Georg Gänswein était dimanche dernier à Altötting, ce sanctuaire marial bavarois qui reste l’un des nœuds de la géographie sentimentale et spirituelle de Joseph Ratzinger, pour y participer au premier forum consacré à Benoît XVI. Il a répondu aux questions du directeur de l’antenne vaticane d’EWTN, livrant une série d’anecdotes touchantes et parfois inédites, confidences souvent tirées de « la simplicité du quotidien » qu’il a partagé avec le Saint-Père pendant 20 ans.

L’archevêque Gänswein partage des anecdotes sur le pape Benoît XVI : Foi, musique et dévotion mariale

Il suffisait de regarder ses yeux pour y voir la douceur – une douceur claire et résolue, qui peut parfois être plus ferme que le marbre.

Le pape Benoît XVI est né à une quinzaine de kilomètres d’un sanctuaire marial qui a façonné la foi de la Bavière, région du sud de l’Allemagne, pendant des siècles.

Pour le défunt pape allemand, la ville d’Altötting a été formatrice. C’est là que s’est déroulé le premier Benedikt XVI Forum, du 12 au 14 juillet. L’un des temps forts a été une conversation très personnelle avec l’archevêque Georg Gänswein, le secrétaire privé de Benoît XVI, qui l’a accompagné pendant près de vingt ans.

Andreas Thonhauser, du Bureau du Vatican d’EWTN News, a interviewé l’ancien préfet de la Maison pontificale en allemand pendant une heure devant des centaines de fidèles venus célébrer l’héritage du pape Benoît XVI. Ils ont découvert ses saints préférés, sa vie de prière, sa dévotion à Marie, et comment il s’est senti accusé lors des scandales d’abus en Allemagne.


Archbishop Georg Gänswein chats with EWTN News’ Vatican Bureau’s Andreas Thonhauser.
Georg Gänswein avec le correspondant à Rome d’EWTN, Andreas Thonhauser.
(photo: EWTN Vatican / EWTN)

Andreas Thonhauser
17 juillet 2024

Le pape Benoît était un homme de foi. Comment vivait-il cette foi au quotidien ?

C’est très simple. Il écrivait, prêchait et parlait comme il vivait sa foi : de manière simple, claire et convaincante. Il n’était pas seulement un grand homme de parole ou de plume.

Il était aussi très clair dans son style de vie et sa vie spirituelle, un fils fidèle de l’Église : Messe, chapelet, bréviaire, lectures spirituelles – rien d’extraordinaire. Cette continuité, indépendamment des circonstances, l’a formé.

C’est cette continuité qui l’a défini et qui a eu un impact émotrionnel, pas seulement sur moi. Je pense qu’elle en a affecté d’autres aussi, non seulement au sein de la famille papale mais au-delà – une forme claire, transparente, cristalline de dévotion.

Vous le décrivez comme doux dans ses interactions.

Tous ceux qui ont bien connu le pape Benoît, ne serait-ce qu’un peu, diraient que l’image de lui comme le « Panzer Cardinal » ou le « Rottweiler de Dieu » est une grossière erreur de représentation. Dans le journalisme, cette image s’est imposée et a malheureusement perduré. Il suffisait de regarder ses yeux pour y voir la douceur – une douceur claire et résolue, qui peut parfois être plus ferme que le marbre.

Il semble qu’il n’ait jamais eu de temps libre. Mais s’il en avait, comment le passait-il ?

Il a toujours aimé faire de la musique. Généralement, les dimanches après-midi étaient des après-midi culturels où il passait du temps avec le Memores Domini, ses secrétaires ; et si son frère était là, c’était encore plus spécial. Nous regardions des vidéos – en fait, des vidéos de messes, de symphonies, d’opéras, etc. Il aimait aussi avoir une heure de lecture où il aimait qu’on lui fasse la lecture. C’était une tradition du temps où sa sœur était encore en vie ; soit ils se lisaient l’un à l’autre, soit elle lui faisait la lecture. C’était quelque chose qu’il chérissait comme une forme de relaxation, de temps libre et de loisir. Il a poursuivi cette tradition jusqu’à peu de temps avant sa mort.

Y a-t-il un morceau de musique spécifique ou un compositeur qu’il admirait particulièrement ?

Il parlait souvent de visiter Salzbourg avec son frère parce qu’il aimait Mozart. Il jouait aussi un peu de Mozart lui-même. Il gardait ses partitions dans un tiroir à côté du piano.

Archbishop Georg Gänswein.
(Photo : EWTN Vatican )

Ce qui lui faisait également du bien et lui était nécessaire, c’était de faire des promenades régulières. La régularité était importante pour lui, [presque] méthodique. Je dois maintenant vous raconter une petite anecdote :

Le lendemain de l’élection du pape, son médecin personnel m’a contacté. Il s’agissait du docteur Buzzonetti, qui avait servi depuis Jean-Paul II et commencé sous Paul VI. Il m’a dit : « Vous devriez veiller à ce qu’il reçoive une bonne dose de quelque chose de bénéfique chaque jour. Emmenez-le faire une promenade d’une demi-heure chaque jour. Gardez ce temps libre, quoi qu’il arrive. C’est la meilleure des préventions ». C’est ainsi que nous avons pris l’habitude de nous rendre en voiture dans les jardins pour réciter le chapelet, quoi qu’il arrive. Par mauvais temps, nous ne sortions pas, mais nous marchions dans les longs couloirs du palais, comme sur une piste de Formule 1.

Vous étiez ici au sanctuaire marial d’Altötting avec le pape Benoît en 2006 [lors du voyage en Bavière; cf. benoit-et-moi|Bavière 2006, ndt]

Né à 17 kilomètres d’Altötting, il a passé sa jeunesse dans cette région et s’y est profondément enraciné avec sa famille. Il l’a mentionné à plusieurs reprises et a souvent souligné l’importance de la Mère de Dieu dans sa vie. Il disait souvent que le fil de sa vie le ramenait toujours à Altötting. Pour lui, Altötting était une maison spirituelle.

Avez-vous appris quelque chose du pape Benoît sur la dévotion mariale ?

Lorsque vous priez régulièrement le Rosaire avec quelqu’un, la prière reste la même – c’est une prière méditative qui se répète. Mais prier ensemble vous façonne et vous lie, surtout dans des circonstances difficiles. La prière commune à la Mère de Dieu a eu un impact profond sur moi et m’a apporté un grand soutien. Nous n’avons pas beaucoup parlé de la dévotion mariale parce que ce n’était pas nécessaire. C’était clair par la pratique.

Qui sont les modèles ou les saints qui ont été particulièrement importants pour le pape Benoît ?

Son homonyme, saint Joseph, a toujours été une priorité. Il y a une petite anecdote à ce sujet.

Le 19 mars, jour de la Saint-Joseph, n’est pas un jour férié au Vatican. En tant que cardinal, il réservait toujours une heure en fin de matinée et invitait le personnel à une méditation sur saint Joseph. Je regrette de ne pas avoir pris de notes pendant ces années. Le cardinal Ratzinger faisait une réflexion de 10 minutes, de mémoire. Il s’agissait de quelques-unes des meilleures méditations sur saint Joseph, chaque année différente. Cela montre comment son homonyme a tracé une ligne spirituelle intérieure pour sa vie, qu’il a transmise. Outre saint Joseph, ses grandes sources d’inspiration furent saint Augustin et saint Bonaventure. En étudiant leurs œuvres et leurs vies, il les tenait en haute estime.

Comment le pape Benoît a-t-il façonné l’Église ?

Dans son homélie inaugurale du 24 avril 2005, il a dit qu’il n’avait pas de programme de gouvernement. Il ne s’est pas assis dans les jours précédant l’homélie pour définir les points spécifiques de l’agenda à mettre en œuvre. Il n’avait pas de programme ; il se laissait guider par la volonté de Dieu et essayait de mettre en œuvre la volonté de Dieu en réponse aux défis du moment. Pour lui, il était clair qu’il ne s’agissait pas de se spécialiser dans un domaine particulier, mais de garder Dieu au centre.

Tout le reste en découle. L’essentiel, c’est la question de Dieu, pas les questions individuelles, qui sont aussi importantes. Mais cherchez d’abord le royaume de Dieu, et tout le reste vous sera donné aussi.

Un sujet difficile : la question des abus et les accusations contenues dans le rapport sur les abus de l’époque où il était archevêque de Munich et de Freising. Comment le pape Benoît a-t-il répondu à ces accusations ?

Joseph Ratzinger a joué un rôle important dans la résolution des problèmes épineux liés aux abus depuis son arrivée à Rome. La question des abus est apparue au début des années 90 aux États-Unis. À l’époque, il s’agissait d’un phénomène entièrement nouveau et inédit. Il n’y avait pas de lignes directrices claires. Des cardinaux américains sont venus à Rome pour discuter avec les principaux membres du clergé et le pape Jean-Paul II afin de trouver une solution et une approche adéquate de la question. L’objectif était également de prévenir de nouveaux abus. Au cours de ces discussions, qui se sont poursuivies pendant plusieurs années, le préfet de l’époque, Joseph Ratzinger, a joué un rôle important. Il a reconnu et fait comprendre que les abus n’étaient pas un problème mineur à balayer sous le tapis, mais un crime contre les personnes, la foi et l’Église.

Archbishop Georg Gänswein chats on-stage with Andreas Thonhauser of the EWTN Vatican Bureau.

Lorsque le « rapport de Munich » a émergé en 2022, le pape émérite Benoît a été contacté. On lui a demandé s’il était prêt à participer. Il a immédiatement répondu : « Bien sûr, je participerai. Je n’ai rien à cacher. » Puis vint la présentation du rapport d’abus. Je ne l’oublierai jamais – ce fut ma pire heure. Voir comment il était traité et ce qu’on lui disait l’a vraiment ébranlé. Cela m’a rendu très triste. Il y a eu une erreur éditoriale. L’un des réviseurs a brandi un document, affirmant en substance qu’il s’agissait d’une preuve que Benoît avait menti. Benoît a immédiatement voulu répondre à cette question et m’a demandé de publier une déclaration dans laquelle il regrettait cette erreur. Il avait en effet été présent à une certaine réunion alors que notre réponse avait prétendu qu’il ne l’était pas, mais il s’agissait d’une erreur et non d’un mensonge. Il s’en est excusé. Il s’agissait d’une affaire datant d’il y a 40 ans, en 1980, et d’un des 20 points à l’ordre du jour. La question était de savoir si un prêtre de la Ruhr pouvait rester dans une paroisse de Munich pendant sa thérapie. La réponse a été positive, mais il n’a pas été fait mention de ce qui se passait ou de ce que l’on pouvait savoir sur ce qui se cachait derrière. Que plus tard, à partir de cette situation, quelque chose de violent ait émergé, c’était après l’époque de Ratzinger. Tout cela s’est produit plus tard. Mais il a été présenté comme si cela s’était passé sous son contrôle.

Comment l’avez-vous vécu dans ses dernières semaines, pas seulement pendant cet épisode très négatif, mais en général ? Avait-il peur de la mort ?

Il a toujours abordé cette question avec calme et cohérence, en y réfléchissant dans ses écrits et ses prières. Il l’a abordée avec la même clarté et la même simplicité que celles qui ont caractérisé sa vie. Au cours de ses dernières semaines, il s’est montré paisible et tolérant, ne montrant aucune peur de la mort. Jusqu’à la fin, son âme et son cœur ont été joyeux.

Andreas Thonhauser

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