Affaire Pell: une histoire de 'copycat'?

Troublant: le récit de l'unique accusateur du cardinal ressemble presque mot pour mot à celui d'une autre affaire survenue au Etats-Unis en 2011, soit des années avant que ne commencent les poursuites qui devaient aboutir à sa condamnation. La présumée "victime" l'aurait-elle lu, avant de "broder" dessus? Ou ce récit lui a-t-il été soufflé par quelqu'un qui en était informé? (10/4/2019)

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La croix du cardinal Pell
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Pell: la chasse aux sorcières
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Le cardinal Pell à l'isolement

C'est Teresa qui m'a menée à cet article, signé Keith Windschuttle, le directeur de "Quadrant" , une revue littéraire et culturelle australienne fondée en 1956 et considérée comme conservatrice: Georg Pell est l'un de ses contributeurs de prestige.

Je n'ai pas jugé utile de traduire les passages des 2 témoignages qui utilisent un vocabulaire disons... technique (en vérité très cru) pour décrire les actes sexuels sordides reprochés. Tant pis si l'on m'accuse d'être hypocrite, voire bégueule.

Le témoignage "emprunté" qui a condamné George Pell


Keith Windschuttle
quadrant.org.au
7 avril 2019
Ma traduction

* * *

En 1998, "Billy", 10 ans, était élève de l'école Saint-Jérôme et enfant de chœur tout comme son frère aîné avant lui. Billy était un enfant doux et gentil, avec une bonne tête de jeune garçon, sociable et très apprécié. Un matin, après avoir servi la messe, le Révérend Charles Engelhardt a surpris Billy dans la sacristie de l'église en train de siroter des restes de vin. Plutôt que de s'énerver, le prêtre versa plus de vin à Billy. Selon le grand jury, il lui a également montré des magazines pornographiques, lui demandant ce que les photos lui faisaient ressentir et s'il préférait les images d'hommes ou de femmes nus. Il dit à Billy qu'il était temps de devenir un homme et qu'ils allaient bientôt commencer leurs "sessions". Une semaine plus tard, Billy apprit ce qu'Engelhardt voulait dire. Après la messe, le prêtre aurait caressé le garçon (....) jusqu'à ce qu'Engelhardt (...). Le prêtre suggéra plus tard une autre "session", mais Billy refusa et Engelhardt abandonna.

Sabrina Rubin Erdely, "The Catholic Church's Secret Sex-Crime Files", Rolling Stone, le 15 septembre 2011


Quelle est la différence entre ce récit d'abus pédosexuels dans une église catholique de Philadelphie et le témoignage de l'unique accusateur dans l'affaire de l'Etat de Victoria qui a condamné le cardinal George Pell pour avoir agressé sexuellement un enfant de chœur de 13 ans à la cathédrale St Patrick de Melbourne, en 1996? Pas grand-chose.

L'affaire américaine se serait produite en 1998 et l'auteur était un prêtre catholique et non un archevêque. Il y avait deux garçons dans la sacristie de Melbourne après la messe, non pas un seul, comme à Philadelphie. Cependant, le reste de l'accusation qui condamne Pell présente d'étranges similitudes avec celle donnée par "Billy Doe" et reproduite par un journaliste dans le magazine américain Rolling Stone. Le révérend Charles Engelhardt, également poursuivi, a été condamné et envoyé en prison, où il est mort.

Aucune transcription de la déposition de l'accusateur anonyme de Pell n'a été publiée et la déposition elle-même a été faite à huis clos, mais une partie du discours du procureur de la Couronne de Victoria devant le jury est reproduite par Louise Milligan, journaliste à ABC, dans son livre «Cardinal: The Rise and Fall of George Pell» (2017, révisé en 2019). Il contient les détails de l'abus sexuel que la victime présumée - que Milligan appelle "The Kid" dans l'extrait ci-dessous de son livre - a décrit à la cour.

En décembre 1996, alors que le chœur d'une messe solennelle dominicale présidée par l'Archevêque Pell quittait la cathédrale, deux enfants de chœur quittèrent la procession et se rendirent à la sacristie «à la recherche de quelque pitrerie». Ils y trouvèrent du vin de messe et se mirent à le boire. Milligan poursuit:

Mais peu de temps s'écoula avant qu'il ne se passe quelque chose. The Kid devait dire à la police que c'est l'archevêque qui leur demanda ce qu'ils faisaient et leur dit qu'ils allaient avoir des ennuis. Il dit que Pell s'est approché d'eux, sortit son (...)
(...)


L'affaire de Philadelphie a été rédigée pour Rolling Stone en septembre 2011, bien avant que la police de Victoria ne commence ce qu'elle a appelé son "opération de chalutage" contre George Pell, dans l'espoir de trouver quelqu'un pour témoigner contre lui. Comme le Detective Inspector Paul Sheridan de la police de Victoria l'a dit à l'audience de mise en accusation de Pell, ils ont commencé leurs activités en 2013 pour voir s'il avait commis des crimes graves qui n'avaient pas été signalés, mais le plaignant ne s'est présenté qu'en juin 2015. En d'autres termes, l'histoire de Rolling Stone était en circulation depuis deux ans avant qu'une version australienne ne soit fournie à la police.

Alors, quelle est la probabilité que la preuve présentée en Australie ne soit pas un récit authentique de ce qui s'est passé à Melbourne, mais plutôt une copie d'une histoire qui avait déjà été diffusée dans les journaux et en ligne? Voici les similitudes entre les allégations américaines et australiennes:

-> Les deux cas d'abus sexuels ont eu lieu dans la sacristie après la messe du dimanche.
-> Dans les deux cas, les victimes avaient bu du vin trouvé dans la sacristie.
-> Les deux garçons ont participé à la célébration de la messe.
-> Le prêtre a caressé les (...) des deux garçons.
-> Tous deux ont été forcés de s'agenouiller devant le prêtre.
-> Les deux garçons ont ont dû faire une (...) au prêtre.
-> Les deux victimes présumées étaient les seuls témoins à témoigner pour l'accusation au tribunal; c'était leur parole contre celle des prêtres.

La seule différence entre les preuves américaine et australienne est le récit d'une deuxième rencontre présumée, qui, selon les garçons, eut lieu «quelques mois plus tard» à Philadelphie et «un mois ou deux plus tard» à Melbourne. Dans la version américaine, c'est un prêtre différent qui est cette fois impliqué, qui a conduit le même garçon à la sacristie, lui a dit de se déshabiller et lui a ensuite fait une (...). Dans la version australienne, Pell aurait trouvé le garçon dans le couloir arrière de la cathédrale, l'aurait forcé contre un mur et aurait caressé ses (...).

Néanmoins, les deux récits sont si près d'être identiques que la probabilité que la version australienne soit originale est très faible. Il y a beaucoup trop de similitudes dans les deux histoires pour qu'elles puissent être expliquées par une coïncidence. La conclusion est inévitable :

"The Kid" répétait une histoire qu'il avait trouvée dans un magazine - ou une histoire que quelqu'un d'autre avait trouvée pour lui dans les médias -, tirant ainsi son récit de ce que Pell avait fait d'un témoignage donné dans un procès aux États-Unis quatre ans auparavant. Bref, le témoignage qui a condamné George Pell était une imposture. Cela ne veut pas dire que l'accusateur l'a inventé délibérément. Il en est peut-être venu à se persuader lui-même que les événements s'étaient réellement produits, ou un thérapeute a pu l'aider à «récupérer» sa mémoire. Mais peu importe la sincérité des convictions de l'accusateur, cela ne les rend pas vraies pour autant, surtout quand il y a tant d'autres preuves contre lui.

Il ne fait guère de doute que si les membres du jury dans l'affaire Pell avaient été informés des similitudes surprenantes entre les deux versions, certains d'entre eux se seraient posé de sérieuses questions sur la véracité de leur témoin. Le résultat aurait été soit un deuxième hung jury [jury dans l'impasse, cf. Pell: la chasse aux sorcières], soit un verdict de non-culpabilité.

Alors pourquoi rien de tout cela n'a-t-il été rendu public en Australie auparavant? Bien qu'étant familier des médias australiens, je n'avais pas entendu les détails de l'histoire américaine jusqu'à ce qu'un lecteur du Quadrant, Richard Mullins, m'avertisse de l'article de Rolling Stone. Cependant, cet article n'a pas été enterré dans des archives oubliées. Rolling Stone est un magazine américain consacré à la culture populaire, destiné aux adolescents et aux jeunes adultes. Il a publié une édition australienne de 1970 jusqu'à sa fermeture en janvier 2018. Aux Etats-Unis, les accusations de "Billy Doe" ont fait la une des journaux nationaux en 2011. Sous son vrai nom de Daniel Gallagher, il était présenté comme un accusateur dont le témoignage a envoyé deux prêtres catholiques et un instituteur en prison, ainsi que Mgr William Lynn, secrétaire pour le clergé de l'archidiocèse de Philadelphie. L'emprisonnement de cet administrateur catholique pour avoir protégé des criminels faisant partie du clergé sous sa responsabilité a été considéré par les journaux américains comme une preuve que la corruption s'étendait jusqu'au plus haut niveau de la hiérarchie catholique. La police et le bureau du District Attorney qui ont enquêté et poursuivi l'affaire ont émergé comme des héros dans les grands médias américains.

Toutefois, en 2016, Newsweek a consacré au scandale un article de 5000 mots de Ralph Cipriano.

Il était en partie destiné à dénoncer le journalisme militant de l'auteur de Rolling Stone, Sabrina Rubin Erdely, à la suite de son histoire tout aussi célèbre d'une étudiante de l'Université de Virginie qui en 2014 prétendait avoir été violée par sept hommes à une soirée universitaire. Cette histoire de «masculinité toxique» a fait la une de la presse et de la télévision pendant des semaines, jusqu'à ce que le canular de la victime présumée soit révélé. Rolling Stone a par la suite été poursuivi en diffamation par plusieurs des jeunes hommes accusés.

Cipriano, dans Newsweek, a également eu à coeur de révéler le contexte de politique locale derrière les affrontements juridiques qui, dans les affaires d'abus sexuels du clergé ont eu lieu par la suite entre l'appareil judiciaire supérieur de l'État de Pennsylvanie et le District Attorney de Philadelphie. Les procès du clergé sont restés à la une des journaux de l'État pendant trois ans parce que de multiples appels dans les affaires avaient renversé les condamnations initiales, entraînant de nouveaux procès, des annulations de condamnations et des litiges permanents entre les tribunaux et le gouvernement.

Newsweek affirme également qu'il disposait d'informations fiables selon lesquelles l'archidiocèse de Philadelphie avait payé à Gallagher [le fameux "Bill"] un dédommagement de 5 millions de dollars
À cette époque, le statut de Gallagher en tant que témoin fiable était douteux. Le magazine releva un large éventail d'incohérences entre les éléments de preuve qu'il avait présentés à la police et son témoignage devant le tribunal. C'était un trafiquant de drogue et un petit voleur bien connu de la police et il avait été arrêté à six reprises pour ce genre d'accusations. Les avocats catholiques de la défense soutinrent que le District Attorney lui avait déroulé le "tapis rouge" parce qu'il était l'une des rares victimes présumées d'abus sexuels dont les accusations échappaient à la prescription locale, ce qui signifiait que des accusations contre l'église pouvaient être versées au dossier.

En d'autres termes, il est très peu probable que l'histoire de "Billy Doe" était inconnue de ceux qui, en Australie, étaient impliquées dans la poursuite de George Pell. Les policiers victoriens qui poursuivaient Pell, et qui étaient sans aucun doute bien au fait de tout ce qui pouvait appuyer sa poursuite, devaient être au courant du succès que leurs homologues de Philadelphie avaient connu grâce au soutien du District Attorney Seth Williams , (condamné par la suite à cinq ans de prison pour différents actes de corruption), et à leur vaste couverture médiatique. L'exemple américain a dit aux victoriens qu'ils étaient sur une voie gagnante.

Qu'en est-il des médias australiens? Ils ont donné une large couverture de la Commission royale d'enquête sur les réponses institutionnelles aux abus pédosexuels, mais ont peu mentionné le fait que les conclusions et l'interprétation des événements en Australie suivaient une piste déjà empruntée d'enquêtes à l'étranger, comme je l'ai montré dans ma chronique dans le numéro d'avril du Quadrant.

L'héroïne actuelle des médias qui suivent cette histoire est Louise Milligan [cf. Pell: la chasse aux sorcières], qui a fait un best-seller avec son livre «Cardinal...», et ses reportages spéciaux au journal de 7h30 et et à l'émission "Four Corners" de la chaîne ABC. La dernière édition de son livre énumère le nombre de prix que ce travail lui a valu: le Walkley Book Award, deux Quill awards du Melbourne Press Club, le Sir Owen Dixon Chambers Law Reporter of the Year Award, le Civic Choice Award du Melbourne Prize for Literature. La nouvelle édition est également saluée par un nombre impressionnant de journalistes et d'auteurs de gauche (...), plus une préface de Tom Keneally, romancier/historien qui dit que Pell a obtenu ce qu'il méritait parce qu'il était «un néo-conservateur notoire», qui a «remis en cause le changement climatique» [cf. benoit-et-moi.fr/2011] et n'a soulevé que de faibles objections contre la politique du gouvernement fédéral en matière d'asile.

Milligan connaissait-elle les similitudes entre le témoignage de "Billy" et de "The Kid"? Il n'y a à ma connaissance rien dans son livre, ou dans quoi que ce soit d'autre qu'elle ait écrit, qui indique que c'est le cas. Elle a l'air complètement dans le noir à propos de la connexion américaine. Donc, d'après ce que je peux voir, on ne peut pas l'accuser d'avoir supprimé des informations pour rendre son propre cas plus plausible [cela reste à voir, ndt....].

Toutefois, un vrai journaliste d'investigation n'aurait pas omis de tenir compte de la dimension étrangère de cette histoire. Ainsi, tout ce dont Milligan peut être accusée dans la poursuite résolue de sa carrière, c'est son incompétence à ne pas enquêter sur toutes les dimensions de l'histoire pendant les nombreux mois où elle y a travaillé. Finalement, ce devrait être une source d'embarras pour ceux qui l'ont couverte de prix et pour tous ceux qui figurent sur la liste des écrivains qui vantent ses talents de journaliste dans les premières pages de son livre.

La police victorienne, cependant, est dans une position différente. Ils avaient toutes les raisons de connaître la connexion américaine et de la garder secrète, de peur que cela ne ruine leur affaire. L'avocat catholique Frank Brennan et Pell lui-même au début de ce drame ont tous deux laissé entendre que la police laissait "fuiter" des informations aux médias. Le philosophe et théologien Chris S. Friel, dans un impressionnant examen juridique de l'affaire sur le site britannique Academia, a suggéré que la police s'était engagée dans une stratégie de longue haleine pour miner lentement la réputation publique de Pell. Friel voit clair à propos de ce que les preuves disponibles montraient au moment où il a écrit :

On objectera que l'idée même que la police du Victoria a délibérément détourné l'attention n'est qu'une théorie du complot. C'est vrai qu'il s'agit simplement d'une hypothèse, fondée sur des preuves circonstancielles, et je ne dirais pas qu'elle est prouvée hors de tout doute raisonnable. Quant à la question du "complot", nous rappelons que Milligan elle-même fait allusion à l'un d'eux: car, selon The Kid, Pell n'est pas la seule menace; un homme non identifié et dangereux est à la recherche de l'informateur, et c'est pourquoi il plaide auprès de la journaliste pour qu'elle poursuive son enquête.


Si l'Australie a encore de véritables journalistes d'investigation, il doit bien y en avoir un quelque part qui soit prêt à suivre ces pistes dans les entrailles des opérations de la police victorienne pour découvrir ce qui s'est réellement passé pendant tout ce temps. En attendant, George Pell reste en prison jusqu'à son appel en juin, injustement condamné et injustement diffamé.

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