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Le Pape activiste de gauche

Dans l'heddomadaire allemand "der Spiegel", un éditorialiste (ex-protestant qui a perdu la foi) avertit des risques de la protestantisation de l'Eglise en cours sous François (23/4/2017)

En voyage en Bolivie, en juillet 2015, le pape accpte du président Moralès un crucifix en forme de faucille et marteau

Le pape activiste de gauche (1)

Jan Fleischhauer
Der Spiegel-Online, 17 avril 2017
Traduction d'Isabelle

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Le pape François est exalté par les voix critiques à l’égard de l’Eglise pour ses accointances avec l’esprit du temps. Malheureusement, il ne fait que répéter les erreurs commises par l’église évangélique.

La seule église que l’on puisse prendre au sérieux est l’Eglise catholique. Pour beaucoup de lecteurs, je le sais, c’est là une affirmation inadmissible ; je suis moi-même désolé de devoir écrire cela en pleine année anniversaire de Luther, mais c’est ainsi que je vois les choses.
Tout ce que les critiques ont à reprocher à l’Eglise catholique – la dévotion mariale, le culte des saints, le sacerdoce, la liturgie – fait partie, pour moi, de ce qui plaide en faveur du catholicisme. En plus du temps naturellement : une institution vieille de 2000 ans mérite d’être prise plus au sérieux qu’une autre qui ne compte que, disons, 500 ans. Quand il s’agit des questions ultimes, l’Eglise qui était là d’abord, garde une avance ; tout ce qui vient plus tard relève, jusqu’à un certain point, de l’hérésie.
Pour prévenir les malentendus : j’écris tout ceci à distance, du point de vue d’un homme qui a perdu la foi. Il y a dix ans que j’ai quitté l’église, en l’occurrence l’église évangélique. Dans ma jeunesse, c’était l’engagement politique qui m’avait conduit dans la communauté croyante. Nous collections du pain pour nourrir le monde, écrivions des lettres pour Amnesty International et manifestions à Brokdorf et Gorleben (2). Quand mes opinions politiques ont changé, le contact avec l’église évangélique d’Allemagne s’est rompu lui aussi.
Parce que l’enracinement spirituel chez les protestants est superficiel, il y a très peu de chose pour nous retenir quand notre vision du monde se modifie. Une église où l’on n’est même plus tenu de croire en l’existence du ciel et de l’enfer est, pour tous ceux que seule la foi pourrait retenir, une cause perdue.

Ce qui s’est perdu dans l’Eglise
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Tout indique, sauf erreur, que l’Eglise catholique est en train de répéter l’erreur des protestants. A sa tête se tient aujourd’hui un homme qui fait montre d’un mépris singulier pour tout ce que la tradition a fait grandir et se plaît à surprendre les fidèles par les sottises et les moqueries qu’il leur lance.
Dans un texte fulminant paru dans « Weltwoche », Matthias Matussek a dépeint François comme « le pape fourre-tout » (Papst Allerlei). Il y a toute une série de gens qui tiennent Matussek pour un esprit confus en matière politique, mais quand il s’agit de l’importance du dogme comme rempart contre le relativisme ambiant, il sait de quoi il retourne. C’est un trait qu’il partage avec Martin Mosebach, un autre grand catholique réactionnaire.

On peut, si on veut, voir en François celui qui achève une évolution commencée avec le Concile Vatican II. Le premier grand coup porté contre la liturgie date des années 1962-1965, dans la décennie – et la coïncidence ne doit rien au hasard – où partout dans le monde les iconoclastes se mettaient en marche.
Beaucoup l’ont oublié, mais l’Eglise s’est débarrassée d’un seul coup d’importantes parties de son rite multiséculaire, parce qu’elle aussi voulait rejoindre l’esprit du temps. Les prêtres ne se tenaient plus devant l’autel, mais derrière lui, comme derrière la table du présentateur du journal télévisé. Ils ne pouvaient plus célébrer la messe en latin parce que, disaient-ils, cela rendait le message obscur ; et on fourra l’Hostie dans la main des fidèles, au lieu de la déposer sur la langue comme on le faisait jusque-là. Là où les clercs prenaient particulièrement au sérieux le changement d’époque, ils installèrent les autels dans les champs et brisèrent les statues des saints.
Un incroyant peut considérer toutes ces choses comme des détails, mais il n’en est naturellement rien. Celui qui a, ne fût-ce qu’une seule fois, assisté à la messe dans l’antique rite tridentin, sait ce que l’Eglise a perdu en succombant à l’ivresse soixante-huitarde.

Pourquoi la sécularisation doit-elle s’étendre à l’Eglise ?
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Je peux vaguement me représenter comment tout cela va se poursuivre. Si l’évolution chez les protestants donne une indication de l’avenir de l’Eglise catholique, le nombre de ceux qui quittent l’Eglise va s’accroître, ce qui va conduire ses dirigeants à considérer, à tort, qu’ils doivent faire avancer plus résolument encore la modernisation. A la fin se pose, comme chez les protestants, la question : si l’Eglise fait disparaître tout ce qui la distingue de ce que propose le monde séculier sur le sens de la vie, à quoi sert-elle encore ?
La religion qui progresse le plus vite aujourd’hui est l’islam. Personne ne semble imaginer que cela pourrait être lié aussi au fait que l’islam comble des besoins spirituels mieux que ne le fait la concurrence chrétienne.
En tout cas, personne n’a jamais entendu dire que les imams pensent à interdire la lecture des sourates dans la langue originale, au motif que les croyants, hors du monde arabe, ne peuvent pas comprendre – ou qu’ils voudraient débarrasser leurs mosquées de minarets inutiles, pour que les édifices religieux s’intègrent mieux à l’environnement.
Qu’on n’aille pas me comprendre de travers : je suis tout à fait favorable à la séparation de l’Eglise et de l’état, que je tiens pour une grande conquête des Lumières. La question que je me pose est seulement celle-ci : pourquoi la sécularisation ne peut-elle pas rester limitée à l’état, mais doit aussi s’étendre à l’église ?
Ce qui fait la foi, c’est le phénomène religieux (« das Numinose »), pas la capacité à transformer sa vérité un bien de consommation rapide. S’il est une chose qui distingue la religion, c’est le maintien du mystère, c’est-à-dire ce qui échappe à la raison et à l’élucidation.

NDT

(1) En allemand : « Der Sponti-Papst ». – Le mot Sponti (« anti-autoritaire ») fait référence à des mouvances allemandes d’activistes de gauche, dans les années 1970-1980.
(2) Brokdorf et Gorleben : localités allemandes où ont eu lieu, en 1976-1977 et 1978, d’importantes manifestations antinucléaires.