Quelle éducation?

Les élections en Italie ont vu la gauche socialiste balayée, et le bon score de la Ligue du Nord. Il faut éduquer le peuple, dit l'Eglise. Deux conceptions s'affrontent, celle de Mgr Negri et celle du secrétaire d'Etat Parolin (7/3/2018)

Tandis que le second veut éduquer à un accueil toujours plus "généreux" des migrants, le premier déplore l'absence des catholiques dans le débat politique et insiste sur la nécessité de former un vrai peuple catholique, en éduquant aux "grandes valeurs de la vie".

 

Marco Tosatti donne la parole à "Super Ex", qui commente les résultats des élections italiennes:

La défaite du parti préféré [du Pape, et de la CEI], si elle a ôté la parole à beaucoup, n'a pas réduit tout le monde au silence. Le cardinal Pietro Parolin, par exemple, s'est immédiatement senti obligé d'intervenir: la longue carrière de diplomate, obscurcie par la gestion du dossier des Chevaliers de Malte et les vicissitudes chinoises, l'a conduit à dire son mot immédiatement après les élections, avec une réactivité remarquable.


Marco Tosatti cite alors le commentaire (dépité!) du Secrétaire d'Etat à SIR - l'agence des évêques italiens -, tel qu'il est rapporté par Franca Giansoldati sur Il Messagero, sous le titre éloquent qui titre «LE CARDINAL PAROLIN À LA LIGUE: NOUS INSISTERONS POUR PRÊCHER EN FAVEUR DES MIGRANTS»:

«Le Saint-Siège sait qu'il doit travailler dans les conditions qui se présentent. Nous ne pouvons pas avoir la société que nous aimerions, nous ne pouvons pas avoir les conditions que nous aimerions avoir. Je pense donc que, même dans cette situation, le Saint-Siège poursuivra son travail d'éducation, qui prend beaucoup de temps ... Il est important de réussir à éduquer la population pour passer d'une attitude négative à une attitude plus positive envers les migrants. C'est un travail qui continue, même si les conditions peuvent être plus ou moins favorables. De la part du Saint-Siège, il y aura toujours cette volonté de proposer son message basé sur la dignité des personnes et la solidarité»

Aux organisations catholiques travaillant en première ligne dans l'accueil et l'intégration des migrants, Parolin conseille de continuer à «travailler dur pour créer une vision positive des migrations. Parce qu'il y a tellement d'aspects positifs dans les migrations, qui ne sont pas perçus dans toute cette complexité».

«Je leur conseille de continuer leur travail sur le terrain car c'est cela qui le distingue et le caractérise, mais en même temps de ne pas avoir peur d'aider la population à avoir cette nouvelle approche».


Commentaire malicieux de "Super-Ex": Si les évêques étaient élus par le peuple chrétien, comme ce fut le cas dans le passé, Parolin et ses amis auraient connu le même sort que la gauche italienne....

A l'évidence, leur conception de "l'éducation du peuple" n'est pas celle que défend inlassablement Mgr Negri, qui ne perd pas une occasion de rappeler le Magistère de Benoît XVI (alors qu'il évite prudemment de nommer François) et la visite "inoubliable" que le saint-Père fit dans son diocèse de San Marino en juin 2011 (cf. benoit-et-moi.fr/2011-II).

Voici ce qu'il écrivait sur La Bussola, hier. Ses propos s'appliquent directement à l'Italie mais valent également pour nous Français:

Si l'Eglise n'éduque pas, elle abandonne le peuple à lui-même


Mgr Luigi Negri
www.lanuovabq.it
7 mars 2018
Ma traduction

* * *

Je n'ai certainement ni la compétence ni la présomption d'ajouter ma propre interprétation au processus électoral qui vient de s'achever. Je préfère plutôt faire une série d'observations à un niveau plus fondamental de la vie politique qui rappelle inévitablement une conception de l'existence ou - comme le disait saint Jean Paul II - de la culture.

Pour moi, gagnants et perdants sont unis par une absence totale de culture, c'est-à-dire d'une conception de l'existence et donc d'une conception des relations sociales. Au fond, la conception de la politique est la même, tant chez ceux qui ont perdu le pouvoir que chez ceux qui les remplacent. C'est une conception fondamentalement matérialiste et consumériste.
...

Et ici, il faut parler de la grande absente de cette compétition politique, qui est aussi la grande absente de la vie de la société italienne. Autrement dit une authentique présence chrétienne. Une présence chrétienne qui est restée en marge de la vie sociale même lorsque des crimes ont été commis contre la conscience du peuple, contre la conscience de la personne. Par exemple, je parle de tout ces lois contre la famille, qui en quelques mois ont en substance vidé la famille de son identité et de sa mission. La famille a été attaquée dans son identité substantielle, dans son identité originelle d'être un lieu de présence gratuite et de responsabilité envers l'histoire et l'humanité.

Et tout cela s'est passé sans que les catholiques aient opposé un minimum de résistance, ou plutôt il y a eu la vaine résistance d'un très petit nombre; il n' y a guère eu plus qu'une intervention très faible pour cette question ignoble du testament biologique [ndt: nom politiquement correct de la loi sur la fin de vie adoptée par l'Italie en décembre dernier], qui ouvre de fait au processus d'euthanasie en Italie.

Il apparaît que cette réalité catholique italienne - qui, bien qu'elle ait joué un rôle important dans la tradition politique, sociale et démocratique de notre pays, en plus d'avoir d'abord eu une capacité substantielle de résistance au régime - semble destinée à la non-incidence. Et, soit dit en passant, il vaut la peine de rappeler que la non-incidence est un aspect de la non-existence.

Je crois au contraire qu'une épreuve extrêmement grave comme celle que l'Église italienne a traversé est comme une dernière occasion de récupérer le sens profond de sa propre identité et de sa mission, surtout de cette mission d'éduquer les gens aux valeurs fondamentales de la vie personnelle et sociale, qui ont, au cours des siècles, marqué la responsabilité directe et inaliénable de l'Église.

Si l'Église n'éduque pas, le peuple est abandonné à lui-même. Évidemment pas parce que l'Église est la seule institution éducative, mais parce que l'Église, dans la mesure où elle est fidèle à sa propre identité, introduit dans l'ensemble de la société de grandes valeurs comme fondement de la vie, de grandes valeurs dans ce qui est expression de la vie, qu'il ne faut pas banaliser dans le contexte de ses petits intérêts matériels, personnels ou parentaux. Elle soutient la grande tâche d'intervenir activement dans la vie de la société et dans l'histoire. Si l'Église n'éduque pas, elle n'éduque pas la partie la plus vivante du peuple et appauvrit donc tout le peuple d'une présence active.

Peut-être que ce qui nous attend dans les années à venir, si nous voulons, en tant que chrétiens, sortir de cette torpeur qui s'est emparée de nous, c'est de demander humblement au Seigneur de nous aider à vivre notre mission éducative, c'est-à-dire de contribuer à la création d'un «peuple de laïcs, vivants, actifs et entreprenants», comme l'a souhaité aux laïcs de mon premier diocèse de San Marino-Montefeltro, le Pape Benoît XVI, prenant congé après une journée inoubliable.

Nous ne pouvons pas essayer de combattre la domination quasi absolue de la mentalité séculariste, de la pensée unique dominante, laïque, consumériste et instinctive, avec des forces idéologiques; à cette marée montante de la banalité, à cette marée montante de la mesquinerie, nous pouvons opposer une vie nouvelle, celle que le Christ nous donne dans le baptême et dans l'appartenance à l'Église, celle qui rend notre vie quotidienne si belle.

Mais surtout, elle nous pousse à dépasser les limites de notre vie, de notre histoire, à annoncer à chaque homme qui vit à nos côtés que le Christ est vraiment ressuscité, qu'il habite parmi nous; et dans la mesure où nous Lui ouvrons nos vies, Il change notre vie pour qu'à travers notre vie changée, Il puisse changer le monde. Tel est le défi qui vient de cette très amère défaite des catholiques: récupérer sa propre identité de la mission, pour annoncer le Christ, pour qu'à partir de cette annonce l'homme soit toujours un homme sauvé.

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