Rechercher:

benoit-et-moi.fr:

Accueil

George Weigel

Photo Piew Forum

Sur le Pew Forum, Georg Weigel a participé à une table ronde (avec John Allen) pour informer les représentants de la presse américaine.
On peut supposer que ce qu'il dit ici aux journalistes des medias de plus vaste audience est destinée à cadrer, ou à canaliser les commentaires, pour éviter qu'il ne s'écrive n'importe quoi.

Extraits de son intervention (10/4/2008)

Texte original ici: http://www.pewforum.org/events/?EventID=173

Ce que dit Georg Weigel à propos du discours de Ratisbonne, et des relations avec les musulmans rejoint le contenu de l'article de National catholic Register: "Il y a une méthode dans ses fautes"

Benoît XVI, l'homme et le Pape

J'ai connu Joseph Ratzinger pendant près de 20 ans. Il m'a été extrêmement utile lorsque je préparais la biographie de Jean-Paul II, et j'ai aussi appris à connaître ce sens de l'humour espiègle qu'il a.

Un Pape n'est pas un dirigeant comme les autres
-----------------------------

Je pense que la première chose, étant donné que la question de savoir en quoi ce pape diffère de son prédécesseur revient sans cesse, est de souligner que les changements de papes ne doivent pas être envisagés par analogie avec les changements d'administrations présidentielles ou les changements de gouvernement dans les systèmes parlementaires. Les Papes sont les serviteurs et les gardiens de ce qu'ils considèrent comme une tradition autoritaire, ce qui signifie qu'ils ne font pas ce qu'ils veulent. Et dans cette perspective, la politique signifie quelque chose de différent dans ce contexte que dans le contexte politique avec lequel nous sommes tous familiers dans nos différents pays.

Pourtant, des papes différents ont des personnalités différentes. Ils mettent l'accent sur des questions différentes. Ils apportent des histoires personnelles et spirituelles, des formations intellectuelles différentes à leur papauté. On peut aussi noter que Benoît XVI est le premier pape à avoir été un prisonnier de guerre américain, un point à noter.

Benoît XVI, un Pape qui attire les foules
---------------------------

Ainsi, parlons de ce qu'ont été certaines des surprises de ces trois dernières années, du moins de mon point de vue. Tout d'abord, il y a cette frappante popularité du pape, ce qui je crois n'a pas avoir été enregistré correctement sur les écrans radar d'Amérique du Nord. Ses audiences générales hebdomadaires du mercredi, attirent des foules toujours plus grandes ou au moins aussi grandes que les niveaux atteints par Jean-Paul II au cours du grand Jubilé de l'an 2000. En décembre dernier, alors que j'étais à Rome pour une période de travail, j'ai parcouru le parcheggio, le parking où les bus touristiques arrivent, pour voir s'ils provenaient principalement d'Allemagne et d'Autriche. Et ce n'est pas le cas: en fait, l'écrasante majorité vient d'Italie, et de tous les coins du pays.

Ce pape a touché quelque chose dans le peuple d'Italie, peut-être une faim qui sera rasssasiée par un maître- enseignant. Et cela nous amène à la deuxième surprise, que cet homme si unanimement considéré comme une sorte de gendarme (ndt: "enforcer", un mot que John Allen a rendu célèbre!), abandonne ce rôle pour être le grand-père doux et brillant qui sait expliquer les choses et rendre les points les plus complexes de la doctrine et de la pratique catholiques compréhensibles pour les gens ordinaires, autrement dit pour chacun d'entre nous dans cette salle.

Un grand-père bienveillant et une "encyclopédie ambulante"
----------------------------

Pour vous en donner un exemple, à l'automne 2005, le pape a rencontré quelques milliers d'enfants italiens de 8 - 9 - et 10 ans, qui venaient de faire leur première communion. Et cette séance de questions/réponses avec ces enfants est aussi une présentation magistrale de certaines des idées complexes de la foi et de la pratique catholiques à des enfants, dans un langage qui de toute évidence a résonné pour eux d'une manière que vous n'avez jamais vue.

Vous avez donc cette remarquable combinaison d'une "encyclopédie ambulante" de connaissance théologique, philosophique et historique, mais avec une très forte capacité de simplification, dans le meilleur sens du terme.
C'est le genre de simplicité qui ne peut résulter que d'un travail très détaillé à travers les arguments et les débats, pour arriver à un point d'articulation accessible et qui s'est révélée remarquablement populaire, non seulement à Rome mais partout où le pape a voyagé.

J'ai probablement passé maintenant près de deux ans et demi de ma vie en Pologne à différents moments, et je n'ai jamais rien vu de comparable à la réception du Pape à Cracovie en mai 2007.
Donc, c'est quelque chose à prendre en considération. Je crois que les gens vont se mettre à aimer cet homme d'une manière surprenante.

Le détachement dans l'audace
----------------------

La deuxième chose que je voudrais mettre dans la catégorie des surprises est l'audace. C'est un homme qui est arrivé à cette fonction à l'âge de 78 ans. Il n'est pas question pour lui d'avoir un changement de mode de vie ou un mode de pensée. Il était connu pour être un homme qui réfléchit très soigneusement avant de parler, une sorte de maître qui résumait les opinions lors des réunions. Mais il affiche désormais une sorte d'audace, un détachement au sujet de son audace quand il le juge nécessaire, peu importe que l'avis contraire vienne du sein de sa propre bureaucratie, qui tend à fonctionner comme d'autres administrations dans le monde, à savoir maintenir le couvercle, et l'émotion à son minimum.

Relations avec les musulmans


La leçon de Ratisbonne a fait avancer le dialogue avec les musulmans
----------------------

Le meilleur exemple en a été sa leçon de Ratisbonne du mois de septembre 2006 en Allemagne , largement critiquée à l'époque comme offensante pour la sensibilité islamique. Cette conférence, en fait, a changé le cours du dialogue inter-religieux et la dynamique interne du débat intra-islamique, précisément comme je crois que Benoît XVI avait l'intention de faire. Elle a changé le cours de ce dialogue par la mise en branle d'un processus qui a conduit à la formation d'un forum catholique-musulman qui se réunira deux fois par an, une fois à Amman, en Jordanie, une fois à Rome, et qui va porter son attention sur les questions que Benoît XVI a mises à l'ordre du jour - à savoir, la liberté religieuse comme le premier des droits de l'homme et un droit qui peut être connu grâce à la raison, et d'autre part, l'impératif de séparer le spirituel et le pouvoir politique dans un Etat gouverné avec justesse.

Il y a eu des tentatives de certaines parties du monde islamique pour faire dévier la conversation hors de ces deux questions, que Benoît considère comme le coeur même du dialogue inter-religieux et, de fait, l'Islam rencontre le monde moderne, et refuse de bouger. Lui, très calmement et tranquillement ramène la conversation à ces deux points, qui de toute évidence ont une grande résonance ici, aux États-Unis . .

En termes d'évolution du dialogue, je voudrais également rappeler la récente initiative prise par le Roi Abdullah d'Arabie Saoudite, qui se propose de rassembler dans son pays un nouveau forum de dialogue entre les religions monothéistes, et le Vatican a annoncé les négociations avec le gouvernement saoudien sur l'impensable, ou l'impensable jusqu'à maintenant, à savoir la construction d'une église catholique en Arabie saoudite.

Quand les medias se trompent lourdement...
--------------------

Maintenant, ceux qui ont un intérêt direct à conserver le statu quo dans le dialogue inter-religieux (??) ont manqué la quasi-totalité de l'évènement, tout comme beaucoup de gens ont manqué l'impact de Jean-Paul II quand il est allé en Pologne pour la première fois en juin 1979. Il nous arrive à tous de nous tromper; peu ont eu tort aussi complètement que les rédacteurs du New York Times en juin 79, qui ont écrit le dernier jour de la visite du pape un fameux: "aussi merveilleux que cela ait été pour le peuple polonais, s'il est une chose certaine, c'est que cela n'aura pas d'impact politique sur le futur de l'Europe centrale et orientale". Faux, faux, manifestement faux.

Je pense que nous pourrons, d'ici 20 ans, 25 ans, regarder rétrospectivement la leçon de Ratisbonne comme cette sorte de moment que beaucoup ont raté parce que nous étions englués dans une conception traditionnelle de la manière dont le dialogue inter-religieux doit fonctionner et que nous ne pouvions comprendre le défi direct, mais respectueux, qui remaniait les variables, et créait la possibilité d'un dialogue nouveau et plus profond.

Le Pape à l'ONU
----------------

Je crois qu'à l'ONU, le Pape reviendra sur les thèmes de Ratisbonne, à savoir la relation entre la foi et la raison dans le monde du 21e siècle, peut-être en insistant auprès de l'ONU, une fois encore, les deux points-clés de Ratisbonne - à savoir que la foi détachée de la raison est un danger, tant pour les gens de foi que pour le monde, et qu'une perte de la foi dans la raison, la croyance que nous sommes incapables de connaître la vérité de toute chose, est tout aussi dangereuse pour le monde.

Je serais étonné que - ici j'ajouterais une petite réserve à ce qu'a dit John (Allen) - je serais étonné s'il y avait beaucoup de tour d'horizon global de la part de Benoît XVI à l'ONU. Je sais que c'est ce que ses diplomates voudraient qu'il fasse. C'est ce que les diplomates de Jean-Paul II voulaientt qu'il fasse en 1995 et il ne l'a pas fait. Il a parlé de l'universalité des droits de l'homme. Je pense que le pape a conscience que c'est un moment unique dans ce qui est susceptible d'être un pontificat assez court, et je ne pense pas qu'il va passer une quantité excessive de temps à dire nous aimons ceci, nous n'aimons pas cela ; nous sommes inquiets à ce sujet, nous sommes confiants à ce sujet. Je pense qu'il prendra de la hauteur, en mettant le monde au défi de voir les vérités morales que nous pouvons connaître par la raison, que toutes les personnes peuvent connaître, quel que soit leur choix religieux ou leur absence de choix religieux, que ces vérités morales peuvent être une sorte de grammaire transformant le bruit en conversation, transformant la cacophonie en vrai dialogue.
....

L'Eglise et la société américaines


Quelques mots sur le pape et l'église aux Etats-Unis et sur la société et la culture américaines.

Une saine laïcité, ou le probléme Eglise-Etat résolu
-----------------

Si vous avez lu les travaux de Joseph Ratzinger, en particulier les 10 ou 15 dernières années, alors qu'il devenait de plus en plus inquiet de l'impact corrosif d'un sécularisme agressif en Europe, vous devez être frappés par le fait qu'à plusieurs occasions dans ses écrits, il a souligné que c'était aux Etats-Unis que le problème de l'église et de l'état avait été résolu en premier. Et quand il parle du problème de l'église et de l'état, il ne veut pas dire simplement les rapports institutionnels, les questions relatives à l'establishment et au non-establishment, les rapports légaux ; il veut dire plus largement le problème de la religion et de la modernité. Comment le monde moderne est-il en même temps un monde de la recherche et de la conviction religieuse profondes, et active?

Les Etats-Unis ne sont pas une société post-chrétienne, à l'inverse de l'Europe
--------------------------

Que ce problème ait été résolu, dans un sens, aux Etats-Unis lui semble d'abord, je pense, une autre différence entre les Etats-Unis et l'univers culturel de son discours, qui est naturellement l'Europe. Je soulignerais simplement que pour ce pape et pour un nombre croissant de personnes haut-placées au Vatican, la plus grande différence est que les Etats-Unis ne sont pas une société post-Chrétienne, tandis que l'Europe, au moins l'Europe de l'ouest, ils la perçoivent comme étant complètement prise dans le filet de la dépression post-Chrétienne. Et de quelque façon qu'ils considérent la confusion et la diversité et la pluralité sauvage - le caractère de "marché" de la religion aux Etats-Unis, pour reprendre l'expression de John Allen - ils savent qu'il y a quelque chose de différent dans la culture ici. Et ce pape sait que cela fait une différence dans la société et la politique.
Les communautés religieuses en Amérique ont la capacité de façonner notre vie culturelle, notre vie sociale et notre vie politique d'une manière dont on ne peut désormais que rêver dans pratiquement toute l'Europe de l'ouest, à l'exception peut-être de l'Italie.

La générosité du peuple américain
----------------

Finalement, j'espère que le Pape... remerciera le peuple des Etats-Unis (cf audience à Mary Ann Glendon), pas seulement les catholiques, mais toute la population, pour sa générosité. Le Pape est très conscient que tout ce qui subvient aux besoins du Tiers-Monde, en terme de santé, d'éducation, d'assistance au développement, vient de la générosité volontaire des américains, qui surpasse les programmes gouvernementaux d'aide.
Et je crois qu'il nous remerciera pour cela. Je crois qu'il en est très reconnaissant, et il sait que cela témoigne de quelque chose de bon, dans notre société, le fait que les gens ressentent une obligation de partager leur prospérité avec les autres, en particulier les femmes et les enfants du Tiers-Monde.