Fête Dieu: une célébration au rabais

Cette année, la procession menée par François a eu lieu le dimanche 3 juin à Ostie. Récit d'un participant (6/6/2018, mise à jour)

Le Pape à Ostie (photo AFP)

Mes lecteurs n'ont pas oublié la procession du jeudi de la Fête Dieu, du temps de Benoît XVI, entre deux des quatre basiliques pontificales de Rome: la messe à Sainte-Marie Majeure, puis le trajet le long de l'avenue conduisant vers l'autre Basilique, celle de Saint-Jean de Latran. Benoît XVI, revêtu d'une chape somptueuse, sur la plateforme d'une camionnette spécialement aménagée, agenouillé durant tout le trajet (une position pénible, qui devait représenter un effort physique considérable pour un homme de son âge...), les yeux rivés sur le Saint Sacrement, tandis que le véhicule se frayait lentement un chemin entre deux ailes de foule brandissant des flambeaux. Et pour finir, la bénédiction donnée sur le parvis de Saint-Jean de Latran.
Des pratiques qui avaient déjà cours sous Jean-Paul II, sans doute considérées aujourd'hui comme d'un autre âge, et qui ont été abolies par François (dont on sait que des problèmes d'articulation lui interdisent de s'agenouiller devant le Saint-Sacrement...!); et cette année encore, pour marquer sa différence avec ses prédécesseurs, il a choisi de célébrer la Fête-Dieu le dimanche 3 juin, dans une paroisse d'une banlieue de Rome, à Ostie. Une périphérie, pour reprendre une expression qui lui est chère, autrement dit ce qu'on appelle pudiquement chez nous une banlieue "difficile".
Le site Cronache di Papa Francesco publie à cette occasion le récit d'un paroissien d'Ostie, qui a participé à la célébration, et qui dit son désarroi et sa douleur devant ce qu'il faut bien appeler la banalisation et même la désacralisation de cet important moment liturgique. Son témoignage - que certains trouveront sans doute carrément hors du temps - illustre l'impossibilité du dialogue entre les catholiques traditionalistes , et les "modernistes" qui ne croient plus au Sacré.

Comment ne pas penser à la magnifique homélie prononcée par Benoît XVI dans la messse de sa dernière célébration de la Fête Dieu, le 7 juin 2012 (w2.vatican.va):

Je voudrais aussi souligner que le sacré a une fonction éducative et que sa disparition appauvrit inévitablement la culture, en particulier la formation des nouvelles générations. Si, par exemple, au nom d’une foi sécularisée qui n’aurait plus besoin des signes sacrés, on abolissait la procession du Corpus Domini dans la ville, le profil spirituel de Rome se trouverait « aplati » et notre conscience personnelle et communautaire s’en trouverait affaiblie.

Corpus Domini ad Ostia ? Le festival du néant


cronicasdepapafrancisco.com
4 juin 2018
Ma traduction

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« (...) j'ai eu l'impression que cette année, la Fête Dieu a été célébrée sur un ton mineur dans de nombreuses parties du monde. Parfois, on soupçonne que l'"Eglise en sortie" est interprétée comme l'Eglise qui sort du monde, et non comme l'Eglise qui entre dans le monde. Quand on vit la Fête Dieu sur un ton mineur, on risque d'engendrer une course vers l'organisation d'activités parfois ambiguës, sinon erronées». (Mgr Luigi Negri, La Bussola).

Nous avons reçu ce témoignage - sur la solennité du Corpus Domini (Fête Dieu), célébrée hier par le Saint-Père à Ostia Lido - et nous souhaitons le partager ici avec nos lecteurs, après avoir lu cette phrase de Mgr Negri, qui nous semble très appropriée.


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Chers amis des Cronache di papa Francesco, vous serait-il possible de publier mon témoignage personnel sur le déplacement du Saint-Père, à Ostia Lido, pour la solennité de la Fête Dieu.

Je vais éviter de citer les noms des gens, la paroisse où j'opère parce que je crois qu'il est plus important de s'en tenir aux faits. Lorsque le curé de la paroisse nous a informés du choix de François de venir à Ostie célébrer la solennité de la Fête Dieu, au début ce fut un “dolce far niente”. Du reste, c'est compréhensible, le mois de mai est riche d'activités avec les premières communions et les confirmations, la clôture des activités de l'année pastorale et nous étions donnc submergés par tout cela.

L'organisation s'est davantage située au niveau diocésain, ce qui revient à dire que ceux qui ont travaillé dur, efficacement, pour cet événement, ce sont les prêtres et le bureau diocésain de gestion de l'organisation. Dans l'ensemble, il faut dire qu'il n'y a pas eu de frénésie pour l'arrivée du Pape. Mais il n'y a pas eu non plus de préparation spéciale pour la solennité de la Fête Dieu.

Je n'ai pas encore compris avec quels critères ont été choisies les personnes qui pouvaient entrer dans l'enclos mis en place pour la Sainte Messe et délimité par les barrières, qui ne pouvaient être franchies que si l'on avait "le laissez-passer"; j'y suis allé avec ma famille vers 16 heures, calculant que la messe commencerait à 18 heures, mais je n'ai pas pu entrer dans l'espace réservé (à qui ?), bien que j'ai montré que j'étais un paroissien de la paroisse X et que j'étais même là à l'invitation du curé qui nous avait assuré que tout le monde pouvait accéder librement, qu'il n'y avait pas besoin de "billets".

J'avoue que le fait d'assister à la messe de l'extérieur, appuyé contre des barrières - supporter le soleil sur mon visage, cela, je l'ai offert comme sacrifice mais d'où j'étais, on ne comprenait pas grand chose de la messe - m'a beaucoup gêné. Je ne me plains pas de n'avoir pas obtenu une place qui tout compte fait me revenait, mais parce que j'étais venu pour la messe de la Fête Dieu et pour la procession, et de tout cela je n'ai vécu que peu, ou rien.

Quoi qu'il en soit, je dois dire que j'ai été heureux que l'impact qu'il y a eu n'ait pas été pour la "visite du Pape" - si, peut-être que pour certains, ou peut-être pour beaucoup, c'était le cas -, mais l'impression et le climat que l'on respirait n'était pas cela. Nous avons vu le Pape de loin, pendant un court moment, et puis pour la bénédiction, au centre il y avait vraiment Jésus dans l'Eucharistie, mais avec le rite rabaissé, le cœur de ce pouvoir rabaissé dans tout l'appareil liturgique.

Je ne sais pas comment l'expliquer, c'était une messe "normale", à part la procession qui était très misérable dans son apparence et dans les méditations. Par exemple, pourquoi ne pas faire dire un chapelet en cours de route, au lieu d'inventer des prières associées à l'actualité politique et sociale? Ne parlons pas des chants accompagnés de guitares et de bongos ! Quelques chants ont été entrecoupés d'hymnes sacrés de la tradition eucharistique, mais très peu, trop peu. Des chants qui n'avaient rien à voir avec la Messe de la Fête Dieu, et qui n'aidaient pas à la contemplation, au Mystère qui aurait dû être solennisé d'une manière appropriée, et d'une manière différente des autres Messes.

Plus d'agenouilloirs, aucun moment propice à l'Adoration vraie et silencieuse, laquelle, le cas échéant, était déchirée par les guitares! Pour la Communion, je me suis agenouillé en m'appuyant sur la barrière, le prêtre m'a fait signe de me lever avec un geste d'ironie, tout en continuant à gesticuler, et en tenant cette pauvre Hostie dans sa main. J'ai remercié Jésus aussi pour cette humiliation et pour avoir pu la recevoir dans ma bouche, au moins cela ne m'a pas été refusé.

J'ai fait la procession.... il n'y avait ni cierges ni bougies, par contre nous avons eu la première "turibolaia" (ndt: c'est-à-dire une femme "thuriféraire" - portant l'ostensoir) endossant une aube de prêtre, ouvrant la procession. Certains peuvent me reprocher ce jugement personnel, mais que voulez-vous, si c'est arrivé, ce n'est pas ma faute. Je peux être coupable du jugement sévère dont je demande pardon à Jésus, mais qui fera amende honorable pour avoir offensé Jésus en faisant s'habiller ces femmes - il y avait aussi celles qui administrent la Communion, toutes portant des aubes de prêtres - comme des prêtres? Les enfants en aube blanche, qui avaient reçu la première communion il y a quelques semaines seulement, étaient complètement absents, une absence qui s'est fortement ressentie.

Nous arrivons enfin à l'autre église d'où la bénédiction eucharistique serait donnée. Beaucoup s'attendaient en fait à "voir" le Pape lequel, naturellement, ne s'est jamais agenouillé devant l'Eucharistie, si bien que tous se sentent légitimés à l'imiter. Dans la bénédiction solennelle, peu s'agenouillent, pas même les prêtres, il semble presque que s'agenouiller devant l'Eucharistie est devenu un affront envers le pape !

La solennité se termine là, laissant sans aucun doute beaucoup de douceur dans mon cœur, mais aussi braucoup d'amertume pour la façon dont Lui, le Roi des Rois, a été traité! La solennité est terminée, les gagnants sont ceux qui qualifient ces rites avec mépris d'oripeaux encombrants, vanité, gaspillage de matière. On pourrait redéfinir cette Célébration comme "Simplification de la Fête Dieu", en éliminant lentement mais inexorablement le contenu mystique, de Mystère des mystères. Jésus était simple, Jésus était pauvre, Jésus ÉTAIT.... ! Nous ne nous rendons même pas compte qu'à nous, les vrais pauvres, on enlève la plus authentique des solennités et de toutes les richesses.

Aujourd'hui, il m'a semblé voir Jésus, dépouillé de ses vêtements royaux, alors que son Église aurait dû l'habiller de tout ce qu'il y a de plus précieux, non seulement pour réaffirmer le culte de la Sainte Hostie, mais surtout parce que nous, mortels, nous avons encore besoin de signes et de gestes, nous avons besoin de chanter des hymnes liturgiques intemporels. Jésus nous enseigne que la vraie prière, ce ne sont pas les mille mots, aujourd'hui prononcés à tout bout de champ comme si nous étions à des meetings politiques ou sociaux, mais ce sont les Psaumes, c'est le chapelet, oui parce que - ce sera ma conclusion -, Marie Très Sainte s'est vue attribuée la dernière place.

Tant dans la Messe (compréhensible, disent-ils), que dans la Procession, pas même un Je vous salue Marie, pas même un Salve Regina, seulement à la fin, à la conclusion, après avoir remis en place son Divin Fils, enfin un chant à Marie, mais rigoureusement moderne, pas liturgique, aucun hymne, aucune référence à Elle comme Mère de ce corps offert.

Cher Jésus, que puis-je dire ? Je rentre chez moi inconsolé et un peu spolié, mais aussi fier de T'avoir tenu compagnie. Reconnaissant parce que malgré tout, cela ait été fait, même en te rabaissant le jour qui aurait dû être Ta solennité, si les mots veulent encore dire quelque chose. Reconnaissant aux nombreux prêtres qui semblent ne pas comprendre quand vous leur parlez de cette souffrance qui vous serre le cœur, certains se moquent de vous, d'autres compatissent, d'autres vous disent que vous n'avez rien compris.

Jésus, c'est peut-être parce que je suis ignorant, mais un doute subsiste : cette église, aujourd'hui, croit-elle encore en Ta présence réelle dans l'Eucharistie, ou est-ce juste pour une tradition vidée de Ton Ame et de Ta Divinité? Ai pitié de moi, et fais que l'année prochaine le Pape François ne vienne pas ici en pensant que nous sommes une favela où Tu es absent, ou que nous devons réduire tout le faste qui convient à Ta stature, pour essayer de nous satisfaire, nous, les pauvres de la périphérie. Parce que Tu le sais, nous serons aussi pauvres et avec aussi peu de moyens, mais nous tenons encore à la royauté du Christ, avec tout l'éclat que cela implique.

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