Le cardinal de l'ombre

Qui est Achille Silvestrini, cité dans la biographie de son confrère Danneels commme l'un des membres de la "mafia de Saint Gall", et en qui certains avaient cru reconnaître le fameux "mon cardinal" d'Olivier Legendre?

Il est né en 1923.
Sa notice Wikipedia en français est très succincte.
Celle en italien est un peu plus fournie.
On y apprend notamment qu'issu de la diplomatie vaticane, il fut l'un des principaux collaborateurs du card. Casaroli, dont il soutient la politique d'ouverture vers les pays d'Europe de l'Est à l'ère communiste.

Parmi les membres de la "mafia de Saint Gall" figure le nom du cardinal Silvestrini, brièvement évoqué dans la synthèse de Giuseppe Nardi: on se souvient peut-être qu'il a été au coeur d'un suspense (au moins sur mon site...), autour d'un livre paru en 2007 sous la plume d'un certain Olivier Legendre, intitulé "Confessions d'un cardinal" (cf. benoit-et-moi.fr/2007). Ce livre a eu une suite en 2011, "L'espérance du cardinal".
Il s'agit de deux "livres-interviews", un peu comme le "Rapport sur la foi" de Vittorio Messori avec le cardinal Ratzinger, sauf qu'ici, le cardinal est fictif, ou couvert par l'anonymat.

Au moment de la sortie du premier tome, j'avais soupçonné qu'il s'agissait d'un artifice littéraire (pour le moins douteux!) destiné à faire passer les idées de gens qui complotaient contre Benoît XVI. Je m'étais probablement trompée, au moins en pertie... Le cardinal de fiction empruntait bel et bien de nombreux traits (voire plus) à un être de chair et se sang!
En janvier 2009, grâce au site ESM (voir ici l'article en trois volets: eucharistiemisericor.free.fr), j'étais tombée sur un long texte de l'Abbé Claude Barthe (paru initialement dans l'Homme Nouveau) qui levait un coin de voile sur l'identité du cardinal d'Olivier Legendre: relu aujourd'hui, et pas seulement pour cette raison, il s'avère prophétique.
L'abbé Barthe écrivait en effet (entre autre, mais tout le texte est passionnant):

Peu après l’élection de Benoît XVI, paraissait un livre-manifeste d’un cardinal anonyme n’ayant pas participé au conclave. Il est révélateur de l’état d’esprit de l’aile la plus libérale de la Curie.
Lors de la parution, l’an passé, chez Jean-Claude Lattès, du livre d’Olivier Le Gendre, Confession d’un cardinal , les observateurs avertis ont compris qu’il s’agissait d’une opération importante, commanditée par des personnages de haut rang qui prétendent déjà préparer un après-Benoît XVI, auquel ils voudraient imprimer une direction toute différente de celle de l’actuel pontificat.
Cet ouvrage très ingénieusement conçu, sous la forme d’entretiens avec un cardinal anonyme, à Rome et en d’autres lieux, témoigne d’une connaissance précise des milieux (et même des lieux) ecclésiastiques romains, et développe des propos savamment mesurés mais redoutablement libéraux. Tout laisse penser que cette opération a été imaginée et diligentée par le cardinal Achille Silvestrini, chef de file de l’aile libérale du collège cardinalice...
Le cardinal qui se « confesse » emprunte à Silvestrini un certain nombre de traits particulièrement reconnaissables : il est comme lui un ancien cardinal de Curie (Achille Silvestrini, qui a aujourd’hui 85 ans, a été Préfet de la très importante Congrégation pour les Église orientales). Malgré la fatigue de l’âge le cardinal anonyme, de même que Silvestrini, semble n’avoir jamais mieux joui de ses moyens intellectuels. En raison de cet âge, le cardinal qui se confesse n’a pas participé au dernier conclave (Achille Silvestrini, qui avait 81 ans lors de l’ouverture du conclave, n’en a pas passé les portes).


En janvier 2012, de passage en Suisse, lors d'un débat public (cf. paroissiens-progressiste.over-blog.com), Olivier Legendre s'expliquait sur ses livres et les circonstances dans lesquelles ils avaient été écrits, et il plaidait pour "un nouveau modèle d'Eglise". Obsédé par l'idée de pauvreté (tiens donc!), il prétendait qu'"il faudra faire ce qu’il faut pour qu’elle soit cette Église pauvre et solidaire qu’elle aurait du toujours rester".
Par ailleurs, à côté d'un plaidoyer pour le mariage des prêtres, il affirmait:
"Je connais beaucoup de prêtres et d’évêques qui donnent la communion à des gens remariés, alors que c’est parfaitement interdit par les autorités vaticanes. C’est ce type de réglementations qui m’insupportent. Le salut de l’Eglise catholique ne se trouve pas dans la hiérarchie".

Depuis, il y a eu la démission de Benoît XVI, et l'élection du 13 mars 2013.
Un an plus tard Olivier Legendre disparaissait "des suite d'une longue maladie", selon la formule consacrée, mais l'élection de Jorge Mario Bergoglio avait été pour lui un dernier sujet de grande satisfaction.
Interrogé, juste avant sa mort, par Christine Pedotti, pour Témoignage Chrétien, il avait confié que le soir du 13 mars 2013, des amis lui avaient dit: "Mais c'est ton cardinal qui a été élu"!! Et, rapporte Christine Pedotti, il reconnaissait "avec jubilation et gourmandise que Jorge Mario Bergoglio a bien des parentés avec «son» cardinal – plus qu’il n’aurait osé l’espérer".(cf. www.baptises.fr)

Tout cela a été développé à différents endroits de ce site.

Aujourd'hui, si l'Eglise "pauvre et solidaire" que le cardinal de Legendre appelait de ses voeux a confié à grand frais la gestion de ses comptes à des agences d'audit multinationales, l'opinion publique est majoritairement persuadée qu'elle est enfin de retour. Et la biographie de Danneels confirme le rôle du cardinal Silvestrini dans cet avènement préparé bien avant le conclave qui a vu élire le successeur de Benoît XVI. Avec un programme qui ressemble comme deux gouttes d'eau à celui du cardinal anonyme d'Olivier Legendre.


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Voici un article paru avant-hier sur un site italien, qui nous en dit un peu plus sur ce prélat "de l'ombre" aussi discret qu'influent (il semble qu'il l'était encore en 2013, malgré son âge avancé).

Silvestrini comme Richelieu?
Les intrigues pour Bergoglio-Pape: la bio est "explosive"

28 septembre 2015
Americo Mascarucci
www.intelligonews.it
Ma traduction

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Depuis désormais de nombreuses années, il est dans les coulisses même si, à écouter les bien informés, il continuerait à exercer une certaine influence dans la Curie. Le Cardinal Achille Silvestrini, ancien préfet du Tribunal suprême de la Signature apostolique et de la Congrégation pour les Eglises orientales, a été accusé comme François d'être «communiste» à l'époque de l'URSS, quend il fut pris la main dans le sac, ouvrant le dialogue avec l'Europe de l'Est, et brisant les murs idéologiques avant que tombe celui de Berlin.

Il fut un adversaire acharné du lefebvrisme défiant ouvertement le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Joseph Ratzinger qui voulait se raccomoder avec la Fraternité Saint-Pie X. «Marcel Lefebvre est excommunié», tonnait Silvestrini, et on peut imaginer sa satisfaction quand l'excommunication arriva de la part de Jean-Paul II. Avec Wojtyla, il eut de bonnes relations, ce fut ce dernier qui le nomma d'abord archevêque, puis cardinal bien que ses positions libérales prononcées fussent difficiles à concilier avec le magistère du pape polonais.

Ses relations avec l'ancien président de la CEI, Camillo Ruini furent au contraire exécrables, et apparemment aussi avec le secrétaire d'État Angelo Sodano. Silvestrini soutint l'élection du radical-vert Francesco Rutelli à la mairie de Rome en 1993 contre Gianfranco Fini et quelques années plus tard il célébra un mariage religieux entre lui et Barbara Palombelli, s'accaparant le mérite d'avoir rapproché l'ancien maire de la foi.

Il fut prodien (du nom de Romano Prodi), antiberlusconen, anti Ligue (Ligue du Nord), favorable au centre-gauche dans ses différentes déclinaisons, ouvert sur les questions éthiques et favorable à une législation sur les unions civiles et gays.

On a appris il y a quelques jours qu'il aurait fait partie du groupe d'évêques et de cardinaux qui pendant des années se seraient rencontrés en Suisse pour préparer l'élection de Bergoglio, sous la houlette du Carlo Maria Martini. La thèse est contenue dans la biographie de Danneels, le cardinal belge grand électeur de François et appelé par ce dernier à participer au Synode sur la famille, bien que ses positions en faveur de l'avortement, du mariage homosexuel et des couples non mariés, ne seraient pas partagée par le Pape [???] (qui toutefois ne peut pas oublier à quel point il s'est dépensé pour son élection).

Que Silvestrini n'aimât pas Ratzinger et fût opposé à son élection n'est certes pas un mystère, tout comme le fait qu'au sein de la Curie romaine, au moins durant les premières années, précisément Silvestrini fut le leader le plus crédible de la fronde libérale contre la politique de Benoît XVI. Et le fait que derrière la candidature de Bergoglio au conclave de 2005, contre Ratzinger, il y eût sa direction (sa mise en scène) est une hypothèse qui a été mise sur la table.

Mais pourquoi donc un cardinal d'Amérique latine, presque inconnu de la plupart des gens, et pas un cardinal beaucoup plus en vue dans le camp progressiste aurait-il été choisi comme porte-étendard? Parce que - telle est la réponse de Danneels et cie -, seul un cardinal venant de très loin, complètement étranger au Vatican, à ses logique de pouvoir, et doté d'une sensibilité extraordinaire pour les pauvres, pourrait porter à son accomplissement une profonde réforme radicale de la Curie.

Dommage que Silvestrini, au sein de cette Curie si villipendée, ait été des années durant avec des fonctions tout sauf marginal. Étrange, vraiment, que cette envie de renouveau et de moralisation ne se soit éveillée en lui qu'à quatre-vingts ans révolus, soit après la «retraite», lorsque les cardinaux perdent les postes occupés et le droit d'entrer au conclave. Avant, la Curie ne convenait-elle pas au libéral et puissant Achille Silvestrini?