Benoit-et-moi 2017
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J'ai travaillé avec le cardinal Ratzinger

Très belle interview du cardinal Levada, qui fut sous Benoît XVI préfet de la CDF, où il l'avait longuement côtoyé du temps où le cardinal Ratzinger en était le préfet (25/1/2017)

L'interview est en deux parties totalement indépendantes, et c'est la seconde, la plus personnelle, qui justifie que j'aie placé l'article dans la colonne de droite de la page d'accueil.
Mais la première mérite aussi (quoiqu'à un degré moindre!) d'être citée . Elle est consacrée au rôle de la CDF, notamment dans le traitement des affaires de pédophilie du clergé, alors que des rumeurs insistantes en provenance du Vatican semblent indiquer, dans le cadre de la restructuration de la Curie en cours depuis 3 ans (et compte tenu de l'obligation pour François de payer sa "dette" envers ses "grands électeurs") une volonté papale de liquider l'héritage de son prédécesseur, dans ce domaine aussi: redimensionner ce dicastère, et "re-transférer la compétence du traitement des prêtres agresseur de la CDF vers le Clergé et la Rote" (cf. Pédophilie: réforme de la réforme là aussi?).

Le cardinal Levada sur le pape Benoît, la CDF et les poursuites judiciaires contre les abus sexuels par le clergé

Le préfet émérite de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi défend le rôle de cette dernière en tant que source d'unité pour l'Eglise universelle, et sa compétence dans la poursuite du clergé des cas d'abus sexuels.

www.ncregister.com
16 janvier 2017
Joan Frawley Desmond
Ma traduction

I. La CDF

MENLO PARK, Californie

- Au milieu des appels à la décentralisation de la Curie romaine de la part de certains leaders de l'Église et de certains théologiens, le cardinal William Levada, préfet émérite de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF), a souligné le rôle crucial de la CDF comme arbitre de foi et de la morale pour l'Eglise universelle.
Le cardinal Levada a également suggéré que la CDF était particulièrement qualifiée pour superviser la poursuite des cas d'abus sexuels du clergé, une responsabilité donnée à la Congrégation par le Pape saint Jean Paul II dans son document de 2001 Sacramentorum Sanctitatis Tutela, délivré motu proprio (de la propre initiative du pape) .
Au cours du dernier mois, les médias ont fait état de propositions au sein du Vatican pour déplacer la poursuite des cas d'abus sexuels vers un autre dicastère. Ces rapports n'ont pas été confirmés publiquement, et le cardinal Levada ne les a pas abordés directement. Il a plutôt réfléchi sur la compétence unique de la CDF dans le traitement de ces cas souvent complexes au cours des 16 dernières années.

Le cardinal Levada, 80 ans, l'ancien archevêque de San Francisco qui a pris sa retraite en tant que préfet de la CDF en 2012, a offert ses commentaires lors d'une ample interview accordée au Register le 9 janvier dans sa résidence au Séminaire Saint-Patrick à Menlo Park, en Californie. La conversation a abordé ses décennies de service à l'Eglise comme théologien, évêque et préfet de la CDF, et il a également discuté de l'héritage du pape émérite Benoît XVI.

* * *

Certains dirigeants et universitaires de l'Église faisant pression pour les réformes de la Curie romaine qui pourraient donner plus de pouvoir aux conférences épiscopales nationales dans l'intérêt de la collégialité et de la synodalité, il a été question de donner à ces conférences le pouvoir de tracer une voie indépendante sur les questions liées à la foi et à la morale http://www.ncregister.com/blog/edward-pentin/cardinal-baldisseri-praises-synodality-but-concerns-grow.
Le cardinal Levada a minimisé ce discours et prédit que l'immense valeur de la CDF comme source d'unité pour l'Eglise universelle serait reconnue et garantie.
«Les conférences épiscopales peuvent débattre d'à peu près tout ce qu'elles veulent», a-t-il au Register, rappelant son propre travail avec ses confrères de la Conférence des évêques catholiques américains. Il a qualifié la relation entre les conférences éoiscopales nationales et la Congrégation de «donnant-donnant». Et il a noté qu'il est «très important d'avoir un préfet qui a eu une expérience d'évêque parce que, dans un certain sens, les évêques sont les principaux clients de la Curie romaine, de sorte qu'il doit y avoir un dialogue sur la façon d'essayer de mettre en pratique les directives du pape, et ensuite d'amener au pape les problèmes qui font surface».
Mais il a mis en question les propositions qui appellent à minimiser le rôle de la CDF et à donner plus d'indépendance aux conférences nationales - comme si le Vatican était «comme l'Union européenne» confrontée à la menace de sortie des pays avides d'une plus grande autonomie.
«Je ne pense pas que ce serait une proposition utile», a-t-il dit. «Elle semble reposer sur un état d'esprit concernant les structures de l'Eglise qui est presque entièrement dérivé d'une vision politique des structures, et qui ne prend pas en compte les racines théologiques de l'Eglise: comment les structures devraient chercher à préserver et à mettre en valeur ce que Jésus lui-même nous a laissés et a établi comme l'Eglise».
«Ce n'est pas seulement une question d'organisation. C'est une partie de la révélation divine selon laquelle Jésus voulait fonder une Eglise et est le chef (la tête) de son corps l'Eglise», a-t-il ajouté.
«Ce sont des discussions qui vont continuer, mais je ne m'attends pas à une décentralisation dramatique», a dit le cardinal Levada. «Il y a des choses qui peuvent être décentralisées. Mais "indépendance" n'est pas la nature de la relation. C'est la solidarité et la cohésion».

Durant ses années en tant que préfet de la CDF sous le pontificat du pape Benoît XVI, le cardinal Levada était également chargé de superviser la résolution des cas d'abus sexuels du clergé et de présenter les requêtes de réduction à l'état laïc de prêtres accusés de façon crédible de tels crimes, lors de ses rencontres hebdomadaires avec le pape.
À l'heure actuelle, une fois qu'une accusation d'abus sexuel impliquant un mineur est portée contre un prêtre, son évêque et d'autres mènent une enquête préliminaire pour déterminer si l'allégation a «l'apparence de la vérité».
Si c'est le cas, l'affaire est immédiatement renvoyée à la CDF, qui décide si la CDF va la traiter ou la renvoyer à l'évêque. La CDF décide également s'il y aura un procès ou une procédure administrative, ce qui concerne généralement des cas moins complexes.
«L'expérience que la CDF a aujourd'hui dans la mise en œuvre du motu proprio militerait en faveur du fait qu'elle continue à le faire», a dit le cardinal Levada.
Au fil des ans, la CDF a également établi les mesures disciplinaires appropriées, à prendre dans de tels cas, «avec la participation de canonistes hautement qualifiés, travaillant et enseignant à Rome». Bien qu'il y ait uniformité générale dans l'imposition des sanctions, les cas individuels sont également examinés, avec la prise en considération de «la gravité du scandale et du problème de la récidive». En outre, il a noté que la congrégation a «acquis une vaste expérience dans la façon de gérer l'expérience des différents pays et l'interface avec les autorités judiciaires et de police».

Le cardinal Levada a salué les efforts du Saint-Siège pour faire de la protection des mineurs et des adultes vulnérables le «gold standard» de l'Eglise à travers le monde, mais il a reconnu que, même au sein de la Curie «il y en avait encore qui ne comprenaient pas la valeur des mesures -souvent difficiles - nécessaires pour assurer la protection des mineurs contre les abus sexuels, y compris les pénalités pour les personnes coupables de tels abus».
«Tout le monde n'était pas partant, mais ils ont compris la position du pape Benoît XVI. J'étais très clair à ce sujet dans les entretiens que je donnais, et en travaillant avec diverses congrégations dont je faisais partie», dit-il.

II. Benoît XVI

Originaire de Californie, ordonné prêtre dans l'archidiocèse de Los Angeles, Levada a obtenu un doctorat en théologie fondamentale et dogmatique de l'Université pontificale grégorienne.
Jeune instructeur en théologie au Séminaire St John dans l'archidiocèse de Los Angeles (1970-1976), il a découvert l'un des ouvrages de référence du Père Joseph Ratzinger, Introduction au christianisme, et il l'a tout de suite ajouté au programme de cours, une décision marquant son respect immédiat pour le théologien allemand, qui allait plus tard le choisir comme son successeur à la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Par la suite, de 1976 à 1982, le père Levada a servi comme "official" à la CDF et a continué à enseigner la théologie à temps partiel à la Grégorienne. Après avoir servi à la CDF pendant un certain nombre d'années au début des années 1980, il a été ravi d'apprendre que le Pape Jean-Paul II avait nommé le théologien allemand, alors archevêque de Munich, comme le nouveau préfet de la CDF.
Dès le début, le Père Levada a été frappé par la collégialité, l'humilité et le brio du cardinal Ratzinger. «Quand il était préfet, il venait dans notre groupe de travail, se retroussait les manches - au sens figuré. Il écoutait, puis résumait la discussion, et c'était parfaitement exact».
«C'était un tel grand esprit, il avait un tel esprit de synthèse, qu'il était capable d'écouter les gens et ensuite de proposer un consensus sur une action ou une formulation spécifique d'une vérité doctrinale», se souvient le Cardinal Levada.

Après avoir servi sous le cardinal Ratzinger pendant un an, le Père Levada est retourné aux États-Unis et a été nommé àla tête d'une série de sièges épiscopaux importants, dont l'archevêché de Portland dans l'Oregon, puis l'archevêché de San Francisco de 1995 à 2005.
Alors qu'il était archevêque de Portland, le Pape Jean Paul a annoncé le plan d'un nouveau Catéchisme de l'Eglise catholique et nommé le cardinal Ratzinger comme président de la commission chargée de préparer une série de projets du Catéchisme. L'archevêque Levada était l'un des sept évêques du monde entier invités par le cardinal Ratzinger à rejoindre le comité de rédaction.
«Pendant six ans, j'ai travaillé étroitement avec lui sur le Catéchisme», se rappelle le Cardinal Levada. «Cela a eu un impact vraiment central sur mon ministère et ma vie. Ce fut une si grande bénédiction d'avoir tant de confusion doctrinale résolue d'une manière spécifique et unifiante par la formulation des vérités de la foi d'une manière qui n'était ni hostile ni polémique».

Une fois que le Catéchisme a été publié en 1992, Mgr Levada a cherché à promouvoir son utilisation dans les écoles catholiques et les programmes de la CCD (Confraternity of Christian Doctrine), les séminaires et la Conférence américaine des évêques catholiques.
«C'est quelque chose que le cardinal Ratzinger a beaucoup apprécié, comme soutien de ses efforts et de ceux de la congrégation», note-t-il. «L'un des points-clés qu'il avait en tête quand il a été élu pape, c'est l'utilisation Catéchisme de manière efficace dans l'enseignement de la foi».
Après l'élection du cardinal Ratzinger en tant que pape Benoît XVI, Mgr Levada se rendit à Rome pour offrir ses félicitations. Au cours de leur conversation «le pape Benoît dit "Écoutez, Votre Excellence. Il y a quelque chose que je veux vous dire». L'archevêque américain cessa de parler et fut estomaqué quand le pape lui demanda d'être le préfet de la CDF. «J'ai été étonné. J'ai dit: "Je ne suis pas un grand théologien"».
Plus tard, cependant, le cardinal Levada ayant réfléchi à sa nomination, comprit mieux la pensée du Saint-Père.
«C'est un grand théologien; et maintenant il est pape, et il n'a pas besoin d'un grand théologien comme préfet. Il a besoin de quelqu'un qui connaisse la congrégation - son personnel et ses procédures - qui parle italien et qui a de l'expérience dans le traitement de la crise des abus sexuels», raisonna le cardinal.

Comme préfet de la CDF, le cardinal Levada rencontrait chaque semaine le pape Benoît pendant environ une heure.
«Avoir le Pape comme votre supérieur immédiat, ayant fait le même job que vous, vous pourriez penser qu'il allait microgérer, mais il n'y avait rien de tout cela dans son approche» dit-il.
Le cardinal Levada a présenté sa démission comme préfet en 2012 à 76 ans [ndt: je crois me souvenir pour raison de santé], mais il est resté impliqué dans le travail de nombreuses congrégations et de différentes commissions pontificales.

La décision du pape Benoît XVI de renoncer à son office papal est arrivée comme un choc pour le cardinal Levada, qui était en Californie quand il a entendu la nouvelle. Depuis lors, cependant, il a appris à apprécier l'énorme importance de la décision du pape émérite de démissionner et de vivre sa retraite au Vatican.
la démission du pape Benoît XVI sera désormais une partie importante de son héritage, prédit-il. Cela signifie que «quelqu'un qui reçoit les votes des cardinaux au conclave n'a pas à se préoccuper de "ce qui se passera si je suis malade ou si j'ai une attaque, ou ne peux pas remplir mes devoirs en tant que pape" Tout cela a été résolu par la décision du pape Benoît XVI de renoncer».

La décision du pape de vivre sur les terres du Vatican et de se consacrer à une vie de prière pour l'Eglise et son successeur, a-t-il ajouté, n'est pas nécessairement la seule voie pour un pontife retiré, mais elle résout les problèmes potentiels qui pourraient générer des tensions au sein de l'Eglise.
«Cela nous est utile de voir comment il continue aujourd'hui un certain ministère pétrinien de prière et de sacrifice pour son successeur», a dit le cardinal. «Il voulait faire en sorte qu'il ne serait jamais considéré comme un rival de son successeur. Il ne fait aucun doute qu'il est en train de prier pour son successeur».

Interrogé sur l'héritage du pape émérite Benoît, le cardinal Levada a reconnu les nombreuses réalisations du pape allemand et a attiré l'attention en particulier sur son imposante contribution comme homéliste.
«Une partie de son extraordinaire héritage, ce sont ses homélies: sa compréhension de la liturgie et la façon dont l'Écriture et le texte liturgique peuvent être appliqués et doivent être appliqués dans l'homélie d'une célébration de jour de fête», dit-il.
«Il a donné quelques-unes des plus extraordinaires homélies , et les recueils de ces homélies sont traduits et sortent en anglais, ce sera une grande partie de son héritage pour l'Eglise aux Etats-Unis».
Le cardinal Levada a également salué les dons de Benoît comme écrivain qui appréciait la clarté d'expression et qui a effectivement exploité spirituellement de puissantes images scripturaires et liturgiques.
«Vous pouvez suivre retrouver la trace de son encyclique Deus Caritas Est ("Dieu est amour") dans les idées directrices de son livre Introduction au christianisme, et dans la façon dont nous percevons Dieu», note le cardinal Levada.
«Dieu est une relation. Dieu est amour. La relation entre le Père, le Fils et l'Esprit est fondamentalement une relation spirituelle l'amour, et c'est cela qui est la réalité fondamentale de la création».
«Ce sont des ouverturess d'une grande importance qu'il a offertes à une ère technologique qui veut tout solidifier selon un modèle scientifique», a-t-il conclu.
Pour le pape Benoît, alors, la Sainte Trinité «devient une sorte d'inspiration poétique pour tout son travail», dit le cardinal Levada. «A la base de toute chose, il y a Dieu, comme Père, Fils et Esprit, trois Personnes divines dans une nature, une relation d'amour»