IOR - Gotti Tedeschi: le mystère s'épaissit


Le commentaire très attendu et très informé de Riccardo Cascioli (17/9/2016)

Voir ausi:
¤ La "bombe" de Maurizio Blondet
¤ L'imbroglio de la destitution de Gotti-Tedeschi (Rosso Porpora)
¤ Confusion, soupçon et division dans l'Eglise (de Mattei)



Commentant l'article de Maurizio Blondet qui a été le premier à tirer la sonnette d'alarme, j'avais écrit (pardon de me citer):
« (...) à strictement parler, Von Freyberg n'a pas succédé directement à Gotti-Tedeschi. Entretemps (mai 2012-février 2013), il y a eu un directeur de l'IOR par interim, Paolo Cipriani (dont le rôle dans cette affaire est du reste extrêmement trouble)».

Riccardo Cascioli ne cite pas Cipriani, mais il souligne - c'est important - qu'«En réalité, la réponse de Benoît XVI semble résumer en un seul fait ce qui au contraire s'est produit à différents moments, sur plusieurs années». Et il ajoute: «Il est donc important d'examiner brièvement ce qui est arrivé alors, pour tenter de démêler l'écheveau».
C'est cette confusion sur le timing qui a induit les journalistes (Tornielli en tête) à conclure hâtivement que «la décision d'évincer Gotti Tedeschi est celle de Benoît XVI».

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Il n'est pas inutile de rappeler que Riccardo Cascioli est le directeur de la Nuova Bussola, journal en ligne qui héberge (entre autre) périodiquement les tribunes d'Ettore Gotti Tedeschi.
Il est donc très bien informé, ayant dû suivre l'affaire de près dès le début; en outre, selon la connaissance que j'ai de lui (depuis le temps que je traduis ses articles!), il me semble que sa bonne foi peut difficilement être remise en cause. D'ailleurs, ici, il ne cite que des faits vérifiables, se contentant pour le reste de poser des questions.

Benoît XVI et l'IOR, ça ne colle pas


Riccardo Cascioli
17/09/2016
www.lanuovabq.it
Ma traduction

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Quand il est question l'IOR - Institut pour les œuvres religieuses, la «banque» du Vatican - allez savoir pourquoi toute tentative de clarification finit par créer encore plus de doutes et augmenter les mystères. C'est encore ce qui se produit avec la brève réponse de Benoît XVI à la question sur le sujet, dans le livre-interview avec le journaliste allemand Peter Seewald "Dernières conversations", publié ces jours-ci. Le Pape émérite dit que dès le début, il avait à l'esprit de réformer l'IOR, mais il a dû faire les choses lentement. Puis il dit: «Il était important d'éloigner la direction précédente. Il était nécessaire de renouveler les dirigeants et il semblait juste, pour de nombreuses raisons, de ne plus mettre un Italien à la tête de la banque. Je peux dire que le choix du baron Freyberg s'est avéré être une excellente solution«. «C'était votre idée?», demande le journaliste. «Oui» , répond le pape émérite, puis il ajoute: «Se sont ajoutées ensuite les lois pour lutter contre le blanchiment, promulguées sous ma responsabilité et appréciées au niveau international. Quoi qu'il en soit, j'ai fait différentes choses pour réformer le IOR».

Quiconque a un minimum de connaissance des faits advenus à l'IOR pendant le pontificat de Benoît XVI, et tout de suite après, ne peut manquer de reconnaître ici une reconstruction confuse, qui ne correspond ni aux données connues, ni aux précédentes déclarations, officielles et officieuses. Une reconstruction incompréhensible, explicable (peut-être) en partie par la nature du livre, qui est un collage d'entretiens réalisés à des moments différents. Dans tous les cas, dans les traductions journalistiques, le concept est imédiatement devenu que c'était le pape Benoît qui avait voulu chasser (par ailleurs de façon igniminieuse) celui qui était alors président de l'IOR, Ettore Gotti Tedeschi, et qui avait choisi le baron von Freyberg comme son successeur, dans une tentative de faire le ménage. Ce faisant, d'un côté, on jette encore un peu plus de boue sur Gotti Tedeschi, dont les magistrats italiens qui ont enquêté sur l'IOR ont été les seuls à restaurer l'honneur, de l'autre, on soulève d'autres questions sur une histoire jamais éclaircie.

En réalité, la réponse de Benoît XVI semble résumer en un seul fait ce qui au contraire s'est produit à différents moments, sur plusieurs années. Il est donc important d'examiner brièvement ce qui est arrivé alors, pour tenter de démêler l'écheveau.
Le renouvellement des dirigeants de l'IOR dans le but de lancer des lois anti-blanchiment a eu lieu en septembre 2009, précisément avec la nomination de Gotti Tedeschi à la direction de l'Institut. Il s'ensuit un travail, accompli en grande partie avec le cardinal Nicora, qui amène le 30 décembre 2010 à la promulgation de la loi 127, visant précisément à l'alignement avec les standards internationaux de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.

Dans le même temps, en avril 2011, le nouvel organe de contrôle financier dirigé par le cardinal Nicora entre en fonction. Mais les efforts de transparence connaissent un arrêt brutal lorsque quelques mois plus tard, en janvier 2012, la loi 127 est amendée pour prendre des dispositions moins strictes: un blitz, accompli dans le dos de Nicora et Gotti Tedeschi, qui n'étaient pas au courant. Le responsable de l'opération est considéré comme étant le secrétaire d'Etat, le cardinal Tarcisio Bertone, qui est également à la tête de la Commission des cardinaux qui préside aux activités de l'IOR. Ce n'est que le début d'un processus qui en quelques mois, en mai 2012, conduit à l'expulsion de Gotti Tedeschi, décidée par le Conseil d'administration, mais accompagnée d'un communiqué aussi dur qu'inhabituel de la Secrétairerie d'Etat; suit l'éloignement d'autres fonctionnaires, personnes de confiance de la Banque d'Italie. Le signal donné aux autorités internationales est clair et on voit se fissurer la confiance dans les changement au Vatican, par ailleurs théâtre d'une âpre lutte interne: au point que pendant neuf mois, la Commission des cardinaux, la seule qui ait la responsabilité de nommer et de révoquer les dirigeants de l'institut, ne ratifie pas le licenciement de Gotti Tedeschi.

Est-ce donc vraiment le pape Benoît qui a voulu sa tête, quand c'est justement Gotti Tedeschi qui s'est battu pour la loi anti-blanchiment, boycottée de l'intérieur? Un peu difficile à croire, et en effet, voilà ce que Mgr Georg Gänswein, le secrétaire du Pape Benoît XVI, a dit dans une interview au Messagero, le 22 Octobre 2013. À la question du journaliste: «Est-il vrai que le pape Ratzinger a été tenu dans l'ignorance de l'expulsion de Gotti Tedeschi de l'IOR?», Gänswein répond: «Je me souviens très bien de ce moment, c'était le 24 mai. Ce jour-là il y eut aussi l'arrestation de notre majordome Paolo Gabriele. Contrairement à ce qu'on pense, il n'y a pas de lien entre les deux événements, sinon seulement une coïncidence malheureuse, et même diabolique. (...) Benoît XVI qui avait appelé Gotti à l'IOR pour poursuivre la politique de transparence a été surpris, très surpris par l'acte de défiance envers le professeur. Le Pape l'estimait et l'aimait, mais par respect des compétences de ceux qui avaient des responsabilités, il choisit de ne pas intervenir à ce moment-là. Après la défiancele pape, pour des raisons d'opportunité, même s'il n'a jamais reçu Gotti a maintenu le contact avec lui de manière appropriée, et discrètement».

Comme on le voit, la reconstruction de Gänswein est bien différente de celle fournie aujourd'hui par le Pape émérite: Benoît XVI a été cueilli par surprise, il n'approuva pas, mais plutôt que d'intervenir directement, délégitimant ceux qui avaient la compétence dans l'affaire, il chercha ensuite d'une certaine façon à "rattraper" Gotti Tedeschi. En réalité, explications et promesses de réhabilitation se sont discrètement succédé dans les mois suivants, jusqu'au début de 2013, quand Gotti Tedeschi est convoqué par le Cardinal Bertone pour une communication importante.
La rencontre a effectivement lieu le 7 février 2013 , à la résidence privée d'un autre cardinal, où Bertone dit à Gotti Tedeschi la décision du pape de sa réhabilitation immédiate. Question de quelques jours, et il serait appelé à Rome pour l'annonce officielle.
Mais à la place, le 11 Février, tombe à l'improviste, l'annonce de la démission du pape et tout explose. En revanche, le processus pour changer la direction de l'IOR s'accélère: après neuf mois d'impasse, après l'annonce du pape Ratzinger, ceux qui, dans la Commission des cardinaux s'opposaient à la ratification de la défiance à Gotti Tedeschi sont remplacés (le cardinal Nicora a été remplacé par Mgr Calcagno), et le nouveau président de l'IOR, le baron von Freyberg, est nommé. Un timing qui suscite pas mal de polémiques (pourquoi ne pas attendre le nouveau pape qui aurait eu de toute façon le pouvoir de tout changer?) Et de nombreux soupçons sur les manœuvres du cardinal Bertone.

Dans l'interview avec Seewald, Benoît XVI revendique le choix de Freyberg comme étant le sien. Mais son porte-parole le père Federico Lombardi l'expliqua alors d'une façon bien différente: il dit que ce choix avait été le fruit de mois de travail effectué par la Commission des cardinaux, qui avaient interrogés de nombreux candidats. Pour trouver le bon profil, on avait recouru à l'agence spécialisée Spencer Stuart: «L'agence a présenté quarante candidats - dit Lombardi - une sélection en a réduit le nombre d'abord à six, puis à trois. Ceux-ci se sont entretenus avec la commission cardinalice». Résultat: le 13 Février la Commission des cardinaux choisit von Freyberg à l'unanimité et dans l'après-midi du 14, selon les paroles du Père Lombardi, le Pape est informé.

Maintenant, on pourra dire que dans l'interview, Benoît XVI a voulu souligner brièvement ce qui a été fait par lui pour la réforme de l'IOR, sans devoir entrer avec précision dans tous les détails de l'histoire; ou qu'en raison de l'âge, sa mémoire présente quelque lacune (1); ou même, que tout est dû au copier-coller et à la superficialité du journaliste qui l'a interviewé (2). Tout est possible, mais le fait est que les déclarations de Benoît XVI contrastent clairement avec ce qu'affirment Mgr Gänswein et le Père Lombardi et avec ce qui est publiquement connu.
Le mystère IOR continue ...

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NDT
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(1) C'est plausible, mais pas sous cette forme. Au moment des faits, on peut supposer que Benoît XVI avait des préoccupations infiniment plus grandes que ce qui n'est au fond que de simples détails d'intendance. Le bouleversement consécutif à la démission peut expliquer que certains faits aient été occultés de sa mémoire (que tout le monde s'accorde, aujourd'hui encore, à trouver extraordinaire), sans qu'il soit besoin de recourir à l'argument, franchement déplacé, de l'âge.
(2) Il se peut en effet, et c'est même très vraisemblable, que Peter Seewald connaissait très superficiellement la complexe affaire de l'IOR, en tout cas beaucoup moins bien que les milieux italiens concernés en général, et Riccardo Cascioli en particulier.