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Ordre de Malte: un sombre histoire de "fric"

Edward Pentin relaie une enquête du quotidien populaire allemand Bild, autour de Boeselager et d'un "don" de plusieurs millions d'euros en provenance d'un trust sulfureux (20/3/2017)

>>> Dossier Ordre de Malte

>>> Pour les lecteurs germanophones, l'interview par Bild du Grand Chancelier, le baron von Boeselagers, est en vidéo ici: www.bild.de/video..

Un journal allemand enquête sur un mystérieux trust connecté à l'ordre de Malte

"Bild" met en lumière un don de plusieurs millions de dollars qui pourrait être au centre du récent conflit de l'Ordre avec le Saint-Siège.

Note de traduction: peu familière (il serait plus exact de dire totalement ignorante!) du jargon de la finance, j'ai traduit le mot anglais "trust" indifféremment par "fiducie" ou "trust". Je n'ai pas vraiment envie de perdre du temps à des recherches sur les différences entre les deux concepts, qui apparemment relèvent respectivement des droit anglo-saxon et français, les lecteurs intéressés pourront approfondir ici: www.lepetitjuriste.fr.

Edward Pentin
National Catholic Register
17 mars 2017
Ma traduction

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Le journal allemand à gros tirage "Bild" a rapporté que le Grand Chancelier de l'Ordre de Malte, le baron Albrecht Freiherr von Boeselager, a accepté un don de 30 millions de francs suisses (28 millions €) au nom de l'Ordre, de ce que Bild appelle «une fiducie douteuse» (ndt: le mot anglais utilisé est "trust") à Genève. Boeselager nie toute malversation.

Le Grand Chancelier a déclaré au journal que sur une période de sept ans, l'Ordre allait tirer 30 millions de francs suisses du fonds, que Bild nomme par son acronyme CPVG. Jusqu'à présent, l'Ordre a reçu 3 millions de francs du trust, sur l'existence duquel le Register avait attiré l'attention du public dès Janvier.

Le correspondant de Bild, Nikolaus Harbusch, un journaliste d'investigation bien connu en Allemagne, spécialisé dans les délit financiers, rapporte que l'administrateur du trust, que le journal désigne simplement sous le nom d'Ariane S., a signé un accord-cadre avec Boeselager, d'accepter l'argent le 1er Mars. L'accord est intervenu quelques semaines après que Boeselager ait été réintégré en tant que grand chancelier suite à son licenciement en Décembre par l'ancien grand Maître de l'Ordre Fra' Matthew Festing.

Ariane S., qui apparaît également dans les "Panama Papers", a nié dans un mail du 6 janvier au Register qu'elle ou son organisation aient eu un lien avec l'Ordre de Malte. Dans sa correspondance avec le Register, elle s'est référée à la législations suisse et aux sanctions pénales encourues si le nom de la société de fiducie ou de ses membres, ou des accusations au sujet de cette fiducie étaient publiése.

Boeselager et d'autres membres de l'Ordre ont des contacts avec le trust depuis 2010, selon des documents obtenus par le Register, mais Fra 'Festing ignorait son existence jusqu'à tout récemment, après avoir interrogé directement Boeselager à ce sujet.

Le Grand Chancelier a dit à Bild qu'il avait des avocats qui avaient vérifié que le trust, qui est maintenant enregistrée en Nouvelle-Zélande, était clean, et ensuite le gouvernement de l'Ordre l'a approuvé à l'unanimité Il a dit qu'il ne connaissait pas de détails sur le donateur, M. Latour - seulement que l'argent provenait d'une riche famille française, et que les fonds avaient été placés dans une fondation avant la Seconde Guerre mondiale. «Depuis lors, il y a eu seulement des investissements, c'est tout ce que nous savons», a-t-il dit.

«Nous ne connaissons pas vraiment les détails parce que notre donateur est le trust CPVG, pas "M. Latour" personnellement, a dit Boeselager - ajoutant que le donateur, jusqu'à présent connu seulement comme "M. Latour", avait «demandé l'anonymat au trust et nous avons dû l'accepter»

Interrogé par Bild s'il pourrait s'agir d'argent sale, Boeselager a déclaré: «A notre connaissance, non.»

Selon les souhaits du donateur, l'Ordre de Malte devait recevoir un quart des actifs de la fiducie sur un fonds total d'un montant de 120 millions de francs suisses.

Bild a révélé que, sur instruction de l'Ordre, le procureur de Genève avait gelé l'argent afin de déterminer si l'administrateur (/le syndic) était coupable de détournement de fonds. Les enquêtes du journal, utilisant ses propres experts, les ont conduits à croire que les actifs en France n'avaient jamais été correctement imposés.

Boeselager a dit à Bild que l'Ordre a retiré sa «plainte contre le syndic, puisque l'accusation était sans fondement et que personne n'avait souffert le moindre dommage». Il a dit que les 30 millions de francs était de loin le plus important don d'argent que l'Ordre ait reçu au cours des 10 dernières années.

Selon Boeselager, l'Ordre a une politique de rejet de «l'argent sale», et il a dit qu'il avait refusé deux dons de Suisse, et un des États-Unis. «Si l'argent est sale, nous ne le prenons pas», a-t-il dit.

Il a dit que, dans le cas de CPVG, l'Ordre a effectué une «analyse approfondie des risques» et ne voit «aucune raison de le placer sur une liste de blanchiment d'argent».

Dans l'interview, Boeselager a rejeté l'accusation selon laquelle il voudrait transformer l'Ordre en une organisation non gouvernementale ordinaire, disant que quiconque porte une telle accusation «ne me connaît pas du tout» et que c'est «le contraire qui est vrai».

«Nous poursuivons notre mission: l'évangélisation à travers l'assistance et la charité», dit-il.

Boeselager a également révélé qu'il allait réduire l'autonomie du Grand Maître, qui sera «à l'avenir lié aux décisions du gouvernement de l'Ordre». Son commentaire contraste avec la vision de Fra 'Festing, qui s'était plaint en privé que Boeselager suivît sa propre politique et ses propres activités dans l'Ordre de façon indépendante, sans que le grand Maître en ait pleinement connaissance.

De nombreuses questions restent cependant sans réponse, parmi lesquelles:

  • pourquoi la commission de cinq membres créée per le Saint-Siège pour examiner le renvoi de Boeselager était composé de trois individus étroitement associés au trust, aucun d'entre eux n'ayant souhaité parler publiquement à ce sujet;
  • pourquoi le travail de la commission a été précipité et achevé en avance sur le calendrier, mais à temps pour que Boeselager soit réintégré et retire la plainte contre le syndic;
  • pour quelles raisons précises le frère de Boeselager, Georg, a été nommé au conseil d'administration de la Banque du Vatican en Décembre;
  • et pourquoi le syndic était si menaçant, et réticent à ce que des informations de base relatives à la fiducie CPVG soient publiées, y compris son nom.

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RAPPEL: LE DIFFÉREND ENTRE LE SAINT-SIÈGE ET L'ORDRE
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Le différend entre l'Ordre de Malte et le Vatican a commencé à la fin de l' année dernière quand Fra 'Festing a démis le Grand Chancelier Albrecht Freiherr von Boeselager, troisième dirigeant le plus haut de l'Ordre.

Boeselager s'est vu demander de démissionner et, quand il a refusé à deux reprises, il a été limogé pour raisons d'insubordination.

Le principal problème derrière l'appel à la démission de Boeselager était qu'il avait été jugé responsable en dernier ressort, selon la commission d'enquête interne de l'Ordre, de permettre la distribution de contraceptifs par la branche humanitaire des Chevaliers. L'Ordre a également dit qu'il y avait eu d'autres facteurs "confidentiels" en jeu, ainsi qu'un "défaut de confiance"

Boeselager a protesté contre les accusations et a plaidé contre la manière de son licenciement. Il a demandé que sa cause soit entendue par un tribunal de l'Ordre et a lancé un appel au pape, qui a ensuite nommé une commission de cinq membres pour examiner les circonstances inhabituelles de son limogeage.

Fra 'Festing a refusé de coopérer, affirmant que la commission interférait dans la souveraineté et le droit de l'Ordre de gérer ses affaires internes.

Le 10 janvier les Chevaliers ont à nouveau défendu leur décision de licencier Boeselager, la qualifiant d'«acte interne de gouvernement». L'Ordre ajoutait que la commission du Saint-Siège, devant ses travaux le 31 janvier, était "juridiquement dénuée de pertinence» compte tenu de la souveraineté de l'Ordre.

À son tour, le Saint-Siège a réitéré le 17 janvier sa confiance dans sa commission d'enquête et a indiqué qu'il attendait son rapport «afin d'adopter, dans son domaine de compétence, les décisions les plus adéquates pour le bien de l'Ordre Souverain Militaire de Malte et de l'Eglise».

Le Grand Maître a démissionné le 24 janvier. Le lendemain, François déclarait toutes les mesures prises par Fra 'Festing et son conseil d'administration après le renvoi de Boeselager «nulles et non avenues». Le conseil d'administration de l'Ordre a voté pour accepter la démission de Fra' Festing le 28 janvier, et le pape a ensuite nommé un délégué spécial, Mgr Giovanni Becciu, pour représenter le Saint-Siège à l'Ordre.