Après un savant préambule historique, nécessaire pour comprendre l’orientation de toujours de l’Eglise en la matière, balançant sagement entre la prudence de la raison et la reconnaissance du surnaturel comme un fait lié indissolublement à la religion, Luisella Scrosatti souligne à quel point, une fois de plus Tucho/François rompt avec la tradition et se plie au monde. Car:

Comment accorder du crédit à l’Église qui proclame le miracle de la guérison de l’hydropique par le Seigneur, ou de l’infirme par Pierre et Jean, si cette même Église nous dit aujourd’hui que par essence il n’est pas possible de dire quoi que ce soit sur le caractère surnaturel d’un événement ?

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« N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les prophéties ; examinez tout, retenez ce qui est bon » .

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Lettre de Saint Paul aux Thessaloniciens

Sur ce sujet, voir aussi:

Les nouvelles normes sur les apparitions réduisent l’apologétique en miettes.

Luisella Scrosatti
La NBQ
23 mai 2025

Le document présenté le 17 mai est en nette discontinuité avec l’attitude que l’Église a toujours eue à l’égard des phénomènes surnaturels. Les nouvelles normes nient la possibilité de reconnaître les traces de l’intervention de Dieu dans l’histoire humaine.

Les nouvelles normes sur les apparitions mariales présentées le 17 mai dernier, obligent à porter un regard neuf sur l’attitude traditionnelle de l’Église à l’égard des phénomènes surnaturels afin de comprendre si ces normes s’inscrivent ou non dans la continuité.

On sait depuis toujours que l’attitude de l’Église dans ce domaine est celle de la prudence. D’autre part, nous avons les impératifs de l’apôtre Paul :

« N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les prophéties ; examinez tout, retenez ce qui est bon » (1 Th 5, 19-21).

Ces deux aspects sont complémentaires : la prudence est précisément au service de l’exhortation paulinienne, c’est-à-dire que l’Église est appelée à tout examiner, afin de parvenir autant que possible à la certitude morale de savoir si un certain événement est bien une manifestation de l’Esprit.

L’attitude de l’Église a toujours été précisément d’observer, d’examiner, de passer au crible, afin de parvenir à un jugement positif ou négatif quant à l’éventuelle origine surnaturelle de certains phénomènes.

Une certaine systématisation de ces critères a été le fait d’importants théologiens du XVe siècle, tels que le cardinal dominicain Juan de Torquemada et le Doctor Christianissimus, Jean de Gerson [1363-1429]. Il semble que ce qui a déclenché l’intérêt théologique pour le sujet des phénomènes surnaturels soit la décision du concile (controversé) de Bâle de soumettre à un examen minutieux les célèbres révélations célestes de sainte Brigitte de Suède.

Deux conciles œcuméniques ultérieurs, Latran V (1512-1517) et le Tridentin (1545-1563) ont exprimé qu’il appartenait à l’évêque compétent d’agir et de se prononcer définitivement sur tout phénomène surnaturel, avec l’aide de quelques hommes « docti et gravi » (Latran) et « theologi et pii » (Tridentin).

Il s’agit là d’un double principe – compétence de l’évêque et recours aux experts – qui garantit d’une part la dimension de la communion hiérarchique, et d’autre part la science et la compétence nécessaires pour parvenir à un jugement qui se rapproche le plus possible de la certitude morale. Reste ce que l’on appelle la « réserve apostolique », c’est-à-dire la possibilité d’une intervention du Siège apostolique, même sans le consentement de l’évêque.

Le XVIe siècle a ensuite vu la contribution extraordinaire de mystiques tels que Sainte Thérèse d’Avila, Saint Jean de la Croix et Saint Ignace de Loyola, qui ont enrichi le discernement des présumés phénomènes surnaturels avec des critères plus fins. Les siècles suivants voient l’émergence d’importants traités théologiques, parmi lesquels le De discretione spirituum du cardinal Giovanni Bona, et surtout l’œuvre du cardinal Prospero Lambertini, le futur Benoît XIV, à la fois le monumental De servorum Dei beatificatione, et l’ouvrage, qui lui est aujourd’hui attribué et enfin disponible dans une édition critique, Notæ de miraculis.

Cela conduit aux Normæ de 1978, qui résument le long développement historique retracé, énumérant quelques critères positifs et négatifs par lesquels l’Ordinaire peut juger le fait considéré, les relations avec la Conférence épiscopale concernée et avec la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Ces Normæ servaient à « juger, au moins avec une certaine probabilité » de l’éventuelle origine surnaturelle du phénomène concerné.

Le document de 1978 était déjà bien conscient de la rapidité actuelle de la diffusion des nouvelles sur les phénomènes présumés, ainsi que de « la mentalité d’aujourd’hui et des exigences scientifiques et des exigences de l’enquête critique » qui « rendent plus difficile, voire presque impossible, d’émettre avec la célérité voulue les jugements qui concluaient les enquêtes sur le sujet dans le passé ». Mais c’est précisément à cause de ces difficultés que les Normæ ont été émises, afin d’arriver « à la lumière du temps écoulé et de l’expérience, avec un regard particulier sur la fécondité des fruits spirituels » à, « exprimer un jugement de veritate et supernaturalitate, si le cas l’exige ».

Le lecteur pardonnera ce long excursus, nécessaire cependant pour comprendre l’orientation de l’Église en la matière : la plus grande prudence, sans se hâter de se prononcer dans un sens ou dans l’autre, mais aussi l’ouverture à la reconnaissance de la présence de l’Esprit, à travers l’attestation d’éléments qui font appel à la raison de l’homme, capable d’arriver à un jugement hautement probable et à une certitude morale.

En toile de fond de toute cette évolution historique, on peut identifier précisément ce point fixe : l’Église a conscience de la capacité de la raison humaine à saisir les signes du surnaturel. Ce principe sous-tend la crédibilité de la personne de Jésus-Christ lui-même, de l’Évangile et de l’évangélisation.

L’apôtre Pierre, le jour de la Pentecôte, s’adressant aux Juifs, a décrit le Seigneur Jésus comme « l’homme que Dieu vous a crédité par des miracles, des prodiges et des signes » (Actes 2:22) ; Dieu a également crédité l’œuvre des Apôtres eux-mêmes par « de nombreux signes et prodiges » (Actes 5:12).

Le miracle, l’événement surnaturel est une sorte de « signature de Dieu », que l’homme est capable de décoder, un indice que Dieu offre précisément à la raison de l’homme, afin qu’il puisse en reconnaître l’origine. Toute l’action prophétique, du Christ lui-même et des Apôtres, repose précisément sur ce principe : l’homme est capable non pas de connaître directement le surnaturel, mais d’en identifier les signes, les traces, afin de reconnaître l’empreinte de Dieu et de s’ouvrir à l’accueil de son action et de son message.

Or, que trouve-t-on dans les nouvelles normes ? Le cardinal Fernández a tenté de justifier le nouveau document par la nécessité d’une plus grande prudence de la part de l’Église, en raison de la confusion générée par les actions de certains évêques et les déclarations contradictoires. Mais la vérité est que le problème ne réside pas dans le manque de normes ou leur obscurité, mais plus simplement dans les actions imprudentes de prélats individuels ; à tel point que les nouvelles normes reprennent en grande partie les critères du document de 1978. S’il s’agissait donc d’un problème de prudence, le document serait inutile.

La véritable nouveauté du document, par contre, réside dans le fait que désormais la possibilité d’exprimer une opinion positive sur le caractère surnaturel d’un événement sera exclue, mais se limitera, tout au plus, à un nihil obstat ; la mise en garde de l’article 22 §2 exprime cette nouveauté : même dans le cas du nihil obstat, « l’évêque diocésain veillera (…) à ce que les fidèles ne considèrent aucune des déterminations comme une approbation du caractère surnaturel du phénomène ». Ce concept a été réitéré par Fernández lors de la conférence de presse, en réponse à une question de la journaliste Diane Montagna. Se justifiant par la nécessité d’une décision prudentielle, le cardinal a déclaré:

« On ne peut pas demander une déclaration d’origine surnaturelle pour décider dans ce cas, précisément parce que le risque de déclarer [un phénomène] comme surnaturel est celui de donner une pleine certitude».

De sorte que, en dernière analyse, on ne peut plus douter’.

Or, même les pierres savent que lorsqu’un évêque s’exprime favorablement sur le caractère surnaturel d’une apparition ou d’un miracle, et même lorsqu’un pape le fait, il n’entend ni ne peut lier la conscience des fidèles, comme s’il enseignait un dogme ou une vérité de fide tenenda. Il s’est toujours agi d’un jugement prudentiel, même lorsqu’il est exprimé par un constat de supernaturalitate, dont le plus haut degré d’assentiment est la certitude morale, et non la certitude absolue d’un acte de foi. À tel point que l’opposition au jugement autoritaire de l’évêque sur une telle question signifierait tout au plus une imprudence, et non une hérésie ou un schisme.

Le contenu concret du document est donc tout autre : il s’agit de nier que l’Église ait les moyens de pouvoir porter sur un événement un jugement de probabilité ou de certitude morale quant à son origine surnaturelle ; mais comment accorder du crédit à l’Église qui proclame le miracle de la guérison de l’hydropique par le Seigneur, ou de l’infirme par Pierre et Jean, si cette même Église nous dit aujourd’hui que par essence il n’est pas possible de dire quoi que ce soit sur le caractère surnaturel d’un événement ?

Car ce qui est en question, ce n’est pas de savoir ce qui est un objet de foi et ce qui ne l’est pas, mais la capacité de s’exprimer sur la crédibilité d’un fait.

Nonobstant les nombreuses divergences à cet égard entre théologiens, la ligne que poursuit le dicastère semble entièrement nouvelle dans l’histoire de l’Église : sacrifier la credibilitas pour sauvegarder la credentitas, c’est-à-dire renoncer à se prononcer sur le caractère surnaturel d’un fait pour préserver l’acte de foi. Le souci de Tucho, comme il l’affirme dans la Présentation des nouvelles notes, est que l’approbation de certaines révélations conduit à les apprécier « plus que l’Évangile lui-même » ; par conséquent, il vaut mieux ne pas donner de signes d’approbation, mais seulement de concession.

L’expérience est cependant différente et considère les raisons de crédibilité comme une aide à l’acte de foi proprement dit et non comme un obstacle. On le constate quotidiennement dans nos églises et dans la pratique du peuple de Dieu : si certaines apparitions mariales, comme Lourdes, Fatima, Guadalupe, n’avaient pas été acceptées par l’Église, la vie chrétienne du peuple et la fréquence des sacrements seraient encore pires qu’elles ne le sont déjà. La force des signes crédibles des miracles eucharistiques ou des apparitions, qui ont émergé précisément grâce à l’enquête prudente et parfois timide des évêques, a toujours soutenu la foi des gens, en particulier dans les périodes d’obscurité. Voilà pour ce qui est d’entraver la foi.

Le sentiment est que Tucho est complètement conditionné par le courant qui pulvérise l’apologétique depuis plusieurs décennies, créant non pas un saut mais un vide entre les exigences de la raison et l’acte de foi, soutenant une impossibilité substantielle de reconnaître avec une certitude (morale) les traces des interventions de Dieu dans l’histoire de l’humanité.

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