Nul n’est prophète dans son pays… mais Nemo (qui en latin signifie « personne ») est le prophète de la (non)-patrie européenne. Sur le spectacle démoniaque présenté au public par l’Eurovision le week-end dernier, tout a été dit. On a moins parlé de la « performance » du vainqueur. Marcello Veneziani offre une réflexion géniale, qui réussit brillamment à s’élever au-dessus du contingent et de la simple critique d’un spectacle misérable pour devenir une profonde réflexion sur le devenir de « leur » Europe. L’Eurovision a couronné un mutant, le nouveau paradigme de l’homo europeaus: un Personne, individu sans racine, sans repère, un voyageur en transit vers nulle part.

Le problème n’est pas que Nemo gagne un festival, c’est que Nemo dirige l’Union européenne, il en est le paramètre, la diffusion et l’unité de mesure. Ce Personne représente un peuple réduit à se multiplier en de nombreux Personne, dépourvus d’identité ; ce qui unit l’Europe aujourd’hui, c’est la répudiation de l’identité commune et personnelle, individuelle et générale, de la famille et de la civilisation.

Nemo est le prophète de la patrie européenne

Le vieil adage le disait déjà : « Nemo propheta in patria » : c’est ainsi que Nemo, un chanteur non binaire et sui generis, a été élu prophète chantant de la patrie européenne non patriote.

Nemo, qui signifie Personne en latin, est suisse et applique également la neutralité au genre sexuel. Nous ne nous serions pas embarrassés de la nouvelle elle-même, même si hier, les unes de nos journaux les plus respectables continuaient à faire l’apologie baveuse du chanteur « non-binaire » et du monde qui change dans ce sens. L’Eurovision a reconnu, récompensé, fait triompher un chanteur dont la vertu particulière est d’être un mutant en balance, qui ne veut pas se reconnaître dans son genre d’origine ou d’adoption.

As-tu quelque chose contre ceux qui se disent non-binaires ? Pas du tout, je ne suis pas un passage à niveau, je ne m’occupe pas des gens qui traversent les voies. Je n’éprouve pas le moindre intérêt à espionner la vie des autres par les trous de serrure ou autres orifices. Le problème n’est pas sa vie, ce qu’il ressent, ce qu’il veut être, un caméléon ou une courgette, ses affaires et celles de ses intimes. Le problème n’est même pas l’exposition mondiale, avec un message d’accompagnement, de son sexe variable, comme le taux hypothécaire ; mais la reconnaissance publique, l’attestation internationale, le prix de sa mobilité sexuelle, de son extemporanéité de genre. Comme s’il était un précurseur, un pionnier et un modèle, un exemple pour tous. La nouvelle sur laquelle tout le monde s’est concentré, ainsi que la motivation du succès, n’était pas sa chanson, son exhibition, mais son statut non binaire, d’humanité en transit, de voyageurs personnels du masculin au féminin vers l’inconnu, sans domicile fixe.

Est-ce que quelque chose change dans nos vies après cette bouffonnerie de l’Eurovision et ce glorieux coming-out salué comme un événement historique, de nature à troubler le ciel et l’enfer ? Mais non, absolument rien, si ce n’est que le dégoût, la nausée, le sentiment d’éloignement envers tout ce qui vient de la sphère publique, même dans la sphère du divertissement et des loisirs, s’élargit. Dès qu’il y a quelque chose qui évoque l’Europe, une guerre, une tragédie, un accident ou même simplement une fête, une ombre de sordide s’étend. Le général Vannacci [dit « le général favori de l’extrême droite » après la sortie de son brûlot Il Mondo a contrario, ndt] en militaire y voit la confirmation que le monde recule, et je le comprends aussi, il a raison. Mais cela va bien au-delà d’une fête triviale et d’un fait intime élevé au rang de Raison universelle.

Pour moi, ce qui est décourageant, c’est qu’il n’y a pas d’échappatoire, si tu veux regarder ailleurs, et t’occuper d’autre chose, tu passes d’un Nemo à un autre, ou d’une nullité à une autre, d’un transformiste à un autre ; tu sais que la Nullité mutante est arrivée au pouvoir, elle monte sur le podium, elle gagne des prix en musique, comme au cinéma, à l’art, à la littérature. C’est le triomphe du Nessunisme [nessuno = personne, en italien], c’est-à-dire de la négation de l’identité comme mérite, but et tâche pour tous. Nemo n’est pas un individu mais un phénotype, une idéologie. En disant qu’il s’appelait Personne, le rusé Ulysse avait trouvé un expédient pour échapper à Polyphème. Ici, en revanche, le choix n’est pas d’échapper à la fureur du cyclope mais de s’échapper à soi-même, à sa nature, à son identité au nom de ses désirs, « parce que c’est ce que je ressens ».

Allons, diras-tu, qu’est-ce qu’un clown qui chante, un freak show ; laisse le cirque, pense à des choses sérieuses. Mais c’est là que les problèmes se posent, c’est même là qu’ils s’amplifient et deviennent un système, un paradigme universel. Parce que quand tu passes du show business à la vie sérieuse, à la politique, aux relations sociales, à l’engagement civique, l’image qui émerge est la continuation du Même, comme le dit Alain de Benoist ; en d’autres termes, c’est la continuation du cirque, de l’Eurovision sous d’autres formes, c’est toujours la même chose, la même idéologie dominante. L’Eurovision coïncide avec la vision de l’Europe. Nemo pour tous, tous pour Nemo.

Bref, pour le dire plus clairement, le problème n’est pas que Nemo gagne un festival, c’est que Nemo dirige l’Union européenne, il en est le paramètre, la diffusion et l’unité de mesure. Ce Personne représente un peuple réduit à se multiplier en de nombreux Personne, dépourvus d’identité ; ce qui unit l’Europe aujourd’hui, c’est la répudiation de l’identité commune et personnelle, individuelle et générale, de la famille et de la civilisation. La chanson n’en est que la synthèse fatale et symbolique à usage pop.

La perte d’identité, décantée comme une émancipation, une libération, une prise de conscience, un passage – pour reprendre les paroles de la chanson de Nemo – de l’enfer au paradis, a une série d’effets néfastes qui se répercutent en cascade dans la vie concrète des Européens. L’identité sexuelle n’est que le premier niveau d’identité, le plus basique, le plus évident, le plus naturel : il y a ensuite l’identité civique, l’identité culturelle, l’identité populaire, l’identité issue de l’histoire et de la tradition, l’identité de civilisation.

Le rejet de l’identité ou Euronemia produit des dégâts à plusieurs niveaux. Il nous empêche de reconnaître et d’accepter ce que nous sommes vraiment, notre réalité et celle des autres, notre corps, nos frontières, nos héritages. Elle nous rend plus vulnérables et nous fait succomber face à ceux qui au contraire préservent et défendent leur identité, comme les islamistes. Et elle réduit les corps à de la gélatine, les gens à des tatouages, les pensées à des caprices et célèbre les histoires intimes comme s’il s’agissait d’histoires universelles, d’étapes glorieuses dans l’évolution de l’espèce.

Nous savons qu’en l’absence de références hautes, plus hautes et plus lointaines, au final, ceux qui représentent, incarnent et expriment l’Europe et son icône sont ceux qui nous viennent d’événements et de personnages pop, de récits de masse concoctés sur le terrain du spectacle et du divertissement. De Nemo à l’Eurovision, on s’en fiche ; mais elle déprime la vision d’une Europe réduite à célébrer, et pas seulement dans les festivals, le Nemo de service et l’euronémie.

Cette Europe-là finira mal, écrasée sur les voies non gardées par le train de la réalité.

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