Benoit-et-moi 2017
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L'Epiphanie

vue par le cardinal Biffi dans le "Cinquième évangile" (6/1/2017)

Aujourd'hui où nous célébrons l'Epiphanie en mangeant des galettes, alors que tout le monde ou presque a oublié la signification religieuse de cette fête, la Bussola a eu la bonne idée de publier le "fragment" du "Cinquième évangile" relatif à l'Epiphanie, le mettant en perspective avec celui de Matthieu.
J'ai donc cherché mon exemplaire du "Cinquième évangile" (me remettant en mémoire quelques perles...), et puisé dans les archives de mon site.

Dans un article datant de 2013, j'avais raconté comment j'étais en possession de la traduction en français de ce génial (et très drôle!!) petit livre écrit par le grand cardinal Giacomo Biffi en 1969, alors qu'il n'était qu'un jeune prêtre exerçant son ministère dans une paroisse de la banlieue de Milan. On était en pleine période de contestation étudiante, et en même remps de réception tumultueuse et de mise en application contestée du Concile Vatican II, avec sa récupération par la frange la plus progressiste de l'Eglise.

"Le cinquième évangile" - lit-on dans l'article, où je reprenais un texte trouvé sur le site du diocèse de Bologne (dont le cardinal Biffi était l'évêque) - se base sur un artifice littéraire: le cardinal Biffi raconte l'histoire du Commendator Migliavacca, qui présente à son ami d'enfance, devenu prêtre, un manuscrit ancien, débusqué dans un marché aux puces de Terre Sainte: rien moins que le cinquième évangile, dont les codes finalement retrouvés pourraient faire la lumière sur quelques-uns des plus inexplicables mystères du christianisme. Voilà alors, par exemple, que la parabole de la brebis égarée trouve une version finalement plus compréhensible: «Le Royaume des cieux est semblable à un berger qui, ayant cent moutons et en ayant perdu quatre-vingt-dix-neuf, reproche au dernier mouton son manque d'initiative, le chasse, ferme la bergerie, et s'en va au bistrot pour discuter d'élevage des moutons».
Naturellement la clé de lecture est l'ironie, ironie qui n'empêche pas le cardinal de mettre en lumière les positions anti-évangéliques de la théologie politiquement correcte. «Allez dans le monde entier et discutez : de la libre confrontation des avis bourgeonnera la vérité».


* * *

Mais d'abord, pour éclairer la lecture du fragment en question (dont on pourrait croire qu'il a été écrit hier, pour coller à l'actualité de "l'Eglise de François"), voici le préambule du cardinal Biffi lui-même, qui situe bien l'angle choisi par lui pour dénoncer les dérives théologiques post-conciliaires: l'humour.

Un vent nouveau souffle actuellement sur la chrétienté. Des idées jeunes et vigoureuses fermentent au sein du peuple de Dieu. Prêtres, théologiens et théologiennes exposent des concepts de jour en jour plus surprenants, dans les langages les plus disparates, au milieu de l'admiration stupéfaite des habitants de Jérusalem : c'est une nouvelle Pentecôte.
Dès le début, je me serais rangé sans réserves parmi les admirateurs de cette « annonce » moderne et multiforme si je n'avais éprouvé une petite difficulté ; tous ces maîtres déclaraient vouloir revenir aux enseignements authentiques de Jésus, tels qu'ils sont contenus dans les écrits du Nouveau Testament, sans fioritures, sans superstructures ; et pourtant, leurs doctrines ne me semblaient pas étayées par les textes sacrés dont nous disposons.
Non qu'elles me parussent erronées. En fait, elles me semblaient belles et fascinantes, mais je n'en voyais pas le fondement évangélique. Leur lien avec le Christ m'échappait, et cela me mettait mal à l'aise. Qui sait si, dans quelques rares moments de silence intérieur, cela ne mettait pas aussi mal à l'aise leurs auteurs ? Et voilà que par miracle ce lien m'était révélé par les pauvres morceaux de parchemin recueillis qui sait où par le commendatore Migliavacca . Chacun des fragments semblait fournir la preuve jusqu'ici manquante de l'authenticité scripturaire des doctrines nouvelles. Tout s'éclairait pour moi. Dans ces conditions, personne ne s'étonnera de l'enthousiasme qui m'a saisi à la suite de cette découverte, et de l'impatience qui m'a contraint à devancer la parution de la fameuse édition scientifique que je viens d'annoncer. Sans plus attendre, je me suis décidé à publier de ces textes une traduction peut-être un peu hâtive, mais fondamentalement fidèle, en l'accompagnant d'un modeste commentaire. Si je dois encourir le blâme de mes collègues, qui publieront d'ici un certain temps et de manière irréprochable le texte original et l'examen comparatif des sources, j'espère du moins obtenir la reconnaissance de tous les penseurs - c'est une façon de parler - qui trouveront dans ces brèves pages un tremplin solide pour leurs bonds audacieux.
(Le cinquième évangile", éditions du Cèdre, 1971, traduction de Joseph de Saint-Aupre o.f.s [ordre franciscain séculier])

L'épiphanie dans le cinquième évangile

S'étant prosternés, ils l'adorèrent. Puis ayant ouvert leurs coffres, ils lui offrirent en hommage de l'or, de l'encens et de la myrrhe. Mais Joseph prit la parole et dit : Nous ne pouvons pas accepter l'or, car c'est un signe de richesse qui souille qui le donne et qui le reçoit.

S'étant prosternés, ils l'adorèrent. Puis, ayant ouvert leurs coffres, ils lui offrirent en hommage de l'or, de l'encens et de la myrrhe.
(MAT. 2, II)


L'épisode des Mages nous décrit l'aventure spirituelle d'hommes cultivés qui, perdus dans la contemplation de leurs chimères et s'attardant dans la forêt tortueuse de leurs raisonnements, arrivent à Bethléem en retard sur tout le monde, une fois le spectacle terminé.
Ils y arrivent quand même, parce que dans la crèche il y a place pour tous, même pour quelques intellectuels. Comme l'évangile de Mathieu, le nôtre ne mentionne pas les autres Mages, ceux qui, partis à la suite de la mauvaise étoile, arrivèrent les uns à la cour du Céleste empire, les autres chez le Négus d'Ethiopie, et perdirent ainsi l'occasion de passer à la postérité. Distraits, légers, toujours prêts, dans le domaine pratique, à toutes les gaffes, les nôtres choisissent pour le roi des juifs les dons les moins opportuns. Déjà l'offrande de myrrhe - produit qui servait pour le traitement des cadavres - était du dernier mauvais goût s'agissant d'un nouveau-né : on ne fait pas allusion à la mort là où vient de surgir la vie. Quant à l'encens, qui donne le signal de l'utilisation par le christianisme de cette substance chère aux cours et aux temples orientaux, il a marqué, hélas, le début de ce triomphalisme liturgique et ecclésiastique que nous déplorons tous.
Mais avec l'or, ces ridicules personnages ont franchi toutes les limites prévisibles. Comment ? Le Fils de Dieu voit le jour dans une étable, il s'entoure de chevriers et de vachers pour manifester sa volonté de fonder l'Eglise des pauvres, et voilà que ces messieurs viennent souiller avec leur richesse l'austérité du cadre ? Sous l'oeil ahuri de l'âne et du boeuf, naissait l'Eglise constantinienne.
Comment se pourrait-il que cette Eglise constantinienne fût née sans contestation ? Si l'on s'en tenait au texte de Mathieu, il semblerait que l'or -signe et source de toute corruption - ait été tranquillement accepté par la Sainte Famille. Mais ici nous apprenons enfin comment les choses se sont véritablement passées. Joseph, homme taciturne et rude, avec dignité et calme, mais avec une extrême fermeté, exprime son désaccord et en expose la raison profonde : là où il y a de l'or, il ne peut y avoir ni le Christ ni l'Eglise du Christ. Ce fragment est d'autant plus significatif qu'il nous rapporte la seule phrase du charpentier de Nazareth qui nous soit parvenue : quelques mots qui valent bien des décrets conciliaires.
Et les Mages, avec l'inconscience joyeuse dont font preuve les professeurs lorsqu'ils s'aventurent dans le monde des hommes, s'en retournèrent par une autre route, sans même soupçonner les ennuis qu'ils avaient causés à l'histoire universelle.