Qu'est-ce que l'Europe ? (I)
Texte complet de la célèbre conférence donnée le 13 mai 2004 par le cardinal Ratzinger devant le Sénat italien, à l'invitation de son ami le sénateur Marcello Pera
Ce texte est reproduit parmi d’autres textes du cardinal, dans un recueil paru en France en 2005 sous le titre L'Europe, ses fondements, aujourd'hui et demain.
On peut lire sur la quatrième de couverture :
En 2004, l'Union européenne s'est agrandie de plusieurs Etats, et la Constitution européenne est finalement rédigée. Cependant, les questions fondamentales semblent être restées étrangement en dehors des discussions. Le Cardinal Ratzinger, nouvellement Benoît XVI, en aborde quelques-unes: Comment l'Europe est-elle née? Quelles en sont les limites? Qui, en la nouvelle Europe, peut s'appeler Européen? Ces questions nous conduisent naturellement vers les racines spirituelles de l'Europe, vers le fondement moral de la politique de l'Union européenne, vers la responsabilité pour la paix dans l'Union elle-même et dans le monde.
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Dans cette première partie, le cardinal brosse un tableau historique incroyablement savant (l’ampleur de sa culture est réellement impressionnante) du concept "Europe", s'élargissant progressivement au cours de l'histoire, en partant de la Grèce antique pour arriver à la chute du communisme.
C’est un texte qui peut sembler ardu, mais qui se lit très bien, car en bon pédagogue, il prend soin de ménager des "pauses" où il résume sa pensée de façon très claire.
J’ai mis en gras quelques passages.
L'Europe : ses fondements spirituels, hier et aujourd'hui
Ce texte est substantiellement le même que celui d'une conférence donnée à Berlin, le 28 novembre 2000 ; à la suite d'une invitation faite par le Président du Sénat de la République italienne, Marcello Pera (le 13 mai 2004), j'ai retravaillé, pour cette seconde conférence, la deuxième partie, tenant compte des développements concernant les problèmes fondamentaux de la Constitution Européenne.
(note du Cardinal Ratzinger)
A proprement parler : qu'est-ce que l'Europe ?
Cette question a été posée, en termes toujours nouveaux et de façon expresse, par le cardinal Józef Glemp, en l'un des groupes linguistiques du Synode épiscopal européen : où l'Europe commence-t-elle, où finit-elle? Pourquoi, par exemple, la Sibérie n'appartient pas à l'Europe, tout en étant habitée aussi par des Européens, dont la façon de penser et de vivre est, en outre, absolument européenne ? Et où les confins de l'Europe disparaissent-ils dans la communauté méridionale des peuples de Russie ? Où s'étend sa frontière dans l'Atlantique? Quelles îles sont européennes, et lesquelles ne le sont pas ? et pour quelle raison ?
Ainsi devient-il parfaitement clair que Europe est un concept géographique de façon tout à fait secondaire. L'Europe n'est pas un continent que l'on peut nettement saisir en termes de géographie: il s'agit, en réalité, d'un concept culturel et historique.
1. L'avènement de l'Europe
Cela devient tout à fait évident si nous tentons de remonter aux origines de l'Europe. Parler de l'origine de l'Europe c'est, habituellement, renvoyer à Hérodote (environ 484-425 avant Jésus Christ) ; il fut, sans aucun doute, le premier à connaître l'Europe comme concept géographique; voici comment il la définit :
« Les Perses considèrent comme leur appartenant l'Asie et les peuples barbares qui y vivent, tandis qu'ils considèrent l'Europe et le monde grec comme un monde à part.»
Les limites de l'Europe elle-même ne sont pas précisées, mais il est clair que les terres constituant aujourd'hui le cœur de l'Europe demeuraient totalement en dehors des perspectives de l'historien de l'Antiquité. En fait, la constitution des États hellénistiques et de l'Empire romain a permis la formation d'un continent qui devint l'origine de la future Europe, mais qui connaissait des frontières très différentes : c'étaient les terres qui entouraient la Méditerranée ; celles-là, en vertu de leurs liens culturels, en vertu des échanges commerciaux, en raison de leur système politique commun, formaient les unes avec les autres un véritable continent. Seule l'avancée triomphale de l'Islam, au VIIe siècle et au début du VIIIe, a établi une frontière à travers la Méditerranée, l'a pour ainsi dire coupée en deux, si bien que tout ce qui, jusque-là, formait un continent, se trouve désormais réparti en trois continents : Asie, Afrique, Europe.
La transformation du Monde Antique s'accomplit plus lentement en Orient qu'en Occident. L'Empire romain, avec pour centre Constantinople, résista là-bas - même s'il était toujours plus pressé sur ses frontières - jusqu'au XVe siècle. Alors que la partie méridionale de la Méditerranée était, aux environs de l'an 700, entièrement reléguée en-dehors de ce qui, jusque-là, formait un continent culturel, on remarque en même temps une extension toujours plus vigoureuse vers le Nord. Le limes (systèmes de fortifications établis le long de certaines frontières de l’Empire romain, ndlr) qui, jusque-là était une limite continentale, disparait pour s'ouvrir vers un nouvel espace historique qui embrasse maintenant la Gaule, la Germanie, la Bretagne, comme des terres formant un véritable noyau, et s'étend toujours davantage vers la Scandinavie.
Dans ce processus de déplacement des frontières, se prolonge une continuité intérieure avec le continent méditerranéen antérieur (géographiquement délimité en termes différents), grâce à une élaboration théologique de l'Histoire : en lien avec le Livre de Daniel, l'Empire romain rénové et transformé, par la foi chrétienne, était considéré comme l'ultime règne permanent de l'histoire du monde en général ; aussi, l'ensemble des peuples et des Etats en voie de formation était-il défini comme le permanent Sacrum Imperium Romanum.
Ce processus d'une nouvelle définition, historique et culturelle, fut tout à fait consciemment vécu sous le règne de Charlemagne ; apparait alors, de nouveau - mais avec une autre signification - l'antique vocable Europe : on voit même ce terme employé, alors, pour définir le règne de Charlemagne ; et il exprimait simultanément la conscience de la nouveauté et de la continuité que présentait le nouvel ensemble des Etats comme une puissance pleine d'avenir. Pleine d'avenir précisément parce que conçue dans la continuité avec l'histoire antérieure du monde d'avant et, finalement, ancrée en ce qui demeure toujours.
Dans cette autocompréhension en train de s'élaborer s'exprimait aussi, en même temps, la conscience de quelque chose de définitif et la conscience d'une mission.
Il est vrai que ce concept de l'Europe, une nouvelle fois, a presque disparu après la fin du règne carolingien, pour ne subsister que dans le langage des savants ; dans le langage courant, il réapparait au début seulement de l'époque moderne - sans doute en lien avec le péril turc, pour affirmer une identité propre -, et il s'impose en général au XVIIIe siècle. Indépendamment de cette histoire du mot, la constitution du règne des Francs comme l'Empire romain, disparu et alors restauré, signifie, en fait, le pas décisif vers ce que, aujourd'hui, nous entendons lorsque nous parlons d'Europe.
Certes, nous ne pouvons pas oublier qu'il existe encore une autre racine de l'Europe, d'une Europe non occidentale : en effet, l'Empire romain, je l'ai dit, avait résisté à Byzance contre les tempêtes de l'immigration des peuples et contre l'invasion islamique. Byzance se considérait elle-même comme la Rome véritable ; là-bas, l'Empire n'avait, en réalité, jamais disparu, raison pour laquelle, face à l'autre moitié, on ne cessait d'y revendiquer le pouvoir. Même cet Empire romain d'Orient s'est étendu, par la suite, vers le Nord, jusque dans le monde slave ; s'est ainsi créé un véritable monde gréco-romain, qui se distingue de l'Europe latine d'Occident de par sa liturgie, sa constitution ecclésiastique, son écriture, le renoncement au latin comme langue enseignée.
Il existe, sans doute, assez d'éléments unificateurs capables de faire de ces deux mondes un unique monde, un seul continent : il y a tout d'abord l'héritage commun de la Bible et de l'Eglise primitive, laquelle, par ailleurs, dans l'un et l'autre mondes, renvoie au-delà d'elle-même vers une origine qui, aujourd'hui, se situe en dehors de l'Europe, c'est-à-dire en Palestine ; il y a encore la même commune idée de l'Empire, la même compréhension fondamentale de l'Eglise et donc aussi, pour l'essentiel, la communauté d'idées, en ce qui concerne le droit et les instruments juridiques ; enfin, je mentionnerais encore le monachisme qui, dans les grands soubresauts de l'Histoire, est resté le garant essentiel non seulement de la continuité culturelle, mais encore et surtout des valeurs religieuses et morales fondamentales, des orientations pour la destinée ultime de l'homme ; en tant que force pré politique et supra politique, le monarchisme est devenu source des renaissances nécessaires, qu'il faut sans cesse renouveler.
Au cœur même de cette commune et fondamentale ascendance ecclésiale, il existe, toutefois, entre les deux Europes, une profonde différence, particulièrement soulignée par Endre von Ivànka (philologue et byzantiniste austro-hongrois, 1902-1974, ndlr): à Byzance, Empire et Église paraissent presque identifiés l'un à l'autre ; l'empereur est aussi chef de l'Église. Il se conçoit lui-même comme représentant du Christ et, conformément à la figure de Melchisédech, qui était en même temps roi et prêtre (Gn 14, 18), il porte dès le VIe siècle le titre officiel de roi et prêtre. Du fait que, à partir de Constantin, l'empereur avait quitté Rome, dans l'antique capitale de l'Empire put se développer l'autonomie de l'Evêque de Rome, comme successeur de Pierre et pasteur suprême de l'Église; là, dès le début même de l'ère constantinienne, fut enseignée la diversité des pouvoirs : de fait, empereur et pape ont des pouvoirs séparés, ni l'un ni l'autre n'en possède la totalité. Le pape Gélase I (492-496) a exprimé la vision de l'Occident dans sa célèbre lettre adressée à l'empereur Anastase et plus clairement encore dans son quatrième traité où, face à la typologie byzantine de Melchisédech, il souligne le fait que seul le Christ détient la totalité des pouvoirs:
«Celui-ci, en raison de la faiblesse humaine (orgueil ! ), a séparé, pour la succession des temps, les deux ministères, afin que personne ne s'enorgueillisse ».
Pour ce qui touche à la vie éternelle, les empereurs chrétiens ont besoin des prêtres (pontìfices), et ceux-ci, de leur côté, pour le déroulement temporel des choses, s'en remettent aux dispositions impériales. En ce qui concerne les réalités du monde, les prêtres doivent obéir aux lois de l'empereur, établies par ordre divin, et lui, en ce qui concerne les réalités divines, doit se soumettre au prêtre. Ainsi, se trouve introduite une séparation et une distinction des pouvoirs, ce qui sera d'une extrême importance dans le développement postérieur de l'Europe, et qui, pourrait-on dire, a établi les fondements de ce qui est vraiment typique de l'Occident.
Dès lors que, de part et d'autre, contre pareille distinction, demeurent toujours vifs l'obscure tendance à la totalité et le désir de situer son propre pouvoir au-dessus de l'autre, ce principe de séparation fut aussi la source d'infinies souffrances. Du moment qu'il doit être vécu de façon correcte et concrète politiquement et religieusement, ce principe constitue encore et toujours un problème fondamental pour l'Europe d'aujourd'hui et de demain.
2. Le tournant vers l'époque moderne
Si, nous appuyant sur ce qui a été dit jusqu'à présent, nous pouvons considérer l'avènement de l'Empire carolingien d'une part, et la continuation de l'Empire romain à Byzance ainsi que sa mission auprès des peuples slaves d'autre part, comme l'exacte et véritable naissance du continent Europe, les commencements de l'époque moderne signifient quant à eux un tournant pour ces deux Europes ; il s'agit d'un changement radical, qui concerne l'essence même de ce continent, aussi bien que ses frontières géographiques.
En 1453, les Turcs s'emparent de Constantinople.
O. Hiltbrunner commente cet événement de façon très laconique : «Les derniers personnages lettrés émigrèrent vers l'Italie et apportèrent aux humanistes de la Renaissance la connaissance des textes grecs originaux ; mais l'Orient s'abima dans l'absence de culture».
Affirmation exprimée de façon un peu trop abrupte, car le règne de la dynastie des Osman avait aussi sa culture ; cependant, il est vrai que la culture gréco-chrétienne, européenne, de Byzance trouva là son terme. Ainsi, une des deux ailes de l'Europe risqua de disparaitre alors ; mais l'héritage byzantin n'était pas mort. Moscou se présente elle-même comme la troisième Rome et fonde son propre patriarcat, concevant l'idée d'une seconde translatio imperii et se présente donc - telle une nouvelle métamorphose du Sacrum Imperium - comme une forme de véritable Europe, tout en demeurant unie à l'Occident et se tournant toujours davantage vers lui, jusqu'à Pierre le Grand qui s'efforça d'en faire un pays occidental. Ce déplacement vers le nord de l'Europe byzantine entraina alors avec lui le fait que les confins du continent se mirent à s'étendre amplement vers l'Orient. Fixer l'Oural comme frontière est tout à fait arbitraire; en tout cas, le monde qui se trouve à l'est de cette chaine montagneuse devint toujours davantage une sorte de substructure de l'Europe, ni Asie ni Europe, essentiellement façonnée par le sujet Europe, sans toutefois participer lui-même au caractère de sujet : il n'est qu'un objet, non maître de sa propre histoire. Peut-être est-ce là, en définitive, l'essence même d'un État colonial.
Nous pouvons donc, en ce qui concerne l'Europe byzantine non occidentale, au début de l'époque moderne, parler d'un double événement: il y a d'abord l'écroulement de l'antique Byzance, qui était en continuité historique avec l'Empire romain; de plus, cette deuxième Europe gagne, avec Moscou, un nouveau centre et élargit ses frontières du côté de l'Orient, pour susciter, enfin, une sorte de pré structure coloniale en Sibérie.
En même temps, nous pouvons constater également en Occident un double processus dont il faut souligner la signification historique. Une grande partie du monde germanique se détache de Rome; apparait une forme nouvelle de christianisme, élaborée par les Lumières, si bien que, au travers de l'Occident, s'établit dès lors une ligne de séparation, laquelle constitue clairement un autre limes culturel, une frontière entre deux façons différentes de penser et d'affirmer ses références. Certes, au sein même du protestantisme, nous trouvons aussi une fracture : il y a d'abord les luthériens et les réformés, auxquels se joignent les méthodistes et les presbytériens, tandis que l'Église anglicane tente de former une voie mitoyenne entre catholiques et évangéliques; à cela s'ajoute encore la différence entre christianisme avec une Église d'État, qui devient une caractéristique de l'Europe, et christianisme avec des Églises libres, qui trouvent un lieu de refuge dans l'Amérique du Nord; il nous faudra revenir sur ce point.
Commençons par porter attention au second événement qui caractérise fondamentalement la situation de l'époque moderne par rapport à celle de l'Europe latine d'autrefois : la découverte de l'Amérique.
D'un côté, nous avons donc l'extension de l'Europe vers l'est, la Russie s'étendant toujours davantage vers l'Asie. De l'autre côté, l'Europe sort de ses limites géographiques, et se tourne vers le monde qui est au-delà de l'océan, appelé désormais l'Amérique. La subdivision de l'Europe, en une moitié latino-catholique et en une autre moitié germano-protestante, nous la trouvons répercutée en ces terres occupées de l'Europe. L'Amérique aussi devient, en un premier temps, une Europe élargie, une colonie, puis elle se donne à elle-même son propre statut de sujet au moment où, sous l'influence de la Révolution française, l'Europe connait de grandes transformations : à partir du XIXe siècle, l'Amérique, qui doit en profondeur sa naissance à l'Europe, se tient toutefois face à elle comme un sujet à part entière.
En nous efforçant de connaître l'Europe dans son identité la plus profonde et la plus intérieure grâce au regard porté sur l'Histoire, nous découvrons maintenant deux tournants historiques fondamentaux : il y eut d'abord la dissolution du vieux continent méditerranéen en raison de l'avènement du Sacrum Imperium, situé plus au nord, où, à partir de l'époque carolingienne, se constitue l'Europe comme monde occidental latin ; parallèlement à cela, l'antique Rome continue à Byzance, avec son extension vers le monde slave. Après quoi, nous avons observé la chute de Byzance qui eut pour conséquence le déplacement, vers le nord, d'une partie de l'Europe, et vers l'est, de l'idée chrétienne d'empire ; d'autre part, s'établissait une division de l'Europe en monde germano-protestant et en monde latino-catholique ; de plus, s'opéra une sortie de l'Europe vers l'Amérique, laquelle hérita de cette division et finit par se constituer comme véritable sujet historique faisant face à l'Europe.
Il nous faut maintenant nous placer devant un troisième tournant, dont le fanal bien visible est la Révolution française. Certes, dès la fin du Moyen Age déjà, le Sacrum Imperium, comme réalité politique, était considéré en voie de disparition, et devenait toujours plus fragile même comme interprétation adéquate et indiscutable de l'Histoire ; toutefois, avec la Révolution française, se désagrège, même formellement, cette dimension spirituelle sans laquelle l'Europe n'aurait pu se former. Il y a là un processus de portée considérable, aussi bien sur le plan politique que sur celui des idées. Dans le domaine des idées, cela signifie qu'est rejeté le fondement sacré de l'Histoire et de l'existence de l'État : l'Histoire n'est plus considérée à partir d'une idée de Dieu qui la précède et lui donne consistance ; l'État est désormais compris en termes purement séculiers, reposant sur la rationalité et la volonté des citoyens.
C'est absolument la première fois dans l'Histoire que, de façon triste, l'État se veut séculier, abandonnant, marginalisant le cautionnement divin, la réglementation divine du secteur politique, ce qui est considéré comme dépendant d'une vision mythologique du monde ; de plus, il considère Dieu lui-même comme une affaire privée, qui n'appartient pas à la vie publique et n'a rien à voir avec la formation d'une volonté commune. On la considère désormais comme quelque chose qui ne regarde que la raison, aux yeux de laquelle Dieu n'apparait pas clairement connaissable : religion et foi en Dieu appartiennent au monde du sentiment et non pas de la raison. Dieu et sa volonté cessent d'être importants pour la vie publique.
C'est ainsi que, à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, apparait un nouveau type de schisme, dont nous percevons toujours davantage, aujourd'hui, la gravité. Ce schisme, la langue allemande n'a pas de mot pour le désigner, c'est que, en cette région de l'Europe, il se répandit plus lentement. Dans les langues latines, il est décrit comme la séparation entre chrétiens et laïcs. Au cours des deux derniers siècles, cette division s'est inscrite dans les nations latines à la manière d'une profonde fracture ; tandis que le christianisme protestant connut, en un premier temps, une certaine facilité à s'ouvrir aux idées libérales et au rationalisme, sans que soit détruit pour autant un large consensus chrétien fondamental. L'ancienne conception du pouvoir disparait ; cela se traduit dans la politique réaliste de la façon suivante : désormais les Nations, les États qui sont devenus nettement identifiables en vertu de la constitution d'aires linguistiques fortes, apparaissent définitivement comme les uniques et véritables garants de l'Histoire ; ils occupent ainsi une situation qui, autrefois, n'était pas aussi importante. Le sujet de l'Histoire devint pluriel, les grandes Nations européennes s'estimèrent chargées d'une mission universelle, cela eut pour conséquence explosive et dramatique les guerres fraternelles que nous avons douloureusement endurées au siècle désormais écoulé.
à suivre...