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MARIO VARGAS LLOSA ET LES JMJ
 

Après les JMJ, le prix Nobel de littérature péruvien-espagnol a publié sur le quotidien espagnol de gauche El Païs une longue tribune que Carlota a traduite (1er/9/2011).




 
 

Il prend bien soin de préciser qu’il est agnostique, mais à côtés de certains lieux communs autour des faits (la baisse de la pratique catholique dans les sondages, la timidité d’un Pape mal à l’aise avec la foule), il reconnaît dans l’évènement des JMJ une bonne nouvelle pour l’humanité, et il l'exprime par moments avec des accents presque ratzingériens!

« Une société démocratique ne peut combattre efficacement ses ennemis si ses institutions ne sont pas fermement appuyées par des valeurs éthiques, si une riche vie spirituelle ne fleurit pas en son sein comme un antidote permanent aux forces destructives, facteurs de dissociation et anarchistes qui ont l’habitude de guider la conduite individuelle quand l’être humain se sent libre de toute responsabilité ...
Durant longtemps on a cru qu’avec le progrès des connaissances et de la culture démocratique, la religion, cette forme élevée de superstition, irait en se défaisant, et que la science et la culture se substitueraient largement à elle. Aujourd’hui nous savons que c’était là une autre superstition, que la réalité a mise en pièces ».

La conclusion est un éloge de cette "saine laïcité" dont parle Benoît XVI:

Tant qu’elle ne prend pas le pouvoir politique et que celui-ci sait préserver son indépendance et sa neutralité face à elle, la religion non seulement est licite mais indispensable à une société démocratique.




Carlota:

Même si j’ai bien aimé le style d’écriture et notamment les premières œuvres du récent prix Nobel de littérature, le Péruvien mais très aussi très cosmopolite Mario Vargas Llosa (il a aussi la nationalité du pays où il réside très souvent, l’Espagne), je n’apprécie pas forcément les jugements qu’il porte du haut de sa notoriété et notamment ceux du mois de mai dernier concernant Monseigneur Juan Luis Cipriani cardinal – archevêque de Lima, via le journal espagnol El País et repris bien sûr dans l’un des principaux journaux péruviens, La República :
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« Bien que je sois non croyant, j’ai beaucoup d’amis catholiques, des prêtres et des laïcs, et un grand respect pour ceux qui essaient de vivre en accord avec leurs convictions religieuses. Le cardinal Juan Luis Cipriani, archevêque de Lima, au contraire, me semble représenter la pire tradition de l’Église, autoritaire et obscurantiste, celle de l’Index, de Torquemada, de l’Inquisition et du bûcher pour l’hérétique et l’apostat. Et sa récente autodéfense, " Les droits humains irrévocables " publiée le 1er mai (ndt 2011) à Lima, justifie toutes les critiques qu’au nom de la démocratie et des droits humains il reçoit fréquemment et principalement de la part des secteurs catholiques les plus libéraux ».

Me voulant indulgente, je dirais que les esprits étaient échauffés par la campagne des présidentielles au Pérou qui allait donner la victoire à une courte majorité au jeune retraité de l’armée plutôt indigéniste et de gauche Ollanta Humala, devant la fille de l’ancien président Fujimori, plutôt à droite, dans un pays, rappelons-le, qui a souffert entre les années 1980-1990, de l’épouvantable groupe terroriste marxiste du Sentier Lumineux, responsable du massacre de plusieurs dizaines de milliers de victimes. Néanmoins le procédé des comparaisons outrancières était grossier (et en plus n’avait aucune rigueur historique scientifique). Dans son pays Mgr Cipriani doit actuellement « se battre » contre les partisans des « nouveaux droits » contraire aux préceptes de l’Église, n’en déplaise aux catholiques adultes. Des violentes manifestations, devant la nonciature apostolique et la cathédrale de la ville, ont eu lieu cette année à Lima contre les positions de l’Église Catholique (des vidéos sur l’affaire se trouvent facilement sur la toile).

Mario Vargas Llosa qui se déclare agnostique (et certains de dire militant) a néanmoins écrit dans sa rubrique hebdomadaire dominicale du journal espagnol El País , un article à l’occasion des JMJ. Ce texte présente sans doute des lieux communs, mais il a le mérite, peut-être, de permettre d’entraîner les lecteurs habituels du journal vers une conclusion qui elle, est magnifique.
L’article a été repris, je crois, par L’OR.




 

La fête et la croisade
Original http://www.elpais.com/..., traduction Carlota
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Beau spectacle, que celui de Madrid envahi par des centaines de milliers de jeunes provenant des cinq continents pour assister aux JMJ qui étaient présidées par Benoît XVI et qui ont transformé la capitale espagnole pour plusieurs jours en une Tour de Babel de la multitude. Toutes les races, langues, cultures, traditions, se mélangeaient dans une fête gigantesque de filles et de garçons, adolescents, étudiants, jeunes professionnels venus de tous les coins du monde, chantant, dansant, priant et proclamant leur adhésion à l’Église catholique et leur « addiction » au Pape (« Nous sommes accros à Benoît » était l’un de leurs refrains les plus repris en chœur).

À l’exception du millier de personnes qui, sur l’aérodrome des Quatre Vents, ont souffert d’évanouissement par la faute de la chaleur impitoyable, et dont on a du prendre soin, il ni a pas eu d’accidents ni de problèmes majeurs. Tout s’est déroulé dans la paix, la joie et un vivre ensemble sympathique. Les Madrilènes ont pris avec un esprit sportif les gênes causées par les gigantesques concentrations qui ont paralysé la place de la Cybèle, les artères de la Grande Vía d’Alcala, la Puerta del Sol, la Place d’Espagne et d’Orient , et les petites manifestations de laïcs, anarchistes, athées et catholiques insoumis contre le Pape ont provoqué des incidents mineurs, quoique quelques uns grotesques, comme le groupe d’énergumènes qu’on a vu jeté des capotes à des filles qui, encouragés par ce que Rubén Darío appelait « une blanche horreur de Belzébuth » récitaient le rosaire les yeux fermés.

Il y a deux lectures possibles de cet évènement que le País a appelé « la plus grande concentration de catholiques dans l’histoire de l’Espagne ».
La première y voit un festival plus superficiel que viscéralement religieux, où des jeunes de la moitié du monde ont profité de l’occasion pour voyager, faire du tourisme, s’amuser, connaître des gens, vivre une aventure, l’expérience intense mais passagère de vacances d’été.
La seconde l’interprète comme un retentissant démenti aux prédilections d’une rétraction du catholicisme dans le monde d’aujourd’hui, la preuve que l’Église du Christ maintient sa force et sa vitalité, de ce que la barque de Saint Pierre évite sans danger les tempêtes qui voudraient la couler.

Une de ces tempêtes a comme cadre l’Espagne, où Rome et le gouvernement de Rodríguez Zapatero ont eu quelques collisions ces dernières années et maintiennent une relation tendue. D’ailleurs ce n’est pas par hasard si Benoît XVI est venu déjà plus fois dans ce pays, et deux d’entre elles durant son pontificat. Car il apparaît que la « catholique Espagne » n’est l’est déjà plus autant qu’elle l’était. Les statistiques sont assez explicites. En juillet de l’année dernière, 80% des Espagnols se déclaraient catholique, un an après seulement 70%. Parmi les jeunes, 51% disent l’être mais seulement 12% assurent pratiquer leur religion de façon conséquente, tandis que les autres le font de façon occasionnelle et sociale (mariages, baptêmes, etc.). Les critiques des jeunes croyants-pratiquants, par rapport à l’Église se concentrent surtout sur l’opposition de celle-ci à l’usage des contraceptifs et de la pilule du lendemain, à l’ordination des femmes, à l’avortement, à l’homosexualité (ndt :L’on notera que M. Vargas LLosa aime aussi les « bons » sondages. Je n’ai pas pu les lire à la source faute de références suffisantes).

Mon impression est que ces chiffres n’ont pas été manipulés, qu’ils reflètent une réalité qui, avec un pourcentage plus ou moins identique, dépasse le cas espagnol et que c’est une indication de ce qui se passe aussi avec le catholicisme dans le reste du monde. Or, de mon point de vue cette diminution progressive du nombre des fidèles de l’Église catholique, au lieu d’être un symptôme de sa ruine inévitable est, plutôt, le ferment de la vitalité et de l’énergie de ce qu’il en reste, - des dizaines de millions de personnes l’ont montré, surtout sous les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI.

Il est difficile d’imaginer deux personnalités plus différentes que celles des deux derniers Papes. Le précédent était un « leader » charismatique, un agitateur des multitudes, un extraordinaire orateur, un souverain pontife en qui l’émotion, la passion, les sentiments prévalaient sur la raison pure. L’actuel est un homme d’idées, un intellectuel, quelqu’un dont le milieu naturel est la bibliothèque, l’amphithéâtre à l’université, la salle de conférence. Sa timidité face aux foules apparaît inexorablement dans cette façon presque penaude et comme en s’excusant, qu’il a de s’adresser aux masses. Mais cette fragilité est trompeuse car il s’agit probablement du Pape le plus cultivé et le plus intelligent que l’Église a eu depuis bien longtemps, l’un de ces rares pontifes dont les encycliques ou les livres peuvent être lus par un agnostique comme moi sans bâiller (sa brève autobiographie est magique et ses deux volumes sur Jésus plus que suggestifs). Sa trajectoire est assez curieuse. Il a été, dans sa jeunesse, un partisan de la modernisation de l’Église et a collaboré avec le Concile Vatican II réformiste convoqué par Jean XXIII.

Mais ensuite il s’est déplacé en direction des positions conservatrices de Jean-Paul II, dans lesquelles il a persévéré jusqu’à aujourd’hui. Probablement la raison en est-elle le soupçon ou la conviction que, s’il continuait à faire les concessions que lui demandaient les fidèles, les prêtres et les théologiens progressistes depuis l’intérieur, l’Eglise se transformerait en une communauté chaotique, déboussolée, à cause des luttes intestines et des querelles sectaires. Le rêve des catholiques progressistes de faire de l’Église une institution démocratique, c’est cela, rien de plus : un rêve. Aucune Église ne peut l’être sans renoncer à elle-même et disparaître. En tout cas, en se passant du contexte théologique, en tenant compte uniquement de sa dimension sociale et politique, la vérité est que, même s’il perd des fidèles et se rétrécit, le catholicisme est aujourd’hui plus uni, plus actif et combatif que dans les années où il paraissait sur le point de se déchirer et de se diviser pour des luttes idéologiques internes.

Est-ce une bonne ou une mauvaise chose pour la culture de la liberté ? Tant que l’État est laïc et maintient son indépendance face à toutes les églises, qu’il doit, bien sûr, respecter et auxquelles il doit permettre d’agir librement, c’est bien, car une société démocratique ne peut combattre efficacement ses ennemis - en commençant par la corruption - si ses institutions ne sont pas fermement appuyées par des valeurs éthiques, si une riche vie spirituelle ne fleurit pas en son sein comme un antidote permanent aux forces destructives, facteurs de dissociation et anarchistes qui ont l’habitude de guider la conduite individuelle quand l’être humain se sent libre de toute responsabilité.

Durant longtemps on a cru qu’avec le progrès des connaissances et de la culture démocratique, la religion, cette forme élevée de superstition, irait en se défaisant, et que la science et la culture se substitueraient largement à elle. Aujourd’hui nous savons que c’était là une autre superstition, que la réalité a mise en pièces. Et nous savons, aussi que cette fonction que les libres penseurs du XIXème siècle, avec autant de générosité que d’ingénuité, attribuaient à la culture, celle-ci est incapable de la remplir, surtout maintenant. Parce qu’aujourd’hui, la culture a cessé d’être une réponse sérieuse et profonde aux grandes questions de l’être humain sur la vie, la mort, le destin, l’histoire, qu’elle a tenté d’être dans le passé, et qu’elle s’est transformée, d’un côté, en un divertissement léger et sans conséquences, et de l’autre, en une cabale de spécialistes incompréhensibles et arrogants, confinés dans leurs fortins de jargon et charabia, et à des années lumières du commun des mortels.

La culture n’a pas pu remplacer la religion ni ne pourra le faire, sauf pour des petites minorités, à la marge du grand public. La majorité des êtres humains ne trouve ces réponses, ou du moins, la sensation de ce qu’il existe un ordre supérieur dont elle fait partie et qui donne sens et tranquillité à son existence, qu’à travers une transcendance que ni la philosophie, ni la littérature, ni la science, n’ont réussi à justifier rationnellement. Et, tous les brillantissimes intellectuels ont beau essayer de nous convaincre de ce que l’athéisme est la seule conséquence logique et rationnelle de la connaissance et de l’expérience accumulée par l’histoire de la civilisation, l’idée de l’extinction définitive continuera à être intolérable pour l’être humain commun et courant, qui continuera à trouver dans la foi cette espérance d’une survie au-delà de la mort à laquelle il n’a jamais pu renoncer. Tant qu’elle ne prend pas le pouvoir politique et que celui-ci sait préserver son indépendance et sa neutralité face à elle, la religion non seulement est licite mais indispensable à une société démocratique (ndt le problème c’est justement que la démocratie ne se croit pas une religion !).

Croyants et non croyants nous devons nous réjouir de ce qui a eu lieu à Madrid ces derniers jours où Dieu semblait exister, le catholicisme être une religion unique et vraie, et tous comme de bons petits enfants nous marchions main dans la main avec le Saint Père vers le royaume des cieux.

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© Mario Vargas Llosa, 2011.




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