Giacomo Biffi, un géant de la foi

Marcello Pera, ami proche de Benoît XVI (qui avait écrit une lettre d'introduction pour son dernier livre) a assisté aux funérailles du grand "italien cardinal" et répond aux questions d'un journaliste, notamment sur l'immigration

>>> Voir à ce sujet:
¤ Mort du cardinal Biifi
¤ Hommage au cardinal Biffi
¤ L'Antéchrist et la prophétie de Soloviev…
¤ Le cardinal Biffi, Jean Paul II et les repentances

>>> Autres articles reliés sur mon site:
¤ Le cardinal Biffi sur l'immigration: benoit-et-moi.fr/2015-I/actualite/document-le-cardinal-biffi-sur-limmigration
¤ Marcello Pera et Benoît XVI. Nombreux articles (http://tinyurl.com/pzfswpz) , en particulier sur lapréface de Benoît XVI au livre de Marcello Pera «Pourquoi nous devons nous dire chrétiens»: (j'avais traduit la lettre elle-même ici: benoit-et-moi.fr/2008)

 
Là où je voyais une foi profonde et un témoignage fier, sincère et souriant, je vois aujourd'hui beaucoup de calcul et de carrière. Là où je ressentais une doctrine méditée et approfondie, aujourd'hui je ressens une grande approximation. Et là où je percevais la parole du courage, aujourd'hui j'observe le conformisme. Je vous en prie, ne vous permettez pas de comparer le Secrétaire général de la CEI (Galantino), et pas seulement lui, avec Giacomo Biffi!

La mort du cardinal Biffi est passée pratiquement inaperçue en France. Quand on pense au tintamarre médiatique qui avait entouré celle du cardinal Martini, durant l'été 2012, et qui n'était pas limité aux sacristies, il y a de quoi laisser songeurs... Il est vrai que contrairement au magistère de "l'anti-pape" (ou présenté tel) jésuite, largement diffusé dans toutes les librairies et adulé par la presse catho bien-pensante, celui du cardinal Biffi n'avait malheureusement pas franchi les Alpes, et son oeuvre pourtant abondante n'avait pas été traduite en français: trop catholique, trop intransigeante, trop "radicale" sans doute...

En lisant ces propos de Marcello Pera, on ne peut s'empêcher de penser que Galantino n'est que du menu fretin, et que son jugement sévère s'adresse surtout au plus haut sommet de l'Eglise...

Marcello Pera: quel gouffre entre l'Église de Biffi et celle de Galantino

18 Juillet 2015
www.riminiduepuntozero.it
Ma traduction
---

Le Cardinal Biffi était un héros de l'Église, rien à voir avec certains prélats qui sont aujourd'hui à la mode.
Celui qui prononce ces mot est Marcello Pera, Président du Sénat de 2001 à 2006, philosophe, considéré comme un des principaux spécialistes italiens de Karl Popper https://fr.wikipedia.org/wiki/Karl_Popper; durant les années où il a occupé la deuxième charge de l'État, il a rencontré et s'est lié d'amitié avec Benoît XVI, une relation qui a continué quand Ratzinger est devenu Pape émérite. De la syntonie intellectuelle entre eux sont nés en particulier trois volumes: Senza radici - Sans racines - (2004, Mondadori) écrit à quatre mains et dédié aux thèmes Europe, relativisme, christianisme et l'islam, puis L'Europa di Benedetto (2005, Cantagalli) de Joseph Ratzinger, pour lequel Marcello Pera a écrit l'introduction, et enfin Perché dobbiamo dirci cristiani: il liberalismo, l’Europa, l’etica (2008, Mondadori) de Marcello Pera, introduit par une lettre de Benoît XVI
Marcello Pera était au premier rang lors des funérailles du cardinal Biffi, qui fut archevêque de Bologne de 1984 à 2003. Nous lui avons posé quelques questions.

- Qu'a signifié le cardinal Biffi pour Bologne, pour l'Eglise et pour l'Italie?
- Dit brièvement, trois choses: la foi, la sagesse théologique, le courage. Des denrées qui aujourd'hui, non seulement sont rares, mais presque impossibles à trouver. Bologne - et avec elle l'Eglise tout entière - devrait être fière de l'avoir eu parmi ses évêques.

- Rappelant la figure du cardinal Biffi ces jours-ci, certains commentateurs ont écrit qu'il incarnait une Église presque définitivement disparue, engagée qu'elle est, de nos jours, dans le politiquement correct, à décourager, sinon à entraver, comme l'a fait le secrétaire général de la CEI, Mgr Nunzio Galantino, la manifestation du 20 Juin en défense de la famille. Que pensez-vous?
- Là où je voyais une foi profonde et un témoignage fier, sincère et souriant, aujourd'hui, je vois beaucoup de calcul et de carrière. Là où je ressentais une doctrine méditée et approfondie, aujourd'hui, je ressens une grande approximation. Et là où je percevais la parole du courage aujourd'hui, j'observe le conformisme. Je vous en prie, ne vous permettez pas de comparer le Secrétaire général de la CEI, et pas seulement lui, avec Giacomo Biffi!

- Pour quelle raison?
- Le Cardinal Biffi était un héros de l'Église, un géant de la doctrine. Il ne se méfiait pas de la théologie et il ne la pliait pas à l'intérêt de la mode ou au pouvoir du moment. Il ne pensait pas que la miséricorde fasse exception à la vérité ou la vérité soit abstraite et qu'elle ait besoin de l'intégration de la miséricorde pour se rendre vivante et praticable et acceptable. Et il ne se souciait pas beaucoup de sa carrière: il en plaisantait. Quelle merveille, ses mots d'esprit, si perspicaces et si acérés!

- Le cardinal Biffi a suscité beaucoup de débats quand en 2000 il aborda la question de l'immigration; en plus de prononcer des paroles prophétiques, il invita à «sauver l'identité de la nation», car «l'Italie n'est pas une lande déserte ou semi-habitée, sans histoire, sans traditions vivantes et vitales, sans une incomparable physionomie culturelle et spirituelle, à peupler sans distinction, comme s'il n'y avait pas un patrimoine typique d'humanisme et de civilisation qui ne doit pas être perdu». Tout comme il demanda de ne pas sous-estimer «le cas des musulmans», qui «doit être traité avec une attention particulière». 15 ans ont passé depuis ce discours et on pourrait dire que, sur ces questions, il avait vu juste. Ou pas?
- Je peux répondre avec les premiers mots que je lui ai dit la première fois que je suis allé le voir: «Pardonnez-moi, Eminence, je suis parmi ceux qui n'avaient pas encore compris. Merci de me l'avoir expliqué, je ne l'oublierai pas». Aujourd'hui, j'éprouve de la tristesse à voir que même ses confrères l'ont oublié. Quel sens cela a-t-il encore de parler d'évangélisation si ensuite on prêche le dialogue, et si on l'entend et le pratique dans le sens de la souplesse, du bavardage, de l'échange d'opinions? Quand Jésus a dit: "Je suis la vérité» voulait-il dire qu'il y en a aussi beaucoup d'autres et que toutes conviennent? Quand on dit «Je suis un disciple du Christ», cela veut-il dire quelque chose comme «Je suis végétarien» ou «Je suis supporter de la Juventus»? Souvenez-vous du célèbre et discuté impératif théologique de Jésus adressé à ceux qui refusaient d'accepter l'invitation du maître: «contrains-les d'entrer (compelle intrare)». D'accord, Jésus ne pense pas à la force, il ne pense pas à la contrainte, il songe à la vérité salvatrice à laquelle on ne peut renoncer. Et de toute façon, quant à la force et à la contrainte, quelle valeur ont les principes sacrés et inaliénables écrits dans les constitutions, sinon justement celle de la force et de la coercition, par la loi, pour tous ceux qui souhaitent se joindre à la communauté où ces constitutions sont en vigueur? Quand un musulman entre en Italie et que l'État l'oblige laïquement à la prescription constitutionnelle de ne pas contracter plus d'un mariage ou de ne pas interrompre son travail cinq fois par jour, ne dit-il pas, cet Etat «compelle intrare»? Cela aussi, Biffi l'avait compris plus et mieux que beaucoup de constitutionnalistes et philosophes du droit soi-disant ouverts et tolérants: qu'un Etat qui renonce à la force de ses principes n'est pas un État. Et comme il s'était montré perspicace et brillant sur la façon dont avait été formé notre Etat unitaire, maçonnique et anti-chrétien, précisément pendant les jours où résonnait la rhétorique vantarde, célébrative et courtisane de nos politiciens (ndt: pour comparer avec la France, c'est un peu comme si un haut prélat s'était permis de critiquer ouvertement les célébrations du bicentenaire de la Révolution) Croyez-moi, Giacomo Biffi a été un grand. Pardon encore Eminence, et merci!