Leçons à tirer de la visite papale

2 semaines après la fin du voyage, le bilan "chiffré" par John Allen (10/5/2008)

Cet article est à rapprocher de celui-ci, écrit avant: Comment Benoît définira le 'succès' de son voyage





Bilan du voyage: John Allen nous apporte ses indispensables lumières.
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Il était certain, avant le voyage, que ce type d'analyse se ferait, au royaume des medias, et des sondages, que sont les Etats-Unis. Autant que ce soit un vrai spécialiste qui s'y colle.

A l'intention des "anti", je commence par préciser que ses impressions ne "reflètent en aucune façon mon opinion personnelle" (citation de Benoît XVI après Ratisbonne!!), et que sa manie de tout ramener à des statistiques se déploie encore une fois dans toute son agaçante certitude.
Mais ne boudons pas notre plaisir: puisque sondages il y a eu avant, et que sondages il y a après, autant qu'ils soient bons (que n'aurait-on entendu dans le cas contraire!) même s'ils sont un instrument de "mesure" totalement inapproprié, et totalement américain, qu'il est permis de trouver choquant dans ce contexte. Malgré tout, les sondages reflètent les apparences, et nous avons déjà eu l'occasion de dire qu'elles étaient importantes ici.


Pour les "pro", je me réjouis de noter que l'article est au final très bienveillant pour le Pape -aurait-il pu en être autrement? Il semble en effet que Benoît XVI ait déjoué beaucoup de pronostics, forcément erronés puisqu'ils provenaient de gens qui ne le connaissaient pas; Allen lui-même paraît "bluffé", et il admet, peut-être avec plaisir, "que l'Américain moyen a retenu deux images de Benoît XVI: la gentillesse et la sincérité...."

J'ai surtout bien aimé la conclusion:
"En fin de compte, ce n'était ni une mise en scène, ni une habile stratégie de "public relation" qui ont fait du voyage un succès. C'était l'impression profonde de bonté et de sincérité qui rayonnait du pape".

Nous, comme lui, le savons depuis longtemps, mais qu'il l'ait écrit noir sur blanc est important et encourageant, pour l'impact que cette simple constatation objective risque d'avoir auprès des autres "spécialistes" ou journalistes accrédités auprès du Vatican. Qui pourra encore accoler à son nom les épithètes "froid", "réservé", "peu charismatique", sans apparaître comme d'une mauvaise foi confondante?

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Article original sur le site de NCR: Lessons to learn from the papal trip

" Leçons à tirer des leçons de la visite papale "

Ma traduction:





John Allen nous explique qu'à l'occasion d'une rencontre organisée par le diocèse de Brooklyn, devant un parterre de professionnels des médias et de catholiques du district de New York, il a eu l'occasion de revenir sur les enseignements à tirer de la visite du Pape Benoît XVI aux États-Unis.
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Deux sondages nationaux publiés ces derniers jours, apportent leur confirmation empirique à l'impression d'un succès massif de communication. Des enquêtes menées par le Marist College Institute for Public Opinion, et le Pew Forum on Religion and Public Life, convergent pour conclure que le pape a gagné environ 10 points d'opinion favorable aux États-Unis à la suite de son périple du 15 au 20 avril.
Le sondage des Maristes demandaient aux Américains de juger Benoît en tant que "chef spirituel" et "leader mondial" avant et après le voyage, et sur ces deux thèmes, son score a augmenté de dix points - 62 pour cent des Américains le décrivent aujourd'hui comme «excellent» ou "bon" pour la première rubrique, et 51 pour cent disent la même chose au sujet de la seconde. Le Pew Forum a constaté qu'aux États-Unis,l'approbation globale envers Benoît a augmenté de neuf points, passant de 52 à 61 pour cent, et chez les catholiques elle est passée de 74 à 83 pour cent.
Comme je l'ai fait remarquer à Brooklyn, que 83 pour cent des catholiques américains se soient mis d'accord sur pratiquement tout est un petit miracle, sans parler de ce qu'ils pensent du travail que le pape est en train d'accomplir.

De façon peut-être plus éloquente, l'enquête des Maristes a révélé que 52 pour cent des Américains ont déclaré que le voyage leur a donné une impression "plus positive" de l'Eglise catholique, alors que seulement 12 pour cent l'ont déclaré: «moins positive». Au total, les données conduisent à une conclusion inéluctable: du point de vue de la communication, le voyage a été un "home run" (ndt: terme de base-ball: un coup de circuit est un coup sûr qui permet au frappeur de passer par tous les buts sans erreur de la défense) pour le Saint-Père.

Bien sûr, être pape n'est pas un concours de popularité, et Benoît n'est pas venu en Amérique pour augmenter son score dans les sondages. Sa tâche fondamentale est de rendre témoignage de la foi, ce qu'il a fait abondamment. Sa capacité à attirer des critiques élogieuses en le faisant est néanmoins impressionnante.

Cela dit, les choses auraient facilement pu ne pas tourner de cette façon, et cela vaut la peine d'y réfléchir. L'expérience récente suggère que les discussions sur l'Eglise catholique, et sur la religion en général, dans les médias et sur la place publique n'ont pas toujours un tel dénouement heureux.

En effet, l'entreprise de communications de l'Église est confrontée à une série de redoutables défis. Bien que le voyage du pape ait été une exception à la manière dont ces dynamiques jouent souvent, cela ne les a pas fait disparaître pour autant. Si nous ne tirons pas les leçons de ce voyage, il y a toutes les raisons de croire que tout redeviendra bientôt comme avant .

Ces défis relèvent tant du côté de la presse que du côté de l'église - et comme j'ai un pied dans les deux mondes, je dirai un mot sur chacun.
En ce qui concerne la presse, le problème n'est pas du parti pris contre le catholicisme ou la religion, bien que l'on puisse trouver des cas isolés. Le véritable problème est que la religion n'est pas prise au sérieux comme rubrique de nouvelles (news beat) , ce qui signifie qu'elle n'attire pas la même couverture quotidienne que la politique, les finances, le sport et même le divertissement. La presse laïque couvre les grandes manifestations religieuses, en plus de controverse ou de scandale, mais ignore souvent la texture (warp and woof) quotidienne de la vie religieuse.

Voici un moyen rapide de faire le point là-dessus. Examinons les trois questions suivantes:

- S'il y a une primaire démocrate mardi soir, vous attendez-vous à un compte-rendu dans le journal de Mercredi?

- S'il ya un match de football samedi, vous attendez-vous à un reportage dans les pages sportives du dimanche?

- Consultez-vous instinctivement le journal du lundi pour la couverture de ce qui s'est passé dans les lieux de culte pendant le week-end?

Les réponses habituelles à ces questions - "oui", "oui" et "non" - en disent long sur ce qui est considéré comme des nouvelles dans la grande presse. ...
En conséquence, la couverture de la religion est souvent épisodique, aléatoire et superficielle.
Pour être clair, ce n'est pas que la "couverture" soit par trop négative. Au contraire, les articles critiques sur des sujets religieux sont tout aussi rares, et même probablement davantage, que les «bonnes nouvelles». Dans les deux cas, l'histoire d'origine est souvent correctement rapportée, mais il manque le contexte dans lequel cette histoire devrait être située.

Un exemple classique est la couverture de la crise des abus sexuels en 2002, date à laquelle elle a dominé les titres nationaux. Cette orientation était tout à fait appropriée - il s'agissait d'un exemple classique de situation où la presse joue son rôle traditionnel de "chien de garde", d'une importance critique. Pourtant, il n'y a pas eu une attention équivalente au fait que, dans la même année:

- 2,7 millions d'enfants ont été scolarisés dans des écoles catholiques aux États-Unis, dont une grande partie dans les zones de centre-ville abandonnées par d'autres institutions;
- 10 millions d'Américains ont bénéficié d'une assistance de la part d'organismes de bienfaisance catholique, beaucoup d'entre eux étant des femmes et des enfants à faible revenu;
- Les hôpitaux catholiques ont fourni 2,8 milliards de dollars en soins de bienfaisance sans contrepartie, une fois de plus en faveur des femmes et des enfants à faible revenu.

Quiconque aurait voulu retracer l'histoire de l'Eglise catholique en relation avec la protection des enfants aurait du en parler. Ce ne fut pas le cas en général, mais selon mon expérience, pas à cause d'un parti-pris anti-catholique, mais plutôt du fait que la vie religieuse de routine "vole souvent au-dessous du radar des médias".

Du côté de l'église, notre capacité de communication est souvent entravée par au moins trois facteurs.

- Tout d'abord, nous parlons parfois un jargon pour catholique initié difficile à comprendre pour le monde extérieur. Comme Benoît XVI l'a observé à maintes reprises, l'église est une culture en soi, avec sa propre langue, histoire et psychologie. Tout cela peut être une seconde nature pour ceux qui se meuvent à l'intérieur de cette culture, mais doit être traduit pour ceux qui sont à l'extérieur. À Brooklyn, j'ai évoqué un moment au cours de la couverture par CNN de la messe pontificale à la cathédrale Saint-Patrick où je me suis surpris à utiliser des mots tels que "dicastère" et "ecclésiologie", et où je me suis rendu compte que j'avais "largué" 99% du public.

En second lieu, il arrive que l'église ne parvienne pas à établir sa communication, y compris au niveau basique. A Rome, par exemple, le Bureau de presse du Vatican ferme chaque jour à 3 heures - que Dieu aide un journaliste si une histoire tombe à 3 heures 30! Sous Jean-Paul II, le Vatican a dépensé des millions à l'édification d'un centre de conférences de presse, qui est utilisé peut-être deux ou trois fois par mois. Le bulletin quotidien d'information du Vatican est tout simplement empilé sur un comptoir, dans le Bureau de presse - le porte-parole du Vatican ne sort pas de son bureau afin de recueillir les questions, contrôler des rumeurs ou fournir un contexte pour comprendre les développements du jour, ce que ferait le porte-parole de toute autre grande institution mondiale. On peut souvent trouver des modèles similaires à des niveaux inférieurs.
(D'ailleurs, ce n'est pas parce que les porte-parole du Vatican sont paresseux ou incompétents. Au contraire, Joaquin Navarro-Valls, qui a occupé la fonction sous Jean-Paul II, et aujourd'hui le Père Federico Lombardi, sont des professionnels talentueux qui comprennent la dynamique des médias modernes, et sont des hommes très convenables - very decent men- . Le problème est d'ordre structurel et culturel, pas personnel.)

En troisième lieu, les porte-parole et les dirigeants de l'église apparaissent encore trop souvent sur la défensive, et renfermés. Dans un discours célèbre de 1984, Jean-Paul II a dit que l'église devrait être une "maison de verre», afin que chacun puisse regarder de l'extérieur et voir ce qui s'y passe. Cela implique un niveau de transparence et une volonté de répondre à la curiosité publique que, malheureusement, on ne trouve pas toujours dans la pratique.

La question à 64000 dollars (ndt: à un jeu de "quitte ou double?) devient donc peut-être: Pourquoi le voyage du pape a-t'il pu réaliser un tel "splash" positif, malgré tous ces défis?

En partie, je dirais, parce qu'il est tombé dans la catégorie des "grands événements" que la presse américaine traite très bien. CNN, pour prendre l'exemple que je connais le mieux, a diffusé trois messes pendant le voyage, plus ou moins du début à la fin - Nationals Park, St. Patrick's Cathedral, et Yankees Stadium. Cette couverture a de toute évidence fourni au pape une occasion de projeter sur lui-même et sur son message une lumière positive.

Cependant, la part du lion, dans ce crédit, revient au pape lui-même. Je soupçonne que l'Américain moyen a retenu deux images de Benoît XVI: la gentillesse et la sincérité. Ils ont vu un chef spirituel qui s'est révélé chaleureux, humble, plein de compassion, et qui ne s'est pas dérobé devant la souffrance laissée par la crise des abus sexuels.


La donnée la plus révélatrice du sondage des Maristes sondage était peut-être celle-ci: à plus de deux contre un, les Américains ont considéré la rencontre de Benoît XVI, le 17 avril, avec cinq victimes d'abus sexuels comme le moment le "plus significatif" du voyage. La deuxième réponse la plus fréquente concernait la visite du 20 avril à Ground Zero.
Il est frappant de constater que ces événements ont vu la plus faible affluence, et ne comportaientt pas de discours du pape. La rencontre avec les victimes n'a même pas été diffusée. Pourtant, ces deux moments ont laissé l'impression la plus profonde, parce que dans ces deux occasions, le pape a tendu les bras à la souffrance de personnes - victimes d'abus sexuels à Washington, premiers intervenants, survivants et membres des familles des victimes de Ground Zero.

La leçon à tirer est que les chefs spirituels n'ont pas besoin de chorégraphies élaborées, de multitudes en adoration, ou de rhétorique "à indice d'octane élevé" pour remuer les cœurs. Tout ce qu'ils ont à faire est de montrer au monde un visage pastoral, et le reste suit généralement.

J'ai conclu mes remarques à Brooklyn avec deux défis - un à mes collègues de la presse, l'autre à ceux qui sont en charge de la communication dans l'église.

Pour la presse, mon défi est de transformer la religion en une rubrique d'actualité(? news beat) sérieuse, de sorte que la couverture soit à la fois continue et routinière - en d'autres termes, de sorte que nous ayions à la fois le texte et le bon contexte

Je reconnais que c'est plus facile à dire qu'à faire. Pour une première raison, les médias trouvent souvent que la couverture religieuse n'est pas porteuse financièrement - il est plus difficile de vendre des annonces publicitaires dans les pages religieuses que dans les pages sportives. Pour une autre, un regard critique sur la religion exige du courage, parce que c'est un sujet qui suscite des passions profondes. Pour prendre deux exemples, les journalistes ont vite fait d'être accusés d'anti-catholicisme ou d'antisémitisme, simplement en faisant leur travail. Il est également vrai que les églises peuvent être des lieux clos, plus difficiles à pénétrer que des institutions politiques ou des sociétés qui se considèrent comme responsables devant leurs électeurs ou leurs actionnaires.

Tout cela, cependant, explique pourquoi la couverture de la religion est difficile, mais pas pourquoi elle est négligeable.

Pour l'église, mon défi est encore plus simple: N'oubliez pas les leçons de la visite de Benoît.

En fin de compte, ce n'était ni une mise en scène, ni une habile stratégie de "public relation" qui ont fait du voyage un succès. C'était l'impression profonde (gut-level) de bonté et de sincérité qui rayonnait du pape. Si le catholicisme espère obtenir une audience favorable, sa capacité à projeter ces deux qualités apparaît comme le préalable indispensable.

Et pourtant: Il ne suffit pas simplement de donner une impression de gentillesse et de sincérité. Il faut vraiment être gentil et sincère, et cela, comme tout guide spirituel vous le dira, n'est jamais acquis une fois pour toutes. Cela requiert des résolutions de chaque jour. Y parvenir, personnellement et institutionnellement, représente peut-être le défi le plus durable laissé par Benoît XVI durant ses six jours passés en Amérique.


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