Article majeur du très informé vaticaniste anglais Damian Thompson. Extrêmement long, mais un document précieux à archiver. Tout y est. En plus d’un portrait sans concession du Pape lui-même (étayé par de nombreux détails qui sont désormais sous tous les yeux) et de la triste liste de tous les scandales qui entachent ce pontificat de ténèbres, presque tous méconnus du grand public, il contient des confidences inédites de cardinaux « conspirateurs » que le journaliste a recueillies grâce à ses bonnes entrées dans le monde curial, sans oublier, bien sûr, l’incontournable liste de papabili… très provisoire, et pour cause! Intéressant, aussi, l’avertissement sur le rôle des réseaux sociaux dans l’élection: le prochain pape devra être irréprochable.

Les scandales qui hantent le pape François

Des cardinaux conspirateurs aiguisent leurs couteaux.

Damian Thompson
https://unherd.com/2024/04/the-scandals-haunting-pope-francis/

Les cardinaux se réunissent déjà pour discuter de qui devrait être le prochain pape. Certains des libéraux, qui se sentent en sécurité parce qu’ils ont la faveur d’un pape François malade, peuvent être vus en train de comparer leurs notes dans un bar près des portes du Vatican. Les cardinaux conservateurs sont plus nerveux : ils se réunissent lors de dîners dans les appartements des uns et des autres ou – s’ils peuvent faire confiance aux serveurs obséquieux pour ne pas les trahir – dans un restaurant favori.

Vous pouvez peut-être voir l’éclair de la bague d’un évêque lorsqu’il enregistre un ragot sur WhatsApp ; le Saint-Siège utilise des espions électroniques de premier ordre, si bien que tout le monde se sert d’un téléphone privé plutôt que des téléphones fournis par le Vatican. Même les [opérateurs des] écoutes téléphoniques sont occupées à échanger des informations, car comme tout le monde à Rome, ils soupçonnent que le douloureusement fragile François – qui est souvent trop essoufflé pour lire ses propres sermons – n’a plus beaucoup de temps devant lui.

Ils ne font que deviner, bien sûr. Le pape est très discret sur sa santé, et il y a deux ans, il s’est remis d’une intervention chirurgicale majeure au niveau du côlon que l’on pensait être un cancer avancé. Malgré cela, il a 87 ans, c’est le pape le plus âgé depuis plus d’un siècle, et un conclave ne doit pas être trop éloigné.

En janvier, Ludwig Ring-Eifel, de l’agence de presse allemande KNA, a dit que le fait de voir le pape si essoufflé lors d’une conférence de presse au cours de laquelle il était trop malade pour répondre aux questions préparées avait été « un moment difficile pour moi … et vous pouvez dire que cette situation a également affecté de nombreux collègues sur le plan émotionnel ». Début mars, Andrew Napolitano, juge à la retraite de la Cour supérieure du New Jersey, séjournait dans la maison d’hôtes du pape située derrière Saint-Pierre. « Le pape est en mauvaise santé, il peut à peine parler ou marcher ; et il respire la tristesse », a-t-il rapporté. « Je ne pense pas qu’il restera là très longtemps » [ndt: Une rencontre surréaliste à Sainte Marthe].

Les nerfs du Vatican sont toujours à vif dans les dernières années d’un pontificat. Dans le cas du conservateur Benoît XVI, ils ont été assombris par des fuites – relayées avec allégresse par des médias hostiles – révélant une corruption flamboyante au sommet de la Curie romaine, le gouvernement du Saint-Siège. Benoît a été trop effrayé pour agir et a démissionné en désespoir de cause. [ça, c’est l’opinion du journaliste, pas un fait!!]

Aujourd’hui, le Vatican est à nouveau paralysé par les scandales, mais cette fois, les correspondants des médias laïques et catholiques tentent de protéger François, qui est confronté à des questions plus sérieuses sur sa conduite personnelle que n’importe quel pape de mémoire d’homme.

Pendant des années, des allégations qui torpilleraient la carrière de n’importe quel dirigeant occidental laïc ont été dissimulées ou minimisées par une garde prétorienne de journalistes libéraux qui, dès 2013, ont misé leur réputation sur « le grand réformateur ». Par conséquent, même les catholiques fervents ne savent pas que le premier pape jésuite a essayé de mettre à l’abri de la justice plusieurs abuseurs sexuels répugnants, pour des raisons jamais expliquées de manière satisfaisante.

Ce n’est que maintenant que la vérité éclate au grand jour, au grand soulagement du personnel du Vatican qui doit traiter avec un pape qui ne ressemble guère à la figure avenante et rieuse qu’ils voient à la télévision. Ils sont – ou étaient jusqu’à récemment – terrifiés par un patron dont le règne autocratique est davantage façonné par ses colères et ses ressentiments mijotés que par un quelconque programme théologique. Et ils ne peuvent dissimuler leur satisfaction de voir qu’un scandale particulièrement horrible impliquant l’allié du pape, le père Marko Rupnik, est en train de faire tomber la façade du « Squid Game pontificate », du nom de la série Netflix sud-coréenne dans laquelle les candidats doivent gagner à des jeux traditionnels d’enfants pour échapper à l’exécution.

L’affaire Rupnik est sûrement destinée à devenir un documentaire à gros budget ou un véritable drame criminel. C’est le scandale le plus révoltant que j’ai rencontré en plus de 30 ans de reportages sur l’Église catholique. Rupnik, un artiste extrêmement bien introduit, pour lequel l’Église a dépensé des centaines de millions de livres sterling en mosaïques de mauvais goût, a été expulsé de l’ordre des Jésuites l’année dernière après avoir été accusé de manière crédible d’avoir violé des religieuses appartenant à une communauté qu’il avait fondée dans sa Slovénie natale. Des femmes ont affirmé que la communauté était un culte sexuel. Elles disent qu’il a essayé de les forcer à regarder des films pornographiques, à boire son sperme dans un calice, à dépuceler violemment une sœur dans une voiture et à encourager les jeunes femmes à s’engager dans des relations sexuelles à trois qui, selon Rupnik, illustreraient le fonctionnement de la Sainte Trinité.

L’année dernière, face à une explosion de colère sur les réseaux sociaux catholiques – les médias mainstream sont restés étrangement silencieux – le pape François a déclaré qu’il agirait contre son ami Rupnik. Il ne l’a pas fait. Il n’a pas non plus expliqué pourquoi, alors que Rupnik risquait l’excommunication pour avoir abusé du confessionnal afin d’« absoudre » l’une de ses victimes sexuelles féminines, il a été invité à diriger une retraite au Vatican, ni pourquoi son excommunication ultérieure a été mystérieusement levée en quelques semaines avec l’approbation du pape.

Ce mois-ci, le père Rupnik a été inscrit dans l’annuaire 2024 du Vatican en tant que consultant sur le culte divin, entre autres choses. Pendant ce temps, l’évêque Daniele Libanori, le jésuite qui a enquêté sur les accusations des femmes et les a jugées crédibles, a été démis de ses fonctions d’évêque auxiliaire dans le diocèse de Rome.

Un autre scandale toxique est toujours en cours en Argentine. En 2016, l’évêque Gustavo Zanchetta, l’ancien protégé le plus choyé du cardinal Bergoglio, a dû démissionner du diocèse d’Orán après avoir été accusé de corruption financière et de tentatives agressives de séduire des séminaristes. La réponse du pape ? Il a fait venir Zanchetta par avion à Rome et lui a inventé un travail : « assesseur » des fonds gérés par l’Administration du Patrimoine du Siège Apostolique (APSA), le trésor du Vatican. Zanchetta a ensuite été condamné pour avoir agressé des séminaristes, bien que Rome ait refusé de fournir les documents demandés par le tribunal argentin. Il purge sa peine de prison dans une maison de retraite au milieu d’informations selon lesquelles ses accusateurs sont harcelés.

Cette histoire revient hanter François, dont les ennemis – enhardis par le relâchement de son emprise sur le gouvernement du Saint-Siège – font circuler des documents extrêmement préjudiciables. Ceux-ci suggèrent que le pape est encore plus empêtré dans le scandale qu’on ne le soupçonnait auparavant. Et il y a d’autres affaires : en tant qu’archevêque de Buenos Aires, François a tenté en vain d’éviter la prison à un pédophile, le père Julio Grassi, en commandant un rapport qui qualifiait ses victimes de menteuses.

Les sombres secrets de ce pontificat pèseront lourd dans l’esprit des cardinaux lors de leurs discussions pré-conclave, avant qu’ils ne votent dans la chapelle Sixtine. Ils parleront en code : personne ne veut prendre le risque de salir ouvertement la réputation d’un souverain pontife récemment décédé (ou à la retraite). Mais les cardinaux seront obligés de parler des divisions de plus en plus vénéneuses entre les catholiques libéraux et conservateurs, qui remontent au Concile Vatican II mais qui se sont considérablement aggravées sous ce pontificat. Et ils auront du mal à faire la part des choses entre la politique de François et sa personnalité, tant il prend un plaisir visible à utiliser ses pouvoirs pour surprendre l’Église universelle.


Quand François a pris ses fonctions, la plupart des cardinaux partageaient l’enthousiasme populaire pour son style informel : sa préférence pour être connu comme simple « évêque de Rome » et son abandon de certains des ornements les plus burlesques [???] de sa fonction, tels que les chaussures rouges. Mais ils ont rapidement découvert que ce pape « informel », contrairement à ses prédécesseurs, aimait gouverner par décret exécutif.

François a émis un torrent de décisions papales connues sous le nom de motu proprio (littéralement, « de son propre chef ») – plus de 60 jusqu’à présent, six fois plus que Jean-Paul II – apportant des changements massifs à la liturgie, aux finances, au gouvernement et au droit canon. Elles débarquent souvent sans prévenir et peuvent être brutales : le pape a utilisé ce mécanisme pour prendre le contrôle de l’Ordre de Malte, par exemple, et pour supprimer les privilèges de l’Opus Dei, une organisation secrète mais ultra-loyale.

Deux décisions ont surtout traumatisé les catholiques conservateurs pour lesquels François nourrit une aversion pathologique, manquant rarement une occasion de les réprimander en public pour leur « rigidité » ou de se moquer de leurs vêtements traditionnels, ornés de ce qu’il appelle de « dentelle de grand-mère ».

La première est sa décision, émise via motu proprio, d’écraser la célébration de la messe en latin d’avant 1970 que Benoît avait soigneusement réintégrée dans le culte de l’Église. En 2021, dans une décision dont il savait qu’elle causerait une terrible douleur à son prédécesseur à la retraite, François a effectivement interdit sa célébration dans les paroisses ordinaires.

Seule une infime partie des 1,3 milliard de catholiques dans le monde assiste aux messes de l’ancien rite, alors pourquoi l’interdiction a-t-elle pris une telle ampleur ? C’est en partie le reflet de la rigueur cromwellienne avec laquelle elle a été appliquée par le nouveau chef de la liturgie de François, le cardinal Arthur Roche, l’ecclésiastique anglais le plus puissant à Rome.
Originaire de Batley et ayant les manières d’un conseiller municipal du Yorkshire imbu de sa personne, Roche s’est transformé en cette bête romaine familière : un libéral autoritaire avec un goût pour le Satimbocca alla Romana le plus juteux et le tiramisu le plus moelleux. Cette année, il a forcé son vieux rival, le cardinal Vincent Nichols de Westminster, à interdire les cérémonies de l’ancien rite de la Semaine Sainte dans son diocèse.

Le pair conservateur britannique Lord Moylan, un catholique traditionaliste, a déversé sa fureur dans un post sur X :

« J’ai entendu une merveilleuse messe tridentine ce soir. Je ne vous dirai pas où c’était au cas où Arthur enverrait ses sbires. Je dirai simplement que le catholicisme anglais a une tradition séculaire de messes clandestines. Tout ce qui a changé, c’est qui nous persécute. »

De nombreux évêques n’aiment pas les cérémonies en latin à la chorégraphie complexe, mais ce qu’ils détestent encore plus, c’est de se faire tordre les bras par un pape qui, tout en disant au monde qu’il donne du pouvoir aux évêques en encourageant la « synodalité », quoi que cela signifie, sape leur autorité pastorale sur leurs paroisses.

Mais même cette controverse fait pâle figure à côté de l’explosion de rage de la moitié des évêques du monde lorsque, juste avant Noël, sans avertissement ni consultation, le pape a signé Fiducia Supplicans, un document autorisant les prêtres à bénir les couples homosexuels. Cette fois, l’instrument qu’il a choisi est une déclaration du bureau de doctrine de l’Église, le Dicastère pour la Doctrine de la Foi (DDF), selon laquelle les couples de même sexe ou les personnes dans d’autres situations « irrégulières » peuvent recevoir des bénédictions « non liturgiques » de la part des prêtres. C’était étonnant car, pas plus tard qu’en 2021, le même bureau avait condamné la notion de couples de même sexe. De plus, personne n’avait jamais entendu parler d’une bénédiction non liturgique. Elle n’existait pas dans le droit canon. Qui a eu cette idée ?

Le nouveau préfet du DDF, le cardinal Victor « Tucho » Fernandez, le plus excentrique des protégés argentins du pape, faisait son entrée. Il est difficile de surestimer l’étrangeté de la nomination de Fernandez à la tête du DDF. Il était surtout connu pour avoir écrit un livre sur la théologie du baiser – jusqu’à ce que l’on découvre qu’il en avait également écrit un sur la théologie de l’orgasme, contenant des passages si dérangeants que Tucho lui-même a eu des doutes et a apparemment essayé de cacher toutes les copies existantes.

Comment ce poids plume embarrassant a-t-il pu occuper un poste précédemment détenu par Benoît XVI, qui, sous le nom de Joseph Ratzinger, était sans doute le plus grand théologien catholique du XXe siècle ? Une théorie veut que Fernandez n’ait pas été le premier choix de François, mais que le nom de son candidat préféré, l’évêque progressiste allemand Heiner Wilmer, ait fait l’objet d’une fuite et qu’il ait donc choisi quelqu’un d’autre. Dès qu’il a pris ses fonctions, Tucho a écrit Fiducia Supplicans et l’a déposé en cachette sur le bureau de François sans le montrer aux autres cardinaux de haut rang, qui lui auraient certainement crié de le déchirer.

Les retombées ont été spectaculaires. Il y avait déjà un fossé grandissant entre les évêques catholiques, menés par les progressistes allemands et américains, qui pensaient qu’il était acceptable de bénir les couples gays et ceux qui pensaient que cela tournait en dérision les enseignements du Christ. Après Fiducia Supplicans, ce fossé est tellement visible qu’on peut le voir depuis l’espace.

Le 11 janvier, les évêques d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique de l’Est et d’Afrique centrale ont annoncé conjointement qu’ils « ne considèrent pas qu’il soit approprié pour l’Afrique de bénir des unions homosexuelles ou des couples de même sexe ». François, imprévisible comme toujours, a alors déclaré que c’était bien parce qu’ils étaient Africains, jetant ainsi Tucho sous le bus, s’ouvrant à des accusations de racisme et offensant le lobby LGBT. Les militants des droits des homosexuels étaient déjà mortifiés par la « clarification » paniquée du Vatican du 4 janvier indiquant que les bénédictions des couples de même sexe devaient durer au maximum 15 secondes et n’étaient « pas une approbation de la vie qu’ils mènent ».

Pendant ce temps, l’Église gréco-catholique ukrainienne, blessée par les ouvertures papales à Poutine, a déclaré que Fiducia Supplicans ne s’appliquait pas à elle non plus. Il en va de même pour l’Église polonaise. Plus récemment, l’Église orthodoxe copte a pris la mesure radicale de suspendre le dialogue théologique avec Rome.

« Hagan lio ! » – « Mettez le bazar ! – était le message du nouveau pape aux jeunes catholiques en 2013. Que voulait-il dire ? Toutes ses paroles sont trempées dans l’ambiguïté ; cela s’explique peut-être par sa déclaration selon laquelle l’Église « fait toujours le bien qu’elle peut, même si, ce faisant, ses chaussures sont salies par la boue de la rue ». Mais Fiducia Supplicans sent le désordre accidentel, pas le risque calculé. C’est quelque chose que tu grattes sous ta chaussure parce que tu n’as pas regardé où tu allais. Le pape aurait-il perdu la raison ?

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Une source du Vatican qui observe le pape de près depuis une dizaine d’années confie:

« C’est l’un des hommes les plus compliqués que j’ai jamais rencontrés. Il peut être terriblement drôle et aussi incroyablement vindicatif. Si vous le contrariez, il vous donnera un coup de pied quand vous serez au plus bas. »

« Mais n’allez pas croire que c’est un maître stratège. C’est un tacticien maladroit qui passe son temps à allumer et éteindre des incendies. Sa priorité numéro un, qui l’emporte sur tout le reste, est qu’il soit impénétrable. Il ne veut pas que l’on sache ce qu’il a l’intention de faire – et, si vous le découvrez, il fera le contraire, même si cela perturbe ses plans. C’est presque psychotique. »

Ma source n’appartient à aucune faction cléricale et ses évaluations des gens ont tendance à être bienveillantes. Il a été intéressant d’observer comment, au cours de nos rencontres à Rome ces cinq dernières années, son opinion sur François s’est durcie au point qu’il le décrit sans hésiter comme un homme méchant.

Si François annule tout plan anticipé par les médias, alors cela contribue à expliquer le désastre de Fiducia Supplicans : L’évêque Wilmer est probablement plus hétérodoxe que le cardinal Fernandez sur le sujet de l’homosexualité, mais il n’aurait jamais mis son nom sur les « gribouillis amateurs de Tucho », comme un critique décrit le document.

Mais notez la rapidité avec laquelle le pape est passé à la vitesse supérieure. Un livre que vient de publier le catholique conservateur français Jean-Pierre Moreau [François, La Conquête du pouvoir. itinéraire d’un pape sous influence, 2022] dépeint Jorge Bergoglio comme un iconoclaste libéral inspiré par une théologie de la libération quasi-marxiste. Je pense que c’est faux, et qu’il est ce qu’il a toujours été : un péroniste. Comme Juan Perón, le président populiste de l’Argentine de son enfance, il est plus intéressé par le pouvoir que par les idées. Ma source au Vatican parle du « charme puissant de François, sa façon de vous faire croire que vous êtes la seule personne qui compte ». Ils disaient la même chose de Perón, un opportuniste consommé qui, au sommet de son pouvoir, a obtenu le soutien simultané des néo-nazis et des marxistes, mais qui prenait aussi plaisir à s’en prendre de façon inattendue à ses alliés comme à ses adversaires.

D’un point de vue idéologique, le péronisme est un peu partout, mais il s’est toujours engagé en faveur du bien-être social et s’est aussi montré passionnément anti-américain – deux courants durables dans la pensée de François. Pendant le pontificat de Jean-Paul II, Bergoglio a insisté sur son orthodoxie théologique, ce qui lui a valu la haine de certains de ses confrères jésuites. Mais il a toujours détesté les cérémonies méticuleuses – on l’a vu jeter virtuellement le Saint Sacrement dans la foule à Buenos Aires – et quand on le voit bailler pendant les cérémonies à Saint-Pierre, on ne peut s’empêcher de se demander s’il ne trouve pas la messe ennuyeuse. Il ne la célèbre plus en public, et l’excuse selon laquelle il est toujours trop malade pour le faire ne fonctionne pas : Jean-Paul II disait la messe même lorsqu’il était handicapé par la maladie de Parkinson et qu’il pouvait à peine parler.

Le soir de l’élection de François, le site web traditionaliste Rorate Caeli a publié un cri d’angoisse de Marcelo Gonzalez, un journaliste de Buenos Aires. Il s’intitulait : « L’horreur ! » [ndt: voir sur mon site « Pourquoi nous métitons François »] et décrivait le personnage effacé qui venait d’accéder au balcon de Saint-Pierre comme « le pire de tous les candidats impensables ». Bergoglio était un « ennemi juré de la messe traditionnelle » qui avait « persécuté tous les prêtres qui s’efforçaient de porter une soutane ».

Comme la plupart des observateurs, j’ai pensé que l’article était exagéré, et comme la plupart des observateurs, j’avais tort. Gonzalez avait raison à propos de la messe en latin – et aussi à propos des soutanes. De nos jours, les prêtres ambitieux de Rome savent que le souffle de la soutane pourrait les conduire à un poste de curé misérable, c’est pourquoi ils traversent maintenant les piazza dans de ternes costumes cléricaux.

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Mais François est-il vraiment un libéral ? Le fait qu’il déteste les conservateurs ne signifie pas qu’il soutient l’ordination des femmes – ce n’est pas le cas – et il ne faut pas trop se fier aux photos occasionnelles avec un catholique LGBT : les ragots de la Curie suggèrent que, lorsque le Saint-Père baisse sa garde et se laisse aller à l’argot scatologique de Buenos Aires, il n’est pas particulièrement élogieux à l’égard des « gays ». Ou d’autres minorités.

Il est difficile d’expliquer la proéminence du clergé gay dans son entourage, tant en Argentine qu’à Rome, étant donné que personne n’a jamais suggéré que Jorge Bergoglio, l’ancien videur de boîte de nuit qui avait une petite amie avant d’entrer au séminaire, était homosexuel. Mais il sait à qui appartiennent les placards qui contiennent des squelettes. Un prêtre de Rome m’a raconté : « Quand Bergoglio se rendait à Rome dans le passé, il logeait parmi les autres visiteurs dans la Casa del Clero, absorbant les ragots, dont la plupart concernaient des membres du clergé homosexuels. Et il ne l’oubliait pas. » (La Casa est l’endroit où François est retourné pour régler sa note après son élection et s’est assuré que des caméras étaient installées pour enregistrer son humilité).

Bien sûr, le futur pape n’était pas le seul à recueillir des informations de cette manière. La politique latino-américaine, qu’elle soit ecclésiastique ou laïque, a toujours été huilée par l’échange de secrets – et nulle part ailleurs plus qu’en Argentine, où les deux tiers des citoyens ont des ancêtres italiens et où le marchandage politique a une saveur nettement italienne.

En 2013, les cardinaux ont peut-être fait preuve de naïveté en s’attendant à ce que l’ex-cardinal Bergoglio fasse le ménage dans la corruption qui avait conduit Benoît XVI à l’état de désespoir impuissant dans lequel il a démissionné de son poste. C’est pourtant la principale raison pour laquelle ils l’ont élu. Il avait promis la lutte contre les parasites, et c’est une promesse qu’il n’a pas tenue.

Le cardinal aurait peut-être dû s’intéresser de plus près à deux cardinaux à la retraite qui lui servaient de directeurs de campagne officieux. L’Américain Theodore McCarrick et le Belge Godfried Danneels étaient tous deux en disgrâce, après avoir été pris en train d’essayer de mentir pour se sortir de scandales sexuels. Les agressions de McCarrick sur des séminaristes étaient un secret de polichinelle dans l’Église américaine depuis des décennies, tandis que Danneels avait déjà été pris en flagrant délit de tentative de dissimulation d’abus incestueux sur des enfants par l’un de ses évêques. François les a immédiatement réhabilités tous les deux. McCarrick a repris son rôle d’émissaire et de collecteur de fonds du pape (bien que François ait finalement dû le défroquer lorsqu’il a été accusé d’abus sur mineurs). Danneels, incroyablement, a reçu une invitation papale à un synode sur la famille.

Pendant ce temps, les réformes financières de François commencent de façon prometteuse. Il a créé le nouveau poste de préfet pour l’économie pour feu le cardinal George Pell, un conservateur australien sans états d’âme. Pell est tombé sur de gigantesques opérations de blanchiment d’argent impliquant de hauts fonctionnaires curiaux – après quoi il a été commodément contraint de démissionner pour faire face à de fausses accusations d’abus sur mineurs à Melbourne.

Au cours de la longue bataille de Pell, finalement couronnée de succès, pour laver son nom, François a inexplicablement donné carte blanche à l’archevêque Angelo Becciu, qui était déjà soupçonné d’avoir la main dans de nombreuses caisses. Becciu a profité de l’occasion pour limoger Libero Milone, l’auditeur indépendant nommé par Pell, en le menaçant de le jeter dans une cellule de prison du Vatican pour le crime d’« espionnage » (c’est-à-dire pour avoir fait son travail).

Finalement, Becciu lui-même a été limogé après la découverte de milliards de dollars versés dans des investissements douteux – à ce moment-là, très curieusement, François l’a nommé cardinal. Et il l’est toujours aujourd’hui, bien qu’il ait perdu la plupart de ses privilèges de cardinal en 2020 après avoir été accusé, avec neuf autres personnes, de détournement de fonds. Il a été reconnu coupable et risque maintenant cinq ans et demi de prison – mais personne ne pense qu’il les purgera : il en sait trop.

Pourtant, tous ceux qui avaient accès à des informations préjudiciables n’ont pas été promus. L’évêque Nunzio Galantino était président de l’APSA lorsque Zanchetta s’y cachait dans le non-emploi d’« assesseur ». Il s’attendait à être nommé cardinal lorsqu’il a pris sa retraite. Il ne l’a pas été et serait furieux.

Ce mois-ci, j’ai reçu un dossier de 500 pages sur Zanchetta. De nombreux détails qui font froid dans le dos concernant les accusations d’exploitation sexuelle de séminaristes n’ont jamais été rapportés. On m’a également envoyé une photocopie d’un document censé montrer que des fonctionnaires diocésains d’Orán ont accusé Zanchetta d’avoir caché la vente de propriétés qui ont financé la construction de son séminaire. Ce document porte les signatures et les cachets des fonctionnaires. Zanchetta aurait prétendu que le pape François lui-même lui aurait conseillé de dissimuler les transactions. Un blog catholique de premier plan a rapporté cette affirmation en 2022 ; les médias grand public ne l’ont pas fait. J’ai montré la photocopie à un ancien très haut fonctionnaire du Vatican, qui m’a répondu par WhatsApp : « J’avais entendu parler de cette affaire comme d’une rumeur, mais maintenant je la vois noir sur blanc ! ».

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Aussi hideux que soient les scandales associés à ce pontificat, il est peu probable qu’ils influencent le prochain conclave autant que le document signé par François le 18 décembre dernier. Fiducia Supplicans a changé la dynamique du collège électoral – non seulement parce qu’il a forcé les évêques catholiques à aborder le sujet radioactif de l’homosexualité qui a déchiré les Églises protestantes, mais aussi parce qu’il résume l’incompétence catastrophique de ce pontificat.

Au moins les trois quarts des futurs cardinaux-électeurs auront été nommés par François. On pourrait donc penser que le conclave, tout en reconnaissant que Fiducia Supplicans est une gaffe, cherchera un pape qui soutienne l’approche relativement peu dogmatique de François sur les questions de sexualité humaine. Et c’est ce qu’il pourrait faire – s’il avait créé suffisamment de cardinaux libéraux. Mais ce n’est pas le cas.

Au cours des premières années de son règne, François a adopté une approche tribale, en particulier aux États-Unis. C’était comme s’il jouait à un jeu de société péroniste, déplaçant les barrettes rouges vers des sièges improbables occupés par des loyalistes bergogliens. Newark, dans le New Jersey, a acquis son premier cardinal : Joseph Tobin, qui avait été proche de Ted McCarrick. Los Angeles a été punie pour avoir un archevêque orthodoxe, José Gomez: au lieu de devenir le premier cardinal hispanique, celui-ci a dû regarder l’honneur aller à son suffragant ultra-libéral Robert McElroy de San Diego, avec l’accusation d’avoir ignoré les avertissements sur les habitudes prédatrices de Ted McCarrick. Chicago a reçu un chapeau rouge, comme le veut la coutume, mais il a atterri sur la tête de l’agressif gauchiste Blase Cupich, inutile de préciser qu’il a été nommé par François.

Ailleurs dans le monde, François a adopté une politique de nomination de cardinaux issus des « périphéries » : Les 1450 catholiques de Mongolie en ont un ; les cinq millions de catholiques australiens n’en ont pas. Les Tonga en ont un, l’Irlande n’en a pas. Mais, ce faisant, il a dû abandonner son jeu consistant à booster les libéraux et à torpiller ses détracteurs conservateurs. Ces étiquettes de faction ne signifient pas grand-chose dans le monde en développement. Au cours des deux derniers consistoires, il a créé 33 cardinaux, dont une poignée seulement ont des opinions radicales de type occidental sur la sexualité. Pour citer un analyste du Vatican : « François a gâché sa chance d’empiler fermement les cartes pour le prochain conclave. » Et maintenant, le collège est plein ; même s’il vit pour convoquer un autre consistoire, il n’aura pas beaucoup de marge de manoeuvre.

Les nouveaux cardinaux cochent plusieurs cases bergogliennes. Ils savourent les attaques du pape contre le capitalisme de libre échange et ses avertissements mélodramatiques sur le changement climatique. Aucun d’entre eux n’est un traditionaliste de droite et, jusqu’à récemment, personne ne prêtait attention à leurs opinions féroces sur la « sodomie ».

Aujourd’hui, ces opinions ont vraiment de l’importance. Pour citer le même analyste, « quand Fiducia Supplicans a été publié, les cardinaux africains ont abandonné leur culte de François du jour au lendemain. La grande majorité d’entre eux ne votera pas pour quelqu’un qui a soutenu Fiducia Supplicans ». Il y a actuellement 17 cardinaux-électeurs africains ; presque tous font partie du bloc anti-gay. À ceux-ci s’ajoutent au moins 10 cardinaux d’Asie, d’Amérique latine et d’Occident qui partagent leurs opinions, même s’ils utilisent une rhétorique plus douce. Selon les règles actuelles, un pape doit être élu à la majorité des deux tiers des cardinaux électeurs. Cela signifie que les conservateurs sociétaux, s’ils s’associent au nombre important de modérés alarmés par Fiducia Supplicans, peuvent bloquer toute personne considérée comme progressiste en matière d’homosexualité.

C’est une mauvaise nouvelle pour le cardinal Luis Tagle, l’ambitieux ancien archevêque de Manille. Il a déjà été surnommé le « François asiatique » en raison de son sens du spectacle et de ses opinions socialement libérales. En 2019, François l’a chargé de l’évangélisation mondiale – un prix énorme qui lui a été arraché lorsque le pape a restructuré son ministère et l’a licencié à la tête de Caritas, l’agence d’aide catholique poursuivie par des scandales d’abus sexuels.

La situation est également délicate pour le cardinal Matteo Zuppi, l’archevêque de Bologne, qui est un affable fétu de paille à bicyclette. Ses idées politiques sont socialistes – ce qui n’est pas un problème pour les évêques des pays en voie de développement – et pendant le règne de Benoît XVI, il a développé un enthousiasme pour l’ancienne liturgie, apprenant même à célébrer la messe tridentine. Sa position sur l’homosexualité est prudente – mais il a permis à un couple gay de recevoir une bénédiction religieuse dans son diocèse et a ensuite, de façon désastreuse, demandé à son porte-parole de mentir à ce sujet, affirmant qu’il ne s’agissait pas d’une bénédiction homosexuelle alors que c’était manifestement le cas. Zuppi n’est pas un fan de Fiducia Supplicans, mais en ce moment, il se heurterait au tiers de blocage.

Les libéraux purs et durs ont encore moins de chance. Blase Cupich de Chicago n’est pas papabile, pas plus que les « garçons McCarrick » Tobin, McElroy, Gregory et Farrell, ou les vétérans de la gauche européenne Hollerich, Marx et Czerny. Le nom du cardinal maltais Mario Grech a été mentionné parce qu’il est secrétaire général du « synode sur la synodalité », un organe consultatif d’évêques et d’activistes laïcs que le pape n’a notamment pas pris la peine de consulter au sujet des nouvelles bénédictions homosexuelles. Grech, surnommé sans ménagement « le Bozo de Gozo » [le clown de Gozo], a vu sa réputation s’effondrer en même temps que celle du synode. Ses ennemis le décrivent comme le plus grand larbin de la Curie (ce qui est injuste pour Arthur Roche, diront certains).

Quant aux papabili conservateurs purs et durs, il n’y en a pas vraiment ; François s’en est au moins assuré. Mais il y a une possibilité conservatrice modérée : Le cardinal Péter Erdő, primat de Hongrie. Contrairement à l’exubérant et larmoyant Tagle, c’est un érudit réservé sur le plan émotionnel. Lorsque je l’ai rencontré autour d’un café à Londres il y a des années, nous en étions à la demi-heure laborieuse d’utilisation d’un traducteur lorsqu’il s’est soudain mis à parler couramment l’anglais. Il a la réputation de ne pas aimer les feux de la rampe et d’avoir la peau un peu fine – mais lors d’un synode sur la famille en 2015, malgré les tiraillements des apparatchiks papaux, il a utilisé sa position de rapporteur général pour défendre de façon magistrale l’enseignement traditionnel. Un observateur du Vatican le décrit comme « ennuyeusement conservateur, ce qui pourrait être exactement ce dont nous avons besoin en ce moment ».

Qu’en est-il des cardinaux modérés qui sont difficiles à cataloguer ?

Le dernier papabile en date est Pierbattista Pizzaballa, le patriarche latin de Jérusalem, né en Italie. Ces derniers mois, les horreurs commises à sa porte ont révélé un diplomate d’une rare habileté. Sa condamnation des attaques des FDI [Forces de Défense Israéliennes: Tsahal] contre les civils à Gaza lui a valu une réprimande du ministre israélien des affaires étrangères – mais il avait auparavant condamné le Hamas pour sa « barbarie » et s’était proposé comme otage à la place d’enfants israéliens. Et bien qu’il ne soit pas difficile de le croire lorsqu’il dit qu’il ne souhaite absolument pas devenir pape, il est possible qu’il soit forcé d’y réfléchir à deux fois.

Mais tout observateur du Vatican vous dira que les nouveaux papabili apparaissent dans le ciel au cours des derniers jours d’un pontificat. Cette fois-ci, ils sont occupés à mémoriser les noms des électeurs asiatiques. (On suppose généralement qu’après François, nous pouvons oublier un autre Latino-Américain ou un Jésuite pendant quelques siècles).

Trois noms reviennent sans cesse : William Goh de Singapour, orthodoxe en matière de sexualité, discrètement critique de la capitulation devant Pékin ; Charles Maung Bo du Myanmar, également critique de l’accord avec la Chine ; et You Heung-Sik, le nouveau préfet du dicastère pour le clergé de Corée du Sud. Le cardinal You est un personnage fascinant : un adolescent converti au catholicisme dont le père a été tué ou a fait défection vers le Nord – personne ne le sait. Il a ensuite converti le reste de sa famille. Sa foi est joyeuse et sa vision de la formation sacerdotale bien plus attrayante que les tirades amères de François contre le « cléricalisme ».

Enfin, nous devons considérer le plus ancien de tous les papabili le cardinal Pietro Parolin, qui, en tant que secrétaire d’État (un mélange de premier ministre et de secrétaire aux affaires étrangères), est techniquement le numéro deux du Vatican. L’Italien de 69 ans est visiblement à la manœuvre et sa candidature est prise au sérieux. Et c’est en soi étrange, car Parolin était en poste quand son substitut Becciu et d’autres détournaient ou jouaient avec des milliards de dollars provenant des fonds de l’Église. De plus, il a été l’architecte de l’accord conclu en 2018 par le Vatican avec Pékin, qui – comme l’avait prévenu l’ancien évêque de Hong Kong, le cardinal Joseph Zen – transformerait l’Église catholique chinoise, y compris les croyants clandestins persécutés, en une filiale entièrement détenue par le Parti communiste.

C’est précisément ce qui s’est passé. Zen, aujourd’hui âgé de 92 ans et considéré par de nombreux catholiques orthodoxes comme un saint vivant, a utilisé un langage extraordinaire à propos de Parolin :

« Il est tellement optimiste. C’est dangereux. J’ai dit au pape qu’il [Parolin] avait l’esprit empoisonné. Il est très gentil, mais je n’ai aucune confiance en cette personne. Il croit en la diplomatie, pas en notre foi ».

Cette pensée est reprise par une source du Vatican qui a travaillé avec Parolin : « Il est gentil avec tout le monde mais creux au milieu. De plus, sa santé est mauvaise. [Tout le monde à Rome évoque des rumeurs de cancer et Parolin ne les a pas démenties] La dernière fois que je l’ai vu, il était si frêle que j’avais peur de lui serrer la main. » Mais une autre source affirme (et cela te donne une vraie saveur des ragots du Vatican) : « Je n’en voudrais pas aux gens de Parolin d’exagérer l’affaire du cancer, parce qu’ils pensent que les cardinaux veulent un pontificat court. »

Personne ne conteste que Parolin est un habile manipulateur, qui s’est spécialisé dans l’assurance que ses empreintes digitales sont loin des scènes de crimes divers. Il nuance ses déclarations sur l’Ukraine et Israël tandis que le pape met les pieds dans le plat avec ses commentaires improvisés. Il bombarde d’amour ses ennemis potentiels. Sentant un retour de bâton contre François, il tire un bord à droite, admettant que les bénédictions homosexuelles de Tucho sont un non-sens.

Pour ses détracteurs, Parolin est le François italien : vide, sournois et méprisant la messe en latin, une position stupide si l’on considère le fait surprenant que l’ancienne liturgie acquiert rapidement un statut de culte parmi les jeunes catholiques. Mais négligent-ils une grande différence ? Dès qu’il est devenu cardinal, Bergoglio avait les yeux rivés sur la papauté et son regard n’a jamais faibli. Parolin, quant à lui, reconnaît peut-être qu’il est trop compromis pour survivre à des scrutins successifs. Sa véritable ambition est peut-être de devenir un secrétaire d’État vraiment puissant sous le prochain homme.

Et nous n’avons vraiment aucune idée de qui ce sera. Beaucoup de choses dépendent du vote des cardinaux modérés et non alignés. Ils ne révèlent rien, surtout maintenant que le Vatican et probablement les curies diocésaines sont truffés de micros cachés. Nous ne pouvons que deviner ce que pense un électeur de poids comme le cardinal Vincent Nichols de Westminster. Jusqu’à récemment, il invoquait le nom du pape François avec une fréquence à faire frémir. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Il doit en avoir assez de la rhétorique vide de sens de la synodalité et d’être bousculé par Arthur Roche. Il n’a manifestement pas été impressionné par Fiducia Supplicans.

On peut facilement imaginer des cardinaux légèrement libéraux voter pour un candidat légèrement conservateur qui puisse s’attaquer aux dommages structurels des 11 dernières années. « François a laissé le droit canonique avec tellement de trous qu’il ressemble à la surface de Mars », déclare un prêtre qui a travaillé à la Curie. C’est exaspérant pour les cardinaux qui, comme Nichols, sont des évêques diocésains. Ils doivent décider si les catholiques divorcés-remariés peuvent recevoir la communion, un sujet désespérément sensible sur lequel le pape est délibérément évasif. Et comment s’assurer que les bénédictions de Fiducia Supplicans sont « spontanées » et « non liturgiques » ? Qu’est-ce que cela signifie ?

Il y a fort à parier que, dans leurs conversations pré-conclave, la plupart des cardinaux seront d’accord pour dire que le prochain pape doit être quelqu’un capable de superviser un travail de réparation d’urgence qui clarifie la doctrine, la portée de l’autorité ecclésiastique et met fin au jihad contre les catholiques traditionalistes, dont beaucoup sont une génération ou deux plus jeunes que les baby-boomers qui les harcèlent en parlant leur jargon.

De plus, les cardinaux savent qu’ils doivent fouiller dans le passé des principaux prétendants. Ils n’ont pas le choix. Le prochain pape fera l’objet d’un examen instantané et impitoyable de la part des enquêteurs en ligne. Un article publié en 2021 dans The Tablet par l’historien de l’église Alberto Melloni décrit une catastrophe bien trop crédible :

Le pape nouvellement élu sort. Et alors qu’il sourit et se présente humblement à la foule sur la place, un message isolé sur les réseaux sociaux fait une accusation stupéfiante. ‘Le nouveau pape, lorsqu’il était évêque, n’avait pas agi contre un prêtre qui avait ensuite commis d’autres crimes’. Sur la place et dans les agences de presse, les yeux tombent du balcon à leurs smartphones … Le pape recule à l’intérieur, et démissionne. Le siège est à nouveau vacant.

L’examen nécessaire sera une affaire gênante, mais les cardinaux ne doivent au moins pas répéter l’erreur commise par leurs prédécesseurs en 2013 – c’est-à-dire prendre un candidat à sa propre estimation. La vérité est que de nombreux catholiques argentins de tout le spectre idéologique connaissaient les défauts de caractère de François : son goût du secret compulsif, ses règlements de compte, ses alliances troublantes et son règne par la peur. Mais personne ne leur a posé la question.

On pourrait dire qu’aucun des plus de 120 cardinaux éligibles n’est aussi mesquin que le Saint-Père. C’est juste ; mais il ne devrait pas être question d’élire quelqu’un qui imite le modus operandi de François. Pas de caméléons, en d’autres termes. Pas de quelqu’un qui était orthodoxe sous Benoît, libéral sous François et qui se glisse maintenant vers le centre.

Le nouveau pape doit être un saint homme qui s’appuie sur des lieutenants qui n’ont pas de saletés sur lui et sur lesquels il n’a pas de saletés – et c’est un fait choquant que cela représenterait une rupture avec les précédents récents. Le pape doit être irréprochable. C’est bien plus important que de savoir s’il est « libéral » ou « conservateur ».

Les traditionalistes ne seront pas d’accord, mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’un mauvais collège de cardinaux. Les cyniques pourraient dire que c’est parce que François, ayant procédé à des nominations « de faction » au début, s’est désintéressé de la question et a nommé des hommes à l’esprit indépendant par accident. Mais ne négligeons pas le rôle des réseaux sociaux : pendant que la garde prétorienne était occupée à cacher des choses, d’innombrables sites Web ont rendu la vie difficile aux vieux crapauds venimeux qui tentent d’arranger les conclaves depuis au moins 2000 ans.

Melloni a probablement raison : lorsque le nouveau Souverain Pontife montera sur le balcon, il y aura un moment d’inquiétude pendant que les fidèles consulteront leur téléphone portable. Mais si les cardinaux ont fait leur travail correctement, les applaudissements reprendront rapidement. Et si vous écoutez attentivement, vous entendrez un autre bruit provenant de tous les bureaux du Vatican : un soupir de soulagement que le Squid Game soit enfin terminé.

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