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L'Eglise de François et l'agenda laïque

L'avant-Synode et l'encyclique sur l'écologie vus par Andrea Gagliarducci (29/6/2015)

Tout en exonérant totalement le Pape, et en attribuant toute la responsabilité aux "petits groupes" qui, derrière les murs du Vatican, font pression pour que l'Eglise adopte l"agenda" de l'ONU, Andrea Gagliarducci se pose quand même des questions. D'autant plus significatives qu'elles viennent d'un observateur attentif et sans aucun préjugé anti-bergoglio - tout au contraire..

Pourquoi l'Église n'avance-t-elle pas ses propres propositions, au lieu de suivre le programme de développement de l'ONU? Et pourquoi certains groupes au sein de l'Eglise abandonnent-ils l'enseignement catholique, et à la place suivent au nom de la miséricorde et pour «être pastoral», un 'agenda' qui suscite le trouble dans la foi des gens simples?

L'Eglise du pape François pourra-t-elle aller au-delà de l'agenda laïque?

Andrea Gagliarducci
29 juin 2015
www.mondayvatican.com
Ma traduction
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Aller à la rencontre du monde sécularisé ou façonner une nouvelle civilisation? L'Eglise du pape François est divisée entre ces deux pôles. Malgré les appels continuels du pape en faveur de la désécularisation, à aller à contre-courant et à lutter contre la colonisation idéologique (notamment en termes de famille), son «aller vers les périphéries» a été faussement (??) interprété comme une adaptation à la pression exercée par les tendances sécularistes. Le prochain Synode des Évêques sera un test préliminaire pour comprendre où le pape François veut diriger l'Eglise.

Certes, vers où certains groupes veulent diriger l'Eglise est quelque chose de clair. Le 23 Juin, la présentation de l'Instrumentum Laboris (document de travail) du prochain Synode des Évêques a montré qu'il y a des pressions sur l'Église pour changer la doctrine, ou au moins changer la perception de celle-ci. Le document de travail pour le Synode de 2015 a été rédigé selon un processus combinant de nouveaux paragraphes, composés sur la base des réponses aux questionnaires envoyés auparavant par le Secrétariat du Synode, avec des paragraphes tirés du Rapport final du Synode de 2014.

Parmi ceux issus du Rapport final du Synode, figurent les paragraphes controversés nn. 52, 53 et 55, qui traitent de la pastorale pour les personnes divorcées et remariées, la proposition d'un chemin pénitentiel pour ces derniers, à suivre afin d'être autorisés à recevoir la communion, et la pastorale pour les couples homosexuels.

Ces trois paragraphes n'ont pas obtenu le consensus lors du Synode 2014. Un consensus est atteint dans un synode par un vote affirmatif de la part d'une majorité qualifiée (des deux tiers) des Pères synodaux. Selon la coutume, ce vote a lieu secrètement, et les paragraphes qui ne reçoivent pas l'approbation par une majorité qualifiée ne sont pas publiés dans le document final. Dans une volonté de transparence (???), le pape François a pris la décision de publier l'intégralité du rapport et de divulguer le nombre de votes reçus par chaque paragraphe. En conséquence, aucun des paragraphes n'a été rejeté, même si certains d'entre eux n'ont pas réussi à parvenir à ce consensus, consistant à la quasi-unanimité - chose qui pourrait être jugé nécessaire afin d'exprimer la communion entre les évêques.

En réintroduisant ces paragraphes sans révision, le Secrétariat général du Synode des Évêques a voulu souligner qu'il s'agit de sujets d'actualité, et que les Pères synodaux sont invités à en discuter en dépit du fait que bon nombre des Pères synodaux précédents ont considéré l'argument comme déjà clos. Est-ce ainsi que l'on suscite la communion entre les évêques?

Il est facile de prévoir que la discussion au prochain Synode sera animée. Bien que la majorité des évêques nommés jusqu'à maintenant soutienne la tradition catholique, la minorité qui pousse pour des changements est très bien organisée.

Le délégué de la Belgique (ndt: nommé par le Pape) sera Mgr Johan Bonny d'Anvers qui soutient les unions civiles homosexuelles et qui a également écrit un article sur le sujet, traduit en cinq langues. Le commentaire des évêques allemands sur leurs réponses au questionnaire envoyé par le Secrétariat du Synode a également été traduit en cinq langues .

Ce travail massif de traduction et de circulation est prévu dans le cadre d'une campagne en faveur d'une révolution pastorale visant à réaliser un véritable changement dans la doctrine, et non d'un simple plan pastoral visant à soutenir les catholiques civilement remariés et homosexuels dans leur voyage vers une conversion de cœur.

Les évêques allemands sont même allés plus loin. Alors qu'aux Etats-Unis, l'archevêques de San Francisco Salvatore Cordileone se bat pour préserver l'identité catholique des écoles tenues par l'Église et conserver le droit d'embaucher selon les principes doctrinaux et moraux catholiques, les deux tiers des évêques allemands ont voté pour un changement dans les lois civiles sur le travail dans leur pays afin que les divorcés et remariés civilement, ou ceux qui sont vivent dans une union homosexuelle, ne puissent pas perdre leur emploi dans l'Eglise, comme cela a été le cas.

En fait, les évêques allemands se sont engagés dans cette voie depuis des années. Dans les années passées, un large débat avait eu lieu au sujet des centre catholiques de conseil familial en Allemagne (ndt: centres Donum Vitae, voir à ce sujet www.courrierinternational.com et aussi www.la-croix.com). Ces centres ne proposaient pas l'avortement, mais ils délivraient des certificats qui donnaient aux jeunes femmes la possibilité de demander un avortement, à effectuer ailleurs. Saint-Jean-Paul II et Benoît XVI s'étaient opposés aux évêques allemands sur cette question.

Mais maintenant, cette tendance risque de devenir mondiale. La Conférence des évêques allemands est extrêmement riche, et même si elle envoie beaucoup d'argent pour les missions à l'étranger, depuis un certain temps maintenant, elle a perdu son identité catholique. Visitant l'Allemagne, son pays natal, en 2011, Benoît XVI avait souligné la nécessité d'une Église plus spirituelle, qui pourrait croître plus près de sa véritable identité. Parlant avec les catholiques engagés en politique (Fribourg, 24 septembre 2009), Benoît XVI a également souligné que l'auto-satisfaction sur ses bonnes œuvres ne doit pas mener l'Église allemande à perdre de vue la vérité de la foi. Cependant, peu de temps après, au cours d'une assemblée générale, la Conférence des évêques allemands a choisi une fois de plus de permettre à l'agenda des bonnes œuvres de prendre le pas sur la foi (cf. www.korazym.org).

La question de la foi est cruciale. Ce n'est pas un hasard si les petits groupes, les plus actifs et les plus engagés dans la promotion de «l'agenda de la miséricorde» ne se concentrent pas sur la foi comme cœur de la question, mais parlent surtout du problème de la baisse du nombre des fidèles (cf. www.catholicnewsagency.com). Toutes les discussions dans l'Eglise à l'heure actuelle s'attaquent d'entrée de jeu aux plus petits problèmes. Par exemple, le débat du Synode des Évêques est axé sur l'accès à la communion pour les couples homosexuels, divorcés ou remariés ou sur la pastorale. Le débat sur la vie de l'Église toute entière a été également réduit à une querelle entre conservateurs et progressistes, et même de façon plus étroite, à une dispute entre les promoteurs de la liturgie d'avant Vatican II et les promoteurs de la liturgie post-conciliaire.

En fait, la perspective doit être plus large, et ne doit pas se limiter à la question du Synode. Les petits groupes qui poussent l'Eglise vers un agenda laïc(iste) - qu'ils définissent comme «l'agenda le plus proche de l'homme contemporain» - étaient aussi à l'œuvre dans la rédaction de l'encyclique «Laudato Si».

La première encyclique écologique dans l'histoire - et la première entièrement de François - pourrait être interprétée comme une approbation tacite de l'agenda des Nations Unies. Il est bien connu que cet agenda de l'ONU soutient le contrôle des naissances derrière la formule ambiguë de «santé sexuelle et reproductive», un euphémisme qui inclut le droit à l'avortement.

Mais toutes les réunions sur l'encyclique organisées par des organisations catholiques depuis sa publication adoptent cette vision laïque. Cette tentative de dialogue avec le monde sur ses seuls termes risque de nuire au sens de la présence de l'Eglise dans le monde .

Un autre de ces réunions, qui aura lieu cette semaine, le 1er Juillet, est organisée par le Center for Instruction, Staff Development and Evaluation (CISDE) et le Conseil pontifical pour la justice et la paix , avec le gourou altermondialiste Naomi Klein (1) parmi les conférenciers invités (cf. www.cidse.org).
À la Commission des Conférences épiscopales de la Communauté européenne (COMECE), à Bruxelles, une autre réunion de ce type a rassemblé l'éco-théologien irlandais Sean McDonagh et le membre du Parlement européen Philippe Lambert, un chrétien auto-proclamé affilié aux Verts. Lambert a dit qu'il était d'accord avec l'encyclique du pape François sur tout sauf sur le fait que la démographie n'est pas le vrai problème. «La démographie est le problème», a-t-il affirmé, et il a demandé au moins un reconnaissance par l'Église de la question.
Son argument repose sur un point: puisque l'encyclique suppose que nous devons réduire la consommation de 20%, la population mondiale devrait être réduite de 20%. Ce n'est pas ce que le pape a voulu dire (?). Mais le contre-argument de Lambert en découle strictement.

En fin de compte, beaucoup de questions demeurent: pourquoi l'Église n'avance-t-elle pas ses propres propositions, au lieu de suivre le programme de développement de l'ONU? Et pourquoi certains groupes au sein de l'Eglise abandonnent-ils l'enseignement catholique, et à la place suivent au nom de la miséricorde et pour «être pastoral», un agenda qui suscite le trouble dans la foi des gens simples?

Le Pape François a donné plusieurs signaux le 25 Juin, lorsqu'il a rencontré les étudiants de l'Académie ecclésiastique qui forme les futurs nonces. Il leur a dit: «Vous êtes appelés à chercher, dans les Églises et dans les peuples au milieu desquels elles vivent et servent, le bien qui doit être encouragé». Puis le Pape a ajouté: «Le service auquel vous serez appelés demande de protéger la liberté du Siège apostolique qui, pour ne pas trahir sa mission devant Dieu et pour le véritable bien des hommes, ne peut pas se laisser emprisonner par les logiques de cordées, se faire l’otage du partage comptable des coteries, se satisfaire de la répartition entre pairs, s’assujettir aux pouvoirs politiques et se laisser coloniser par les pensées fortes du moment ou par l’illusoire hégémonie du "mainstream"» (traduction Zenit)

L'appel à rejeter l'hégémonie du "mainstream" met en évidence la nécessité de parler de Dieu et de revenir au cœur de la foi. Ce n'est pas par hasard que Benoît XVI a choisi «Parler de Dieu dans un monde contemporain» comme thème de la réunion annuelle de ses anciens élèves, tandis que le pape François fait de cette question le centre de son pontificat, accompagné de la demande constante pour une Eglise en état de mission permanente.

Cependant, en plus de la mission, il reste la quête d'identité, une quête qui constitue la base de l'activité missionnaire. Le Père Piero Gheddo, missionnaire de longue date, a soulevé la question dans un commentaire sur «Ad Gentes», le seul magazine italien qui soit encore consacré aux missions. Dans ce commentaire, il soulignait que les missionnaires d'aujourd'hui sont devenus des travailleurs sociaux plutôt que des hérauts de la Parole de Dieu. Telle est la question en jeu aujourd'hui. Avant d'être débordée par les détails et les arguments, l'Eglise d'aujourd'hui a besoin de recréer pour elle-même une identité claire, unifiée. Si non, les petits groupes continueront de dominer les débats .

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(1) Lire sa notice wikipedia en français et surtout en anglais.
Son dernier livre publié s'intitule This Changes Everything: Capitalism vs. the Climate
Voir la présentation sur le site de l'éditeur (books.simonandschuster.com): elle pourrait presque convenir pour l'encyclique!!

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