Ou les souvenirs enjolivés de JMB avec Benoît XVI – et pas seulement. Nous avons vu hier [cf. El Succesor (87 ans) a la mémoire qui flanche] comment François mélangeait les noms et les dates dans le livre-interview « El Succesor » co-écrit avec un journaliste espagnol, sans que l’intervieweur (sans doute paralysé par le respect, à moins que ce ne soit par ignorance) ose l’interrompre. Mais le pape n’a pas dit que cela: si tout le reste est au même niveau de fiabilité, on peut supposer que le récit de François est un pur fruit de son imagination, dans le seul but de se donner le beau rôle sans s’inquiéter de proférer des énormités. Et légitimement s’interroger sur la licence qu’il s’accorde de confier des faits strictement internes à l’Eglise à un représentant de la presse laïque (fût-elle de « centre-droit »), ontologiquement hostile.
Ce n’est pas un hasard si c’est le navire-amiral de la gauche italienne, voire européenne, LA REPUBBLICA, qui publie en avant première quelques « bonnes pages » du livre.

Le livre de papa Bergoglio :

« Ratzinger a démissionné par honnêteté.
Après l’affaire Gänswein, seulement des secrétaires à temps partiel ».

www.repubblica.it/italia

Le texte qui suit est un extrait du livre  » Le Successeur « , fruit de trois conversations entre le pape François et Javier Martínez-Brocal entre juillet 2023 et janvier 2024.

. . . . . .

Comment s’est déroulée votre première rencontre avec Benoît XVI après votre élection ?

C’est arrivé dix jours plus tard, le 23 mars 2013. Je suis arrivé à Castel Gandolfo en hélicoptère, il m’attendait sur la piste d’atterrissage. C’est là aussi que nous avons échangé notre première accolade. Il faisait très froid et Benedetto portait une doudoune. Nous avons prié ensemble dans une chapelle. Il a voulu me donner la place d’honneur, mais je l’ai invité à s’agenouiller avec moi sur le même banc. Il a hésité, alors je lui ai dit : « Nous sommes frères ». C’est ainsi que cela m’est sorti du cœur. Ensuite, il m’a accompagné dans une pièce pour parler seul à seul.

De quoi?

Il s’est assis à une table, il y avait une grande caisse et un dossier dessus. Il s’agissait des enregistrements de l’enquête. Il faisait référence aux conversations des trois principaux « enquêteurs » de l’affaire Vatileaks, Jozef Tomko, Salvatore De Giorgi et Julián Herranz, avec des témoins et des suspects. Herranz est un de mes grands amis. Il vient de publier un livre intitulé « Deux papes ».

On a l’impression qu’il y a eu deux affaires dans le scandale Vatileaks : d’une part, le majordome qui, après avoir volé des documents confidentiels, les a divulgués à la presse ; d’autre part, les « dysfonctionnements » de la curie. Saura-t-on un jour ce qui s’est réellement passé ?

Il y avait une véritable clique. Il y avait ceux qui manœuvraient, ceux qui trichaient…. Parmi les victimes, il y avait aussi le cardinal Pietro Parolin, dont on voulait empêcher la nomination au poste de secrétaire d’État. Je vous dirai une chose sur les personnes impliquées : quiconque commet une erreur doit être pardonné et une nouvelle page doit être tournée. Ce qui est différent, ce sont les obstinés. Il y a eu des gens qui ont joué un rôle de second plan et qui ont mis la main à la pâte. Tomko, De Giorgi et Herranz ont enquêté pendant des mois et n’ont présenté leurs conclusions qu’à Benoît XVI, sans passer par le secrétariat d’État et sans informer personne d’autre. C’est pourquoi, ce jour-là, à Castel Gandolfo, Benoît XVI a voulu m’expliquer personnellement les conclusions auxquelles les trois cardinaux étaient parvenus. Il m’a remis le matériel et m’a dit : « J’ai remplacé cette personne, celle-ci et aussi celle-là. Maintenant, je propose de le remplacer lui et lui aussi… ». Il m’a tout raconté. Dans un délai raisonnable, j’ai remplacé les personnes qu’il m’avait indiquées et d’autres selon mes évaluations.

Vous nous avez dit que Benoît XVI ne vous avait jamais imposé de solution.

Quand je lui posais une question, il me répondait : « Peut-être que vous pouvez aussi regarder dans cette autre direction, garder cet autre élément à l’esprit ». Il élargissait le champ. Il avait la capacité d’élargir son regard pour m’aider à prendre la bonne décision ».

Avez-vous jamais eu l’impression qu’il n’était pas d’accord avec vous ?

Non. Il n’a jamais dit « je ne suis pas d’accord ». Au contraire, il disait : « C’est très bien. Mais vous devriez aussi tenir compte de cette autre chose ». Il était toujours en train d’élargir, d’élargir.

Avez-vous des souvenirs matériels ?

Toutes les lettres qu’il m’a écrites. Je les garde précieusement.

Y a-t-il eu des tensions avec des collaborateurs qui ont affecté vos relations ?

Comme vous le savez, après la publication du livre du cardinal Robert Sarah, théoriquement écrit avec le pape émérite, j’ai été contraint de demander au secrétaire de Benoît de solliciter un « congé volontaire » ou une « mise en disponibilité volontaire », tout en conservant le poste de préfet de la Maison pontificale et le salaire.

Au fil des ans, je me suis rendu compte de l’ampleur de la responsabilité des collaborateurs de chaque pape.

Après cette expérience, et d’autres, j’ai décidé de dissoudre immédiatement le secrétariat papal. Mes deux secrétaires collaborent également avec d’autres services et ne m’aident qu’à temps partiel. Ils restent avec moi pendant quatre ou cinq ans, puis ils sont remplacés.

Pourquoi ?

« La présence d’un secrétaire omnipotent n’est pas une bonne chose. Je n’oublierai jamais une anecdote. Un évêque qui avait l’habitude d’exercer des pressions est venu me voir à Buenos Aires et m’a dit qu’il partait pour Rome. Il avait un énorme sac avec lui et je lui ai demandé : « Qu’est-ce que tu as là-dedans ? « . « Le dulce de leche des secrétaires de Jean-Paul II. Ils l’adorent », m’a-t-il répondu. Là, quand un secrétaire commence à recevoir des cadeaux, je commence à m’inquiéter. Parfois, cela se fait contre son gré, mais ces cadeaux finissent par le conditionner. Le métier de secrétaire est très difficile. Un bon secrétaire vous aide sans laisser de trace.

Les derniers mois ont été difficiles… Certaines de vos décisions ont été contestées, même par certains évêques, surtout les plus conservateurs. Qu’est-ce qui n’est pas compris dans votre action ?

Je ne sais vraiment pas quoi vous dire. Mais je pense que le problème est que lorsqu’ils ont des doutes, ils ne dialoguent pas. Je leur dis : « Demandez, dialoguez, apportez les vrais problèmes à Rome, pas des hypothèses de problèmes ». Je crois que les problèmes doivent toujours être abordés par le dialogue (…). Parfois, les gens restent par erreur dans le doute au lieu d’aller demander des explications directement à ceux qui ont pris certaines décisions.

Comment vivez-vous cette situation ?

Ça me désole un peu. Peut-être que beaucoup ont du mal à comprendre à quel point je peux être désordonné, parce que je le suis vraiment. Je devrais être plus prudent à cet égard.

Peut-être préféreraient-ils que vous restiez là à regarder.

Mais un pape ne peut pas rester immobile. L’Église est en marche et le pape marche avec elle. De nombreuses questions dogmatiques et morales ont été clarifiées au cours du siècle dernier. Il s’agissait de vérités qui existaient déjà, mais qui avaient besoin d’être clarifiées. Aujourd’hui, nous disons que la peine de mort est immorale, alors qu’il y a deux siècles, on ne pouvait pas le dire. Aujourd’hui, je le dis et c’est accepté sans problème. Aujourd’hui, nous disons que la simple possession d’armes atomiques est immorale en raison du risque qu’elles créent. Avant, on ne pouvait pas le dire. Comme vous le voyez, il y a un progrès dans la connaissance de la morale, de la foi. Ce n’est pas qu’elles changent, simplement certaines réalités deviennent plus explicites.

Lorsqu’on vous a demandé si vous étiez conservateur ou libéral, vous avez répondu : « Les définitions sont limitatives. J’essaie de ne pas être conservateur, mais fidèle à l’Église et toujours ouvert au dialogue ».

Être fidèle à l’Église signifie être ouvert au dialogue.

Dans l’Évangile, Jésus promet à Pierre : « J’ai prié pour toi ». Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Je demande au Seigneur de ne pas me laisser, de ne pas m’abandonner. Je ne lui dis jamais de prier pour moi, mais de ne pas m’abandonner. Je lui demande de m’aider à ne pas créer de problèmes, mais de me pardonner si cela m’arrive. Je lui demande toujours de l’aide ».

Pourquoi pensez-vous que Benoît XVI a renoncé à la papauté ?

Ce n’est pas mon hypothèse, je le sais parce qu’il me l’a dit lui-même. Un jour, nous parlions et la question s’est posée. Benoît XVI a renoncé par honnêteté. Il sentait que ses forces l’abandonnaient, et c’était un problème, car en juillet 2013, il devait se rendre à Rio de Janeiro pour les Journées mondiales de la jeunesse. Sa renonciation était un geste d’honnêteté. Il n’était pas du tout attaché au pouvoir. En ce moment, je lis des choses à ce sujet.

Voyez-vous plus d’avantages ou d’inconvénients à la possibilité qu’un pape renonce à l’avenir ?

Je pense que cela dépend de chaque personne. Aujourd’hui, cette porte est ouverte. C’est une option qui a toujours existé, mais Benoît l’a concrétisée. Certains me demandent si j’ai aussi l’intention de renoncer. C’est une possibilité réelle, mais pour l’instant je n’en ressens pas le besoin.

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