, sous Son regard, deviennent bons.

Non seulement les moines disent l'officium, mais l'Eglise a tiré de la tradition monastique pour tous les religieux, ainsi que pour les prêtres et les diacres, la récitation du Bréviaire. Il est bon ici aussi que les religieuses et les religieux, les prêtres et les diacres - et naturellement aussi les Evêques - dans la prière quotidienne "officielle", se présentent devant Dieu avec des hymnes et des psaumes, avec des actions de grâce et des requêtes sans objectifs spécifiques.

Chers confrères dans le ministère sacerdotal et diaconal, chers frères et sœurs dans la vie consacrée! Je sais qu'il faut de la discipline, et même parfois un dépassement de soi-même pour réciter fidèlement le Bréviaire; mais à travers cet officium, nous recevons dans le même temps de nombreuses richesses: combien de fois, lorsque nous le récitons, la fatigue et l'abattement s'évanouissent! Et lorsque Dieu est loué et adoré avec fidélité, sa Bénédiction ne fait pas défaut. A juste titre, on dit en Autriche: "Tout dépend de la Bénédiction de Dieu!".

Votre service prioritaire pour ce monde doit donc être votre prière et la célébration de l'Office divin. La disposition intérieure de chaque prêtre, de chaque personne consacrée doit être de "ne rien placer avant l'Office divin". La beauté d'une telle disposition intérieure s'exprimera à travers la beauté de la liturgie au point que là où, ensemble, nous chantons, nous louons, nous exaltons et nous adorons Dieu, un fragment du ciel devient présent sur terre. Il n'est vraiment pas téméraire de voir, dans une liturgie entièrement centrée sur Dieu, dans les rites et dans les chants, une image de l'éternité. Autrement, comment nos ancêtres auraient-ils pu, il y a des centaines d'années, construire un édifice sacré aussi solennel que celui-ci? L'architecture elle-même attire ici déjà vers le haut nos sens en direction de "ce que l'œil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, ce qui n'est pas monté au cœur de l'homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment" (Cf. 1 Co 2, 9).
Dans toute forme d'engagement au service de la liturgie, un critère déterminant doit être le regard toujours tourné vers Dieu. Nous sommes devant Dieu - Il nous parle, et nous Lui parlons. Lorsque, dans les réflexions sur la liturgie, on se demande seulement comment la rendre attirante, intéressante et belle, la partie est déjà perdue. Ou bien elle est opus Dei avec Dieu comme sujet spécifique ou elle n'est pas. Dans ce contexte, je vous demande: célébrez la sainte liturgie en ayant le regard tourné vers Dieu dans la communion des Saints, de l'Eglise vivante de tous les lieux et de tous les temps afin qu'elle devienne l'expression de la beauté et de la sublimité de ce Dieu ami des hommes!

L'âme de la prière, enfin, est l'Esprit Saint. Chaque fois que nous prions, en vérité, c'est toujours Lui qui "vient au secours de notre faiblesse, en intercédant lui-même en des gémissements ineffables" (cf. Rm 8, 26). En ayant confiance dans cette parole de l'Apôtre Paul je vous assure, chers frères et sœurs, que la prière suscitera en vous cet effet que l'on exprimait jadis en appelant les prêtres et les personnes consacrées simplement des "Geistliche" (c'est-à-dire des personnes spirituelles). Monseigneur Sailer, l'Evêque de Ratisbonne dit un jour que les prêtres devaient être avant tout des personnes spirituelles. Je serais heureux que l'expression "Geistliche" retrouve un usage pus fréquent. Mais il est surtout important que se réalise en nous la réalité que décrit ce terme: que dans la sequela du Seigneur, en vertu de la force de l'Esprit, nous devenions des personnes "spirituelles".
L'Autriche est, comme on le dit, véritablement "Klosterreich" (*): au double sens de royaume des monastères et riche de monastères. Vos très anciennes abbayes, dont l'origine et les traditions remontent à plusieurs siècles, sont des lieux de la "préférence donnée à Dieu". Chers confrères, vous rendez tout à fait évidente cette priorité donnée à Dieu! Comme une oasis spirituelle, un monastère indique au monde d'aujourd'hui la chose la plus importante, et c'est même en fin de compte la seule chose décisive: il existe une ultime raison pour laquelle il vaut la peine de vivre, qui est Dieu et son amour impénétrable.

Et je vous demande, chers fidèles, de considérer vos abbayes et vos monastères toujours pour ce qu'ils sont et ce qu'ils veulent être: pas seulement des lieux de culture et de tradition, voire de simple entreprises économiques. Structure, organisation et économie sont nécessaires dans l'Eglise également, mais ce ne sont pas des choses essentielles. Un monastère est surtout ceci: un lieu de force spirituelle. En arrivant dans l'un de vos monastères ici en Autriche, on a la même impression que lorsque, après une longue marche dans les Alpes qui a coûté beaucoup d'effort, on trouve finalement un ruisseau d'eau de source où se rafraîchir... Profitez donc de ces sources de la proximité de Dieu dans votre pays, ayez de l'estime pour les communautés religieuses, les monastères et les abbayes et recourez au service spirituel que les personnes consacrées sont prêtes à vous offrir!

Ma visite, enfin, s'adresse à l'Académie désormais pontificale qui fête le 205 anniversaire de sa fondation et qui, dans son nouveau statut, a reçu de l'Abbé le nom supplémentaire de l'actuel Successeur de Pierre. Pour autant que soit importante l'intégration de la discipline théologique dans l'universitas du savoir à travers les facultés de théologie catholiques dans les universités d'Etat, il est toutefois tout aussi important qu'il y ait des lieux d'études aussi spécifiques que le vôtre, où est possible un lien profond entre la théologie scientifique et la spiritualité vécue. Dieu, en effet, n'est jamais simplement l'Objet de la théologie, il en est toujours dans le même temps également le Sujet vivant. La théologie chrétienne, du reste, n'est jamais un discours uniquement humain sur Dieu, mais elle est toujours dans le même temps le Logos et la logique à travers lesquels Dieu se révèle. C'est pourquoi l'intellectualité scientifique et la dévotion vécue sont deux éléments de l'étude qui, dans une complémentarité indispensable, dépendent l'une de l'autre.

Le père de l'Ordre cistercien, saint Bernard, a lutté en son temps contre la séparation entre une rationalité qui objective et le courant de la spiritualité ecclésiale. Notre situation actuelle, bien que différente, présente toutefois aussi de remarquables similitudes. Dans le souci d'obtenir la reconnaissance de rigueur scientifique au sens moderne, la théologie peut perdre le souffle de la foi. Mais comme une liturgie qui oublie de regarder vers Dieu vit, en tant que telle, ses derniers moments, de même, une théologie qui ne respire plus dans l'espace de la foi, cesse d'être théologie; elle finit par se réduire à une série de disciplines plus ou moins reliées entre elles. Là où l'on pratique en revanche une "théologie à genoux", comme le demandait Hans Urs von Balthasar, elle sera féconde pour l'Eglise en Autriche et même au-delà.

Cette fécondité apparaît dans le soutien et dans la formation aux personnes qui portent en elles un appel spirituel. Pour qu'aujourd'hui, un appel au sacerdoce et à l'état religieux puisse être conservé fidèlement tout au long de la vie, il faut une formation qui intègre la foi et la raison, le cœur et l'esprit, la vie et la pensée. Une vie à la suite du Christ nécessite l'implication de toute la personnalité. Lorsque l'on néglige la dimension intellectuelle, naît trop facilement une forme de pieux sentiment d'amour qui vit presque exclusivement d'émotions et d'états d'âme qui ne peuvent pas durer toute la vie. Et lorsque l'on néglige la dimension spirituelle, on crée un rationalisme raréfié, qui sur la base de la froideur et du détachement, ne peut jamais déboucher sur un don enthousiaste de soi à Dieu. On ne peut pas fonder une vie à la suite du Christ sur une telle vision unilatérale; avec les demi-mesures on resterait personnellement insatisfait et, par conséquent, peut-être aussi spirituellement stérile. Tout appel à la vie religieuse ou au sacerdoce est un trésor si précieux que les responsables doivent faire tout leur possible pour trouver les chemins de formation adaptés afin de promouvoir ensemble fides et ratio - la foi et la raison, le cœur et l'esprit.

Saint Léopold d'Autriche - nous venons de l'entendre - sur le conseil de son fils, le Bienheureux Evêque Otton de Freising, qui fut mon prédécesseur sur le siège épiscopal de Freising (à Freising on célèbre aujourd'hui sa fête) fonda en 1133 votre abbaye, en lui donnant le nom de "Unsere Liebe Frau zum Heiligen Kreuz" - Notre Dame de la Sainte Croix. Ce monastère n'est pas dédié à la Vierge uniquement par tradition - comme tous les monastères cisterciens -, mais ici brûle le feu marial de saint Bernard de Clairvaux. Bernard qui entra au monastère avec 30 compagnons, est une sorte de Patron des vocations spirituelles. Peut-être avait-il un ascendant si enthousiasmant et si encourageant sur les nombreux jeunes de son époque appelés par Dieu, parce qu'il était animé par une dévotion mariale particulière. Là où est Marie, on trouve l'image primordiale du don total et de la sequela du Christ. Là où est Marie, on trouve le souffle pentecostal de l'Esprit Saint, on trouve l'élan et le renouveau authentique.

Depuis ce lieu marial sur la Via Sacra, je souhaite à tous les lieux spirituels en Autriche fécondité et capacité de rayonnement. Ici, je voudrais avant mon départ, comme déjà à Mariazell, demander encore une fois à la Mère de Dieu d'intercéder pour toute l'Autriche. Avec les paroles de saint Bernard, j'invite chacun à se faire avec confiance "enfant" devant Marie, comme l'a fait le Fils de Dieu lui-même. Saint Bernard dit et nous disons avec lui: "Regarde l'étoile, invoque Marie... Dans les périls dans les angoisses, dans les incertitudes, pense à Marie, invoque Marie. Que son nom ne s'éloigne pas de ta bouche, ne s'éloigne pas de ton cœur... En la suivant, tu ne te perds pas, en la priant tu ne désespères pas, en pensant à elle tu ne te trompes pas. Si elle te retient tu ne tombes pas; si elle te protège, tu ne crains rien; si elle te guide, tu ne te fatigues pas, si elle te concède sa faveur, tu parviens à tes fins".

(w2.vatican.va)

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NDT
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(*) Jeu de mots en allemand, Österreich, ou Autriche, est aussi Klösterreich, ce qui signifie un royaume de monastères.

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