Une présence lucide qui veille sur l'Eglise

Dans son éditorial sur la Bussola d'aujourd'hui, Nico Spuntoni extrait "la substantifique moëlle" de l'article-vedette du supplément hebdomadaire du "Corriere" dont les extraits publiés en avant première nous avaient laissés sur notre faim. Est retracée, en particulier, la genèse des fameuses "notes sur la pédophilie" (29/6/2019)

Voir aussi:
Benoît XVI fait la couverture du Corriere

 

Ratzinger, la présence lucide qui veille sur l'Église


Nico Spuntoni
www.lanuovabq.it
29 juin 2019
Ma traduction (caractères gras de moi)

* * *

Sur 7, le magazine du Corriere, Massimo Franco raconte la récente rencontre dans les Jardins du Vatican avec Benoît XVI. Lequel fait preuve d'une lucidité enviable, apportant un démenti à ceux qui insinuaient des doutes sur la paternité de ses "notes" sur la pédophilie. Une place est également réservée aux relations avec le Pape François et à ce qui est la préoccupation principale de Ratzinger: l'unité de l'Eglise.


----

L'habit blanc, les sandales aux pieds et le visage amaigri mais souriant. C'est ainsi que le pape émérite se présente en couverture de Sette. Le dernier numéro, paru hier, du magazine du Corriere della Sera, contient un reportage de Massimo Franco, qui vient de rencontrer Benoît XVI dans les Jardins du Vatican.

Le journaliste, qui n'a jamais caché son estime et sa connaissance directe de Ratzinger, raconte leur récente rencontre, en présence de Mgr Georg Gänswein, préfet de la Maison pontificale, et du caricaturiste Emilio Giannelli. «La voix de Benoît XVI, explique Franco, n'est guère plus qu'un souffle (...) mais ce qu'il dit et son regard attentif, pénétrant, montrent une lucidité et une rapidité de pensée enviables par chacun». Un constat utile aussi pour dissiper tout doute sur la paternité des fameuses notes sur la pédophilie dans l'Église publiées en avril dans le mensuel Klerusblatt et dont Franco reconstruit une fois pour toutes les étapes et les modalités d'écriture, non sans une veine polémique contre «quelque cardinal et quelque collaborateur de François (qui) ont cherché à accréditer anonymement la thèse d'un texte écrit par d'autres».


Ces notes écrites à la main et dictées à Soeur Birgit Wansing
(<7>, 28 juin 2019, page 22 )


Le journaliste du Corriere soutient que «si par hasard ils avaient été dans le petit monastère des Jardins du Vatican en novembre dernier, les critiques auraient remarqué à quel point leur malveillance était mal dirigée». La rédaction de ces notes s'est poursuivie jusqu'en février, date à laquelle elles ont été transcrites sur l'ordinateur par Sœur Birgit Wansing et finalement révisées à nouveau par Ratzinger. Une intervention qui, selon le journaliste du Corsera, a eu le mérite d'agiter «la surface du conformisme vatican», mettant mal à l'aise «le cercle étroit de quelques conseillers de Bergoglio».

L'article, ensuite, ne reste pas silencieux sur la cohabitation sans précédent entre le pontife régnant et le pape émérite, notant comment ce dernier est perçu par les insatisfaits du pontificat de François comme «une sorte de leader spirituel et moral alternatif; et comme une certitude en termes doctrinaux». Mais il convient aussi de noter que Benoît XVI a toujours refusé d'être «tiré par la soutane», ne remettant jamais en cause «les relations loyales et affectueuses» avec son successeur, «malgré les différences flagrantes de personnalité, d'approche de la doctrine et de la liturgie» [sont-ce les mots du Saint-Père, ou une citation de l'article? ndt].

Selon ce qu'écrit Franco, la gestion difficile d'une situation sans précédent dans l'histoire récente, a conduit certains «membres des sommets vaticans» à dépoussiérer l'idée de la promulgation d'un motu proprio destiné à «mettre Ratzinger en cage dans le rôle d'un ermite silencieux». Un document qui toutefois ne rencontrerait pas le consentement de François, déterminé à ne pas «hypothéquer le comportement de ses successeurs, y compris lui-même, si un jour ils choisissaient de renoncer à la papauté».

Le pas de côté d'il y a six ans n'a pas empêché Benoît XVI de suivre avec attention et constance ce qui se passe chaque jour dans l'Église et de faire entendre «sa voix, faible mais dans certains cas explosive». Massimo Franco reconnaît le rôle de Ratzinger comme «un rivage et une digue rassurante pour ceux qui ne sont pas à l'aise dans l'Église de François» mais aussi «pour réaffirmer certains principes théologiques et endiguer, au contraire, les pressions sur François de ceux qui voudraient s'engager dans un dialogue radical et risqué avec la modernité».

Sur ce point en particulier, le chroniqueur du Corriere se réfère à ceux des collaborateurs de Bergoglio qui ont fait la preuve, selon lui, d'«une approche doctrinale plus empirique, très latino-américaine». L'unité de l'Église semble être la préoccupation principale du pape émérite, auquel n'échappe pas, écrit Franco, «les fantômes [/fantasmes] d'un schisme», surtout dans sa patrie. Mais Ratzinger répond toujours de la même manière à tous les cardinaux et évêques qui lui expriment leurs craintes pour la situation: «L'unité de l'Église a toujours été en danger, depuis des siècles», mais «finalement la conscience que l'Église est et doit rester unie a toujours prévalu», car «son unité a toujours été plus forte que les luttes internes et les guerres».

Et pour ne pas semer la confusion, il semble que Ratzinger rappelle habituellement à ses interlocuteurs les plus critiques qu' «il n'y a qu'un pape: François». Quant à la réalité allemande, où les positions d'ouverture des évêques progressistes sont en train de «déstabiliser le catholicisme», Benoît XVI est désigné par Franco comme «le terminal et l'élément modérateur». Le journaliste raconte ensuite que c'est précisément le pape émérite qui a «encouragé et consolé» le cardinal Gerhard Müller après la fin de son mandat à la Congrégation pour la doctrine de la foi.

Récemment, l'éditorialiste avait recueilli dans le Corriere les déclarations significatives du cardinal allemand qui critiquait l'interventionnisme politique excessif de certains collaborateurs de François. Dans l'article publié dans Sette, l'auteur reconnaît que Müller est devenu «l'un des critiques les plus (...) pointus et irréductibles» du pontificat actuel, mais il explique qu'il le fait «dans une perspective unitaire qui s'oppose aux intentions belliqueuses et suicidaires des tenants des "deux papes"».

Dans le récit de la rencontre, on trouve aussi les louanges de Ratzinger à l'Italie («un très beau pays bien que quelque peu chaotique. Mais pour finir, elle parvient toujours à retrouver son chemin») et son attention à la politique italienne, en particulier lorsqu'il rappelle la figure de Giulio Andreotti. Ce n'est pas nouveau : déjà l'année dernière, dans un article inédit pour Oltretevere d'Alessandro Acciavatti, le pape émérite avait fait l'éloge de l'homme d'Etat démocrate-chrétien auquel il était lié par une relation durable d'estime et de connaissance (ainsi que par une collaboration pour le magazine 30 Giorni) et dont il avait admiré la force de caractère pendant les années d'épreuves.

Tous droits réservés.
La reproduction, uniquement partielle, des articles de ce site doit mentionner le nom "Benoît et moi" et renvoyer à l'article d'origine par un lien.