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AL: la 'note de bas de page' manquante

On trouve dans l'exhortation apostolique plusieurs citations verbatim de Victor Fernandez, mais "anonymement", sans précision ni note explicative. Et cela soulève plusieurs questions graves, dit un spécialiste américain en éthique, cité par Crux (20/1/2017)

Ce texte a été publié cette semaine sur le site <Crux> - dirigé par John Allen, donc peu suspect de traditionalisme obtus -, et il a été écrit par un certain Michael Pakaluk, présenté comme "éthicien, professeur d'éthique à la Catholic University of America".
Ce qu'il "révèle" ici n'est en fait pas vraiment nouveau. En mai 2016, dans son indispensable blog (aujourd'hui en archives) www.chiesa, S. Magister écrivait déjà, sous le titre "AMORIS LÆTITIA" A UN AUTEUR FANTÔME. IL S’APPELLE VÍCTOR MANUEL FERNÁNDEZ:
«Il existe d’impressionnantes ressemblances entre les passages-clés de l'exhortation du pape François et deux textes de son principal conseiller, datant d’il y a dix ans».
(cité par chiesa e postconcilio)

L'article de <Crux> relève à son tour les similitudes, de façon systématique, et pose le problème: quelle sorte de "ghostwriter" est ce Victor Fernandez qui se cite lui-même dans une exhortation apostolique qu'il a notoirement contribué à rédiger, mais sans le dire, faisant passer en douce ses propres idées comme du magistère, "contraignant" ainsi les fidèles croyant obéir au Pape, et exposant celui-ci, unique signataire et responsable de ladite exhortation, à l'accusation de plagiat (le terme technique recouvrant le fait de citer un auteur en le reprenant à son propre compte, mais sans le nommer)?

L'impression d'ensemble qui ressort de l'article est celle d'un grand amateurisme de la part de l'entourage du Pape (inexcusable à ce niveau!), et d'une négligence regrettable du Pape lui-même.
Dommage que Michael Pakaluk, surtout dans la seconde partie, le dédouane de toute "faute", et impute toute la reponsabilité à Fernandez - alors que finalement peu de gens connaissent l'obscur théologien argentin, que personne, hors d'un cercle hispanique restreint, ne se soucie de ses idées, bref, qu'il n'a en lui-même aucune importance, ni aucun intérêt -, faisant de lui un bouc émissaire commode. C'est oublier un peu vite qu'il est un ami intime et un proche conseiller du Pape, lequel a bel et bien SIGNÉ DE SA MAIN (répétons-le) la fameuse exhortation. Supposer que Fernandez a agi à son insu, c'est, une fois de plus, faire peu de cas du jugement et de l'autorité de François (cf. Scandale au Vatican), faisant de lui le jouet d'intrigants, et donc de cette façon, lui manquer de respect: avis aux bergogliâtres, évidemment!

Un éthicien affirme que le rôle du ghostwriter dans 'Amoris' est troublant

Michael Pakaluk
CRUX
15 janvier 2017

Il s'avère que la plus importante note de bas de page dans 'Amoris Laetitia' est peut-être une note qui en est absente, car un passage clé du document est tiré presque textuellement d'un essai théologique de 1995 de l'archevêque Victor Fernandez - ce qui pose des questions troublantes sur le rôle de Fernandez comme ghostwriter, et sur la force magistérielle de ses idées.

La note la plus importante dans Amoris Laetitia pourrait bien ne pas être, comme beaucoup le supposent, celle traitant de l'accès aux sacrements pour les catholiques dans des situations «irrégulières». A la place, il pourrait s'agir d'une note de bas de page qui ne figure pas dans le document, mais qui devrait y être, puisque l'une des phrases d'Amoris est presque textuellement tirée d'une étude publiée en 1995 dans une revue théologique de Buenos Aires.

La phrase, du fameux chapitre 8, est la suivante (§301):

«Saint Thomas d’Aquin reconnaissait déjà qu’une personne peut posséder la grâce et la charité, mais ne pas pouvoir bien exercer quelques vertus, en sorte que même si elle a toutes les vertus morales infuses, elle ne manifeste pas clairement l’existence de l’une d’entre elles, car l’exercice extérieur de cette vertu est rendu difficile : "Quand on dit que des saints n’ont pas certaines vertus, c’est en tant qu’ils éprouvent de la difficulté dans les actes de ces vertus, mais ils n’en possèdent pas moins les habitudes de toutes les vertus" ([Cf. Summa Theologiae I-II, q. 65, art. 3 ad 2 and ad 3].)»

Il faut regarder la version en espagnol pour voir clairement le plagiat. En espagnol, la phrase d'Amoris est la suivante:

«Ya santo Tomás de Aquino reconocía que alguien puede tener la gracia y la caridad, pero no poder ejercitar bien alguna de las virtudes, de manera que aunque posea todas las virtudes morales infusas, no manifiesta con claridad la existencia de alguna de ellas, porque el obrar exterior de esa virtud está dificultado: ‘Se dice que algunos santos no tienen algunas virtudes, en cuanto experimentan dificultad en sus actos, aunque tengan los hábitos de todas las virtudes"»

Et la phrase correspondante de cette revue théologique de 1995 est la suivante:

«De hecho santo Tomas reconocia que alguien puede tener la gracia y la caridad pero no ejercitar bien alguna de las virtudes “propter aliquas dispositiones contrarias” (Summa Th., I-IIae., 65, 3, ad 2), de manera que alguien puede tener todas las virtudes pero no manifestar claramente la posesion de alguna de ellas porque el obrar exterior de esa virtud esta dificultado por disposiciones contrarias: “Se dice que algunos santos no tienen algunas virtudes en cuanto tienen dificultades en los actos de esas virtudes, aunque tengan los habitos de todas” (Ibid, ad 3)».

Et voici la note de bas de page qui devrait être là, mais n'y est pas:

«Victor M. Fernandez, Romanos 9-11 : gracia y predestinación, Teologia, vol 32, n° 65, 1995, pp. 5-49, 24. Cf. Victor M. Fernandez, La dimensión trinitaria de la moral II: profundización del aspecto ético a la luz de “Deus caritas est”, Teologia, vol 43, n° 89, 133-163, 157. Evangelii Gaudium 171.”

Il faut ajouter la référence à Evangelii Gaudium, parce que la même phrase y était utilisée, là aussi sans attribution, et il faut également se référer à un autre article de Fernandez, avec encore une autre version de la phrase.

Naturellement, j'emploie le terme «plagiat» dans son sens matériel, et non pas formel.

Vous et moi, nous soupçonnerons que Fernandez, aujourd'hui archevêque et ami proche du pape, qu'on dit être le ghostwriter de Laudato Si', était aussi celui du chapitre 8 d'Amoris et au moins en partie d'Evangelii Gaudium. Dans la phrase citée plus haut, il s'aidait simplement de ses propres écrits antérieurs.
Mais matériellement, pour un auteur, présenter les mots d'un autre comme ses propres mots reste un plagiat, et c'est le pape François, pas Victor Fernandez, qui est l'auteur d'Amoris et d'Evangelii Gaudium.

En fait, l'utilisation dans Amoris de matériel issu d'écrits antérieurs de Fernandez est plus présente qu'une seule note manquante. À un moment donné, une partie entière du document est en grande partie tirée d'un essai de 2001 de Fernandez, bien qu'il soit de moindre importance théologique et éthique.
Voici un tableau montrant la dépendance:

Cliquez.

J'aimerais que ces lacunes ne soient qu'un fait regrettable mais isolé à propos d'Amoris, mais ce n'est pas le cas. Je vais souligner trois implications plus larges.

>| La première est qu'Amoris doit être «renvoyée au fabriquant [comme défectueuse]», pour que ses différents défauts soient supprimés ou corrigés. J'ai déjà souligné que la note de bas de page n.329 cite mal Gaudium et Spes, et qu'elle cite délibérément erronément ce document pour avancer son argument implicite.
Bien sûr, aucun texte publié sous le nom du pontife romain ne devrait contenir une citation inexacte d'un concile œcuménique.
Il y a sept ou huit autres exemples de médiocre travail scolaire - citation erronée, citation trompeuse, mauvaise attribution, etc. - qui devraient être corrigées. Je serais heureux de fournir une liste. Mais il y a beaucoup de savants compétents, remplis de bonne volonté envers le pape, qui auraient pu vérifier le document au préalable et qui pourraient encore aider à le nettoyer maintenant.

Je suppose que si Amoris était «renvoyée au fabriquant» pour ces faiblesses relativement mineures, ce pourrait être un bon document si le pape François résolvait en même temps définitivement ses ambiguïtés amplement relevées.

>| Une deuxième implication est que ces exemples de plagiat matériel mettent en question l'aptitude de Fernandez à servir de ghostwriter pour le pape. Un ghostwriter devrait rester un fantôme (a ghost). En se citant, Fernandez a attiré l'attention sur lui-même, et l'a éloignée du pape.
Dans les contextes séculiers, un ghostwriter qui expose l'auteur qu'il sert à des accusations de plagiat serait congédié pour imprudence.
Pire encore, Fernandez fait pression sur la conscience des fidèles. Pas mal d'évêques et de cardinaux, parlant au nom du pape, ont dit aux laïcs qui ont rencontré des difficultés dans Amoris : «C'est le magistère. Vous devez l'accepter». Mais dans la phrase plagiée, trouvons-nous «le magistère» ou les spéculations théologiques de Fernandez?
On pourrait dire que, puisque le pape a approuvé le texte, il a aussi approuvé ces spéculations. Mais chaque phrase du texte est sûrement approuvée de la manière appropriée. Quand François cite Martin Luther King, Jorge Luis Borges et Mario Benedetti, nous prenons à juste titre les citations comme ayant exactement le poids qui devrait être donné à ce que ces poètes ou militants ont dit, et pas plus.
De même, une citation explicite d'un article d'un journal théologique serait reçue comme ayant sa propre force distinctive et son propre poids. Dire d'elle ensuite, sans qualification, que «c'est le magistère» est une sorte d'intimidation spirituelle.
En fait, il y a une distorsion de saint Thomas dans la première ligne de Fernandez citée ci-dessus, puisqu'il semble vouloir utiliser l'argument juste de saint Thomas (que certains saints ont eu du mal à accomplir facilement et bien certains actes vertueux) pour soutenir un argument mauvais (que certaines personnes ont été des saints tout en agissant contrairement à certaines vertus). À l'instar d'autres savants, je rejette comme contraire à la pensée de saint Thomas ce que la phrase semble vouloir suggérer.

>| Mais une troisième implication découle du fait que ces textes antérieurs aient même été seulement consultés. Pourquoi une personne écrivant ostensiblement sur «la joie de l'amour» aurait-elle déterré d'obscurs articles théologiques ?
Puisque Fernandez a déterré ces articles, on devrait s'attendre à ce que leurs thèmes principaux soient liés à ce qu'il a écrit dans Amoris. Le soupçon n'est pas tout à fait injustifié que peut-être il avait pour but de faire triompher ses propres spéculations, non pas à travers le débat théologique habituel, mais en les glissant dans les enseignements pontificaux.

Si on lit son article de 1995, il présente un argument de l'Écriture et de la tradition selon lequel, en vertu de la Passion du Christ, chaque membre de la race humaine, passée et présente, sans aucune exception, et même en dehors de l'instrumentalité du baptême dans le sens ordinaire, a été sauvé et «efficacement prédestiné» par Dieu au bonheur éternel.

Il considère ce point de vue comme le bon développement de la tradition et, bien qu'il concède que ce n'est pas une «vérité de la foi», il en est si fermement convaincu qu'à la fin de son article il conclut avec un Credo passionné: «Je crois fermement la vérité que tous sont sauvés».
Il s'ensuit, dit Fernandez, que l'Évangile doit être présenté en mettant l'accent sur la miséricorde de Dieu et dans une lumière purement positive, en soulignant sa beauté et sa joie. La peur n'est jamais un bon motif chrétien, car la seule question qui se pose à l'âme est le degré de gloire qu'elle atteindra dans la vie à venir.
Si chacun est effectivement prédestiné au salut, alors chacun devrait-il être invité à participer à la sainte communion? Fernandez semble favorable à la suggestion, bien qu'il ne reprenne la question qu'indirectement.
Il dit que les catholiques qui croient que seuls ceux qui sont déjà «en état de grâce» devraient recevoir la communion, n'excluent pas seulement les autres, il semblent aussi qu'ils les «bafoue» ou «se vantent» de la grâce qui leur a été gratuitement donnée.
Fernandez semble préférer, en revanche, les pécheurs qui approcheraient de la table de communion sans ce genre de vantardise, bien que, dit-il délicatement, cette approche «aille dans le sens d'un dialogue avec la doctrine de Luther du simul iustus et peccator» (selon laquelle tout le monde est à la fois justifié et pécheur).
Fernandez utilise la phrase plagiée en arguant que les personnes pourraient se trouver dans des situations objectives de péché, mais encore être «effectivement prédestinées au salut». Se soucier que ces personnes risquent la damnation éternelle, c'est supposer que les créatures humaines à elles seules pourraient inverser la volonté de Dieu.

Telles sont les principales spéculations de l'article. Si elles sont affirmées, il semble que soit changée la nature essentielle du christianisme impliquant l'épreuve et la probation; la loi morale est rendue inutile; et la distinction entre le péché mortel et le péché véniel s'efface. C'est-à-dire que l'étude de Fernandez est profondément problématique.
Pourtant, une exhortation apostolique du Saint-Père y fait référence. Pire encore, un passage plagié est arraché d'une ligne de pensée qui a une similitude superficielle avec celle du Saint-Père.
Cela ne peut que provoquer la confusion - car chez le Saint-Père aussi, bien sûr, on trouve un accent sur la miséricorde, incluant: la confiance dans l'action de Dieu même parmi les pécheurs dans des situations apparemment désespérées; une insistance pour présenter l'appel à un mode de vie chrétien comme beau et joyeux; une sollicitude pour accueillir et encourager (en les «accompagnant») même les signes les plus fragiles du mouvement vers Dieu dans les âmes.
Ces thèmes attrayants sont parmi les éléments les plus apréciables et les plus utiles du pontificat de François (!!). Il semble évident qu'ils peuvent marquer un bon chemin pour l'Église d'aujourd'hui. Et pourtant, comment ne pas s'attendre à des dégâts si les spéculations problématiques de Fernandez leur sont couplées?
Il n'est pas difficile d'imaginer des buts différents aux intentions du Saint-Père et à celles de son ghostwriter. Ce n'est pas nécessairement délibéré; dans l'éthique professionnelle, on parle de «conflit d'intérêts». Ce que le pape comprend comme une sollicitude particulière pour les chrétiens les plus faibles, le théologien pourrait le voir, peut-être même malgré lui, comme l'expression plus complète de la prédestination effective de chacun. (??!!!)

En fait, Fernandez est coutumier de la distorsion de l'enseignement papal afin de correspondre à ses propres idées théologiques.
Dans l'article de 2006, Fernandez applique sa vision de 1995 à l'encyclique du pape Benoît XVI Deus Caritas Est. Après avoir utilisé cette phrase au sujet de saint Thomas et cité le catéchisme, §1735 et §2352, Fernandez dit: «Il ne fait aucun doute que le magistère catholique a assumé avec clarté la position qu'un acte qui est objectivement mauvais, comme une relation prémaritale, ou l'utilisation d'un préservatif dans les relations sexuelles, ne conduit pas nécessairement à la perte de la vie de grâce sanctifiante, dont jaillit le dynamisme de la charité».
Plutôt, dans ces couples qui ont réduit leur [sentiment de] culpabilité (y compris les couples homosexuels, dit-il), c'est précisément leur relation sexuelle qui peut réaliser des valeurs subjectives qui ont «une richesse théologique et trinitaire». Les relations sexuelles deviennent pour eux «une expression du dynamisme extatique de l'amour qui imprime la grâce sanctifiante». Elles impliquent «une recherche sincère et authentique du bonheur de l'autre», qui est l'essence de la charité.
Proposer que ces couples poursuivent cette recherche en s'abstenant de relations sexuelles «excluant complètement le désir corporel et le plaisir», dit Fernandez, serait placer eros et agape en opposition, ce que le pape Benoît XVI dans son encyclique «a rejeté avec une grande force».
Il découle des enseignements de Benoît, dit-il, que les actes sexuels dans de telles relations ont «un contenu trinitaire profond, qui est en même temps une réalité morale positive».
Il est suffisamment choquant que Fernandez dise de telles choses, mais encore plus troublant qu'il dise que le pape Benoît les fait siennes aussi [ndt: la différence, et elle est de taille, c'est que Benoît XVI n'a jamais pris Fernandez comme "nègre", et qu'il s'agissait de la part du théologien argentin d'opinions purement privées n'impliquant ni le Pape ni l'Eglise!!!].

Quant à Amoris, Rocco Buttliglione fait valoir que son silence sur certains enseignements clés des papes Jean-Paul II et Benoît XVI - silence, et non pas assertion contraire - peut être interprété comme un développement ou une extension continue, concernant un petit nombre de cas problématiques. D'autres ne sont pas si catégoriques et pensent percevoir, même en l'absence d'affirmation, le risque d'une reddition à la révolution sexuelle.
Quoi que nous pensions sur ces questions, on ne peut nier que le «je crois fermement en la vérité selon laquelle tous sont sauvés» de Fernandez, et ensuite ce qu'il semble considérer comme les implications pastorales concrètes de cette doctrine dans son «les relations sexuelles extra-conjugales peuvent être une expression de l'amour extatique de la charité», représentent une différence fondamentale, et non pas légère.