Benoît XVI est mon père spirituel

Rod Dreher à coeur ouvert: AM Valli s'est longuement entretenu avec l'auteur américain d'un best-seller "The Benedict Option", qui vient d'être publié en Italie (27/9/2018)

>>> Voir aussi:
¤ Le 11 septembre de l'Eglise
¤ Le dernier discours de septembre de Benoît XVI

 

L'ouvrage a été traduit en français en septembre 2017 sous le titre "Comment être chrétien dans un monde qui ne l'est plus: Le pari bénédictin" (cf. www.amazon.fr, où l'on peut aussi lire la préface à l'édition française de l'auteur)
Voici la présentation de l'éditeur:

Voici un essai décisif, peu consensuel, fruit d'une intuition tenace : les chrétiens vont devoir prendre de fermes résolutions, intérieures et pratiques, pour résister aux fléaux de la modernité. En effet, comment vivre sa foi dans un monde sécularisé devenu de plus en plus hostile à l'Évangile ? Ceux qui minimisent le phénomène participent à son accélération, affirme l'auteur avec lucidité, sans regrets ni résignation. Depuis son poste d'observation, ce père de famille, chrétien fervent et journaliste renommé (The American Conservative), scrute et enquête: quelles sont les racines de la fragmentation de nos sociétés occidentales ? En quoi la sexualité et la technologie déstabilisent l'Église? Pourquoi les sacrifices, la liturgie et la prière constituent les clés d'un réveil?
Rod Dreher perçoit l'urgence, non pas d'une nouvelle croisade, mais de la conversion des âmes, pour le bien de tous ; avec Jacques Maritain il invite à être «l'armée des étoiles jetée dans le ciel».

Rod Dreher à coeur ouvert


Aldo Maria Valli
www.aldomariavalli.it
27 septembre 2018
Ma traduction (extrait)

* * *

(...)
L'option bénédictine est aujourd'hui plus qu'un livre, aussi réussi soit-il: c'est une idée, une proposition adressée aux chrétiens d'aujourd'hui pour vivre la foi dans une civilisation qui n'est plus chrétienne et qui est sur le point de devenir post-humaine.

Dans le contexte actuel, si l'Église, toute occupée à obtenir le consentement du monde, trahit sa mission et ne s'occupe pas du salut des âmes, il faut faire comme saint Benoît, qui a quitté Rome quand il a vu qu'elle était trop corrompue. «Il faut reconnaître les ruines et s'en éloigner», dit Rod Dreher. Cela ne signifie pas quitter l'Église, mais travailler à sa purification. Nous devons vivre, suggère-t-il, dans la prière et le regard tourné vers Dieu. Bien que nous, laïcs, ne soyons pas appelés à être moines, nous devons suivre l'exemple monastique pour vivre une vie plus ordonnée, priante et contre-culturelle».


----

Rod, pourquoi penses-tu que The Benedict Option connaît un tel succès?

Si le livre est aussi populaire, c'est parce qu'il lit les signes des temps et capture l'esprit de notre moment culturel. Les chrétiens qui croient vraiment en notre foi peuvent voir clairement que nous vivons dans une période de grande confusion et d'anxiété. Les réponses standard fournies par l'Église ne semblent pas suffisantes pour faire face à la réalité de notre situation.

Il n'a jamais été facile d'être un vrai chrétien, mais aujourd'hui, les défis sont très grands. Le problème n'est pas seulement que la civilisation occidentale devient moins chrétienne, mais aussi qu'elle devient post-humaine. De beaucoup de façons différentes, nous perdons notre capacité de reconnaître notre propre humanité et d'avoir confiance en la vérité. Il ne s'agit pas d'une crise qui a commencé hier, ni même dans les années soixante, mais qui n'a cessé de s'aggraver depuis des siècles. Nous sommes maintenant à un moment décisif dans l'histoire du monde et dans l'histoire de l'Église.

Bien que j'aie vendu plus d'exemplaires de The Benedict Option aux Etats-Unis qu'en Europe, je trouve que les chrétiens européens - surtout ceux de moins de 40 ans - comprennent mieux mon livre que les Américains en général. Pourquoi en est-il ainsi ? Poor deux raisons, je crois.

Premièrement, les Européens sont plus en avance sur nous en matière de déchristianisation. Il est plus difficile pour les chrétiens américains de comprendre ce qui se passe parce que nous n'en avons pas fait l'expérience comme les Européens. Bien sûr, la même chose nous arrive en ce moment, mais il est plus facile pour les Américains de nier tout cela.

Deuxièmement, les Américains sont par tempérament optimistes et tournés vers l'avenir. Il nous manque un sens tragique. Nous croyons que les choses ne peuvent que s'améliorer et nous préférons ne pas écouter ceux qui disent le contraire. C'est une forme dangereuse d'auto-illusion qui est propre à la culture américaine.

Mais je dois dire qu'il y a aussi un fossé générationnel, en Europe aussi. Il y a un an, The Benedict Option a été publié en France, et j'y ai passé beaucoup de temps à promouvoir le livre. J'ai remarqué que les catholiques de mon âge (j'ai 51 ans) et plus ont plus de difficulté avec la thèse du livre que les jeunes catholiques. Pourquoi ? Je crois que cela a un rapport avec les espoirs du Concile Vatican II. Il est difficile pour les catholiques d'un certain âge de reconnaître que le Concile n'a pas produit le renouveau promis. De plus, il est difficile pour les catholiques de ces générations plus âgées d'accepter que pour vivre fidèlement le christianisme maintenant et dans les années à venir, il faudra accepter une plus grande marginalisation sociale. Ils veulent croire que si seulement nous apportons quelques petits changements dans notre façon de présenter l'Évangile, alors le monde nous fera de la place à table, pour ainsi dire.

Les jeunes catholiques, du moins ceux que j'ai rencontrés, n'ont pas cette illusion. Ils comprennent plus clairement que leurs parents et grands-parents que l'ordre libéral veut nous catéchiser - et que les tentatives de l'Eglise pour se rapprocher de ce régime libéral en se basantsur les même termes que le libéralisme ont pour effet unique une Eglise qui est moins elle-même. (....)


En présentant ton livre il y a quelques jours, Mgr Gänswein a dit que le Pape Benoît XVI se voyait aussi comme un vieux moine priant. Et toi, Rod, comment vois-tu le Pape Benoît ? Que penses-tu de sa démission ?

Je le considère comme un père spirituel. C'est un prophète. Un ami juif qui admire beaucoup Benoît m'a dit être convaicu que le pape Ratzinger était la dernière chance de l'Occident de se sauver - opportunité que l'Occident a refusé. La tragédie de son pontificat est qu'il n'était pas assez fort pour combattre ses ennemis. J'avoue que je l'ai jugé sévèrement lorsqu'il a démissionné, et j'ai été tenté de penser durement à lui, quand le pontificat de François a dégénéré en un désastre pour l'Église catholique.

Mais récemment, j'y ai pensé d'une autre manière. Un ami proche de Benoît m'a dit que le Pape avait démissionné quand il s'est rendu compte que la corruption au sein de la Curie allait bien au-delà de ce qu'il avait le pouvoir de combattre. Se pourrait-il que le Pape Ratzinger ait vu dans Rome - en l'occurrence "Rome" entendu comme symbole du Vatican - les mêmes choses que saint Benoît y vit à son époque? Et si le meilleur moyen de combattre la corruption était de se retirer à Subiaco - dans le cas du Pape Ratzinger, à la contemplation dans les murs du Vatican? Probablement qu'à son époque, saint Benoît semblait fou aux yeux des gens pour ce qu'il faisait. Ils ont dû dire: si tu es un vrai chrétien, pourquoi ne restes-tu pas à Rome à lutter pour nettoyer l'Église ? Nous savons maintenant, cependant, que l'acte de renonciation du saint a porté d'immenses fruits dans les siècles qui ont suivi.

Se pourrait-il que l'acte de renonciation du Pape Benoît XVI soit destiné à produire le même effet? C'est impossible à savoir. Mais nous ne pouvons écarter cette possibilité.

Je pourrais me tromper. Tout ce que je peux te dire, c'est que je l'aime et que je pense que c'est un saint.


Que dit saint Benoît de Nursie à propos de l'Église d'aujourd'hui ?

Saint Benoît a quitté Rome quand il a découvert qu'elle était trop corrompue. Il craignait que s'il restait là, vivant dans la ville, il perdrait la foi. Benoît, cependant n'a pas abandonné Dieu, mais ila seulement cherché une nouvelle façon de vivre la foi dans ces conditions si difficiles. De même, il est évident que l'Église d'aujourd'hui est devenue très faible et désintégrée - et même corrompue. Le Pape Jean XXIII a voulu «ouvrir les fenêtres de l'Église et laisser entrer l'air frais». Il est maintenant clair que les voleurs se sont précipités à l'intérieur et, de multiples façons, ont fait de l'Église moderne une ruine. Les catholiques qui souhaitent rester catholiques devront trouver une nouvelle façon de vivre en tant que catholiques. Cela n'implique pas de quitter l'Église catholique, mais requiert d'aller beaucoup plus profondément aux racines de la foi catholique et de vivre une vie beaucoup plus disciplinée sur le plan spirituel.
(...)

Tous droits réservés.
La reproduction, uniquement partielle, des articles de ce site doit mentionner le nom "Benoît et moi" et renvoyer à l'article d'origine par un lien.