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La guerre contre le Pape François (II)

Deuxième partie de la traduction de l'article-fleuve du "Guardian" (29/10/2017)

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La guerre contre le Pape François (I)

La guerre contre le pape François
Deuxième partie

Sa modestie et son humilité ont fait de lui une figure populaire dans le monde entier. Mais à l'intérieur de l'Église, ses réformes ont suscité la colère des conservateurs, et déclenché une révolte.

Andrew Brown
27 octobre 2017
www.theguardian.com
Ma traduction

(Photo "The Guardian")

LA CRISE DES FFI ET LE CATHOLICISME "ETHNIQUE BLANC" DU CARDINAL BURKE

En 2013, peu après son élection, alors qu'il surfait encore sur une vague d'acclamation presque universelle pour l'audace et la simplicité de ses gestes - il avait emménagé dans quelques pièces peu meublées du Vatican, plutôt que dans les somptueux appartements d'Etat utilisés par ses prédécesseurs - François épura un petit ordre religieux consacré à la pratique (sic!) de la messe latine.
Les frères franciscains de l'Immaculée, un groupe de quelque 600 membres (hommes et femmes), avaient été mis sous enquête par une commission en juin 2012, sous le pontificat du pape Benoît XVI. Ils étaient accusés d'associer une politique de plus en plus orientée vers l'extrême-droite, à une dévotion à la messe latine. (Ce mélange, souvent vu à côté de déclarations de haine du "libéralisme", s'est également propagé à travers les médias en ligne aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, comme Holy Smoke le blog du Daily Telegraph, animé par Damian Thompson).

Lorsque la commission a publié son rapport en juillet 2013, la réaction de François a bouleversé les conservateurs rigides. Il a arrêté les frères qui disaient la messe latine en public et a fermé leur séminaire. Ils étaient encore autorisés à éduquer de nouveaux prêtres mais pas séparés du reste de l'Église. De plus, il l'a fait directement, sans passer par le système judiciaire interne du Vatican, alors dirigé par le Cardinal Burke. L'année suivante, François a congédié Burke de son puissant emploi dans le système judiciaire interne du Vatican. Ce faisant, il s'est fait un ennemi implacable.

Burke, un Américain corpulent friand de robes brodées de dentelle et, à l'occasion, de la cape écarlate cérémonielle si longue qu'il a besoin de pages pour porter sa traîne, était l'un des réactionnaires les plus remarquables du Vatican. Dans ses manières et dans la doctrine, il représente une longue tradition d'hommes d'influence américains du catholicisme ethnique blanc. L'Église hiératique et patriarcale de la Messe latine est son idéal, vers lequel l'Église sous Jean-Paul II et Benoît semblait revenir lentement - jusqu'à ce que François commence son travail.

La combinaison d'anticommunisme, de fierté ethnique et de haine du féminisme du Cardinal Burke, a encouragé une séries de personnalités laïques de droite de premier plan aux Etats-Unis, de Pat Buchanan à Bill O'Reilly et Steve Bannon, en passant par des intellectuels catholiques moins connus comme Michael Novak, qui ont lutté inlassablement pour les guerres américaines au Moyen-Orient et la conception républicaine du libre marché.

C'est le Cardinal Burke qui invita Bannon, alors déjà animateur de Breitbart News, à prendre la parole lors d'une conférence au Vatican, par liaison vidéo depuis la Californie, en 2014. Le discours de Bannon était apocalyptique, incohérent et historiquement excentrique. Mais il n'y avait aucun doute sur l'urgence de son appel à une guerre sainte: la Seconde Guerre mondiale, dit-il, avait été "l'Occident judéo-chrétien contre les athées", et à présent la civilisation était "au début d'une guerre mondiale contre le fascisme islamique... un conflit très brutal et sanglant... qui éradiquera complètement tout ce que nous avons légué au cours des 2000, 2500 dernières années... si les gens dans cette salle, les gens dans l'Eglise, ne se battent pas pour nos croyances contre la nouvelle barbarie qui commence".

Tout dans ce discours est passible d'anathème pour François. Sa première visite officielle hors de Rome, en 2013, a été effectuée sur l'île de Lampedusa, qui est devenue le point d'arrivée de dizaines de milliers de migrants désespérés venus d'Afrique du Nord. Comme ses deux prédécesseurs, il s'oppose fermement aux guerres au Moyen-Orient, bien que le Vatican ait apporté un soutien réticent à l'extirpation du califat islamique. Il s'oppose à la peine de mort. Il condamne le capitalisme américain: après avoir marqué son soutien aux migrants et aux homosexuels, la première grande déclaration politique de son pontificat a été une encyclique [sic! en fait, c'est l'exhortation apostolique Evangelii Gaudium en novembre 2013; le paragraphe n°54 sur les "trickle-down theories" a été particulièrement commenté par la presse américaine]], ou document d'enseignement, adressée à toute l'Eglise, qui condamnait férocement le fonctionnement des marchés mondiaux.

"Certains continuent de défendre les théories du ruisssellement ["trickle-down theories"] qui supposent que la croissance économique, encouragée par un marché libre, parviendra inévitablement à rendre le monde plus juste et inclusif. Cette opinion, qui n'a jamais été confirmée par les faits, exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les rouages du système économique dominant. Pendant ce temps, les exclus attendent toujours".

Surtout, François est du côté des immigrés - ou des émigrés, comme il les voit - chassés de chez eux par un capitalisme destructeur et d'une rapacité sans limite, qui a déclenché des changements climatiques catastrophiques. Il s'agit d'une question racialisée et profondément politisée aux États-Unis. Les évangéliques qui ont voté pour Trump et son mur sont en grande majorité blancs. Il en va de même pour la direction de l'Église catholique américaine. Mais les laïcs sont pour environ un tiers hispaniques, et cette proportion augmente. Le mois dernier, Bannon a affirmé, dans une interview diffusée sur CBS, que les évêques américains étaient en faveur de l'immigration de masse seulement parce qu'elle maintenait leurs congrégations - bien que cela aille plus loin que même les plus à droite des évêques le diraient publiquement.

Lorsque Trump a annoncé pour la première fois qu'il construirait un mur pour éloigner les migrants, François a été tout près de nier au candidat de l'époque la condition de chrétien. Dans la vision de François des dangers pour la famille, les toilettes transgenres ne sont pas le problème le plus urgent, comme le prétendent certains culture warriors. Ce qui détruit les familles, écrit-il, c'est un système économique qui force des millions de familles pauvres à se séparer dans leur recherche de travail.

RÉFORME DE LA CURIE

En plus de s'attaquer aux catholiques de la vieille-école qui pratiquent la messe en latin, François commença une offensive de grande envergure contre la vieille garde au sein du Vatican. Cinq jours après son élection en 2013, il convoqua le cardinal hondurien Óscar Rodríguez Maradiaga et lui annonça qu'il sera le coordinateur d'un groupe de neuf cardinaux du monde entier dont la mission serait de nettoyer la place. Tous avaient été choisis pour leur énergie, et pour le fait qu'ils avaient été dans le passé en conflit avec le Vatican.
Jean-Paul II avait passé la dernière décennie de sa vie de plus en plus paralysé par la maladie de Parkinson, et les énergies qui lui restaient n'avaient pas été consacrées à des luttes bureaucratiques. La curie, comme on appelle la bureaucratie du Vatican, devint plus puissante, stagnante et corrompue. Très peu de mesures ont été prises contre les évêques qui couvraient les prêtres coupables d'abus [là, c'est tellement faux que je ne peux m'empêcher de réagir!]. La banque du Vatican était tristement célèbre pour les services qu'elle offrait aux blanchisseurs d'argent. Le processus de fabrication des saints - ce que Jean-Paul II avait fait à un rythme sans précédent - était devenu un racket extrêmement coûteux. (Le journaliste italien Gianluigi Nuzzi a estimé le prix d'une canonisation à 500 mille € chacune). Les finances du Vatican lui-même étaient un terrible sac de noeuds. François lui-même parla d'un "flot de corruption" dans la curie.

L'état putride de la curie était largement connu, mais on n'en parlait jamais publiquement. Dans les neuf mois qui suivirent son entrée en fonction, François dit à un groupe de religieuses que "dans la curie, il y a aussi des personnes saintes, il y a vraiment des personnes saintes" - insinuant ainsi qu'il supposait que son auditoire serait étonné par cette découverte.

La curie "s'occupe et veille aux intérêts du Vatican, qui sont encore, pour la plupart, des intérêts temporels. Cette vision centrée sur le Vatican néglige le monde qui nous entoure. Je ne partage pas ce point de vue, et je ferai tout ce que je peux pour le changer", a-t-il dit au journal italien La Repubblica: "Les responsables de l'Église ont souvent été narcissiques, flattés et adulés par leurs courtisans. La cour est la lèpre de la papauté".

"Le Pape n'a jamais rien dit d'aimable à propos des prêtres", dit le prêtre qui attend avec impatience qu'il meure. "C'est un jésuite anticlérical. Je m'en souviens depuis les années 70. Ils disaient: 'Ne m'appelez pas Père, appelez-moi Gerry' - c'étaient des conneries - et nous, les prêtres opprimés de la paroisse, nous sentions le sol se dérober sous nos pieds".

En décembre 2015, François a donné son traditionnel discours de Noël à la Curie, et il n'y a pas été de main morte: il les a accusés d'arrogance, d'"Alzheimer spirituel", d'"hypocrisie typique de la médiocrité et d'un vide spirituel progressif que les diplômes universitaires ne peuvent combler", ainsi que de matérialisme vide et d'une dépendance aux ragots et aux médisances - pas le genre de choses que l'on veut entendre de la part de son patron au bureau.

Pourtant, quatre ans après le début de sa papauté, la résistance passive du Vatican semble avoir triomphé de l'énergie de François. En février de cette année, des affiches sont apparues dans les rues de Rome du jour au lendemain, demandant: "François, où est ta miséricorde?" Celles-ci ne peuvent provenir que d'éléments désaffectés du Vatican et sont des signes extérieurs d'un refus obstiné de céder le pouvoir ou les privilège aux réformateurs.

à suivre