Une leçon de journalisme
C'est celle que nous donnent Valentina Alazraki, l'auteur de la récente interview de François à la télévision mexicaine, et Marco Tosatti qui éviscère littéralement ses (pauvres) réponses aux questions pugnaces de la journaliste mexicaine. A ne pas manquer! (30/5/2019)
Valentina Alazraki peut à l'évidence se vanter (si j'en crois les photos trouvées sur internet) d'une certaine familiarité avec le Pape, dont elle suit tous les voyages depuis le début du pontificat, et qu'elle a déjà interviewé: c'est de cette familiarié (non dénuée, apparemment, de sympathie) qu'elle se prévaut pour poser des questions-choc, parfois à la limite de l'impertinence, et il faut reconnaître qu'elle fait bien son job de journaliste: elle ne lâche rien, elle ne démontre aucune complaisance envers lui, et on sent bien qu'il ne la convainc pas.
Le malheureux répondit (1). Pourquoi le Pape Bergoglio aurait mieux fait (pour lui) de garder le silence sur MacCarrick
Marco Tosatti
Stilum Curiae
30 mai 2019
Ma traduction
* * *
Jamais les célèbres mots d'Alessandro Manzoni (1) - mais cette fois au masculin - n'ont résonné plus justes. Le malheureux répondit. Nous faisons référence à l'interview que la talentueuse Valentina Alazraki (2) a réalisée avec le pape Bergoglio pour essayer d'obtenir des réponses à certains - pas tous, bien sûr - des points obscurs d'une gestion embarrassante.
Nous vous proposons la partie de l'interview relative au témoignage de Mgr Viganò, et nous vous demandons de nous accompagner dans un examen précis, point par point. Nous allons faire quelques considérations qui, nous l'espérons, attireront votre attention. Les questions de Valentina sont en caractères gras, et les considérations de Stilum Curiae sont en bleu.
- La question de McCarrick m'amène à une autre question que je voulais affronter avec vous. Vous m'avez conseillé lors d'un de vos derniers voyages de lire «Lettere della tribolazione» (3): je les ai lues, j'ai fait mes devoirs. J'ai très souvent rencontré le mot silence et l'explication du fait que parfois le silence est nécessaire. Selon vous, c'est comme un moment de grâce. Mais dire à un journaliste que le silence est nécessaire... Ne riez pas, Pape François, c'est comme ça. Vous vous souvenez quand ils vous ont dit, il y a huit mois (allusion à la conférence de presse dans l'avion de retour d'Irlande, le 26 août 2018 , ndt): il y a une déclaration de l'ex-nonce Carlo Maria Viganò affirmant qu'il vous a lui-même dit lors d'une audience au début de votre pontificat qui était McCarrick, et vous n'avez rien fait, vous avez juste dit: «Je ne répondrai pas, c'est à vous de juger, je répondrai en temps voulu». Ce silence a pesé lourd, parce que pour la presse et pour beaucoup de gens, quand on se tait, c'est comme entre mari et femme, non? Chamaille-toi avec ton mari, et il ne te répond pas, et tu dis: «Là, il y a quelque chose qui ne va pas». Alors pourquoi ce silence? Le temps est venu de répondre à la question que nous vous avons posée dans l'avion, plus de huit mois ont passé, Pape François.
- Oui, ceux qui ont fait le droit romain disent que le silence est une manière de parler. Ce cas de Viganò, je n'avais pas lu toute la lettre, je l'ai vue un peu... et déjà je sais de quoi il s'agit, et j'ai pris une décision: je fais confiance à l'honnêteté des journalistes. Et je vous ai dit : «Regardez, vous avez tout ici, étudiez et c'est à vous de tirer les conclusions» . Et vous l'avez fait, parce que vous avez fait le travail, et dans ce cas, c'était fantastique. J'ai fait très attention à ne pas dire des choses qui n'étaient pas là, mais trois ou quatre mois plus tard, un juge de Milan les a dites quand il a été condamné.
Il n'a même pas lu toute la lettre, dit-il. Et il a simplement décidé de ne pas répondre. Faisant confiance aux journalistes. Et il a eu raison. Parce qu'à part quelques collègues courageux, Anna Matranga et Cindy Wooden, il n'y a eu de la part des journalistes aucune tentative de presser le pape Bergoglio sur les questions que chacun s'est posé. Ni pendant ce voyage, ni pendant les suivants. Mais tous, ou presque tous, se sont précipités pour soutenir la character assassination contre Viganò mise en place par l'équipe des journalistes du cercle magique. Tous: des médias catholiques et paracatholiques et financés directement ou indirectement par l'Eglise (y compris ceux qui se félicitent maintenant que le décompte des jours de silence de Stilum Curiae soit terminé...), aux grands journaux et aux agences internationales, aux voix de la gauche et du politiquement correct. Le pape Bergoglio définit à juste titre leur travail comme «fantastique»; et je dois dire que si j'étais l'un d'eux, devant ce «fantastique», j'aurais honte comme un voleur. Comme nous l'a fait remarquer une personne qui a passé des décennies à la Curie, «Mgr Viganò a été "condamné" à rendre de l'argent à son frère, un prêtre, après l'avoir utilisé pour des oeuvres de charité sur la base d'un legs de ses parents, par la suite contesté par son frère. Ce n'est pas un acte criminel, c'est un litige civil et cela n'a rien à voir avec l'affaire McCarrick».
- La question de sa famille, vous voulez dire?
- Bien sûr. J'ai gardé le silence, parce que j'aurais dû jeter de la boue. Que ce soient les journalistes qui le découvrent. Et vous l'avez découvert, vous avez trouvé tout ce monde. C'était un silence basé sur la confiance en vous. Non seulement ça, mais je vous ai aussi dit: «Tenez, étudiez-le, il y a tout». Et le résultat a été bon, meilleur que si j'avais commencé à m'expliquer, à me défendre.
Et la boue, il essaie de la jeter maintenant. Il félicite à nouveau les journalistes, parce qu'ils n'ont pas fait leur travail; et ils ont été contraints, étape par étape, de reconnaître (le rapport Figuereido est l'épisode le plus récent) que Viganò n'avait rien inventé. J'insiste, je crois qu'un examen de conscience de nombreux collègues serait approprié.
- Vous jugez preuves en main. Il y a une autre chose qui m'a toujours frappé: les silences de Jésus. Jésus répondait toujours, même à ses ennemis quand ils le provoquaient, "on peut faire ceci, cela", pour voir s'il tombait dans la provocation. Et lui, dans ce cas, il répondait. Mais quand c'est devenu de l'acharnement le Vendredi Saint, l'acharnement des gens, il s'est tu. Au point que Pilate lui-même a dit: «Pourquoi ne me réponds-tu pas?». Autrement dit, face à un climat d'acharnement, on ne peut pas répondre. Et cette lettre était un acharnement, comme vous-même vous en êtes rendu compte à partir des résultats.
Il continue de rechercher la sympathie et la complicité des journalistes. On ne comprend pas comment un seul document, auquel on refuse de répondre, représente de l'acharnement, lequel suppose des épisodes répétés. Et comparer le refus de donner des réponses sur un fait précis et documenté au silence de Jésus-Christ... si ce n'est pas au moins irrespectueux, voire blasphématoire, je vous laisse juger.
- Certains d'entre vous ont même écrit qu'elle [la lettre] était payée, je ne sais pas, ça ne me semble pas.
Encore une insinuation, et objectivement, du genre qui disqualifie celui qui la propose. De même, la conclusion de la phrase est vraiment cléricale, dans le pire sens du terme. Je cite la calomnie, et ensuite je dis que je n'ai aucune preuve.
- Il y en a qui continuent de penser qu'elle dit vrai et qui continuent de se demander le pourquoi, si oui ou non vous saviez à propos de McCarrick. Dans la presse, il y a bien sûr de tout.
- Je ne savais rien sur McCarrick, évidemment, rien. Je l'ai dit plusieurs fois, je ne savais rien, je n'en avais aucune idée
Cette affirmation frise l'impudeur. «Plusieurs fois?» A qui? Quand? Où? Il n'a jamais rien dit en public, ni même en privé, puis rapporté en public. Une telle affirmation est soit un pur mensonge, soit le résultat d'un déséquilibre.
Et quand il dit qu'il m'a parlé ce jour-là, qu'il est venu... et je ne sais plus s'il m'en a parlé, que ce soit vrai ou non. Je n'en ai aucune idée!
Sur ce point, Mgr Viganò est très clair. Le Pape Bergoglio ment. C'est le Souverain Pontife qui lui a posé des questions sur McCarrick, et il a eu une réponse explosive, très dure et très grave. Devant laquelle il n'a pas remué un cil. Mais prétendre ne pas se souvenir d'une série d'accusations aussi dramatiques, concernant un cardinal, sur lequel vous aviez vous-même demandé des informations, n'est tout simplement pas crédible. Et c'est une offense à l'intelligence de vos interlocuteurs. Toujours confiant, évidemment, dans la sympathie et la complicité des journalistes, ceux qui sont structurels et ceux qui sont soumis et ceux qui ont une famille [à nourrir].
Vous savez que je ne savais rien de McCarrick, sinon je n'aurais pas gardé le silence.
- Comment le savons-nous? Dans d'autres cas - Grassi, Inzoli, Murphy O'Connor, Barros, Maradiaga, Danneels, Zanchetta, pour n'en citer que quelques-uns - le silence et/ou la complicité ont été la règle de comportement. En octobre, vous avez promis que les documents relatifs à l'affaire McCarrick à la Curie seraient rendus publics. Nous sommes presque en juin, et les seuls documents sur l'affaire ont été fournis par Mgr Figuereido. Quelle confiance pouvons-nous avoir?
- La raison de mon silence était tout d'abord que les preuves étaient là, je vous ai dit: «Jugez par vous-même». Ça a vraiment été un acte de confiance. Et puis, pour ce que je vous ai dit de Jésus, que dans les moments d'acharnement, on ne peut pas parler, parce que c'est pire. Tout va à l'encontre. Le Seigneur nous a montré ce chemin et je le suis.
Quelles preuves y avait-il? Depuis août 2018, chaque nouvelle déclaration et révélation n'a apporté que des confirmations au témoignage de Viganò. Jésus est à nouveau convoqué pour se masquer derrière le silence. Mais peut-être que dans ce cas, le Souverain Pontife a raison sur une chose. Qu'on ne peut pas parler, «parce que c'est pire». Cet interview sur McCarrick le prouve: il aurait mieux fait de continuer à se taire, afin de ne pas mettre en lumière le tissu dont son humanité est tissée. Le problème, ce n'est pas le Pape, ou pas seulement le Pape: c'est l'homme, comme l'a bien dit l'un de ses confrères, le Père Joseph Fessio, sj.
On lira ci-dessous l'extrait du témoignage de Mgr Viganò concernant McCarrick et l'audience du 23 juin 2013 (40') avec le Pape Bergoglio.
(traduction La Porte Latine, voir aussi McCarrick: le Pape savait dès le début)
Dans la matinée du jeudi 20 juin 2013, je suis allé à la maison Sainte Marthe pour rejoindre mes collègues qui y séjournaient. Dès que je suis entré dans la salle, j’ai rencontré le cardinal McCarrick, qui portait la soutane rouge. Je l’ai salué avec respect comme je l’avais toujours fait. Il me dit aussitôt, d’un ton situé quelque part entre l’ambiguë et le triomphal: «Le Pape m’a reçu hier, demain je vais en Chine.»
À l’époque, je ne savais rien de sa longue amitié avec le cardinal Bergoglio et du rôle important qu’il avait joué dans sa récente élection, comme le révélerait plus tard McCarrick lui-même lors d’une conférence à l’université Villanova et dans une interview avec le National Catholic Reporter. Je n’avais jamais non plus pensé au fait qu’il avait participé aux réunions préliminaires du dernier conclave et au rôle qu’il avait pu jouer en tant qu’électeur lors du conclave de 2005. Par conséquent, je n’ai pas immédiatement compris la signification du message crypté que McCarrick m’avait communiqué, mais cela deviendrait clair pour moi dans les jours qui devaient suivre.
* * *
J’ai commencé la conversation en demandant au pape ce qu’il avait l’intention de me dire avec les mots qu’il m’avait adressés lorsque je l’ai salué le vendredi précédent. Et le Pape, d’un ton très différent, amical, presque affectueux, m’a dit: « Oui, les évêques aux États-Unis ne doivent pas être idéologisés ; ils ne doivent pas être de droite comme l’archevêque de Philadelphie (il n’a pas donné le nom de l’archevêque); ils doivent être des pasteurs; et ils ne doivent pas être de gauche – et il a ajouté, levant les deux bras – et quand je dis de gauche, je veux dire homosexuel.» Bien sûr, la logique de la corrélation entre être de gauche et être homosexuel m’a échappé, mais je n’ai rien ajouté d’autre.
Immédiatement après, le Pape m’a demandé sur un ton aguichant: «Comment est le cardinal McCarrick?» Je lui ai répondu avec une franchise totale et, si vous voulez, avec une grande naïveté: «Saint Père, je ne sais pas si vous connaissez le cardinal McCarrick, mais si vous demandez à la Congrégation pour les évêques, il existe un dossier épais comme ça sur lui. Il a corrompu des générations de séminaristes et de prêtres et le pape Benoît lui a ordonné de se retirer dans une vie de prière et de pénitence. » Le Pape n’a pas fait le moindre commentaire sur ces paroles très graves et son visage n’a manifesté aucune surprise, comme s’il connaissait déjà l’affaire depuis quelque temps, et il a immédiatement changé de sujet. Mais alors, quel était le but du pape en me posant cette question: « Comment est le cardinal McCarrick? » Il voulait clairement savoir si j’étais un allié de McCarrick ou non.
NDT
[1] La sventurata rispose , allusion à une phrase du livre "I Promessi sposi" d'Alessandro Manzoni
[2] Valentina Alazraki Crastich est une journaliste mexicaine, correspondante de Noticieros Televisa au Vatican depuis 1974 et de W Radio depuis 2005 .
[3] Ouvrage de 1987, préfacé par le P. Bergoglio, rassemblant huit lettres, écrites entre 1758 et 1831, par le P. Lorenzo Ricci et le P. Jan Roothaan, les deux Préposés généraux qui ont dirigé la Compagnie de Jésus pendant la "grande tribulation" de la suppression de l'Ordre (1773). Le livre a été traduit en italien par la Civiltà Cattolica, et publié sous la direction d'Antonio Spadaro et Diego Fares.
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