Le secret de Benoît

Le site <One Peter Five> a publié il y a une quizaine de jours une magnifique recension (la première en langue anglaise) du livre d'Antonio Socci, écrite par Giuseppe Pellegrino qu'il présente comme son traducteur en italien (2/1/2019)

>>> Voir aussi:
¤ Le secret de Benoît XVI (22/11/2018)
¤ Il Segreto di Benedetto (29/11/2018)

 

A noter, le responsable du site, Steve Kojec, parfois excellent, n'aime pas Benoît XVI (auquel il reproche en particulier d'avoir, par sa "démission", "abandonné son troupeau"!) et prend bien soin de préciser en préambule qu'il n'est pas d'accord avec certaines spéculations et conclusions de Socci et pas non plus avec «tous les jugements de l'auteur de la recension». C'est son droit... mais c'est aussi le mien de ne pas être d'accord avec lui.

Dans un nouveau livre, les spéculations d'Antonio Socci sur "le secret de Benoît XVI"


onepeterfive.com
20 décembre 2018
Giuseppe Pellegrino
Ma traduction

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À ceux qui peuvent se sentir découragés par la situation actuelle de l'Église, Antonio Socci a offert un cadeau d'Avent avec son nouveau livre 'Il segreto di Benedetto XVI. Perché è ancora papa' (Le secret de Benoît XVI : pourquoi il est encore pape). Socci, un journaliste italien chevronné qui a déjà approfondi le mystère qui se cache derrière l'histoire des secrets de Fatima avec 'Il Quarto Segreto di Fatima' et les subterfuges entourant le conclave de 2013 avec 'Non è Francesco', livre une fois de plus une enquête très détaillée sur un sujet d'extrême intérêt pour l'Eglise en plein dans une crise sans précédent, invitant ses lecteurs à une réflexion spirituelle plus approfondie sur «les signes des temps».

Le «signe» le plus évident, et le point central de l'investigation du livre, c'est la présence durable du Pape émérite Benoît XVI au cœur du Vatican et de l'Église. Depuis sa démission le 28 février 2013, «Joseph Ratzinger est resté dans 'l'enclos de Pierre' [le Vatican], il signe encore de son nom Benoît XVI, il s'appelle lui-même 'Pape émérite', il utilise encore l'insigne héraldique pontifical et il continue à s'habiller en pape» (p.83). Contrairement aux papes du passé qui ont démissionné, Benoît XVI n'a pas choisi de quitter le Vatican ou de revenir à l'état de cardinal ou d'évêque. Il a plutôt fait quelque chose d'inattendu (au-delà de l'acte extraordinairement inattendu de la démission), démissionnant sans démissionner complètement, ce que Socci appelle une démission «relative»: «Il est évident que, bien qu'il ait fait une démission relative de la papauté (mais de quelle sorte?), il a entendu rester pape, bien que de manière énigmatique et non officielle, qui n'a pas été expliquée (du moins pas avant une certaine [future] date)» (p. 82).

D'emblée, il sera important d'éviter tous les cris de «grotesque» et «absurde» qui semblent saluer l'œuvre de Socci depuis de nombreux recoins de l'Église, en précisant clairement ce que Socci ne dit pas. Il ne dit pas «Benoît n'a pas vraiment démissionné»; il ne dit pas «Benoît a été contraint de démissionner, donc cela ne compte pas»; il ne dit pas «François n'est pas vraiment le pape». Il dit plutôt qu'il se passe quelque chose d'inédit et de mystérieux dans l'Église où l'Esprit Saint est à l'œuvre, quelque chose que personne ne comprend encore pleinement, et qui appelle à la réflexion silencieuse et à la prière comme réponse plus efficace au combat en cours dans l'Église et dans le monde que des éclats de voix et un jugement critique. Le premier à donner l'exemple d'une telle réponse priante est Benoît XVI lui-même, qui a choisi librement (peut-être sur ordre de Dieu lui-même, se demande Socci?) de répondre à la crise en s'offrant dans la prière et l'intercession pour l'Eglise et le monde.

L'ORIGINE DU DRAME
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Dans la première partie de Il Segreto, "L'ORIGINE MYSTIQUE, ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE DU DRAME", Socci documente méticuleusement les faits de la situation actuelle de l'Église, dans laquelle il observe que, depuis 2005, il y a eu de facto deux partis en lutte pour le contrôle: ceux en faveur de Ratzinger et ceux qui soutiennent Bergoglio. Ces deux partis peuvent être définis au sens large comme ceux qui sont en faveur d'une révolution dans l'Église (le parti de Bergoglio) et ceux qui s'opposent à une telle révolution en appelant à la fidélité à la Tradition de l'Église (le parti de Ratzinger). Loin de se limiter à une lutte intra-église, Socci observe qu'il existe un mouvement de «mondialisation néo-capitaliste idéologiquement anti-catholique» qui cherche à dominer le monde entier» et que c'est ce mouvement idéologique anti-catholique qui a travaillé activement à miner l'Église de l'intérieur en cherchant et obtenant l'ascension de Jorge Bergoglio sur le trône papal. Cette idéologie «politiquement correcte», dit Socci, a été imposée au monde à un niveau nouveau sous «la présidence de Barack Obama/Hillary Clinton», recherchant «la domination planétaire des Etats-Unis et de la mondialisation financière»; et l'un des plus grands obstacles à cet agenda mondial était le pontificat de Benoît XVI (p. 20). Benoît, qui avait travaillé pendant des décennies comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi résistant à l'avancée du modernisme au sein de l'Église catholique, devint comme pape «un grand signe de contradiction par rapport au courant dominant, aux médias et aux desseins des puissances du monde qui visaient une véritable "normalisation" de l'Église catholique, à travers ce qu'ils appelaient une "ouverture vers la modernité, une protestanisation qui balayerait les connotations fondamentales [du catholicisme]"» (p. 22-23). Socci soutient que Benoît XVI était conscient de l'énormité de cette lutte globale et ecclésiale dès son élection, et il a cherché à aider le peuple chrétien à en prendre conscience en plaçant ces paroles extraordinaires et surprenantes au milieu de son homélie lors de son intronisation solennelle comme pape le 24 avril 2005: «Priez pour moi, afin que je ne m'enfuie pas par peur devant les loups».

Socci avance la thèse que ces loups étaient et sont bien plus que des éléments hostiles au sein de l'Église, mais aussi des éléments géopolitiques cherchant l'ascension politique de l'Islam et aussi la marginalisation de la Russie. Benoît s'est mis en travers de ces deux agendas à cause de sa volonté de défier l'Islam pour qu'il embrasse un dialogue basé sur la raison qui lui ferait renoncer à la violence (rappelez-vous son discours de Ratisbonne en 2006) et aussi à cause de ses ouvertures œcuméniques vers l'Église orthodoxe russe. Les «loups» de la mondialisation ont cherché à provoquer dans l'Église une révolution analogue à celle du «printemps arabe» dans le monde musulman. Tout comme le gouvernement des États-Unis cherchait activement un changement de régime dans d'autres pays pour faire avancer son agenda politique, l'alliance Obama-Clinton oeuvrait, en coordination avec le financier George Soros, à tenter de «changer les priorités de l'Église catholique». Socci documente également d'autres éléments qui ont cherché à faire élire Bergoglio comme pape, lequel, lors de son élection en tant que Pape François, a adopté un agenda entièrement en accord avec l'agenda «politiquement correct» de la mondialisation Obama-ONU: un environnementalisme catastrophiste (la pollution et le réchauffement climatique remplaçant les notions de péché et de péché originel), l'immigration idéologique (remplaçant le nouveau commandement), l'adhésion à l'islam et à l'œcuménisme pro-protestant, l'occultation de la doctrine et des sacrements, l'abandon des principes non négociables et une ouverture «miséricordieuse» aux nouvelles pratiques sexuelles et aux nouvelles «formes conjugales» (p.75). Il serait difficile de trouver un résumé et une explication plus succincts de l'agenda du pontificat de François que cette liste donnée par Socci, complétée avec le contexte géopolitique.

LE MYSTÈRE ET LE PARADOXE DU "PAPE ÉMÉRITE".
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La deuxième partie de Il Segreto s'intitule "CE QU'ON N'A PAS CÀMPRIS: BENOÎT EST PAPE POUR TOUJOURS." Socci introduit la section par une citation de l'auteur italien Gianni Baget Bozzo dans son livre de 2001 'L'Anticristo' [cf.Sandro Magister, ndt]: «L'histoire de l'Eglise est pleine d'états d'exception», ainsi qu'une citation de la lettre de saint Ignace d'Antioche aux Ephésiens, que le Pape Benoît XVI a utilisée dans sa préface au livre 'La force du silence' du cardinal Robert Sarah en 2017 (1Cor, 1,25) : «Mieux vaut rester en silence et être que parler et ne pas être». Il est évident que Socci trouve que ces mots correspondent respectivement à Benoît et à François.

Socci analyse les déclarations de Benoît XVI en février 2013 avant sa démission et note que Benoît XVI avait clairement «en toute liberté» laissé entendre qu'il y aurait «un conclave pour élire un nouveau Souverain Pontife», et pourtant, dans le même temps, il déclarait «je veux servir la Sainte Eglise de Dieu de tout mon cœur, avec une vie consacrée à la prière» (p. 90-91) ["Declaratio " du 11/2/2013, ndt)]. Il précisait en outre, le 27 février 2013, que son "oui" pour accepter son élection comme pape était et est irrévocable: «Le "toujours" est aussi un "pour toujours" - il ne peut plus y avoir de retour dans la sphère privée. Ma décision de démissionner de l'exercice actif du ministère n'annule pas cela». Benoît déclarait également: «J'ai fait ce pas en pleine conscience de sa gravité et même de sa nouveauté» (p. 104).
Quelle est cette nouveauté? Selon le canoniste Stefano Violi, que Socci cite, c'est «le renoncement limité à l'exercice actif du munus du pontife romain» (p. 108). Cet acte entièrement nouveau de Benoît - qui fait de son pontificat, pour reprendre les termes controversés de l'archevêque Georg Gänswein, un «pontificat d'exception» - était rendu nécessaire par l'émergence d'une situation entièrement nouvelle dans la vie de l'Église. La crise actuelle - sans précédent dans toute l'histoire de l'Eglise - appelait une réponse sans précédent. Le «choix de Benoît XVI de devenir pape émérite représente quelque chose d'énorme et contient un "secret" d'une importance colossale pour l'Église» (p. 111). Il y a clairement, selon l'analyse de Socci, quelque chose que le Pape Benoît XVI retient et ne dit pas, «un authentique appel personnel de Dieu», «un mystère qu'il garde» dont il ne peut dire davantage actuellement (p. 131). Socci suggère que ce «secret de Benoît XVI» est «purement spirituel», enraciné dans une sagesse «selon Dieu» que le monde actuel - et aussi l'Église actuelle - ne peuvent comprendre.

Socci observe les nombreuses manières dont la vie actuelle de Benoît XVI en tant que pape émérite porte de grands fruits pour l'Église à l'«époque bergoglienne». D'abord et avant tout, les riches textes de son Magistère papal, qui restent un phare pour l'Église parce qu'ils sont en union avec la Tradition ininterrompue du Magistère éternel. Il y a aussi sa prière incessante pour l'Église, offerte dans l' «enclos de Pierre».

Mais Socci affirme en outre que le silence restreint du pape émérite a fait beaucoup plus pour empêcher la Révolution bergoglienne de faire tout ce qu'elle souhaiterait qu'on ne le pense encore. Socci compare Benoît XVI à la figure du Christ silencieux devant le Grand Inquisiteur de Dostoïevski, disant que «sa présence silencieuse elle-même a jusqu'à présent empêché que de plus graves déchirements doctrinaux se produisent dans l'Église, car tant que Benoît est vivant, les révolutionnaires bergogliens savent que la condamnation du pape émérite pourrait délégitimer François aux yeux d'une bonne partie de l'Église» (p.152). Benoît a choisi de ne pas abandonner le troupeau aux loups, mais de résister aux loups avec la logique de l'Évangile, avec «la faiblesse de Dieu» qui est «plus forte que la force humaine» (1 Co 1, 25), conscient que c'est un moment historique où, comme il l'a observé à Fatima en 2010, «la plus grande persécution de l'Église ne vient pas de ses ennemis extérieurs, mais est née du péché dans l'Église» (p.166).

LE LIEN AVEC FATIMA
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Socci termine son travail avec la troisième partie, intitulée FATIMA ET LE DERNIER PAPE. Il s'appuie sur sa précédente étude approfondie du message de Fatima, le considérant comme une clé pour comprendre le moment présent dans l'Église, et rappelant à ses lecteurs que le message de Fatima soulignait le lien fort entre l'intercession de la Mère de Dieu et la protection du pape. Au centre de la vision de Fatima, il y a deux personnes: «L'évêque vêtu de blanc et un vieux pape», et Socci se demande si cette vision ne pourrait pas se référer à la situation actuelle, notant que le 21 mai 2017, lors de sa visite à Fatima, le Pape François s'est lui-même nommé «l'évêque vêtu de blanc». Socci voit en Benoît XVI une figure semblable au pape dans la vision des enfants: «à demi tremblant, le pas hésitant, affligé de douleur et de chagrin, traversant une grande ville à moitié en ruine» (p. 182). Socci entreprend un examen détaillé des paroles oubliées des enfants de Fatima, déclarant que la Sainte Vierge leur a dit que si l'humanité ne faisait pas pénitence et ne se convertissait pas, ce qui arriverait serait «la fin du monde» (p. 195). Sœur Lucie déclarait en 1957 dans une interview que «la Russie sera l'instrument choisi par Dieu pour punir le monde entier, si nous n'obtenons pas d'abord la conversion de cette pauvre nation» (p. 198). Implicite dans l'analyse et la réflexion de Socci, il y a le sentiment que l'issue de la crise actuelle est de la plus haute importance pour le sort non seulement de l'Église entière, mais aussi du monde entier.

La dernière observation de Socci est que la «Prophétie médiévale de Malachie», qui proposait de donner un titre mystérieux à chaque futur pape, se termine avec Benoît XVI. Après ce pape, il est mystérieusement dit qu'il s'ensuit «la persécution finale de la Sainte Eglise romaine» et la figure de «Pierre le Romain». Interrogé en 2016 [Dernières conversations, avec Peter Seewald, ndt] sur le fait que cette prophétie pourrait signifier qu'il est «le dernier à représenter la figure du pape telle que nous l'avons connue jusqu'ici», Benoît répondit mystérieusement: «Tutto può essere [Tout peut être]». En outre, à la question de savoir si cela signifie qu'il serait considéré comme le dernier pape de l'ancien monde ou le premier pape du nouveau monde, Benoît répondit: «Je dirais les deux. Je n'appartiens plus à l'ancien monde, mais le nouveau en réalité n'a pas encore commencé» (p. 213). Socci comprend ces commentaires étonnants comme signifiant que le monde et l'Église sont au bord de bouleversements historiques, invitant ses lecteurs à réfléchir davantage sur les diverses prophéties de la destruction du Temple et sur les paragraphes 675-677 du Catéchisme de l'Église catholique concernant l'épreuve finale de l'Église.

Socci écrit avec un style prenant et dramatique, invitant le lecteur à comprendre que quelque chose de bien plus grand que ce qui a déjà été compris est à l'œuvre dans la vie de l'Église et dans l'histoire humaine. Il offre une proposition réfléchie et une invitation à prier, à réfléchir et à méditer, et non une certitude ou des explications juridiques. Ce livre, avec son analyse journalistique méticuleuse et sa réflexion spirituelle, offre un espoir à une Église découragée et une invitation à croire dans la prière que peut-être plus de bien est à l'œuvre d'une manière cachée que le mal évident qui est actuellement si actif dans l'Église et sur la scène mondiale.

Socci offre son travail comme un don d'amour pour l'Église, brisée et battue, pour réfléchir et méditer. «Ce n'est pas le pouvoir qui rachète», a dit le Pape Benoît XVI dans son discours inaugural, «mais l'amour». C'est ce même amour que Socci dit que Benoît XVI offre chaque jour à l'Église par son témoignage sans précédent et héroïque, bien que largement incompris: «Il est la grande sentinelle de Dieu pour notre temps, et c'est lui qui a élevé un grand mur de défense pour nous tous au temps du mysterium iniquitatis» (p. 189).

Puisse ce livre inspirer beaucoup de personnes à prier sans cesse et avec ferveur pour et avec notre Saint-Père émérite, le Pape émérite Benoît XVI.

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