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Conversion de la papauté

Le P. Scalese réagit à la rumeur stupéfiante divulguée hier par Antonio Socci. Plus sérieusement, il se demande si et comment François va s'y prendre pour porter le coup final à l'institution de la papauté (26/9/2017)

>>> Le scoop d'Antonio Socci:
Le Pape "Jésus II"

Quelle «conversion de la papauté»?

C'est depuis le début de ce pontificat qu'on peut lire l'obsession de trouver un mécanisme afin qu'"on ne puisse pas revenir en arrière". (...) c'est un schéma comportemental typique des révolutionnaires: quand ils sont dans l'opposition, tout est fluide et doit changer, quand ils conquièrent le pouvoir, tout doit rester comme eux l'ont fait.
Je crois qu'il y a un passage déjà planifié dans l'esprit de ces personnes: lorsqu'ils seront convaincus d'avoir allumé suffisamment d'incendies et qu'ils se seront assurés que les flammes sont bien alimentées, une mesure viendra démolir l'autorité papale. Évidemment, elle ne sera pas magistérielle (elle ne pourrait pas l'être), mais quelque chose qui exploite le magique "discernement" 2.0...

Père Giovanni Scalese, CRSP
querculanus.blogspot.fr/2017/09/quale-conversione-del-papato.html
Ma traduction

* * *

Dans son éditorial d'hier, Antonio Socci revient sur le thème que nous avons abordé vendredi dernier, celui de l'irréversibilité des réformes du Pape François, et il le fait, lui aussi, en reprenant certaines des déclarations faites par Mgr Victor Manuel Fernandez dansl'interview au le Corriere della Sera du 10 mai 2015.

Le passage le plus incroyable de l'éditorial de Socci est la révélation que, parmi les réformes en cours, il y aurait aussi l'abolition du Vatican, nouvelle reprise ensuite par Il Giornale. Quelle est la fiabilité de cette indiscrétion? Je l'ignore. C'est un fait que Socci s'est toujours avéré être une personne bien informée (il doit avoir des liens forts au Vatican). Puisque ce sont là, du moins pour le moment, seulement des voix, il vaut peut-être mieux ne pas consacrer trop de temps à cette question. Pour ma part, je dirai seulement que, s'il est vrai que le Vatican n'est pas d'institution divine, il est tout aussi vrai qu'il y a beaucoup de choses dans l'Église qui, bien qu'elles soient d'origine humaine, ont une importance non négligeable. Et avant d'y porter la main, il serait bon de s'informer de leur origine historique: pourquoi y a-t-il aujourd'hui un "État de la Cité du Vatican"? Il doit y avoir une réponse sérieuse à cette question, qui n'est pas le simple slogan "la soif de pouvoir des Papes". Peut-être que certains prélats, avant de déclarer, avec une certaine superficialité, que «le Pape pourrait aller vivre en dehors de Rome, avoir un dicastère à Rome et un autre à Bogota, et peut-être se connecter par téléconférence avec les experts liturgiques qui résident en Allemagne», feraient bien d'aller étudier un peu d'histoire (et l'histoire de l'Eglise et de l'Europe est un peu plus longue et plus complexe que celle des Etats d'Amérique du Sud)

Mais revenons au problème de l'irréversibilité des réformes du présent pontificat. A ce propos aussi, Socci n'y va pas de main morte (la spara grossa):

Bergoglio fait étudier, dans les replis du droit canonique, les situations exceptionnelles qui lui permettraient de nommer son successeur, en supprimant les cardinaux et en rendant sa révolution véritablement "irréversible".

Là aussi, j'ignore sur quoi se fondent certaines affirmations; il a sans doute des raisons pour s'exprimer ainsi. A moi, cela semble une chose incroyable. Non seulement parce que ce serait quelque chose qui n'a jamais été vu dans l'histoire de l'Église, mais aussi et surtout parce que cela irait à l'encontre de tous les principes que le Pape François a toujours défendus, ceux d'une plus grande collégialité. Comment pourrait-on justifier la transformation de l'Église en monarchie héréditaire?

Je dois toutefois reconnaître que le problème de garantir l'irréversibilité des réformes existe. Dans mon post de vendredi 22 septembre, j'ai écrit un peu vite:
«Aucune de ces mesures ne peut lier les mains des futurs Papes, qui continueront à jouir des mêmes prérogatives que celles du présent, et qui pourront donc décider souverainement de ce qu'il faut maintenir, restaurer et renouveler».

Il n'est pas si évident que les futurs papes continueront à jouir des mêmes prérogatives; elles pourraient être quelque peu réduites précisément par les réformes dont on parle tant. Le pape François, dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium, affirmait:

«Du moment que je suis appelé à vivre ce que je demande aux autres, je dois aussi penser à une conversion de la papauté. Il me revient, comme Évêque de Rome, de rester ouvert aux suggestions orientées vers un exercice de mon ministère qui le rende plus fidèle à la signification que Jésus-Christ entend lui donner, et aux nécessités actuelles de l’évangélisation. Le Pape Jean-Paul II demanda d’être aidé pour trouver une « forme d’exercice de la primauté ouverte à une situation nouvelle, mais sans renoncement aucun à l’essentiel de sa mission ».[35] Nous avons peu avancé en ce sens. La papauté aussi, et les structures centrales de l’Église universelle, ont besoin d’écouter l’appel à une conversion pastorale. Le Concile Vatican II a affirmé que, d’une manière analogue aux antiques Églises patriarcales, les conférences épiscopales peuvent « contribuer de façons multiples et fécondes à ce que le sentiment collégial se réalise concrètement ».[36] Mais ce souhait ne s’est pas pleinement réalisé, parce que n’a pas encore été suffisamment explicité un statut des conférences épiscopales qui les conçoive comme sujet d’attributions concrètes, y compris une certaine autorité doctrinale authentique.[37] Une excessive centralisation, au lieu d’aider, complique la vie de l’Église et sa dynamique missionnaire» (n. 32).

Evangelii gaudium est le document programmatique du pontificat du Pape Bergoglio, donc - nous pouvons en être sûrs - il fera tout ce qu'il peut pour mettre en œuvre ce qu'il a dit à cet endroit. Il faut voir comment. On parle d'une "conversion de la papauté". Je ne crois pas que la transformation de celle-ci en monarchie héréditaire puisse entrer dans cette catégorie. Je trouve plus crédible la suggestion d'un lecteur, F. G., qui m'écrit:

«C'est depuis le début de ce pontificat qu'on peut lire l'obsession de trouver un mécanisme afin qu'"on ne puisse pas revenir en arrière". La première fois que j'ai lu cela, c'était dans une interview du Cardinal Maradiaga, probablement déjà en 2013. Je ne suis pas surpris: c'est un schéma comportemental typique des révolutionnaires: quand ils sont dans l'opposition, tout est fluide et doit changer, quand ils conquièrent le pouvoir, tout doit rester comme eux l'ont fait.
Je crois qu'il y a un passage déjà planifié dans l'esprit de ces personnes: lorsqu'ils seront convaincus d'avoir allumé suffisamment d'incendies et qu'ils se seront assurés que les flammes sont bien alimentées, une mesure viendra démolir l'autorité papale. Évidemment, elle ne sera pas magistérielle (elle ne pourrait pas l'être), mais quelque chose qui exploite le magique "discernement" 2.0: c'est une sorte de passe-partout qui fonctionne dans de nombreux domaines. Comme prétexte, ils utiliseront probablement facilement l'oecuménisme et la réconciliation avec les luthériens, etc. Ceci créera pas mal de problèmes pour les successeurs de François qui tenteront de reconstruire sur les ruines. Si ce n'est pas des problèmes théologiques ou canoniques, des problèmes de consensus: les joueurs de flûte auront un arme de plus pour se mettre derrière de nombreuses âmes avides de préserver la "liberté" si durement gagnée».

Il me semble clair que l'objectif n'est pas tant de renforcer l'autorité pontificale que de l'affaiblir. Naturellement, après avoir fait les réformes nécessaires en exploitant le pouvoir absolu dont jouit actuellement la papauté. Mon lecteur pense que cet affaiblissement peut être pour des raisons œcuméniques. C'est une hypothèse plausible; et même, il s'agit d'un chemin déjà parcouru et en phase avancée: une nouvelle des derniers jours est la conclusion d'un accord au sein de la Commission mixte catholique-orthodoxe sur la synodalité et la primauté (voir ici). Nous verrons comment les choses évolueront.

Mais il me semble qu'en plus de la solution œcuménique, il faut tenir compte de ce qui est dit explicitement dans Evangelii gaudium, où le Pape François parle d'une «salutaire "décentralisation" en faveur des épiscopats locaux (n. 16). Comme nous l'avons vu, dans cette exhortation apostolique, le Saint-Père espère «un statut des conférences épiscopales qui les conçoive comme sujet d’attributions concrètes, y compris une certaine autorité doctrinale authentique» (n. 32).
Je pense donc que le Pontife continuera sur cette voie, déjà tracée officiellement. Je ne crois pas, cependant, que la reconnaissance de compétences spécifiques aux Conférences épiscopales puisse miner de quelque manière l'autorité suprême des futurs papes (bien que cela puisse rendre la vie plus compliquée pour eux). Le Code de droit canonique reconnaît au Souverain Pontife une potestas ordinaria suprema, plena, immediata et universalis:

L'Évêque de l'Église de Rome, en qui demeure la charge que le Seigneur a donnée d'une manière singulière à Pierre, premier des Apôtres, et qui doit être transmise à ses successeurs, est le chef du Collège des Évêques, Vicaire du Christ et Pasteur de l'Église tout entière sur cette terre; c'est pourquoi il possède dans l'Église, en vertu de sa charge, le pouvoir ordinaire, suprême, plénier, immédiat et universel qu'il peut toujours exercer librement (can. 331).

En vertu de sa charge, non seulement le Pontife Romain possède le pouvoir sur l'Église tout entière, mais il obtient aussi sur toutes les Églises particulières et leurs regroupements la primauté du pouvoir ordinaire par laquelle est à la fois affermi et garanti le pouvoir propre ordinaire et immédiat que les Évêques possèdent sur les Églises particulières confiées à leur soin. (Can. 333, § 1).
(www.vatican.va)

Il est vrai que le Code de Droit Canonique peut être modifié, mais dans ce cas il ne fait que reprendre la définition dogmatique du Concile Vatican I:

Si donc quelqu'un dit que le Pontife romain n'a qu'une charge d'inspection ou de direction et non un pouvoir plénier et souverain de juridiction sur toute l'Église, non seulement en ce qui touche à la foi et aux mœurs, mais encore en ce qui touche à la discipline et au gouvernement de l'Église répandue dans le monde entier, ou qu'il n'a qu'une part plus importante et non la plénitude totale de ce pouvoir suprême ; ou que son pouvoir n'est pas ordinaire ni immédiat sur toutes et chacune des églises comme sur tous et chacun des pasteurs et des fidèles, qu'il soit anathème.
(Constitution dogmatique Pastor aeternus, ch. 3, laportelatine.org)

Il est vrai que nous sommes dans une phase de relecture pastorale des déclarations, y compris solennelles, du Magistère précédent (pensez au "groupe de recherche" sur Humanae vitae, appelé à "mettre de côté de nombreuses lectures partiales" de l'encyclique); cependant, il semble un peu difficile de procéder à une réinterprétation pastorale de la définition dogmatique de Vatican I. Mais on ne sait jamais, la vie peut toujours réserver des surprises.......