Benoit-et-moi 2017
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Une fécondité silencieuse

Le bel hommage à Benoît XVI d'un prêtre espagnol, responsable de l'édition en langue espagnole des Opera Omnia (18/4/2017)

>>> Ci-contre: Le Père Pablo Cervera

Sa fécondité, silencieuse, est aujourd’hui plus éloquente que jamais.

16 avril 2017
Religion en Libertad
Traduction de Carlota

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Ce Dimanche de la Résurrection, 16 avril, Benoît XVI fête ses 90 ans. Quatre ans ont passé depuis sa renonciation et personne dans l’Église ne l’a oublié. Il est peut-être encore trop tôt pour une évaluation complète de ses huit ans de pontificat (2005-2013), mais il n’en est pas ainsi pour la portée de son œuvre théologique, de plus en plus reconnue comme une des plus importantes du dernier demi-siècle, avant et après son élection comme Pape.

L’un des meilleurs connaisseurs de cette œuvre est le prêtre Pablo Cervera Barranco, directeur de l’édition espagnole de
Magnificat, et traducteur ainsi qu’éditeur d’une liste importante d'œuvres de Joseph Ratzinger. Il explique à ReL l’importance de sa figure

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- Quand et comment avez-vous commencé à le traduire?
- Lors de mes années d’études à Rome je me suis surtout plongé dans les écrits ecclésiologiques de Joseph Ratzinger. L’ecclésiologie et Vatican II étaient le sujet de ma thèse doctorale. Auparavant j’avais eu l’occasion d’assurer la première traduction en castillan de la célèbre conférence Warhheit und Gewissen (Vérité et Conscience), [NDT: cet exposé, qui fut rédigé à l'intention des évêques américains, lors d'une réunion de travail à Dallas au printemps 1991 portait, en particulier, sur des questions relatives au fondement de la théologie morale. Traduction en français: www.communio.fr]

- Un texte capital...
- J’en avais lu un extrait dans la revue Il Sabato et, à cause de la forte impression qu’il avait produite sur moi, j’ai sollicité aussitôt Josef Clemens, secrétaire personnel de celui qui était alors le cardinal Ratzinger, afin qu’il m’accorde de disposer du texte allemand pour en publier la traduction espagnole dans le Boletín del Arzobispado de Toledo .

- Et maintenant vous êtes l’un de ses traducteurs de référence…
- Plus récemment le Père Carlos Granados qui était alors le directeur de la BAC [Bibliothèque des Auteurs Chrétiens], m’a invité à collaborer à une édition et traduction des Œuvres Complètes. C’est ce que j'ai fait avec les volumes pour lesquels j’avais une plus grande affinité par intérêt et formation: liturgie (volume XI), ecclésiologie (volumes VIII-1 et VIII-2), l’enseignement du Concile Vatican II (volumes VII-1 et VII-2).

- Dans quelle mesure avez-vous été marqué par le fait de traduire et d’éditer un auteur aussi minutieux et intense?
- Lire, et à plus forte raison, traduire, un grand auteur (qu'il soit théologien, philosophe ou écrivain) est toujours un privilège. L’œuvre énorme de Ratzinger rassemble la pensée de l’un des théologiens les plus importants de notre temps. C'est pourquoi la traduction systématique de ses écrits fait découvrir beaucoup de pépites d’or, qui, autrement, seraient restées perdues ou oubliées.

- Vous avez pu le connaître personnellement?
- Je lui ai parlé à deux occasions quand il était encore cardinal. Une fois sur la Place Saint Pierre: il la traversait avec sa soutane et son béret, de retour du travail à la Congrégation ; je l’ai salué et il s’est arrêté avec une amabilité infinie. Alors que je lui disais que j’étais prêtre de Tolède il a chanté les grandeurs de ce grand archidiocèse.

- Et la seconde?
-Une autre fois ce fut en l’honneur de mon directeur de thèse, le Père Karl Josef Becker, S.J. à l’occasion de ses 75 ans. Le Père Becker a été consultant à la Doctrine de la Foi et proche collaborateur du cardinal Ratzinger durant de très nombreuses années (bien avant que Benoît XVI le fasse cardinal). Le cardinal Ratzinger fut sollicité et il participa à un livre hommage que nous ses doctorants puis docteu, nous lui avons offert (Sentire cum Ecclesia. Homenaje a Karl J. Becker, S.I., Faculté de théologie San Vicente Ferrer, Valence, 2004), en plus d’être présent lors de l’acte académique à l’Université Grégorienne. À cette occasion j’ai parlé avec lui brièvement, après avoir été présenté par mon directeur de thèse. J’aurais conversé beaucoup plus...car j’étais sur le point de travailler avec lui à la Congrégation…

- Avez-vous eu d'autres contacts?
- Je conserve un petit billet de remerciement qu’il m’a écrit comme réponse à une œuvre de Rufino de Aquileya (Commentaire au symbole apostolique), que je lui avais fait parvenir, et dont j’avais préparé la première traduction espagnole.

-Comment est-il dans les relations personnelles?
- À l’occasion de ces rencontres personnelles et à d’autres niveaux j’ai toujours été frappé par l’accessibilité, l’humilité, l’attention et la proximité envers son interlocuteur.

- Quelles sont les principales sources de la pensée théologiques de Joseph Ratzinger ?
- Sans doute les grands auteurs que marque sa recherche sont saint Augustin [cf. ICI] et Saint Bonaventure, surtout le premier. Ratzinger n’est pas un thomiste, ni par formation ni par schéma théologique, peut-être parce qu’il a connu une scolastique décadente qui l’a absolument captivé.

- Et quant aux auteurs modernes?
- Dans son écrit autobiographique Ma vie il raconte lui-même comment il dévoraient au séminaire les œuvres de Gertrud von Le Fort, Elisabeth Langgasser et Ernst Wiechert, Fiodor Dostoievsky, ainsi que les grands Français : Paul Claudel, Georges Bernanos, François Mauriac. Sur le plan philosophique il était proche de Romano Guardini, Josef Pieper, Theodor Hacker. Il y a des noms qui ont eu de l’influence dans ses approches et préférences théologiques: Gottlieb Sohngen, professeur de théologie fondamentale; Klaus Mörsdorf, qui préconisait résolument une vision du droit canonique comme discipline théologique; Henri de Lubac à travers sa grande œuvre Catholicisme

- S’il n’avait jamais été Pape ni préfet de la Foi, par quel apport théologique serait-il passé à l’histoire?
-L’œuvre qu’il apprécie le plus est Escatología [en français: La mort et l'au-delà. Court traité d'espérance chrétienne]. L’œuvre qui a marqué une époque, et qui a peut-être connu le plus d’éditions dans toutes les langues du monde, a été sa présentation de la foi catholique dans Introduction au christianisme [en français: La Foi chrétienne hier et aujourd'hui], - je ne prends pas en compte Jésus de Nazareth écrit quand il était déjà Pape. Ses apports sont multiples et il n’est pas facile de choisir. Dans son livre Miremos al traspasado [titre original allemand Schauen auf den Durchbohrten, en français Ils regarderont Celui qu'ils ont transpercé, éd. Salvator, 2006] sont rassemblées des contributions très belles dans le domaine de la christologie.

- C’est le Rapport sur la foi [en français: Entretiens sur la foi] qui fut son programme comme préfet puis comme Pape?
- Je ne l’appellerais pas "programme". Ce fut un diagnostic clairvoyant au moment où Vittorio Messori l’a interrogé. Quand des diagnostics sur une situation sont clairs, il faut alors de la dextérité et de la certitude dans les mouvements à donner en direction du futur. Avec l’écoulement du temps il a fait d’autres diagnostics sur la théologie, l’exégèse et la catéchèse. Ils n’ont pas eu d’impact médiatique de l’intérieur, mais ils ont été très nécessaires et efficaces pour le discernement ecclésial.

- De quel moment de son pontificat pensez-vous qu’il est le plus satisfait?
- Bien qu’il y ait plusieurs encycliques importantes, j’ai toujours pensé (et c’est pour cela que je suis encore embarqué dans sa publication) que Benoît XVI passera à l’histoire comme un autre Léon 1er le Grand en raison de ses prédications durant l’année liturgique [cf. benoit-et-moi.fr/2016/benot-xvi/homelies-conseil-aux-cures]

- Cela c’est en ce qui concerne la tâche d’enseigner. Et qu’en est-il en ce qui concerne celle de gouverner?
- Saint Jean-Paul II n’a pas pu voir résolue de son vivant la gravité du schisme lefebvriste malgré tout ce qu’il a fait de son côté (c’est le plus dramatique qui peut arriver dans l’Église même si l’inconscience et l’idéologie de beaucoup ne le perçoivent pas). Ratzinger a accédé au siège de Pierre avec la même responsabilité de guérir ce qui avait été rompu dans l’Église. Dans cette ligne, revitaliser le mode extraordinaire de la célébration du Rite romain a été un point important également en vue de résoudre le schisme [La forme extraordinaire du rite romain a été libéralisé en 2007 par Benoît XVI pour tout l’Église avec le motu proprio Summorum Pontificum].

- S’est-il agi d’un pontificat d’un intellectuel brillant avec peu de dons de gouvernement, ou son cas dément-il cette supposée incompatibilité entre le penseur et l’homme d’action?
- Peut-être peu de cardinaux connaissaient-ils comme lui la vie de l’Église et la situation du Saint-Siège. Y compris dans son travail même à la tête de la Congrégation de la Foi, les croche-pieds ne lui ont pas manqué de la part d’un certain cardinal très important.

- Alors...?
- De Ratzinger, on disait dans les conversations romaines qu’il ne connaissait pas bien les gens. Effectivement quelques éléments pourraient le confirmer. Dans ce sens il n’y a pas d’incompatibilité en soi entre l’intellectuel et l’homme de gouvernement. Parfois la psychologie aide pour s’entourer des personnes adéquates. J’ai toujours pensé que le gouvernement (dans n’importe quel domaine) n’est pas le fait d’un homme mais de celui qui sait s’entourer des personnes adéquates.

- Son homélie avant d’entrer au conclave fut celle d’un homme qui “sait” qu’il va être élu Pape…
- Aucune personne ne connaissait aussi bien la situation de l’Église que Ratzinger, une situation pas vraiment prometteuse dans bien des domaines. Ses interventions lors des congrégations générales, préalables au conclave, ont donné foi en lui, y compris avec des descriptions catastrophistes.

- Et il a assuré la charge avec audace...
- Son acceptation d’être Successeur de Pierre a été un acte de foi, d’espérance et de charité: il était un serviteur dans la vigne du Seigneur qui avançait confiant dans la grâce du Christ pour remettre sa vie à Dieu et à l’Église. Dans des occasions antérieures, sa santé lui avait joué de mauvais tours. Cependant, - à soixante-dix-huit ans!- il est allé de l’avant, en sachant que ce qui l’attendait n’était pas un chemin de rose. Il savait qu’il montait sur la croix.

-Et ce fut le cas?
-Le temps l’a attesté: les graves problèmes de pédérastie dans l’Église, le cas Maciel, les corruptions, la nécessité de réforme de la Curie romaine…

-Son départ, n’est-ce pas celui d’un homme débordé par les événements?-En réalité son renoncement n’a pas consisté à descendre de la croix mais à reconnaître que ses forces n’étaient pas celles nécessaires pour un bon gouvernement de l’Église. Derrière il laissait des années de travail, de croix et de fatigues, très importantes pour la vie de l’Église.

-Cela valait-il la peine?
-Sa fécondité, silencieuse, est aujourd’hui plus éloquente que jamais.