Muller, le Pape et le précédent d'Antioche

Comment les médias en Italie couvrent la publication du Manifeste du cardinal Müller (Riccardo Cascioli). Mais qu'en est-il en France? (12/2/2019)

A moins que j'aie raté un épisode, en France, dans les médias dits mainstream, la publication du Manifeste du cardinal Müller reçoit une couverture proche de zéro - au moins si j'en juge par les pages d'actualité de Google. Et pourtant, au moment où j'écris ces lignes (11/2), l'information date déjà de près de trois jours, ce qui est énorme, si l'on considère le flux d'informations en temps réel qui nous submerge quotidiennement.
Comment doit-on l'interpréter? Les seules informations sur l'Eglise qui ont droit aux titres seraient-elles celles relatives aux affaires de pédophilie, parce qu'elles montrent l'Eglise sous son pire jour et qu'elles flattent l'instinct de voyeurisme des lecteurs? ou celles en rapport avec le réchauffement climatique et l'écologi(ism)e, qui confortent la doxa mondialiste? Ou bien y a-t-il une gêne (je parle cette fois des médias religieux) à relater un succès objectif des prétendus "ennemis du Pape", les propos du cardinal étant trop évidemment sincères et ses intentions inattaquables? Ou encore, le détachement de l'Eglise est-il tel que les nouvelles religieuses intéressent trop peu de monde pour justifier une rubrique?...
Quoi qu'il en soit, le choix des sujets que les médias décident mettre en avant (ou, comme ici, de boycotter) pose un problème grave: celui de la fiabilité de l'information, au moment où la liberté d'expression est remise en cause via des législations de plus en plus répressives contre les sites non alignés, où les "journalistes" confondent systématiquement (leur) opinion et information, et où les nouvelles non validées par le système mais qui parviennent quand même, grâce à Internet à se frayer un chemin dans la jungle de l'information deviennent immédiatement des fake news.

Les choses sont différentes en Italie - au moins en ce qui concerne le traitement de la religion: là-bas, la papauté est quasiment une affaire "intérieure", qui couvre même plusieurs rubriques: religion, bien sûr, mais aussi politique, société, et même people - un phénomène qui a pris de l'ampleur sous François.
On y parle donc beaucoup du Manifeste, ce qui est plutôt une bonne nouvelle puisqu'elle prouve que l'actualité religieuse est encore susceptible d'intéresser le public. Mais malheureusement, la façon dont on en parle est loin d'être exemplaire.

Riccardo Cascioli a lu pour nous les compte-rendus des vaticanistes moyens («ceux qui bivouaquent dans les principaux journaux laïcs italiens» dit-il ironiquement) mais aussi ceux des principaux médias religieux.

Muller, le Pape et le précédent d'Antioche


Riccardo Cascioli
www.lanuovabq.it
11 février 2019
Ma traduction

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Pour comprendre le Manifeste de la Foi du Cardinal Müller et encore avant, les Dubia, il faut retourner à Antioche quand saint Paul affronte saint Pierre sur un thème vital pour la communauté chrétienne. Bien loin que la lecture "politique" des principaux journaux italiens, y compris celle de la CEI.


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Nous connaissons tous le fameux "incident d'Antioche" (1) dans lequel saint Paul prend clairement position contre saint Pierre à propos des coutumes juives que le vicaire du Christ voulait imposer aux païens. C'est saint Paul lui-même qui le raconte dans la Lettre aux Galates, affirmant «je m'opposai ouvertement à lui parce qu'il avait manifestement tort» (Ga 2, 11). Ce n'était pas rien car, comme le dit encore saint Paul, «la vérité de l'Évangile» était en jeu. Saint Paul n'a pas non plus eu la main légère à son égard, puisqu'il reproche même à Pierre d'être hypocrite.

Pensons à la façon dont le vaticaniste moyen d'aujourd'hui - de ceux qui bivouaquent dans les principaux journaux laïcs italiens - aurait pu rendre compte de cet incident: «Paul attaque Pierre» serait certainement le titre, et en avant pour les commentaires négatifs contre Paul qui ose remettre en cause l'autorité du Pape. Ensuite, davantage d'informations sur la conspiration contre Pierre dont Paul ferait partie avec les riches capitalistes d'Antioche, méfiants envers un «pêcheur qui sent l'odeur de poisson». Et une grande place pour Jacques, cible des flèches de Paul, autre façon de délégitimer Pierre dont Jacques est un proche collaborateur. Pour l'opinion publique, Paul aurait donc été désigné comme un ennemi du Pape, un apôtre qui, avec son hostilité, aurait travaillé pour la démission de Pierre, aspirant peut-être à prendre sa place.

Heureusement, à l'époque, il n'y avait ni La Repubblica ni Vatican Insider, ni même La Civiltà Cattolica. C'est ainsi que nous avons appris que parmi les disciples de Jésus, il peut aussi y avoir de dures confrontations, mais avec la vérité à cœur et non avec ses propres positions idéologiques. On peut même réclamer des comptes au Pape sur certaines de ses décisions sans remettre en cause sa légitimité et sa position.

On comprend donc l'agacement et la douleur des cardinaux qui se soucient de l'unité de l'Église, comme Gerhard Müller et, avant lui, les cardinaux des Dubia - Caffarra, Meisner, Burke et Brandmüller - quand on les dépeint comme ennemis du Pape rien que pour avoir demandé des éclaircissements ou rappelé la doctrine catholique. C'est-à-dire beaucoup moins que ce que saint Paul a fait. A cet égard, il est toutefois intéressant de noter comment Vatican Insider, dans le titre sur le Manifeste de la Foi du Cardinal Müller, affirme qu'il corrige «la doctrine du Pape», approuvant l'idée - certes non-catholique - que c'est le Pape qui fait la doctrine. Parfois, les titres trahissent l'arrière-pensée de ceux qui contrôlent les médias.

Heureusement, à l'époque des apôtres, il n'y avait pas non plus Avvenire sinon, afin de ne pas mettre l'esprit des chrétiens en émoi, la nouvelle aurait été que «entre saint Paul et saint Pierre, l'identité des vues est confirmée». Il suffit de voir les deux articles consacrés au Manifeste de la Foi du Cardinal Müller: dans le premier, un vaticaniste conclut que le Pape n'a rien à voir avec tout cela parce qu'il n'est même pas mentionné; dans le second, un professeur de théologie fondamentale nous explique que ce que Müller écrit est exactement ce que le Pape François a toujours soutenu. Et à ce point, le lecteur aurait toutes les raisons de se demander pourquoi le cardinal Müller avait besoin d'écrire le Manifeste de la Foi, une question à laquelle Avvenire ne répond évidemment pas.

Il est clair que le problème de la «confusion croissante dans l'enseignement de la foi» qui sert de prologue au document de Müller ne doit pas être attribué simplement au Pape François: c'est un processus qui vient de loin et qui, dans ce pontificat, donne ses fruits, aussi mûrs qu'empoisonnés, mais soutenir que le Cardinal Müller affronte cette question de la même façon que le Pape signifie prendre les lecteurs par des idiots. Comme «Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi 2012-2017» (il est intéressant qu'il signe de cette manière et non pas comme ex-préfet ou préfet émérite), il exprime avec clarté et détermination la pensée de l'Église sur les questions les plus controversées aujourd'hui, là où le Pape François a toujours refusé de répondre à ceux qui demandaient cette clarté (voir les Dubia).

C'est pourquoi l'appel final s'adresse avant tout aux évêques et aux prêtres pour qu'ils se manifestent ouvertement (2) et confirment explicitement la fidélité à la doctrine de l'Église (pas celle de tel ou tel Pape): ce n'est pas un appel à la rébellion mais pour que l'Église reste unie autour de la vérité révélée par Jésus. Et c'est la meilleure aide que l'on puisse donner au Pape en ce moment.

NDT


(1) Benoît y consacrait une partie de sa catéchèse du 1er octobre 2008.
Voir aussi Roberto de Mattei: benoit-et-moi.fr/2017

(2) Dans son précédent article à propos du Manifeste, Roberto Cascioli écrivait:
"Compte tenu des précédents, il est très probable que, dans ce cas aussi, le pape François ne réagira pas, mais il sera beaucoup plus important de voir si et combien d'évêques auront à coeur d'abattre ce mur du silence et prendront au sérieux l'exemple du cardinal Müller".

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