Je suis un cardinal sans charge spécifique...

Une nouvelle interview "tous azimuts" du cardinal Müller, par un journal néerlandais: confusion dans l'Eglise, elle n'est pas là pour parler d'environnement - Ceux qui falsifient la doctrine - Vigano n'aurait pas dû demander au pape de démissionner, mais il pose de bonnes questions - célibat sacerdotal en péril... (30/11/2018)

Aldo Maria Valli a traduit une grande partie de l'interview en italien (original en néerlandais ici: www.trouw.nl)

 

Müller parle: "Oui, dans l'Eglise, il y a une grande confusion"


Aldo Maria Valli
28 novembre 2018
www.aldomariavalli.it
Ma traduction

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«Maintenant, je suis simplement un cardinal sans charge spécifique. Un fait plutôt inhabituel, étant donné que les évêques restent normalement en fonction jusqu'à l'âge de soixante-quinze ans. A l'évidence, le pape a à sa disposition de meilleurs conseillers que moi. En tant que prêtre, évêque et cardinal, je peux continuer à servir l'Église, comme enseignant et en écrivant des livres».

Avec une bonne dose d'understatement [= euphémisme - en anglais dans le texte], c'est en ces termes que le cardinal allemand Gerhard Müller, soixante et onze ans le 31 décembre prochain, répond dans une interview accordée au journal néerlandais Trouw.

Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de juillet 2012 à juillet 2017, où il fut destitué par le Pape François, Müller s'exprime en roue libre sur de nombreux sujets concernant la situation de l'Eglise mais aussi sa condition personnelle.

«Mon sens de l'estime de soi et mon identité ne dépendent pas d'une fonction occupée dans l'Église. D'un point de vue théologique, j'ai obtenu quelques résultats. 120 étudiants ont obtenu leur diplôme avec moi et j'ai écrit des livres. Je ne pense pas que tout cela soit insignifiant.»

Lors d'une conférence de l'Association catholique néerlandaise CRK (Contact Rooms-Katholieken) à Den Bosh, Müller a en outre déclaré : «L'Eglise catholique ne doit pas commettre l'erreur de donner des réponses séculières à une société sécularisée. L'Église n'est pas importante seulement pour ses réponses aux problèmes sociaux et environnementaux. Ce sont des choses secondaires. La première tâche de l'Église est d'amener les gens à Dieu. Quiconque est avec Dieu peut contribuer à la construction de la société précisément sur la base de la foi. Nous ne pouvons pas remplacer l'Église de Jésus-Christ et les sacrements par une organisation sociale.

«L'Eglise - a ensuite dit Müller - doit être un signe visible d'une réalité supérieure et témoigner que l'homme est appelé à voir Dieu au milieu de la communion des saints. Telle est la grande vocation de l'homme».

Selon l'ex-préfet «la foi n'est pas un produit et nous ne sommes pas dans un magasin qui essaie d'appliquer les meilleures méthodes de vente. Les prophètes et les disciples de Jésus ne se sont pas comportés ainsi. Nous devons vivre et agir comme le fit Jésus».

L'annonce du message de l'Evangile doit toujours être à la première place; dans le cas contraire, nous avons un processus d'«autosécularisation» de l'Église, une Église dégradée qui réduit sa mission. «Voilà pourquoi nous devons guider la société de manière critique et ne pas nous plier à tout ce qui est moderne ou nouveau. Nous devons rappeler ce qui est vraiment bon pour les gens, ce qui est moral, pour la félicité humain».

En réponse à une question sur la souffrance et la crise de l'Église et sur la possibilité qu'il s'agisse de symptômes annonciateurs de la fin des temps, le cardinal dit: «Nous ne devons pas penser qu'il est juste pour l'Église de souffrir. Cela ne fait pas de bien à l'Eglise l'Église de souffrir pour les scandales. Ceux-là sont des scandales dont le Christ ne veut pas».

Dans l'entretien avec Trouw, Müller revient sur le sujet de la confusion dans l'Eglise et confirme: «Oui, il y a une grande confusion dans l'Eglise en ce moment. La raison en est que le rapport entre la doctrine de l'Église et le soin pastoral des personnes en situation difficile n'est pas clair. Vous ne pouvez pas accompagner et aider les fidèles quand vous partez d'une base erronée. Un prêtre est comme un médecin qui prend soin des âmes au nom de Jésus Christ. Mais un bon médecin n'offre son aide que lorsqu'il prescrit le bon médicament. On ne réconforte pas un patient en lui disant: «Écoute, tu as un os cassé, alors je vais te mettre un bon pansement». Vous devez utiliser le bon médicament. Cela signifie qu'un prêtre doit expliquer clairement la doctrine, que les gens l'acceptent ou non.

«Ce que nous voyons à présent, c'est que ceux qui veulent "améliorer" la doctrine en la falsifiant ne sont pas disciplinés, tandis que d'autres, qui sont clairement fidèles à la Parole du Christ, sont accusés d'être "rigides" et "pharisiens". Est-ce cela, la voie à suivre pour guider l'Église?»

Beaucoup de gens, dit l'interviewer, espèrent qu'en février, lorsque le Vatican accueillera la rencontre des responsables des Conférences épiscopales du monde entier sur la crise des abus, le célibat obligatoire des prêtres sera remis en question. Y êtes-vous favorable?

Réponse: «En général, on peut dire que dans 99,99% des cas, les abus sont commis par quelqu'un qui est marié ou qui de toute façon peut avoir des rapports sexuels. En outre, le problème existe aussi parmi le clergé des autres églises, où le célibat n'est pas obligatoire. Cela signifie que les abus n'ont rien à voir avec la question du célibat. Il est vrai, en revanche, que l'on essaie d'utiliser cette crise pour parvenir à l'abolition du célibat obligatoire. Mais c'est comme traiter un patient après un diagnostic complètement erroné.

«Nous devons faire tout notre possible - dit en outre le cardinal - pour prévenir les abus. Il est très important de préciser ce qu'est vraiment le sacerdoce. Ces dernières années, nous avons vécu une sécularisation de ce rôle, avec le prêtre devenu de plus en plus un fonctionnaire dans le système ecclésiastique et qui n'est plus le représentant de Jésus-Christ. Mais si vous devenez fonctionnaire, vous pensez pouvoir faire ce que vous voulez dans votre vie privée. Au contraire, un prêtre ne peut être crédible que s'il a une conscience morale et conforme sa vie au Christ».

"L'abus [sexuel] est avant tout un crime, qui doit être poursuivi en tant que tel par les autorités civiles. En outre, il doit y avoir un procès ecclésiastique pour déterminer les conséquences du comportement du responsable sur la charge qu'il occupe. Ce sont deux choses différentes qui doivent aller de pair. Le procès de la part de l'Église ne doit pas équivaloir à une couverture, mais il faut suivre une certaine procédure et la discrétion est requise. Envers les responsables, les victimes et leurs familles".

A propos de l'histoire de l'ex-nonce apostolique aux Etats-Unis Carlo Maria Viganò, Müller dit: «A la place de Viganò, je n'aurais jamais demandé la démission du pape. Cependant, Viganò a posé un certain nombre de questions auxquelles il faut répondre. Clouer Viganò au pilori n'aide pas le pape et ne mène pas à une solution adéquate. Il aurait mieux valu que le pape appelle tout le monde pour une confrontation, ainsi les choses auraient pu être clarifiées».

Sommes-nous confrontés à une lutte de pouvoir ou à un choc de points de vue différents sur l'Église ?

«Je pense que la seconde hypothèse la bonne»

En ce qui concerne la situation difficile de l'Église catholique en Hollande, à cause d'une sécularisation rapide et profonde, le cardinal a répondu: «Les Pays-Bas font partie des pays qui ont accueilli le Concile Vatican II comme une sorte de libéralisation ou de sécularisation de l'Église, alors qu'en réalité le Concile avait comme but une nouvelle manière de christianiser la société.» Mais les espoirs ne sont pas perdus: «Il pourrait y avoir une nouvelle floraison. Nous devons prier pour cela et donner un bon témoignage. J'espère et je prie pour qu'un nouveau printemps pour l'Eglise puisse commencer aux Pays-Bas».

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