La conscience au coeur du prochain synode

Dans sa dernière chronique "Monday Vatican", Andrea Gagliarducci revient sur les "motu proprio"; et montre comment, dans une ultime manoeuvre, les partisans de la communion aux divorcés remariés ont l'intention d'instrumentaliser un texte écrit par Joseph Ratzinger en 1998.

>>> Lire ce texte ici: Une pastorale du mariage fondée sur la vérité

 

L'article d'Andrea Gagliarducci (si l'on passe sur son obssession de dédouaner le Pape en incriminant un "Vatican caché" qui agirait derrière son dos) est riche d'informations très intessantes.
J'y ai appris en particulier que:

Il n'y aura pas d'exhortation apostolique post-synodale, une décision destinée à démontrer que la discussion sera laissée ouverte. La révolution doctrinale ne sera donc pas atteinte à travers des documents précis, mais à travers l'exploitation de chaque expression vague qui sera sortie du synode. Considérant que chaque évêque a seulement 3 minutes pour parler, et que les discussions en petits groupes se réduiront à un synthèse finale, on peut supposer qu'il y aura des affirmations vagues.

Synode, une nouvelle ligne de front pour François


Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com
14 septembre 2015
* * *

Il y aura un mot-clé au prochain Synode des évêques: la conscience.
Les arguments de ceux qui veulent adapter la doctrine à la pratique pastorale seront probablement basés sur la conscience. De cette façon, les principaux sujets de débat se déplaceront de l'accès à la communion sacramentelle pour les divorcés remariés civilement, et de la pastorale des couples homosexuels, à la question de la conscience personnelle.

Ce glissement était probablement prévisible. Beaucoup se sont battus pendant et après le Synode de 2014, poussant pour un changement doctrinal substantiel sur des questions comme la contraception, le mariage homosexuel, et la communion pour les divorcés remariés. Étape par étape, ces individus ont déplacé leur position et ont pensé de plus en plus à la primauté de la conscience comme un argument justifiant la possibilité d'accès à la communion sacramentelle pour presque tout le monde. La confession a été la grande absente du Synode de 2014, mais elle était très en vogue lors du "Shadow Synod" qui a eu lieu à Rome le 25 mai 2015. Au cours de cette réunion, une «théologie narrative» a été proposée, selon laquelle chaque histoire personnelle l'emporte sur la discipline sacramentelle, et chaque histoire personnelle doit être discutée avec son confesseur.

Lorsque la discussion se concentre sur la conscience individuelle, même les arguments théologiques peuvent être éclipsés. Et en éclipsant les arguments théologiques, les «adaptateurs» (cf. benoit-et-moi.fr/2015-II/actualite/synode-suiveurs-contre-adapteurs) parmi les Pères synodaux pourraient trouver un allié dans la réforme des procédures régissant les déclarations de nullité des mariages.

Cette réforme tant attendue a été annoncée le 8 Septembre. Elle était considérée comme une nécessité. La dernière réforme remontait au XVIIIème siècle, quand le pape Benoît XIV avait introduit l'exigence d'une double sentence conforme avant l'octroi d'une déclaration de nullité (autrement dit, une sentence affirmative initiale était automatiquement suivie d'un appel à un tribunal de seconde instance, et une deuxième sentence affirmative devait être émise pour que la déclaration de nullité soit accordée). C'est la procédure qui a été suivie jusqu'à présent. Cependant, beaucoup étaient convaincus que l'exigence de la double sentence conforme provoquait retard et confusion, et devait être éliminée.

Bien sûr, la rationalisation des procédures n'était pas censée se traduire par une diminution de leur sérieux. Il était communément admis que la double sentence conforme devait être abolie, mais il était aussi généralement souligné que la première sentence devait être la plus précise possible. En fin de compte, les papes ont toujours mis en garde contre la concession trop facile d'une déclaration de nullité.

Jean-Paul II, le «pape de la famille», a demandé à plusieurs reprises aux juges d'être plus prudents dans l'octroi des déclarations de nullité. Benoît XVI a fait la même requête. Et François a fait de même. Rencontrant le 8 Novembre les membres du Tribunal suprême de la Signature apostolique, François a fait l'éloge du «défenseur du lien» (cf. w2.vatican.va) dont le rôle est dans tous les cas de plaider pour un résultat “in favor matrimonii” (contre une déclaration de nullité et pour la reconnaissance d'un mariage valide).

L'objectif de la réforme actuelle est de rationaliser les procédures. La double sentence conforme est abolie, comme prévu. Et chaque évêque se voit accorder un pouvoir juridique. Chaque évêque est un juge, il peut avoir recours à l'un des nombreux tribunaux interdiocésains ou établir un tribunal diocésain.

Cette décision pourrait aider à résoudre le problème du manque de juges en Amérique latine (il n'y a, par exemple, que deux tribunaux canoniques au Pérou). François est très conscient du manque de juges en Amérique latine, et il a déjà fait remarquer la situation dramatique (!!)) de personnes, en Argentine, qui sont obligés de faire des allées et venues sur 240 km pour être entendues afin de recevoir éventuellement une déclaration de nullité.

Le pouvoir de l'évêque est encore plus fort quand il est appelé à décider si une déclaration de nullité devrait être accordée moyennant une procédure régulière, ou abrégée. La procédure abrégée peut également être utilisée dans le cas d'un manque de foi de la part de l'un des époux au moment du mariage, même si le conjoint a été baptisé.

La question du manque de foi dans le mariage a été largement discutée, faisant l'objet d'un débat sans fin entre experts en droit canon et théologiens. Ces derniers sont pour, tandis que ceux des canonistes qui ne nient pas que le mariage puisse être déclaré nul dans le cas d'un manque de foi, notent que ce manque ne peut presque jamais être prouvé.

Benoît XVI a abordé la question dans un essai de 1998, republié par "L'Osservatore Romano" le 30 Novembre 2011 (cf. Une pastorale du mariage fondée sur la vérité). Cet essai est à présent l'instrument utilisé par les «adapteurs» pour soutenir la procédure abrégée dans le cas d'un manque de foi. Cependant, les «adapteurs» ne mentionnent pas que, bien que Benoît eût demandé une procédure simplifiée de déclaration de nullité, et aussi pensé à la possibilité que le manque de foi pourrait être une cause de nullité dans des cas spécifiques, il n'a jamais suggéré que ce manque pourrait être une justification possible d'une procédure abrégée.

Le nombre de ces «cas spécifiques» est aujourd'hui beaucoup plus élevé, comme le souligne un article de Mgr Pio Vito Pinto, doyen de la Rote et président de la Commission d'étude pour la réforme du processus canonique matrimoniaux, dans "L'Osservatore Romano" du 9 septembre (cf. www.osservatoreromano.va). Mgr Pinto a écrit qu'il est maintenant temps de passer «du nombre restreint de quelques milliers de déclarations de nullité aux nombre incalculable des malheureux qui pourraient obtenir la déclaration de nullité en raison d'un manque évident de foi», et sont laissés «à l'écart par le système juridique actuel»

Mgr Pinto a lui aussi utilisé l'essai de Benoît XVI de 1998 comme exemple, et ouvert la voie à l'exploitation possible de la notion de conscience au prochain Synode.

Dans l'essai de 1998, Benoît ouvrait la possibilité d'accès à la communion sacramentelle pour les divorcés remariés civilement via le «for interne». Il entendait par là que ceux auxquels une déclaration de nullité n'était pas accordée en raison d'un manque de preuves suffisantes en leur faveur, mais étaient convaincus que la sentence était erronée, pouvaient recevoir la communion sur la base du for interne, c'est-à-dire sur la base de leurs consciences personnelles. Cette décision privée pouvait être faite en accord avec les conseils d'un confesseur (ndt: c'est le concept d'épikeia, voir ici).

Les «adapteurs» regardent vers cette partie de l'essai en vue du prochain synode sur la famille. C'est probablement leur dernière chance. D'un point de vue pastoral, il ne reste plus d'arguments: la communion sacramentelle pour les divorcés remariés ne peut pas être concédée simplement sur la base de la «sollicitude pastorale», et la plupart des évêques sont d'accord sur ce point. Il y a une troisième voie, une approche pastorale qui ne modifie pas la doctrine, et 11 cardinaux l'ont soutenue dans un livre qui sera publié le 25 Septembre - un livre qui ne passera pas inaperçu (cf. benoit-et-moi.fr/2015-II/actualite/synode-lequipe-des-onze).

En ce qui concerne la discipline des sacrements, la majorité des évêques nommés ou élus au synode par les conférences épiscopales sont du côté de la doctrine actuelle, même s'ils souhaitent aussi une pastorale qui réponde mieux aux situations actuelles, mais sans rien sacrifier du message évangélique. La rumeur a circulé que ce n'est pas le point de vue de François; qu'il est plus proche des «adapteurs» comme le démontreront ses nominations personnelles au Synode. Les nominations papales, avec la liste complète des autres participants au synode, seront rendues publiques vers le 15 septembre. Ceux nommés personnellement par le Pape représenteront sans doute ses préférences, mais ils seront également appelés à entrer en communion avec la majorité de l'assemblée synodale.

Toutefois, on ne peut pas déduire le point de vue du pape simplement à partir de ses nominations. Il cherche à créer dans le Synode une assemblée mélangée, avec pour objectif final de "hacer lio".

Les «adapteurs» ne se basent pas sur un point de vue sacramentel ou pastoral, mais il y a un chemin qui s'ouvre à eux en termes de conscience personnelle. D'un côté, compter sur la conscience personnelle comme solution laisse tout entre les mains du confesseur, mais de l'autre, laisse les fidèles sans indications claires. Tout le monde peut au final faire appel à sa conscience personnelle. Certains divorcés remariés, comptant sur leurs consciences, décideront probablement de ne pas recevoir la communion, ou de ne pas entrer dans de nouvelles relations conjugales. D'autres iront tout simplement communier.

C'est de cette façon que les nouvelles procédures relatives à la déclaration de nullité auront une incidence sur le synode, déplaçant ainsi le cœur de la discussion ailleurs.
La discussion pourrait aussi être manipulée, puique les trois semaines prévues du synode seront gérées d'une manière différente que par le passé. Chaque semaine sera consacrée à la discussion de l'une des trois parties de l'"Instrumentum Laboris". Après une introduction, les Pères synodaux seront divisés en petits groupes, et à la fin il y aura une synthèse du petit groupe, qui ne sera pas publiée. Il n'y aura pas de rapport intermédiaire. À l'issue des trois semaines, il y aura une sorte de «rapport du Synode» qui sera couronné par le discours final de François.

Il n'y aura pas d'exhortation apostolique post-synodale, une décision destinée à démontrer que la discussion sera laissée ouverte. La révolution doctrinale ne sera donc pas atteinte à travers des documents précis, mais à travers l'exploitation de chaque expression vague qui sera sortie du synode. Considérant que chaque évêque a seulement 3 minutes pour parler, et que les discussions en petits groupes se réduiront à un synthèse finale, on peut supposer qu'il y aura des affirmations vagues.

Même la tentative de François de garder la question des annulations en dehors de l'agenda du synode a échoué. Le Pape a créé la commission le 27 Août 2014 avant Synode, et le travail de la Commission n'a pris fin qu'en Juillet 2015.

Au cours du dernier synode, une tentative a été faite pour amener la Commission à certaines conclusions. Une des propositions était de permettre aux déclarations de nullité pour manque de foi d'être émises via une simple procédure administrative, comme cela arrive avec un mariage “ratum et non consummatum” (ratifié mais non consommé).

Lorsqu'un mariage est ratifié mais non consommé, la Rote peut dispenser de l'engagement: c'est une procédure administrative utilisée dans de très rares cas. Le cardinal Francesco Coccopalmerio, Président du Conseil pontifical pour les textes législatifs et membre de la commission, a fait la proposition d'une procédure administrative pour les déclarations de nullité, durant le Synode de 2014, et il l'a présentée le 9 Octobre 2014 au cours d'une conférence de presse. Telle qu'il a expliqué sa proposition, si deux personnes n'ont pas la foi et qu'ils n'ont qu'un seul témoin de leur manque de foi, mais un témoin sûr, même en l'absence de toute preuve corroborante, une dispense du mariage au moyen d'un «procédure administrative» pourrait être autorisé. La commission n'a pas retenu cette proposition, parce que les membres voulaient protéger le principe de l'indissolubilité du mariage.

Le texte final de la loi sur la réforme ressemble plus à un moratoire qu'à une loi avec une vision à long terme. Il semble surtout dicté par l'urgence de résoudre certains problèmes concrets - le manque de tribunaux, la longueur du temps requis pour le processus - plutôt que par la nécessité de créer un système juridique fonctionnel à long terme.

C'est le problème avec l'Église conçue comme un hôpital de campagne. Il y a un agenda à l'œuvre derrière le dos de François (???), et il faut le dire, également une tentative de diluer la théologie du mariage et de la famille à travers l'agenda de la miséricorde. François a toujours approuvé la théologie actuelle du mariage. La semaine dernière, il a demandé une fois de plus que la famille se défende de la colonisation idéologique.

En soulignant une «colonisation idéologique» il se réfère principalement à des pressions venant du monde séculier. En fait, il y a aussi une colonisation idéologique qui provient de l'intérieur de l'Église. Les promoteurs de cette colonisation ont exploité la pensée de Benoît XVI aux fins de leur propre agenda. Ils ont redécouvert certains thèmes toujours présents - mais toujours éclipsés - du pontificat de Benoît XVI, comme la miséricorde, l'humilité et la joie. Mais ils manipulent ces sujets, obscurcissant ainsi le pontificat du pape émérite et sur-interprétant l'actuel pontificat (??). François devrait se méfier aussi de ces ennemis.