Quand Ouellet marque contre son camp

Loin de dédouaner la responsabilité du Pape, dans sa réponse à Mgr Vigano le Préfet de la Congrégation des Évêques se débat maladroitement et surtout admet implicitement que les sanctions prises par Benoît XVI contre McCarrick existent bel et bien. Commentaire de Marco Tosatti (8/10/2018)

>>> Documents reliés

¤ Le premier "mémorendum Vigano (laportelatine.org)
¤ La seconde lettre de Mgr Vigano (www.diakonos.be)
¤ La lettre ouverte du cardinal Ouellet (www.vaticannews.va/fr)

>>> Et aussi: Mgr Vigano revient à la charge

Luigi Accattroli avait révélé récemment lors d'un de ses débats récurrents avec Giuseppe Rusconi (cf. Intrigues de vaticanistes ) que la réponse du Saint-Siège à Vigano allait être publiée incessamment.
Il semble bien que l'indiscrétion était une information fiable. Coup sur coup, nous avons un communiqué du Saint-Siège (sur lequel nous reviendrons), et une lettre du cardinal Ouellet.
Dans cette lettre, le cardinal répond à Mgr Vigano qui le mettait en cause directement dans son second rapport. Et le moins qu'on puisse dire est que son plaidoyer est maladroit, puisqu'il admet très explicitement que des "sanctions" existaient bel et bien.

« Les instructions écrites de la Congrégation qui t’ont été données au début de ta mission à Washington en novembre 2011, ne disaient rien de McCarrick, si ce n’est qu'oralement, je t’ai informé de sa situation comme évêque émérite devant obéir à certaines conditions et restrictions à cause des rumeurs sur son comportement dans le passé. L’ex-cardinal, retraité en mai 2006, était exhorté à ne pas voyager et à ne pas faire d’apparitions publiques afin de ne pas provoquer d’autres rumeurs qui circulaient à son sujet».


Tout aussi peu convaincant, le ton larmoyant, qui appuie sur la corde sensible (mais ne répond pas aux questions) et verse dans l'hagiographie, rendant le plaidoyer suspect ou à tout le moins inefficace:

J’ai le privilège de rencontrer longuement le pape François chaque semaine pour traiter les nominations d’évêques et les problèmes qui affectent leur gouvernement. Je sais très bien comment il traite les personnes et les problèmes, avec beaucoup de charité, de miséricorde, d’attention et de sérieux, comme tu en as fait toi-même l’expérience. De lire comment tu termines ton dernier message apparemment très spirituel en te moquant et en jetant un doute sur sa foi m’a semblé vraiment trop sarcastique, voire blasphématoire. Cela ne peut pas venir de l’Esprit de Dieu.
Cher confrère, je voudrais bien t’aider à retrouver la communion avec celui qui est le garant visible de la communion de l’Église catholique; je comprends que des peines et des déceptions aient jalonné ta route au service du Saint Siège, mais tu ne peux pas terminer ainsi ta vie sacerdotale dans une rébellion ouverte et scandaleuse qui inflige une blessure très douloureuse à l’Épouse du Christ, que tu prétends mieux servir, en aggravant la division et le désarroi dans le peuple de Dieu. Que puis-je répondre à ton appel sinon te dire: sors de ta clandestinité, repens-toi de ta révolte et reviens à de meilleurs sentiments à l’égard du Saint Père au lieu de fomenter l’hostilité contre lui. Comment peux-tu célébrer l’Eucharistie et prononcer son nom au canon de la messe? Comment peux-tu prier le saint Rosaire, Saint Michel Archange et la Mère de Dieu en condamnant celui qu’elle protège et accompagne tous les jours dans son lourd et courageux ministère ?


Je laisse la parole à Marco Tosatti, l'un des journalistes les plus directement impliqués comme récipiendaire des deux "rapports Vigano". Il décrypte les propos du cardinal, démontant point par point ses arguments.
Malgré cela, je n'exclus évidemment pas que les habituels bergogliens, qui persistent dans leur autisme, vont exulter: "Le cardinal Ouellet dément Vigano"; "le cardinal Ouellet: Vigano a menti"; "Ouellet: Il n'y avait pas de sanction". Etc.

A noter: AM Valli, lui aussi intermédiaire choisi par Mgr Vigano pour la publication de ses deux "mémo" commente également la lettre de Ouellet (cf. www.aldomariavalli.it).
Et il apporte cette précision:
« Même le Wall Street Journal, au sujet de la lettre du cardinal, écrit: le Vatican dénonce l'accusation contre le Pape mais confirme le point clé (www.wsj.com) et le point clé est que les sanctions contre McCarrick existaient, mais l''oncle Ted' ne les a pas respectées».

Evidemment, le WSJ, propriété de Rupert Murdoch est l'un des pires suppôts de l'ultra-libéralisme économique américain, en collusion avec l'ultra-droite et la frange ultra-conservatrice de l'épiscopat. Complot?
[Malheureusement, l'article du WSJ est en accès payant...]

Ouellet contre Vigano. Mais il confirme les sanctions contre McCarrick


Marco Tosatti
8 octobre 2010
www.lanuovabq.it
Ma traduction

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Le Préfet de la Congrégation des Évêques Ouellet, a écrit à l'archevêque Viganò, qui l'avait mis directement en cause. Le cardinal lui reproche sa position à l'égard du Souverain Pontife, mais confirme que des mesures de vie retirée avaient été prises à l'encontre de McCarrick, compte tenu de son comportement prédateur. Néanmoins, à partir de 2013, il a recommencé à voyager y compris au nom du nouveau Pape.


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Le Préfet de la Congrégation des Évêques, le cardinal Marc Ouellet, a écrit hier une lettre ouverte à l'archevêque Carlo Maria Viganò, qui l'avait directement mis en cause avec son second message. La lettre a été publiée sur le site web de VaticanNews.

Le cardinal y reproche à l'archevêque sa position à l'égard du Pontife, à qui il n'épargne pas des éloges à n'en plus finir. La partie la plus intéressante du message est certainement celle qui touche certains points centraux du témoignage de Mgr Viganò; en particulier l'audience du 23 juin 2013, où l'ex-nonce aurait dit clairement qui était McCarrick et ce qu'il avait fait, et comment Benoît XVI l'avait puni; et précisément les "sanctions" contre l'archevêque prédateur homosexuel.

Le point central du témoignage de Mgr Viganò concerne la conversation du 23 juin 2013 avec le Pape. Ouellet écrit:

«Venons-en aux faits. Tu dis avoir informé le Pape François le 23 juin 2013 sur le cas McCarrick lors de l’audience qu’il t’a concédée, de même qu’à tant d’autres représentants pontificaux qu’il a rencontrés alors pour la première fois. J’imagine la quantité énorme d’informations verbales ou écrites qu’il a dû alors recueillir sur beaucoup de personnes et de situations. Je doute fort que McCarrick l’intéressait au point où tu voudrais le faire croire, puisqu’il était un Archevêque émérite de 82 ans et sans office depuis sept ans.»


Cette objection aurait un sens si Mgr Viganò avait abordé le thème McCarrick de sa propre initiative. Mais il ne l'a pas fait. C'est le Pape qui lui a demandé: «McCarrick, comment est-il?». A quoi le nonce lui répondit en lui disant des choses d'une gravité et d'un poids tels qu'elles auraient difficilement pu passer inaperçues ou être oubliées. Et ce cardinal américain l'intéressait suffisamment pour s'enquérir de lui et l'envoyer en Chine et ailleurs en son nom, changeant ainsi la situation d'interdiction de voyage et de présence publique demandée par son prédécesseur. Par conséquent, cette tentative de minimiser l'importance de la rencontre du 23 juin, aussi louable soit-elle pour décharger le Souverain Pontife de ses responsabilités, ne fonctionne pas vraiment; au contraire, elle permet de penser que le récit de l'audience rendu public par Viganò est correct.

Y a-t-il eu oui ou non des sanctions contre McCarrick à l'époque de Benoît (vers 2009-2010)? Ouellet écrit:

« Les instructions écrites de la Congrégation qui t’ont été données au début de ta mission à Washington en novembre 2011, ne disaient rien de McCarrick, si ce n’est que, oralement, je t’ai informé de sa situation comme évêque émérite devant obéir à certaines conditions et restrictions à cause des rumeurs sur son comportement dans le passé. L’ex-cardinal, retraité en mai 2006, était exhorté à ne pas voyager et à ne pas faire d’apparitions publiques afin de ne pas provoquer d’autres rumeurs qui circulaient à son sujet. Il est faux [!!! ]de présenter les mesures prises à son égard comme des "sanctions" décrétées par le Pape Benoît XVI et annulées par le Pape François»

Cela s'appelle jouer sur les mots. Il y a donc bel et bien eu contre McCarrick des sanctions, ou restrictions, ou conditions, appelez-les comme vous voulez, non pas écrites, mais verbales. C'est une confirmation importante, qui déblaie le terrain autour d'une question sur laquelle on bataille sans fin, surtout dans la presse proche du Pontife. Pas de voyages; mais la première chose que McCarrick a dite à Viganò en le rencontrant après l'élection de mars 2013, c'est qu'il avait parlé avec le Pape et qu'il lui avait dit d'aller en Chine. Donc le pape François a modifié les "conditions" fixées par Benoît XVI pour McCarrick, c'est-à-dire de ne pas voyager et de ne pas paraître en public. Qu'est-ce qui est le plus plus faux, présenter ces "exhortations" comme des sanctions ou essayer de faire croire que François n'a pas eu envers McCarrick une attitude différente de celle de Benoît XVI?

Ouellet écrit encore qu'il y a eu «lettres de mon prédécesseur et de moi-même l’exhortant, par l’intermédiaire des Nonces Apostoliques Pietro Sambi et toi-même, à un style de vie discret de prière et pénitence pour son propre bien et celui de l’Église». Par conséquent, même en l'absence d'ordres écrits sous forme de sanctions, McCarrick était exhorté à agir comme s'il y avait de véritables sanctions; la vie qu'il mène aujourd'hui, sur ordre du Vatican, est une vie de prière et de pénitence. Et cela a dû être vrai jusqu'à ce que Jorge Mario Bergoglio devienne pape: depuis lors - c'est la chronique de ces années, pas le cardinal Ouellet, qui nous le dit - exhortations, conditionnements et sanctions ont disparu. Le préfet des évêques confirme également dans ce cas le témoignage de Viganò.

Ouellet écrit encore:

Son cas aurait fait l’objet de nouvelles mesures disciplinaires si la Nonciature à Washington ou une quelconque autre source nous avait fourni des informations récentes et décisives sur son comportement. Je suis d’avis que, par respect des victimes et exigence de justice, la recherche en cours aux États-Unis et à la Curie romaine fournisse une analyse critique complète des procédures et des circonstances de ce cas douloureux afin d’éviter que cela se reproduise dans l’avenir.


Très juste. Mais cette exhortation-argument ne tient pas compte d'une série de facteurs qui le rendent très faible, et rendent faible la position de l'ensemble de la Curie romaine dans cette affaire.

Lisez cette partie du premier témoignage de Mgr Viganò:

Le nonce Sambi transmit au cardinal secrétaire d’État Tarcisio Bertone un mémorandum d’accusation contre McCarrick par le prêtre Gregory Littleton du diocèse de Charlotte, réduit à l'état laïc pour viol de mineurs, accompagné de deux documents du même Littleton, dans lequel celui-ci racontait l’histoire tragique des abus sexuels commis à l’époque par l’archevêque de Newark et par plusieurs autres prêtres et séminaristes. Le nonce a ajouté que Littleton avait déjà transmis son mémorandum à une vingtaine de personnes, y compris les autorités judiciaires civiles et ecclésiastiques, la police et les avocats, en juin 2006, et qu’il était donc très probable que l’information serait bientôt rendue publique. Il a donc appelé à une intervention rapide du Saint-Siège.
En rédigeant une note sur ces documents qui m’ont été confiés, en tant que délégué aux représentations pontificales, le 6 décembre 2006, j’ai écrit à mes supérieurs, le cardinal Tarcisio Bertone et le Substitut Leonardo Sandri, que les faits attribués à McCarrick par Littleton étaient d’une telle gravité et d’une telle bassesse qu’ils provoquaient chez le lecteur un sentiment de confusion, de dégoût, de chagrin profond et d’amertume, et qu’ils constituent des crimes de séduction, invitation à des actes dépravés commis par des séminaristes et de prêtres, de façon répétée et simultanée avec plusieurs personnes, moquerie d’un jeune séminariste qui tentait de résister aux séductions de l’archevêque en présence de deux autres prêtres, absolution des complices de ces actes dépravés, célébration sacrilège de l’Eucharistie avec les mêmes prêtres après avoir commis de tels actes.
Dans ma note, que j’ai remise le même jour du 6 décembre 2006 à mon supérieur direct, le Substitut Leonardo Sandri, j’ai proposé à mes supérieurs les points suivants :

- Etant donné ce qui semblait qu’un nouveau scandale d’une gravité particulière, dans la mesure où il concernait un cardinal, allait s’ajouter aux nombreux scandales touchant l’Église aux États-Unis,
- Et, puisque cette affaire concernait un cardinal (...) j’ai proposé qu’une mesure exemplaire soit prise contre le cardinal qui pourrait avoir une fonction médicinale, prévenir de futurs abus contre des victimes innocentes et atténuer le scandale très grave pour les fidèles, qui malgré tout continuaient à aimer et à croire en l’Église.
- J’ai ajouté qu’il serait salutaire que, pour une fois, l’autorité ecclésiastique intervienne avant les autorités civiles et, si possible, avant que le scandale n’éclate dans la presse. Cela aurait pu rendre une certaine dignité à une Église si cruellement éprouvée et humiliée par tant d’actes abominables de la part de certains pasteurs. Si cela était fait, l’autorité civile n’aurait plus à juger un cardinal, mais un pasteur avec lequel l’Église avait déjà pris des mesures appropriées pour l’empêcher d’abuser de son autorité et de continuer à détruire des victimes innocentes.

Ma note du 6 décembre 2006 a été conservée par mes supérieurs et ne m’a jamais été retournée avec quelque décision que ce soit de la part des supérieurs.


Et ce n'était pas suffisant, selon le cardinal Ouellet?

Ce n'est pas tout. En avril 2008, fut publiée sur Internet la longue dénonciation d'un religieux, Richard Sipe, sur son site <richardsipe.com>, sous le titre "Statement for Pope Benedict XVI about the pattern of sexual abuse crisis in the United States". « Le 24 avril, ce texte a été transmis par le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal William Levada, au cardinal secrétaire d’État Tarcisio Bertone. Il m’a été transmis un mois plus tard, le 24 mai 2008», écrit Viganò.
Sipe, écrit le National Catholic Register, «rapportait qu'un certain nombre de séminaristes au Séminaire Pontifical de Sainte-Marie à Baltimore lui avaient fait part de leurs inquiétudes au sujet du comportement de l'évêque de Metuchen Theodore McCarrick». Sipe connaissait le nom d'au moins quatre prêtres qui avaient eu des rapports sexuels avec McCarrick. Il disait également disposer de lettres dans lesquelles étaient enregistrées des témoignages de première main et des témoins oculaires qui rapportaient que McCarrck, alors archevêque de Newark, avait eu des relations sexuelles avec un prêtre et qu'à d'autres moments, un autre prêtre avait fait l'objet de ses avances sexuelles. Et déjà en 2006, le Substitut de l'époque, Mgr Sandri, demandait des informations à un ex-recteur de séminaire, Mgr Ramsey. En 2000, Ramsey avait écrit une lettre au nonce de l'époque Gabriel Montalvo, qui l'avait transmise à Rome, dénonçant le fait que McCarrick avait couché avec des séminaristes. Aujourd'hui, le cardinal Ouellet qualifie cette masse d'éléments de "voix" et "rumeurs", dans une tentative d'alléger certaines responsabilités, à la fois anciennes et très récentes. Et à la Congrégation qu'Ouellet dirige, il y a certainement beaucoup plus à propos de McCarrick. Mais Ouellet n'en parle pas.

En conclusion. Le Cardinal Ouellet a été reçu en audience par le Pape immédiatement après sa mise en cause par Viganò. Il est raisonnable de penser qu'il a également été question de cela dans la conversation [ndt: ou plutôt, il a été reçu dans le seul but de mettre au point une réponse]. D'après ce que nous pouvons comprendre de la lettre ouverte d'Ouellet, outre son indignation à l'encontre de l'ex-nonce apostolique et l'éloge inconditionnel de son supérieur, l'audience du 23 juin a bien eu lieu, et il a été question de McCarrick; McCarrick avait fait l'objet de la part de Benoît XVI de mesures restrictives dans les voyages et dans la présence publique; cette situation a changé radicalement malgré l'avertissement du Viganò à l'élection du pape François. Ouellet minimise comme "rumeurs" et "voix", les dénonciations ponctuelles que le Saint-Siège avait depuis 2000 sur McCarrick. Et ce n'est qu'avec Benoît qu'il y a eu une réaction à ces dénonciations, mais elles ont été annulées à partir de 2013. Il ne nous semble pas que dans les faits les déclarations du cardinal Ouellet démente grand chose. Bien eu contraire.

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