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Le cas Müller

L'ex-préfet de la CDF a accordé une longue interview à Edward Pentin, traduite en exclusivité sur L'Homme Nouveau. Cela suffira-t-il à lever le malentendu de sa "défense" d'Amoris Laetitia? (5/11/2017, mise à jour ultérieure)

La blogosphère catholique s'interroge une fois de plus sur ce qui ressemble fort à une valse-hésitation du cardinal Müller, après le congé que lui a séchement donné le Pape à l'échéance de son quinquennat comme chef de dicastère, qui laissait espérer à certains, et redouter aux autres, une liberté de parole nouvelle et des prises de positions plus tranchées, en particulier sur Amoris Laetitia: l'ex-préfet de la CDF oscille entre [ce que certains interprètent comme] recadrage et [ce que d'autres voient comme] soutien inconditionnel du Pape. Dernier épisode en date, la préface qu'il a écrite pour un livre de Rocco Buttiglione, que la Croix du 30 octobre rapporte avec une évidente satisfaction en ces termes:

Le cardinal Gerhard Ludwig Müller, ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, prend ses distances avec les critiques formulées contre l’exhortation apostolique du pape sur la famille. Il le fait dans une longue introduction au livre du théologien italien Rocco Buttiglione sur Amoris laetitia à paraître le 10 novembre.
« Authentique catholique à l’expertise reconnue dans le champ de la théologie morale », Rocco Buttiglione offre « une réponse claire et convaincante » aux critiques énoncées à propos du chapitre 8 de l’exhortation et l’accès aux sacrements de divorcés remariés, écrit le cardinal Müller, qui avait été écarté au début de l’été par François de la Congrégation pour la doctrine de la foi.
« Sur la base des critères classiques de la théologie catholique, il offre une réponse raisonnée et non polémique aux cinq dubia des cardinaux », affirme le cardinal. Les reproches selon lesquels le pape ne présente pas la juste doctrine « ne correspondent pas à la réalité des faits », conclut-il.

Roberto de Mattei, de son côté, souligne dans son dernier article sur Corrispondenza Romana à quel point la préface amicale de Müller à Buttiglione «ajoute la confusion à la confusion» (traduction en français La Porte Latine)

Marco Tosatti, toujours sur ce sujet, s'interroge lui aussi, et essaie de formuler des hypothèses (ma traduction):

Beaucoup de lecteurs et d'amis me demandent où veut en venir le cardinal Müller avec sa préface au recueil d'articles de Buttiglione justifiant les discutées petites notes d'Amoris Laetitia. Je n'ai pas la science infuse, et je ne peux donc que faire des hypothèses et esquisser des scénarios.

Le premier est d'essayer de comprendre quelle genre de personne est le cardinal allemand. C'est un savant, et je pense qu'il est très doux et accommodant, de caractère. Il a toléré des humiliations répétées sans protester, ni faire des gestes décisifs que d'autres auraient faits: d'être interrompu pendant la messe par un appel téléphonique péremptoire du pape; que son rôle, et celui de sa Congrégation, aient été tranquillement ignorés et méprisés pendant des années; que des personnes de valeur qui lui étaient fidèles aient été chassées sans raison, et sans que lui-même ressente le besoin - comme beaucoup l'auraient fait à sa place - de répondre à cette injustice flagrante en donnant sa démission. Et enfin, il a subi le dernier affront d'une mise à pied, donnant lui-même par la suite des explications vagues et contradictoires (aucun motif - l'établissement par le Pontife de la règle de l'abandon après cinq ans). Bref, pas un lion. Avec, indubitablement, un fort sens de l'Église et de la loyauté hiérarchique.

Les hypothèses. Il est plutôt évident que la préface va dans la direction opposée des affirmations que le cardinal avait précédemment faites sur le thème spécifique de la communion; une source autorisée m'avait dit, bien avant que les Dubia ne fussent rendus publics, que Müller était lui aussi informé de l'initiative, et qu'il y était favorable, et peut-être même un peu plus que cela. Mais aussitôt après son licenciement, il s'est proposé comme "médiateur" entre les partisans des Dubia et ceux d'Amoris Laetitia. Sans réponse. Certains disent qu'il travaille encore sur cette hypothèse, et que la préface à Buttiglione serait une concession pour s'attirer la bienveillance [des premiers]. Certains disent aussi que Müller ne se résigne pas à ne plus avoir de rôle, et à être progressivement archivé. Et puis il y a aussi ceux qui regardent plus loin, et voient sa sortie comme un épisode de la course vers le centre que certains (le Secrétaire d'Etat Parolin, par exemple) font en vue d'un futur conclave.

Simples hypothèses, donc, il le dit lui-même, fondées toutefois sur une bonne connaissance du sujet, en particulier du caractère du prélat.

Peut-être trouve-t-on une partie de la réponse à ces questions de la bouche du cardinal lui-même, qui a accordé une longue interview à Edward Pentin, traduite en français en exclusivité sur L'Homme Nouveau (le Salon Beige en publie de larges extraits).
A un certain moment, E. Pentin lui demande: «Quelle est votre opinion sur la correction? Etant donné la profondeur de l'inquiétude parmi de nombreux prêtres et fidèles sur les questions soulevées ici, jusqu'à quel point est-il important que le Pape donne une réponse?»

Voici la réponse du cardinal, qui pourrait donner un certain crédit à l'une des hypothèses de Marco Tosatti:

«Ce dont l'Église a besoin dans cette situation grave, ce n'est pas de plus de polarisation et de polémiques, mais de plus de dialogue et de confiance réciproque. Le Saint-Père et tous les bons bergers souhaitent la pleine intégration des couples en situation irrégulière. Mais cela doit se faire en fonction des conditions générales de la réception digne et valable des sacrements sacrés. Nous devons éviter de nouveaux schismes et de nouvelles séparations d'avec l'Église catholique, dont le principe permanent et le fondement de son unité et de sa communion en Jésus-Christ sont le Pape François et tous les évêques en pleine communion avec lui. Le Successeur de saint Pierre mérite le plein respect pour sa personne et son mandat divin, et, d'autre part, ses critiques honnêtes méritent une réponse convaincante. Une possibilité de solution pourrait être un groupe de cardinaux engagés par le Saint-Père pour entamer une discussion théologique avec des représentants éminents des dubia, et des "corrections" sur l'interprétation différente et parfois controversée de certaines déclarations du chapitre 8 d'Amoris Laetitia.»