Le cardinal Schönborn et les "unions de fait"

Le prélat aurichien, dans un long entretien avec le Père Spadaro sur La Civiltà Cattolica, y perçoit des "graines de vérité".

On pense à Alceste, dans Le Misanthrope: "qu'en termes gants ces choses-là sont mises"....

 

Le dernier article de Sandro Magister s'intitule: 'LA CIVILTÀ CATTOLICA' A UN NOUVEAU BUREAU. À LA MAISON SAINTE-MARTHE.
Titre suivi par cette précision: Elle écrit ce que le pape François voudrait faire dans le domaine de la famille, mais qu’il ne fera peut-être pas parce qu’il sera freiné par le synode.
Et l'article commence ainsi:

"La Civiltà Cattolica" n’est pas une revue ordinaire. Elle est rédigée exclusivement par des jésuites, dont les articles sont, depuis toujours, passés au crible par les autorités vaticanes avant d’être publiés.(...)
Sous le pontificat de François, le lien entre le pape et la revue est de nouveau direct. Le directeur actuel de "La Civiltà Cattolica", le père Antonio Spadaro, a des relations très étroites et très confiantes avec Jorge Mario Bergoglio, à tel point qu’il est devenu son principal interviewer et interprète.
Voilà pourquoi beaucoup de gens attribuent à François tout ce que l’on peut lire dans cette revue à propos du synode consacré à la famille.
Et on note en effet, dans tous les articles qui y ont été publiés à ce sujet jusqu’à maintenant, une tendance à soutenir de manière plus ou moins accentuée le "processus" d’actualisation de la pastorale du mariage placée sous le signe de la "miséricorde" qui paraît bien être la véritable intention du pape et qui, d’après beaucoup d’observateurs – au nombre desquels certains rédacteurs de "La Civiltà Cattolica" – devrait se concrétiser par l'admission des divorcés remariés à la communion eucharistique et par la bénédiction des unions homosexuelles.


On ne sera donc pas étonnés que parmi les contributions, on trouve celle du cardinal Schönborn. On ne sera pas non plus étonnés par les positions exprimées ici par le prince autrichien, dont les opinions en matière de reconnaissance des unions "de fait" et en particulier "gays" ne datent pas d'hier.
On se souvient de ses réactions publiques après la victoire au Concours de l'Eurovision de la drag queen Conchita Wurst en mai 2014 (voir ICI)
Et on se souvient (peut-être moins...) qu'en avril 2012, le cardinal avait, malgré les protestations de catholiques qualifiés par les médias de "traditionalistes", et contre l'avis même du curé, confirmé à la tête du Conseil Pastoral d'une paroisse proche de Vienne un jeune de 26 ans qui, en plus d'être ouvertement homosexuel vivait avec son compagnon (cf. benoit-et-moi.fr/2012-I ). C'est peut-être de lui qu'il est question ci-dessous.

Dans sa rubrique consacrée au Synode d'octobre 2015 (sinodo2015.lanuovabq.it), la Bussola fait une synthèse d'une interview du cardinal par le Père Spadaro, parue dans le dernier numéro de la Civiltà Cattolica.
Les propos du cardinal, lus en faisant abstraction de l'onction du langage écclésiastique auquel, tout moderne et ouvert qu'il est, il n'échappe pas, me semblent préfigurer les conclusions du Synode - ou au moins leur esprit: ouverture, tout en faisant semblant de ne pas toucher à la doctrine en jouant habilement sur les mots..

L'article s'intitule: MARIAGE ET CONVERSION PASTORALE. Déjà tout un programme!

Le cardinal Schönborn à la Civiltà Cattolica:
des semences de vérité dans toutes les unions de fait


10 septembre 2015
sinodo2015.lanuovabq.it
Ma traduction

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Le cardinal Christoph Schönborn a accordé une longue interview au père Antonio Spadaro, directeur de la Civiltà Cattolica. Les paroles du cardinal autrichien sont importantes et méritent d'être lus parce qu'elles représentent une sorte de synthèse de la pensée de ceux qui voudraient un certain type de mise à jour de la pastorale du mariage et de la famille.

Prémisse: se détacher des livres et des concepts vides
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Le présupposé, dit Schönborn, est que "nous devons nous détacher de nos livres pour aller parmi la foule et nous laisser toucher par la vie des gens. Les regarder et connaître leurs situations, plus ou moins instables, à partir du désir profond inscrit dans le cœur de chacun. (...) Nous n'avons pas encore atteint cette dimension dans le discours ecclésiastique et dans le discours du Synode. Nous parlons encore trop avec un langage fait de concepts vides de sens".

La référence à l'évolution du contexte social
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L'archevêque de Vienne, en ligne avec la position prise par de nombreux théologiens et évêques allemands, accorde une attention particulière aux circonstances et aux faits de la vie ainsi qu'à l'évolution sociale; éléments considérés comme fondamentaux pour repenser l'approche pastorale.
"Trop souvent", dit le cardinal, "nous, théologiens et évêques, pasteurs et gardiens de la doctrine, oublions que la vie humaine se déroule dans les conditions imposées par une société: conditions psychologiques, sociales, économiques, politiques, dans un contexte historique. Ce qui jusqu'à présent a fait défaut au Synode. Et la chose est surprenante, par rapport aux énormes changements que je perçois au cours des soixante-dix ans de ma vie".
Et il a donné un exemple. "Peu d'entre nous [au synode de 2014] ont parlé des conditions réelles de jeunes gens qui veulent se marier. Nous nous plaignons de la réalité quasi universelle des unions de fait, de nombreux jeunes et moins jeunes qui vivent ensemble sans se marier civilement et encore moins religieusement; nous sommes là à déplorer ce phénomène, au lieu de nous demander, "Qu'est-ce qui a changé dans les conditions de la vie?". (...) Je ne dis pas que ce qui arrive est bon, mais nous devons avoir un regard attentif et de compassion à la réalité. On risque facilement de pointer du doigt l'hédonisme et l'individualisme de notre société. Il est plus difficile d'observer ces réalités avec attention".

Semences de vérité dans les cohabitations
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Lorsque le père Spadaro demande si "au le Synode, la qualité du regard sur des situations qui ont des déficiences objectives sera important", le cardinal répond que "nous devrons examiner les nombreuses situations de coexistence non seulement du point de vue de ce qui manque, mais aussi du point de vue de ce qui est déjà promesse, qui est déjà présent".
Parce qu'il y a dans "un couple,dans une 'union de fait', des éléments de véritable héroïsme, de véritable charité, de véritable don mutuel. Même si nous devons dire: «Ce n'est pas encore une pleine réalité du sacrement». Mais qui sommes-nous pour juger et dire qu'il n'y a pas en eux des éléments de vérité et de sanctification?"

Parcours pénitentiels personnels pour l'accès aux sacrements des divorcés remariés
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"Les critères objectifs nous disent clairement qu'une certaine personne encore liée par un mariage sacramentel ne peut pas participer pleinement à la vie sacramentelle de l'Église. Subjectivement, elle vit cette situation comme une conversion, comme une véritable découverte dans sa propre vie, au point que l'on peut dire, d'une certaine façon que pour le bien de la foi, on peut faire un pas qui aille au-delà de ce que dirait objectivement la règle. Je pense que nous sommes confrontés à quelque chose qui aura une grande importance au cours du prochain Synode. Je ne cache pas, à ce propos, avoir été choqué par la façon dont un mode de pensée purement formaliste manie la hache de l'intrinsece malum.(...) On ne peut pas transformer une situation irrégulière en une régulière, mais il existe aussi des moyens de guérison, d'approfondissement, des chemins où la loi est vécue étape par étape. Il y a aussi des situations où le prêtre, la personne accompagnante, qui connaît la personne en son for intérieur, peut arriver à dire: "Votre situation est telle qu'en conscience, dans votre et dans ma conscience en tant que pasteur, je vois votre place dans la vie sacramentelle de l'Église".

Union entre personnes du même sexe
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On peut et on doit respecter la décision de créer une union avec une personne du même sexe, chercher dans le droit civil les instruments pour protéger leur coexistence et leur situation avec les lois pour assurer cette protection. Mais si on nous demande, si on exige que l'Eglise dise que cela est un mariage, eh bien, nous devons dire: non possumus. Ce n'est pas une discrimination des personnes: distinguer ne signifie pas discriminer. Cela n'empêche absolument pas d'avoir un grand respect, de l'amitié, ou une collaboration avec des couples vivant ce genre d'union, et surtout de ne pas les mépriser. (...)

"... Je connais une personne homosexuelle qui a vécu pendant des années une série d'expériences, non pas avec une personne en particulier ou une cohabitation, mais les expériences fréquents avec des personnes différentes. Maintenant, il a trouvé une relation stable. Il y a une amélioration, au moins sur le plan humain, le fait de ne plus passer d'une relation à l'autre, mais de se stabiliser dans une relation qui ne repose pas seulement sur la sexualité. On partage une vie, on partage les joies et les souffrances, on s'aide mutuellement. Il faut reconnaître que cette personne a fait un pas important pour son propre bien et pour le bien des autres, même si, bien sûr, ce n'est pas une situation que l'Eglise peut considérer régulière. Le jugement sur les actes homosexuels en tant que tel est nécessaire, mais l'Eglise ne doit pas regarder d'abord dans la chambre à coucher, mais dans la salle à manger! Il faut accompagner!"

Concilier doctrine et miséricorde
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Le Pape François appelle chacun de nous, pasteurs, à une véritable conversion pastorale. Dans le discours final du Synode, il a bien résumé ce qu'il voulait dire quand il a dit que l'expérience du Synode est une expérience d'Église, de l'Église une, sainte, catholique et apostolique composée de pécheurs, qui ont besoin de sa miséricorde. C'est l'Eglise qui n'a pas peur de manger et de boire avec les prostituées et les publicains. Le Pape exprime parfaitement l'équilibre qui doit caractériser cette conversion pastorale.