Benoit-et-moi 2017
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Conversation à bâtons rompus

L'envoyée à Rome du magazine allemand "Focus" a eu le rare privilège de s'entretenir avec Benoît XVI dans les jardins du Vatican. Un moment de grâce (28/6/2017)

>>> Sur le dernier voyage apostolique du Saint-Père, au Liban, du 14 au 16 septembre 2012, dossier ici: benoit-et-moi.fr/2012(III)

Entretien avec 'Benedetto'

FOCUS Magazine
numéro 26 (2017)
Eva Kallinger, correspondante de FOCUS, Rome
Dimanche, le 25 juin 2017
Traduction d'Isabelle

* * *

Tranquillement et pratiquement invisible, Benoît XVI passe ses jours dans les jardins du Vatican. La correspondante de FOCUS, Eva Kallinger, a pu s’entretenir avec le pape émérite. Pas sur Dieu, mais sur le monde. Sur Mozart, les perroquets verts et Beyrouth. Et elle a compris, que même un pape peut avoir le mal du pays.

Le domaine est un territoire interdit. A partir de 18 h30. Parce que deux hommes recueillis y prient le rosaire à ce moment. Pour leur garantir la paix, un gendarme barre la route escarpée qui conduit à la grotte. En ce vendredi de fin du printemps, le soleil brille sur la ville éternelle, le dôme de Saint-Pierre et le Vatican.

Je vois la voiture électrique, blanche et découverte, avec laquelle Benoît XVI et l’archevêque de curie Georg Gänswein font chaque jour le trajet depuis le monastère de Mater Ecclesiae.

Après quelques minutes, le gendarme me laisse passer, je m’avance et vois les hauts murs de la grotte dédiée à la Vierge. A l’ombre des feuillages, Benoît et Mgr Gänswein achèvent leur prière.


Les cheveux blancs comme neige, le visage légèrement hâlé, un appareil auditif et un déambulateur

Le pape émérite se tient debout entre Mgr Gänswein et un banc de jardin aux coussins jaunes. Ses cheveux sont blancs comme la neige. Le visage est légèrement hâlé. Benoît porte un appareil auditif à l’oreille droite ; de l’œil gauche il ne voit qu’à peine. Le jour de Pâques, il a fêté ses 90 ans.

Grüss Gott, Saint Père”. Il prend ma main dans les siennes et la tient un moment. Nous commençons à converser. Pas de la foi, ni de l’Eglise, ni de François ou de Luther. Pas de Dieu – mais du monde. De Salzbourg. J’y ai vécu longtemps. Tous les deux nous avons assisté au festival dans la ville de Mozart. Il dit : “J’y ai été à une époque où vous n’étiez pas encore née”.

Mais, je ne suis plus si jeune ! Benoît poursuit : “C’était en 1940”. Effectivement, je n’étais pas encore née. Et lui-même avait 13 ans. “C’était la guerre, alors, et personne de l’extérieur ne pouvait venir; ainsi on obtenait les billetss à bon prix”, raconte Ratzinger.

Que je puisse lui parler, est un cadeau. Une grâce. C’est Mgr Gänswein qui me les a accordés. Il est préfet de la maison pontificale de François et un des plus proches de Benoît.

Benoît est toujours bien dans sa tête, dit Gänswein. En avril, il a écrit la préface d’un livre. Physiquement, c’est plus difficile. Il se déplace avec un déambulateur dans la maison et à l’extérieur. “Avec une canne, il a peur de tomber”. Celui qui fut pendant de longues années le médecin personnel de Benoît, Renato Buzzonetti, a parlé avec Gänswein après son élection : “Vous êtes responsable du plus efficace des remèdes. Veillez à ce que le pape puisse se promener chaque jour, et à la même heure. C’est important.”

Ainsi tout en se promenant, Benoît et Gänswein prient le rosaire, en hiver à 16 heures, en été à 19 heures sur la colline du Vatican. Tous les jours. “La distance de promenade s’est réduite à présent”, dit Gänswein.


L’histoire de la colonie de perroquets de Rome commence au Vatican

J’interroge Benoît sur sa grande passion à lui : le piano. Joue-t-il encore de temps en temps ? “Non, les mains ne suivent plus.” Puis il montre sa tête : “Et elle non plus, plus aussi bien”.

Il sourit. Doucement. Comme toujours, Joseph Ratzinger est un homme qui n’accompagne ses paroles ni de grands gestes, ni de mimiques. Il parle bas. Je dois tendre l’oreille.

Des perroquets verts, dans les palmiers au-dessus de nous, mêlent leur ramage à la conversation. Il court des bruits, au Vatican, sur ces oiseaux exotiques. Deux perroquets verts se seraient, dit-on, échappés de l’appartement du cardinal Szoka, l’ancien ministre de l’économie du pape Jean-Paul II. Depuis lors, ils se seraient considérablement multipliés et occupent à présent les arbres partout dans la Ville. “Le cardinal Szoka habitait tout près d’ici, dit Benoît, mais j’ai entendu dire que les perroquets nichaient déjà dans les arbres lorsque Pie XII était pape.”

Nous haussons les épaules, amusés tous les deux. Nous n’éluciderons pas le mystère de l’origine de ces verts bavards. Ils font partie de la Ville éternelle et des jardins du Vatican.


Le pape Benoît ne reverra plus sa patrie, la Bavière

Pour Benoît, homme de livres, des cabinets d’études et des auditoires, le contact avec le monde extérieur est vital. Le pieux savant de Marktl am Inn (Oberbayern) a toujours été proche de la nature où il adore se promener. A-t-il le mal du pays ? “Oui, bien sûr”, répond Benoît. Il s’arrête une seconde : “Mais c’est beau ici aussi.” Il ne reverra pas sa patrie.

Après sa renonciation en février 2013, Ratzinger s’est retiré dans l’ancien monastère Mater Ecclesiae pour se consacrer à la prière. Quatre gouvernantes y vivent avec lui. Et Mgr Gänswein.


Gänswein : “S’il était resté pape, il n’aurait plus vécu longtemps”

La charge des huit années de pontificat – secouées par les scandales de la pédophilie et la débâcle autour de la très conservatrice Fraternité Saint-Pie-X – a pesé lourd sur les frêles épaules du pape allemand. Le pape émérite était alors totalement épuisé. Deux mois durant. Après, il a refait ses forces, petit à petit.

Gänswein : “Je crois que, s’il était resté pape, il n’aurait plus vécu longtemps” . Aujourd’hui, Gänswein prend soin de Benoît comme un fils de son père. “Plus un homme devient vieux, plus il est important qu’il puisse se fier totalement à quelqu’un”. Chaque matin il célèbre la sainte messe; le dimanche, Benoît prêche pour la petite communauté de la maison.


Benoît, le pêcheur d’hommes, lors de son dernier voyage à l’étranger

J’échange encore quelques souvenirs avec le pape émérite. Je parle de sa visite à Beyrouth. De jeunes musulmans acclamaient avec enthousiasme l’homme qui venait de Rome. A l’époque, lors de son dernier voyage comme pape, lui que l’on prétendait si farouche et timide, s’est encore montré une fois “pêcheur d’hommes”. De rencontre en rencontre, d’allocution en allocution, les préjugés se sont envolés, la critique s’est tue, la glace a fondu : “Oui, dit Benoît, c’était beau”.

Je le sais bien : modeste et se connaissant bien, Joseph Ratzinger n’aime ni ne recherche la louange. En guise d’adieu, je lui dis encore : “L’Eglise et nous tous, nous devons être reconnaissants de vous avoir eu comme pape”.

“Ce jugement-là, dit Benoît, laissons-le au bon Dieu”.