De passage à Rome pour prendre enfin possession du titre de Sant’Onofrio al Gianicolo, l’église romaine qui lui revient par sa récente promotion à la pourpre (cf. L’homme du Pape en Terre sainte), il a livré une « lectio magistralis » à l’université pontificale du Latran sur le thème « Caractéristiques et critères d’une pastorale de la paix ».
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Le Patriarche de Jérusalem des Latins n’est pas un diplomate de salons, fussent-ils « sacrés », mais il est sur le terrain et vit les drames dans sa chair. Il est donc regrettable que sa voix n’ait pas eu plus d’échos chez ceux qui sont attachés à trouver la paix et qui ne l’auront pas entendue, faute de relais médiatique (mais les journalistes sont ainsi, ils parlent seulement de ce pour quoi on les paie). Heureusement, Giuseppe Rusconi a assisté à la lectio et pris scrupuleusement des notes, et Giuseppe Nardi l’a relayé dans la « germanosphère » (c’est là que je les ai trouvées)

Pardon, vérité et justice – Lectio magistralis du cardinal Pizzaballa sur le conflit au Proche-Orient

COMMENT AGIR POUR LA PAIX ?


Giuseppe Nardi, katholisches.info
Repris de Giuseppe Rusconi, www.rossoporpora.org
14 mai 2024
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Kardinal Pizzaballa, der Lateinische Patriarch von Jerusalem, hielt an der römischen Lateranuniversität eine Lectio Magistralis zum Nahost-Konflikt und dem Einsatz für den Frieden im Heiligen Land.
Le cardinal Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem, a tenu une lectio magistralis à l’université romaine du Latran sur le conflit au Proche-Orient et l’engagement pour la paix en Terre Sainte.

Le 2 mai, le cardinal Pierbattista Pizzaballa OFM, patriarche latin de Jérusalem, a tenu une ample lectio magistralis à l’université du Latran à Rome sur le thème « Caractéristiques et critères d’une pastorale de la paix » : l’Institut pastoral Redemptor hominis avait lancé l’invitation. Le recteur, l’archevêque Alfonso Amarante, et le doyen Paolo Asolan ont prononcé des paroles de bienvenue, tandis que Giulio Alfano, coordinateur du programme d’études en sciences de la paix, a introduit le thème.Annonce

Le franciscain Pizzaballa a été professeur d’hébreu biblique et de judaïsme au Studium Biblicum Franciscanum de Jérusalem à partir de 1998 et a dirigé pendant plusieurs années la communauté de Jérusalem des catholiques de langue hébraïque. À partir de 2004, il a été le 167e custode de Terre Sainte. En 2016, le pape François l’a nommé administrateur apostolique du Patriarcat latin de Jérusalem, puis patriarche latin en 2020.

Le patriarche a divisé son intervention en trois parties principales :

  1. « Contempler le visage de Dieu »,
  2. « Contempler le visage de l’Autre »
  3. « La mission de l’Église »,

qui reflètent avant tout la longue expérience personnelle du cardinal Pizzaballa en tant que pasteur, professeur et pasteur en chef en Terre Sainte.

Les pistes de réflexion suivantes de la lectio ont été sélectionnées par le célèbre journaliste suisse Giuseppe Rusconi. La sélection ne mentionne pas la petite minorité de chrétiens de Terre Sainte qui souffre massivement du conflit en cours.

Pour rappel, au début du XXe siècle, après sept siècles de domination islamique, environ 30% des habitants de la Terre sainte étaient encore chrétiens. Après la forte immigration juive, ils étaient encore près de 20% en 1948, au moment de la proclamation de l’État d’Israël. Aujourd’hui, après plusieurs décennies de conflit, il ne reste plus qu’environ 1,5% de chrétiens en Israël et dans les territoires palestiniens réunis.

La sélection [de Giuseppe Rusconi] est reproduite sans commentaire.

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Extrait de l’introduction

Ce qui se passe en Terre sainte est une tragédie sans précédent. Outre le contexte militaire et politique qui se dégrade de plus en plus, le contexte religieux et social se détériore également. Le sillon de la division entre les communautés, les rares mais importants contextes de cohabitation interreligieuse et civile se dissolvent peu à peu, et la méfiance grandit de jour en jour. Un panorama bien sombre. L’espoir ne manque certes pas parmi les nombreuses personnes qui veulent malgré tout s’engager pour la réconciliation et la paix. Mais nous devons reconnaître avec réalisme qu’il s’agit de réalités de niche et que le tableau général reste très inquiétant.

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Extrait de « La mission de l’Église » : Dialogue interreligieux 1

Le dialogue interreligieux a produit de très beaux documents sur la fraternité humaine, sur le fait que nous sommes tous enfants de Dieu, sur la nécessité de s’engager ensemble pour le respect des droits de la personne… Tout cela est le fruit d’une activité que je considère comme spirituelle, surtout le dernier point, qui est le plus proche de moi pour des raisons évidentes.

Mais dans notre contexte actuel de guerre, tout cela semble aujourd’hui lettre morte en Terre sainte.

Il y a une grande absente dans cette guerre : la parole des leaders religieux. A quelques exceptions près, nous n’avons pas entendu ces derniers mois de discours, de réflexions ou de prières de la part des leaders religieux qui se distinguent de ceux des leaders politiques ou sociaux. J’espère me tromper, mais on a l’impression que chacun s’exprime exclusivement dans la perspective de sa propre communauté.
Les relations interreligieuses qui semblaient solides semblent désormais balayées par un dangereux sentiment de méfiance. Chacun se sent trahi par l’autre, pas compris, pas défendu, pas soutenu.

Ces derniers mois, je me suis demandé à plusieurs reprises si la foi en Dieu était vraiment à l’origine de la pensée et de la formation de la conscience personnelle, créant ainsi entre nous, croyants, une compréhension commune au moins sur certaines questions centrales de la vie en société, ou si notre pensée était marquée et portée par autre chose.

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Extrait de « La mission de l’Église » : Dialogue interreligieux 2

Cette guerre marque un tournant dans le dialogue interreligieux, qui ne sera plus jamais comme avant, du moins pas entre chrétiens, musulmans et juifs.
Le monde juif ne s’est pas senti soutenu par les chrétiens et l’a clairement exprimé. De leur côté, les chrétiens, comme toujours divisés sur tout et incapables de s’entendre sur une parole commune, étaient soit divisés sur le soutien à apporter à l’un ou l’autre camp, soit incertains et désorientés. Les musulmans se sentent attaqués et considérés comme complices des massacres du 7 octobre… Bref, après des années de dialogue interreligieux, nous avons constaté que nous ne nous comprenions pas. C’est pour moi personnellement un grand regret, mais aussi une grande leçon.

C’est de cette expérience que nous devrons repartir, en sachant que les religions jouent aussi un rôle central dans l’orientation et que le dialogue entre nous devra peut-être faire un pas important et partir de nos malentendus actuels, de nos différences, de nos blessures. Il ne peut plus être seulement un dialogue entre les membres de la culture occidentale, comme c’était le cas jusqu’à présent, mais il devra tenir compte des différentes sensibilités, des différentes approches culturelles, pas seulement européennes, mais surtout locales. C’est beaucoup plus difficile, mais il faudra repartir de là.

Et il faudra le faire, il faudra le faire, non par nécessité ou par besoin, mais par amour.

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Extrait de « La mission de l’Église » : Le pardon

L’Église, avec d’autres communautés de foi, joue un rôle fondamental dans l’éducation à la réconciliation, dans la création du contexte pour une approche du pardon, mais elle ne peut pas l’imposer. Il est nécessaire d’accorder du temps et du respect à la douleur de ceux qui souffrent, tout en les aidant à relire leur histoire pour que les blessures puissent guérir. En Terre Sainte, il s’agit souvent de savoir comment attendre. Le cœur des personnes et des communautés n’est pas toujours prêt et libre de parler de pardon. La douleur est encore trop forte. Il est souvent plus facile de gérer la colère que le désir de pardon. Il est donc nécessaire de savoir attendre, tout en proposant inlassablement la voie chrétienne de la paix.

Tous les accords de paix conclus jusqu’à présent en Terre sainte ont de fait échoué, car il s’agissait souvent d’accords théoriques qui prétendaient résoudre la tragédie qui durait depuis des années, sans tenir compte du poids énorme des blessures, de la douleur, du ressentiment et de la colère qui couvaient encore et qui ont explosé de manière extrêmement violente ces derniers mois. De plus, on n’a pas tenu compte du contexte culturel et surtout religieux qui, au lieu de cela, parlait un langage qui (à commencer par celui des chefs religieux locaux) était exactement l’inverse de celui de ceux qui parlaient de paix.

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Extrait de « La mission de l’Église » : Vérité et justice 1

Le pardon est, comme je l’ai dit, un thème central pour le service de la paix. Mais dans notre contexte, le pardon ne peut pas être séparé de deux autres mots : vérité et justice. La souffrance, la douleur, les blessures causées par ce conflit sont bien connues. (…) Depuis des décennies, l’occupation israélienne des territoires de Cisjordanie se poursuit en Terre sainte, avec toutes ses conséquences dramatiques sur la vie des Palestiniens et aussi des Israéliens. La première et la plus visible des conséquences de cette situation politique est l’état d’injustice, de non-reconnaissance des droits fondamentaux, de souffrance dans lequel vit la population palestinienne en Cisjordanie. C’est une situation objective d’injustice.

Comme je l’ai déjà dit, le conflit et ses conséquences pour notre Église font partie intégrante de la vie quotidienne et s’inscrivent inévitablement dans la pensée et la réflexion de toute la communauté. Il n’est pas rare, comme en ce moment, qu’il fasse l’objet de réflexions et de discussions dures et douloureuses. Le maintien de la communion entre les catholiques palestiniens et israéliens est plus difficile que jamais dans ce contexte déchiré et polarisé.

On ne peut donc pas parler de pardon sans parler en même temps de vérité et de justice. Ne pas dire un mot de vérité sur la vie d’un Palestinien dont la vie attend depuis des décennies que justice lui soit rendue et que sa dignité soit reconnue, reviendrait à justifier une injustice objective.

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Extrait de « La mission de l’Église » : Vérité et justice 2

En tant que patriarche latin de Jérusalem, je me trouve depuis le début de ce conflit dans une situation qui exige une décision, une attitude claire et précise. (…) Concrètement, on me demande souvent : « Comment puis-je envisager de pardonner à l’Israélien qui m’opprime tant que je suis opprimé ? Cela ne signifierait-il pas lui donner le dessus, lui laisser les mains libres, sans défendre mes droits ? N’est-il pas nécessaire, avant de parler de pardon, que justice soit faite » ? L’Israélien peut ajouter à son tour : « Comment puis-je pardonner à ceux qui tuent mon peuple de manière aussi barbare ? » Ce sont des questions derrière lesquelles se cache une douleur réelle et sincère qui doit être respectée.

Je ne sais pas s’il est possible de répondre à ces questions, mais on ne peut pas s’empêcher de les poser.

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Extrait de la conclusion

Permettez-moi d’ajouter une petite réflexion. En Terre Sainte, nous vivons douloureusement la crise croissante des instances multilatérales, comme l’ONU, qui devient de plus en plus impuissante et, pour beaucoup, l’otage des grandes puissances (il suffit de penser aux différents pouvoirs de veto). La communauté internationale s’affaiblit de plus en plus, et cela vaut également pour les différentes autres instances internationales.

En bref, ceux qui, au niveau international, sont responsables du maintien et de la promotion de la paix, de la défense des droits et de la construction de modèles de société décents, ont montré toute leur faiblesse. Les dirigeants locaux de toutes sortes ont encore plus de difficultés. Une réalité malheureusement connue de tous (…)

Dans ce contexte de désolation, les personnes engagées dans la pastorale, les pasteurs, l’Église, doivent veiller à ne pas succomber à la tentation de se substituer à ces instances et de s’inscrire dans la dynamique politique de négociations politiques qui, par nature, ne sont jamais faciles, voire souvent sources de compromis douloureux et controversés. La tentation de combler le vide laissé par la politique est facile, et l’exigence de beaucoup de combler ce vide est aussi toujours tenace.

Mais ce n’est pas le rôle de l’Église qui, comme je l’ai dit, doit rester une Église, une communauté de foi, ce qui ne signifie pas qu’elle se coupe de la réalité, mais qu’elle est toujours prête à s’engager avec tous pour construire la paix, pour faciliter la création de contextes qui contribuent à ouvrir des perspectives politiques, mais en restant elle-même, sans s’immiscer dans des dynamiques politiques qui ne lui appartiennent pas et qui, par nature, sont souvent étrangères à la logique de l’Évangile.

La pastorale de la paix a pour seul point de référence l’Évangile.

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Ensuite, plusieurs questions ont été posées au patriarche de Jérusalem par les personnes présentes. Dans ses réponses, le patriarche a notamment déclaré

  • J’ai encaissé des coups et des gifles de la part des uns et des autres. Cela signifie qu’ils m’ont au moins écouté. Certaines relations personnelles ont été blessées, d’autres sont nées.
  • Il serait utile d’avoir une voix commune… il serait facile de signer : « Nous sommes désolés pour ce qui se passe ».
  • En ce moment, on veut nous voir tous enrôlés [dans un camp]. Nous ne pouvons certainement pas être neutres, mais constructifs, oui. Mais ce n’est pas très facile. Les gens qui nous demandent de prendre parti partent d’une douleur réelle qui doit être respectée.
  • Elle [la paroisse de Zababdeh, liée à Saint Hippolyte le Martyr à Rome] est située dans une zone très chaude de Cisjordanie, après le 7 octobre, tous les permis de travail ont été annulés, mais malgré tout, elle parvient pour le moment à tenir bon.
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