Un passionnant éclairage de Giuseppe Nardi s’appuyant sur le dernier article de Sandro Magister [une-seule-terre-sainte-pour-juifs-palestiniens-et-chretiens-certains-y-croient-vraiment/], très riche comme d’habitude, consacré à la situation au Proche Orient et à la difficile relation entre les Juifs et l’Église. Sandro Magister commentait l’article, publié dans le dernier numéro de La Civilta cattolica, d’un juif converti au catholicisme très impliqué dans le dialogue, le père David Neuhaus sj, et surtout renvoyait à la lectio magistralis tenue récemment à Rome par le cardinal Pizzaballa.
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A noter, le titre de l’article de Giuseppe Nardi, contrairement à celui de Magister, comporte un point d’interrogation. C’est une nuance de taille…

Une « terre sainte » pour les Israéliens et les Palestiniens, pour les juifs, les musulmans et les chrétiens ?

La politique du pape François au Proche-Orient

L’ANALYSE DU PÈRE DAVID NEUHAUS

Giuseppe Nardi
22 mai 2024

David Neuhaus, ein zur katholischen Kirche konvertierter Jude, analysiert die päpstliche Linie im Nahostkonflikt der vergangenen Monate und verweist dabei vor allem auf den Lateinischen Patriarchen von Jerusalem, Kardinal Pizzaballa (Bildmitte), als Mann für eine friedliche Lösung.
David Neuhaus, un juif converti à l’Eglise catholique, analyse la ligne papale dans le conflit du Proche-Orient de ces derniers mois et fait surtout référence au patriarche latin de Jérusalem, le cardinal Pizzaballa (au centre de la photo), comme l’homme d’une solution pacifique.

Le 2 mai, le cardinal Pierbattista Pizzaballa OFM, patriarche latin de Jérusalem, a tenu à Rome une lectio magistralis sur le conflit au Proche-Orient et l' »apostolat de la paix » à y accomplir. L’accent a été mis sur ce que l’Eglise peut et doit faire au milieu de la guerre sans fin entre l’Etat juif d’Israël, établi en 1948, et la population arabe autochtone.

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Le patriarche s’était auparavant rendu dans la bande de Gaza par des chemins tenus secrets, avec l’autorisation d’Israël et en compagnie du Grand Hospitalier de l’Ordre de Malte Fra Alessandro de Franciscis, afin d’apporter aide et réconfort aux quelques centaines de chrétiens restants.

Il a déclaré avoir trouvé à Gaza un niveau de destruction qu’il n’avait vu auparavant qu’à Alep, en Syrie, en 2014.

Deux semaines après la lectio du patriarche, le nouveau numéro de la revue jésuite romaine La Civiltà Cattolica a été publié. L’article principal a été rédigé par le père David Neuhaus, juif né en Afrique du Sud et citoyen israélien. Sa famille avait émigré du Reich allemand vers l’Afrique du Sud dans les années 30 et de là, plus tard, vers Israël. Neuhaus s’est converti à l’Église catholique en 1988 et est entré dans l’ordre des jésuites. En 2000, il a été ordonné prêtre par le patriarche latin de Jérusalem de l’époque, l’arabe chrétien Michel Sabbah.

Ces dernières années, Neuhaus a laissé entrevoir à plusieurs reprises un changement de cap du Vatican sur la question du Proche-Orient, en proposant un État commun pour tous au lieu de la solution à deux États adoptée par l’ONU en 1947. Dans son nouvel article, il fait référence au cardinal Pizzaballa qui, plus que tous ses prédécesseurs, pourrait établir une relation étroite et positive avec le judaïsme.

De « frères aînés » à « pères dans la foi »

Dans ce contexte, Neuhaus cite le pape Benoît XVI, qui a inventé un meilleur terme pour les Juifs que celui de « frères aînés » utilisé dans les milieux ecclésiastiques. Benoît a appelé les juifs « nos pères dans la foi ». Les deux désignations nécessitent toutefois une explication et révèlent la complexité de la question.

Les deux désignations conviennent sans problème pour désigner le judaïsme préchrétien, mais difficilement pour le judaïsme postchrétien.

Les termes peuvent prêter à confusion. Ce danger est inhérent aux deux qualificatifs, en particulier à celui de Benoît XVI, au cas où il aurait effectivement fait référence au judaïsme postchrétien. La référence aux « pères » est une déclaration chronologique qui peut être interprétée de différentes manières. Elle ne s’applique pas au judaïsme postchrétien. Ainsi, dans l’ensemble, une continuité dans l’utilisation du terme « juifs » s’avère inappropriée. Il serait préférable de nommer les Juifs préchrétiens différemment des Juifs postchrétiens, par exemple [resp.] Hébreux et Israélites.

Le cardinal Pizzaballa et son action

Dans son article, Neuhaus indique que le cardinal Pizzaballa « parle l’hébreu et est engagé depuis longtemps dans le dialogue judéo-chrétien ». C’est pourquoi sa nomination par le pape François comme patriarche latin de Jérusalem « a été considérée comme une étape positive par les Israéliens ».

Le cardinal Pizzaballa chez les chrétiens de la bande de Gaza

François avait ainsi rompu avec la dernière tradition en vigueur, selon laquelle le patriarche latin de Jérusalem devait être un « chrétien arabe » autochtone. On pourrait également dire que François est revenu à la pratique initiale, en vigueur depuis 1847, qui consistait à placer un Italien sur le siège patriarcal latin.

Quoi qu’il en soit, la non-nomination d’un Arabe explique une partie de la sympathie israélienne. Parmi les patriarches arabes, des tensions avec les autorités israéliennes s’étaient produites à plusieurs reprises. Selon Neuhaus, François a nommé à la place un homme de l’extérieur et un « ami des juifs » qui, en tant que custode de Terre Sainte, disposait d’une longue expérience en Terre Sainte. Mgr Pizzaballa a pris la direction du patriarcat dès 2016 en tant qu’administrateur, mais ce n’est qu’en 2020 que François l’a nommé nouveau patriarche.

François a souligné l’importance de cette nomination en créant aussi le nouveau patriarche cardinal. Cela s’est passé le 30 septembre de l’année dernière, quelques jours seulement avant le massacre anti-juif du Hamas du 7 octobre, qui a entraîné l’opération militaire israélienne dans la bande de Gaza. Entre-temps, la Cour pénale internationale de La Haye a émis des mandats d’arrêt contre les dirigeants du Hamas islamique ainsi que contre la direction du gouvernement israélien. Dans les deux cas, les accusations sont extrêmement graves.

Bien que François se soit efforcé, avec la nomination de Pizzaballa, de sortir de positions de front figées, l’opposition entre les dirigeants actuels de l’État d’Israël et le pape est aujourd’hui plus grande que jamais. Selon Neuhaus, cela ne vaut pas seulement pour les juifs en Israël, mais dans le monde entier.

Gestes pontificaux

Il convient de rappeler ici que chaque article paraissant dans la revue jésuite romaine est soumis à l’autorisation préalable du Vatican. Pour les sujets importants, dont la question du Proche-Orient, c’est François lui-même qui exerce la censure, sinon c’est la Secrétairerie d’Etat du Vatican.

La crise actuelle, selon Neuhaus, a surtout été déclenchée par certains gestes et paroles de François. Le 22 novembre, François avait d’abord reçu, le même jour, mais à des heures différentes, des proches d’otages israéliens du Hamas du 7 octobre et, peu après, des proches de Palestiniens tués par des unités israéliennes à Gaza. Une guerre de propagande s’est immédiatement engagée autour de cette double audience, dans laquelle la partie israélienne a pu marquer des points grâce à une influence visiblement plus efficace, du moins en Occident. L’opinion publique a été montée contre François avec la fausse information selon laquelle il aurait reçu des proches de terroristes palestiniens se trouvant dans les prisons israéliennes. Il aurait assimilé les terroristes à des juifs innocents tués de manière cruelle. Pire encore, car les terroristes islamiques sont vivants alors que les victimes juives innocentes sont mortes. Pourtant, il s’agissait là d’une pure invention.

La raison de cette campagne de désinformation était la déclaration de François ce jour-là, selon laquelle le conflit qui s’est intensifié depuis le 7 octobre n’était pas une guerre. François a dit textuellement : « Ce n’est pas une guerre, c’est du terrorisme ». Les dirigeants israéliens se sont ainsi vu accusés et ont réagi avec indignation à cette « assimilation inadmissible ».

Neuhaus fait également référence au « refrain constant » de François selon lequel « la guerre est une défaite pour tous ». Cela a provoqué la consternation non seulement « des autorités israéliennes et des personnalités juives du monde entier », mais aussi « des Ukrainiens dans le contexte de la guerre qui se poursuit avec la Russie ».

Il est intéressant de voir comment Neuhaus explique cette attitude du pape. Il fait référence à ses origines en Amérique latine, raison pour laquelle François apporterait « une conscience qui a été façonnée dans le contexte latino-américain de la lutte contre l’oppression et de la solidarité avec les pauvres ».

Le jésuite veut dire par là : « Alors que le dialogue avec les juifs occupait une place prépondérante dans la pensée eurocentrique, le pape François a commencé à élargir la perspective ».

Cet élargissement englobe avec une insistance particulière « le dialogue avec l’islam, la pauvreté, la migration et la question brûlante de l’égalité, de la liberté et de la justice pour le peuple palestinien ».

Neuhaus documente et analyse jusque dans les moindres détails l’évolution de la position du Pape sur la question du Proche-Orient au cours des derniers mois. Parmi les nombreuses voix critiques du côté juif, il mentionne notamment celle du grand rabbin de Rome Riccardo Di Segni. Dans cette deuxième partie de l’analyse, Neuhaus écrit en guise d’introduction

« Les paroles passionnées de Di Segni indiquent le cœur de la crise. De nombreux juifs qui dialoguent avec l’Eglise insistent sur le fait que leur loyauté envers l’Etat d’Israël est un élément essentiel de leur identité juive. Mais que pense l’Église de cela dans le cadre du dialogue avec le peuple juif qui s’est développé depuis le Concile Vatican II ? »

L’identité des Juifs et de l’État d’Israël

Neuhaus identifie le « cœur de la crise » précisément dans la différence d’appréciation de l’État d’Israël et de son identité. Pour les Juifs, « l’événement le plus important depuis l’époque de l’Holocauste est le rétablissement d’un Etat juif sur la Terre promise, en tant que lieu physique de l’alliance entre eux et Dieu », donc « pour des raisons bien plus profondes que politiques », selon Neuhaus.

Les motifs doivent toutefois être considérés de manière différenciée, comme le prouve l’auto-définition des juifs israéliens comme religieux ou laïcs : 55 pour cent se considèrent comme religieux (de traditionnel à ultra-orthodoxe en passant par orthodoxe), mais 45 pour cent se considèrent comme laïcs. Il y a donc une forte composante religieuse, mais aussi une forte composante nationaliste. On voit ici le dilemme du sionisme, qui est un produit du nationalisme européen. Pour être plus précis, il est la dernière forme de ce nationalisme européen qui existe encore réellement.

Neuhaus n’aborde toutefois pas ce point. Il écrit par contre

« Il ne faut cependant pas oublier que cette terre est aussi la patrie des Palestiniens. Aujourd’hui, il y a en Israël-Palestine sept millions de Juifs israéliens et sept millions d’Arabes palestiniens ».

C’est pourquoi il existe la solution des deux États, développée par l’ONU après la Seconde Guerre mondiale, parce que l’on voulait – sous l’égide des Anglo-Saxons – donner un État aux Juifs, sans pour autant priver totalement la population arabe locale de ses droits. La logique sous-jacente remonte à la première moitié du XXe siècle, quand les déplacements de population (en bref, les expulsions) étaient considérés comme un moyen acceptable de politique de puissance selon les plans élaborés par les politiciens autour de la table verte.

Mais, selon Neuhaus, la solution des deux États est « une question politique et diplomatique qui doit être résolue par la voie appropriée ». C’est exactement ainsi que l’Eglise catholique a toujours compris la question dans ses différents documents, notamment dans le document de la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme (1985) « Notes sur la présentation correcte des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l’Eglise catholique romaine« , que Neuhaus cite :

« Les chrétiens sont invités à comprendre ce lien religieux des juifs avec la terre d’Israël, enraciné dans la tradition biblique, sans qu’ils aient à adopter une interprétation religieuse particulière de cette relation. Quant à l’existence de l’État d’Israël et à ses décisions politiques, elles doivent être considérées dans une perspective qui n’est pas religieuse en soi, mais qui se réfère aux principes généraux du droit international« .

Il est clair, selon Neuhaus, que l’Eglise « s’en tient à cette position », même « dans la guerre dévastatrice qui fait rage dans la bande de Gaza ». Mais il est vrai que « le dialogue de l’Eglise avec le peuple juif n’est ni politique ni diplomatique ».

La formulation de Neuhaus montre également la confusion des niveaux conceptuels évoquée au début de l’article de Magister. Il y a le judaïsme en tant que religion. Mais existe-t-il également un peuple juif ou comment faut-il comprendre concrètement la notion de peuple dans ce cas ? Il faut sans doute y voir une référence au sionisme, au nationalisme juif, qui n’a pour sa part pas grand-chose à voir avec le judaïsme en tant que religion.

Pourquoi l’Église devrait-elle entrer en « dialogue » avec un peuple, alors que le niveau de l’Église est celui de la foi, c’est-à-dire celui de la communauté des croyants ?

« Dialogue religieux, théologique et spirituel profond » avec le peuple juif

Selon Neuhaus, le dialogue de l’Eglise avec le peuple juif doit être « bien plus que politique ou diplomatique ». Il doit être « un dialogue religieux, théologique et spirituel profond, fondé sur des racines communes dans les Saintes Écritures d’Israël et visant à partager les préoccupations et à travailler ensemble à la réparation d’un monde brisé ».

Neuhaus ne dit pas comment cela doit se faire.

Mais comment cela serait-il possible alors que Dieu a envoyé son propre fils dans le monde comme le Messie promis, mais que ce sont précisément les Juifs qui l’ont crucifié ? Les Juifs d’aujourd’hui n’ont bien sûr rien à voir avec cela. Ils s’inscrivent toutefois dans la tradition de ceux qui ont ordonné l’exécution de Jésus-Christ. Car il s’agit là de l’élément constitutif du christianisme et de l’acte décisif qui a conduit à la rupture au sein du judaïsme entre ceux qui reconnaissaient le Messie et ceux qui le rejetaient et voulaient l’exterminer. On ne peut pas l’ignorer.

La minimisation en usage aujourd’hui dans les milieux chrétiens, selon laquelle « seule » une foule, la populace, le caniveau a demandé la mort de Jésus, passe tellement à côté de la réalité qu’on ne peut même plus voir l’autre rive. Ce sont les dirigeants du peuple juif, le grand prêtre et son état-major, l’establishment juif de l’époque, qui ont procédé à l’exécution de Jésus. Ils ont insisté de manière implacable, bien que Ponce Pilate et Hérode aient constaté à quatre reprises l’innocence de Jésus. Il y avait déjà derrière tout cela le pouvoir concentré de l’élite religieuse juive. De tout temps, la foule n’est que la piétaille dirigée par les puissants pour la grossièreté. Un Ponce Pilate ne se serait pas laissé intimider par la foule.

Le judaïsme actuel n’est pas le judaïsme préchrétien dans son ensemble, mais le pharisaïsme de l’époque, cette partie de l’ancien Israël qui n’a pas reconnu le Messie, mais l’a combattu – contrairement aux nombreux juifs qui ont vu et se sont convertis, depuis cette époque jusqu’à aujourd’hui.

Or, il se trouve que le Talmud, celui de Babylone comme celui de Jérusalem, regorge d’invectives antichrétiennes, et de la pire espèce. Les chrétiens n’ont jamais demandé une « épuration » du Talmud de ces abominations contre Jésus-Christ, contre la Vierge Marie, contre les apôtres et finalement aussi contre le Saint-Esprit. Du côté juif, en revanche, on a réclamé à plusieurs reprises une « purification » du Nouveau Testament des prétendus « antisémitismes ». Cette confrontation met en évidence une différence importante entre le christianisme et le judaïsme. La vérité n’est en effet qu’une et elle ne peut être changée. Mais comment une collaboration pourrait-elle viser à « travailler à la réparation d’un monde brisé » ? Cela fait fi de toute dimension salvatrice de l’histoire de l’humanité et de la révélation divine.

L’un des dilemmes de notre époque est de vouloir « résoudre » les problèmes, grands ou petits, indépendamment de leur dimension religieuse, concrètement de l’histoire du salut. Or, cela est impossible. Il n’y a pas deux, mais un seul chemin vers la paix, la liberté et la rédemption. La variante laïque d’une résolution des problèmes sans Dieu n’est pas seulement dénuée de sens, elle est un dangereux leurre.

La relation complexe

Mais continuons à écouter ce que le père Neuhaus écrit dans son essai : Selon le jésuite, l’Eglise catholique doit considérer le dialogue avec le peuple juif comme « une question essentielle pour sa propre identité ». Les juifs et les catholiques partagent de nombreux éléments de l’Écriture sainte. Jésus est totalement incompréhensible sans son enracinement dans le monde juif, et l’Eglise s’efforce aujourd’hui d’honorer ce monde juif. Voilà ce que dit le jésuite.

On ne comprend pas pourquoi un tel hommage devrait avoir lieu au-delà des intérêts historico-culturels ou pourquoi il devrait inclure l’époque post-chrétienne. Neuhaus ne le dit pas, mais l’Eglise a renoncé à la « mission juive » sous le pape François. Elle a officiellement déclaré que, par analogie, tous les peuples et les incroyants devaient être convertis au Christ, à l’exception des juifs.

Cela ne peut évidemment pas être le cas, car l’Eglise contredirait ainsi le Christ lui-même. On a déclaré renoncer à une action ciblée et organisée, parce qu’elle agace les juifs, mais il va de soi que le juif individuel peut se convertir et être admis dans l’Eglise. Au fond, tout reste pareil, mais on a éliminé une « nuisance » en changeant l’étiquette. C’est peut-être ainsi que certains voient les choses. Mais est-ce le cas ? Les déclarations ne seront-elles pas prises au pied de la lettre par la prochaine génération catholique éduquée de la sorte, acceptant et établissant ainsi une présumée deuxième voie de salut sans le Christ ? Demain deux, après-demain peut-être trois (pour l’islam, qualifié depuis peu de « religion abrahamique ») et après-demain déjà beaucoup ?

Le chemin vers l’erreur est aussi pavé de nombreuses bonnes intentions – et d’encore plus de prétextes et d’excuses.

Neuhaus exprime une grande compréhension pour le sionisme lorsqu’il écrit :

« Elle [l’Église] est en effet consciente que de nombreux Juifs associent leur identité juive à l’État d’Israël, parce qu’ils voient en lui une garantie de leur bien-être dans un monde qui a souvent été terriblement cruel à leur égard. Certains d’entre eux voient dans l’État une nécessité inhérente à leur judéité ».

Cependant, 75 ans après la création de l’État d’Israël, près de 60 pour cent des Juifs vivent dans d’autres États. Rien qu’aux États-Unis, il y a plus de juifs qu’en Israël. Mais c’est une question d’image de soi, sur laquelle les Juifs doivent bien sûr se prononcer eux-mêmes. Ce qui ne veut pas dire que le reste du monde ne peut pas se prononcer sur les questions politiques qui en découlent, dans la mesure où elles concernent des tiers, et analyser les différentes positions et déclarations.

Mais qu’en est-il des Palestiniens ?

Selon Neuhaus, l’Eglise sait cependant que « sur cette terre que les juifs appellent ‘terre d’Israël’ et qui est également vénérée par les chrétiens et les musulmans, il y a un peuple qui est privé de ses droits, le peuple palestinien ». Il s’agit des Arabes, mais dans l’esprit de la solution des deux Etats de l’ONU, il s’agit du peuple de l’Etat de Palestine non reconnu à ce jour.

Le père Neuhaus rappelle que depuis Paul VI, « les Palestiniens » ont été « explicitement reconnus comme un peuple et pas seulement comme un groupe de réfugiés » par tous les papes. Les visites des papes concernaient la Terre sainte, c’est pourquoi ils associaient toujours une visite en Israël à une visite dans les territoires palestiniens.

  • Le 27 mars 2023, François a reçu en audience l’Israélien Rami Elhanan, un juif, et le Palestinien Bassam Aramin, un musulman. « Tous deux sont des pères endeuillés et des militants du Cercle des parents, un groupe israélo-palestinien de parents qui ont perdu des enfants dans le conflit », a déclaré Neuhaus.
  • A l’occasion de la Vigile de Pentecôte, le 18 mai, François s’est rendu dans la ville de Vérone, au nord de l’Italie. Là, une accolade publique pleine d’émotion a eu lieu entre le pape et l’Israélien Maoz Inon, dont les parents ont été tués par le Hamas le 7 octobre, et le Palestinien Aziz Abu Sarah, dont le frère, bien qu’adolescent, avait été arrêté par l’armée israélienne en 1988, soupçonné d’avoir jeté des pierres. Il a été libéré au bout d’un an et est décédé quelques semaines plus tard des suites de blessures internes infligées par des militaires israéliens pendant sa détention.

Neuhaus recommande, pour comprendre la position du pape, de lire la lettre pastorale du cardinal Pizzaballa du 24 octobre 2023 aux fidèles de Jérusalem.

L’accolade entre le pape François, Maoz Inon et Aziz Abu Sarah le 18 mai dans les arènes de Vérone

Neuhaus espère, comme il l’écrit, un « dialogue intime d’amitié entre chrétiens et juifs après des siècles d’aliénation et de rejet » et pose une question à ce sujet :

« De leur côté, Israéliens et Palestiniens ne pourraient-ils pas espérer un horizon similaire, la fin des hostilités et la construction d’un avenir commun sur une terre qui doit être sainte, en Israël-Palestine ? »

Et revoilà la proposition qui revient à dépasser la solution à deux Etats de 1947, jamais réalisée, pour créer un Etat commun aux Juifs et aux Palestiniens (musulmans et chrétiens). A priori, c’est la partie d’Israël qui veut créer un Erez Israël, un Grand Israël, qui s’imposerait ainsi. Il pourrait toutefois s’agir d’une victoire à la Pyrrhus, car du point de vue démographique, il est facilement concevable que les Palestiniens soient majoritaires dans un tel État dans un avenir proche. C’est aussi la raison pour laquelle on reproche au gouvernement Netanyahu de pousser à l’expulsion des deux millions de Palestiniens de la bande de Gaza, peu importe vers quel autre Etat, l’essentiel étant qu’ils quittent le territoire que l’ONU avait divisé en 1947.

Que nous enseigne l’histoire ?

Mais l’histoire nous apprend-elle que les unions forcées de ce qui ne va manifestement pas ensemble ont réussi ? Non, elle ne le fait pas. La règle est que le groupe politiquement dominant s’impose. Les vaincus n’ont le choix qu’entre l’expulsion/l’émigration et la soumission. Cette dernière option peut être envisagée dans l’espoir d’obtenir ultérieurement l’indépendance de l’État par le biais de la sécession. Qu’est-ce que cela apporterait au Proche-Orient ? Mais personne ne peut répondre à la question de savoir comment l’assimilation pourrait se présenter dans un cas concret. Elle semble objectivement impossible, car elle exigerait un changement de religion.

Le seul modèle vraiment réussi est celui de la Suisse, qui n’a toutefois été imité avec succès par aucun État jusqu’à présent. Pour être précis, l’envie de l’imiter est restée très limitée. C’est globalement regrettable et en dit long sur les obstacles que la pensée humaine du pouvoir dresse contre les solutions de paix et d’égalité.

Pour conclure, Sandro Magister fait remarquer que le nom du patriarche Pizzaballa « apparaît de plus en plus souvent dans les carnets des cardinaux en vue d’un futur conclave ». Mais lier l’élection du pape à une question politique serait sans doute un mauvais conseil.

On a d’ailleurs pu constater récemment à quel point le dialogue que le père Neuhaus appelle de ses vœux au nom du Saint-Siège est difficile. Le 7 mai, Neuhaus a publié dans l’Osservatore Romano, le quotidien officiel du Vatican, un article intitulé « L’antisémitisme et la Palestine« . Celui-ci a déclenché les vives protestations de l’ambassadeur israélien auprès du Saint-Siège Raphael Schutz. Schutz a répliqué à Neuhaus et a transmis le texte à l’Osservatore Romano, qui a toutefois refusé de le publier. En revanche, le vaticaniste progressiste John L. Allen en a fait un compte-rendu détaillé il y a trois jours sur le site d’information Internet Crux.

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