Une mine de documents fabuleux: 30 giorni

Faisant une recherche sur la Ratzinger Schulkreis, je suis tombée par hasard, sur le site du journal 30 Giorni, sur une série d'articles signés Gianni Valente, que je ne crois pas avoir déjà vus. En quatre volets, pour le moment (et pour ce que j'ai pu trouver), L'HISTOIRE DE JOSEPH RATZINGER .

Je les mets en lien, et je les archive en un document PDF, à télécharger ici: 30-jours_1966_1969.pdf [635 KB]
C'est un régal.

Histoire de Joseph Ratzinger, 1969-1977

Tradition et liberté: les cours du jeune Joseph
1966-69: les années difficiles de l'enseignement à Tübingen
Il pensait que c'était la gare d'arrivée, mais au contraire
Camarades d'université


Florilège

Le long article passe en revue tous les conflits qui ont agité l'Eglise, la société, et par ricochet les universités allemandes (même les facultés de théologie), durant et aprés le Concile, et évidemment la période qu'en France nous nommons " Mai 68".

J'ai plutôt relevé ici, en rajoutant des sous-titres, les anecdotes humaines, et surtout les témoignages de ses étudiants. Ce sont des documents précieux pour le connaître, qui complètent les pudiques confidence de son autobiographie..
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A Bonn, un jeune professeur pas comme les autres
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«C’était le début du semestre de l’hiver 1959-1960. Dans la salle 11 de l’Université, qui était pleine d’étudiants, la porte s’ouvrit et entra un jeune prêtre qui, à première vue, pouvait passer pour le premier ou le deuxième vicaire d’une grande paroisse de la ville. C’était notre professeur titulaire de Théologie fondamentale et il avait 32 ans».

«J’avais alors vingt ans et j’étais luthérien. Je fréquentais la Faculté évangélique de Théologie après avoir suivi les cours de Karl Barth à Bâle. Je fis la connaissance du bavarois Vinzenz Pfnür qui avait quitté Freising pour suivre Ratzinger. Pfnür me dit: tu sais, nous avons un professeur intéressant, cela vaut la peine de l’écouter, même si tu es protestant. Au premier séminaire auquel je participai, je pensai tout de suite: cet homme n’est pas comme les autres professeurs catholiques que je connais...

Un langage beau et simple, le langage d'un croyant
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«Ses cours étaient préparés au millimètre près. Il les faisait en paraphrasant le texte qu’il avait préparé avec des formules qui semblaient parfois se composer comme une mosaïque, avec une richesse d’images qui me rappelait Romano Guardini. Durant certains cours, comme dans les pauses d’un concert, on aurait pu entendre une mouche voler». ...
«La salle de cours était toujours comble, les étudiants l’adoraient. Il parlait un langage beau et simple. Le langage d’un croyant».

«Joseph disait toujours: quand tu fais cours, le meilleur moment, c’est quand les étudiants renoncent à leur stylo et sont là à t’écouter. Tant qu’ils continuent à prendre des notes sur ce que tu dis, cela signifie que tu ne les as pas frappés. Mais quand ils renoncent à leur stylo et qu’ils te regardent pendant que tu parles, alors cela veut dire que, peut-être, tu as touché leur coeur. Il voulait, lui, parler au coeur des étudiants. Ce qui l’intéressait, ce n’était pas seulement de leur apporter des connaissances. Il disait que ce qu’il y a d’important dans le christianisme ne s’apprend que si cela réchauffe le coeur».

Humour: "Mon heaume de rapidité"
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Ces années-là, nombreuses sont les chaires de la Faculté de Théologie de la capitale allemande à être occupées par des professeur de prestige. ... Il y a l’historien des dogmes Theodor Klauser, la star de la Faculté qui, toujours habillé avec élégance, circule en ville au volant de sa rutilante Mercedes (Ratzinger utilise les transports publics ou va à pied, on le reconnaît de loin avec son immanquable béret basque qu’il appelle lui-même avec ironie «mon heaume de rapidité»);

Une bicyclette-instrument de torture
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«Münster est une ville de plaine», raconte Peter Kuhn, «elle n’est pas loin de la Hollande, et là tout le monde se déplaçait à bicyclette, comme du reste beaucoup de gens le font encore aujourd’hui. J’ai dit à Pfnür d’en acheter une pour notre professeur, mais c’est un homme parcimonieux et il en a acheté une d’occasion. Elle était en si mauvais état qu’aujourd’hui encore je me moque de lui en disant que c’est à cause de cette bicyclette que le Pape a maintenant encore mal aux genoux…».

Affluence aux cours
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«Il y avait environ 350 inscrits au cours, mais une moyenne de 600 personnes y assistaient. Les étudiants d’autres Facultés, comme celles de Philosophie et de Droit, venaient eux aussi écouter Ratzinger. Nous avons polycopié le cours d’Ecclésiologie sur le caractère central de l’Eucharistie et nous en avons vendu 850 exemplaires».

L'arbitre du débat, meilleur que les protagonistes
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«Un jour, j’ai trouvé la salle de cours pleine: tout le monde voulait assister à une disputatio publique entre Johannes Baptist Metz et le théologien suisse Hans Urs von Balthasar, lequel critiquait la théologie politique du premier. Metz a demandé à Ratzinger de coordonner le débat. Entre une intervention et l’autre des deux adversaires, notre professeur résumait leur pensée avec une telle intelligence qu’il rendait clairs et intéressants les passages les plus obscurs de leurs interventions. À la fin, le public a applaudi avec respect Metz et Balthasar. Mais les applaudissements les plus longs et les plus enthousiastes ont été réservés à l’arbitre».

La nostalgie de Maria
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Le professeur de renommée désormais internationale n’est pas de ceux qui sacrifient leur vie et leurs amitiés à leur carrière d’ecclésiastique universitaire. Sa soeur Marie, qui veille sur lui avec un dévouement presque maternel, n’a pas réussi à s’habituer à la belle ville de Westphalie. Pour elle, le plus bel endroit de Münster, c’est la gare d’où partent les trains pour la Bavière. «Quelques années plus tard... quand je lui ai demandé pourquoi il était parti, il m’a confirmé que sa soeur n’était pas heureuse à Münster. Elle lui avait consacré sa vie et il ne pouvait pas ne pas tenir compte de sa nostalgie

La star de Tübingen: des cours qui semblent "comme une prière"
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Son enthousiasme et la qualité incomparable de son enseignement – une théologie substantielle nourrie des Pères et de la liturgie, un langage lumineux et léger frôlant souvent la poésie, une façon d’aborder sans réticence tous les problèmes de ces temps de grande confusion – trouvent un écho ardent et imprévu dans le coeur de nombreux étudiants de théologie, mais aussi dans d’autres coeurs.
Plus de quatre cents étudiants se bousculent immédiatement à ses cours. Ils sont même si nombreux à vouloir suivre ses séminaires qu’on les soumet, pour les sélectionner, à une épreuve de latin et de grec...
«... entre Ratzinger et les autres, il n’y avait pas de comparaison. Les cours des professeurs d’inspiration néo-scolastique que j’avais suivis à Bonn semblaient froids et arides. Ils consistaient en une liste de définitions doctrinales exactes et c’est tout. Quand, à Tübingen, j’ai entendu Ratzinger parler de Jésus ou de l’Esprit Saint, j’ai eu l’impression que, par moments, il y avait dans ses paroles comme une prière».
......
Tôt le matin, viennent l’écouter des universitaires de toutes les facultés mais aussi des curés, des religieux, de simples fidèles.

Joseph Ratzinger et Hans Küng
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Entre les deux grands de la faculté, titulaires des deux chaires de Théologie dogmatique, les différences de nature et de caractère ont toujours été évidentes. Le Suisse fougueux circule dans son Alfa Romeo blanche, s’habille avec une élégance bourgeoise. C’est lui que recherchent les journalistes quand ils ont besoin de quelqu’un qui ne mâche pas ses mots dans les polémiques brûlantes qui traversent l’Église d’après le Concile. Le gentil bavarois va à pied ou en bus. Il dit la messe tous les matins dans la chapelle d’un foyer pour étudiantes et, pour le reste, il travaille et prépare ses cours en restant fidèle à son style austère et réservé.

Des goûts frugaux
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«Une fois qu’il était en déplacement avec des étudiants, nous nous sommes arrêtés dans une auberge pour déjeuner; il n’a commandé pour lui comme pour nous que des saucisses viennoises. Il pensait que nous étions tous aussi frugaux que lui. Cette fois-là, nous n’avons pas osé lui faire comprendre que nous étions jeunes et que nous avions faim. Il l’a peut-être compris tout seul et, dans d’autres circonstances de ce genre, il s’est toujours soucié que chacun choisisse avec soin les plats du menu qu’il préférait…»

Conflit avec Küng: "Ratzinger calme mais inébranlable"
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Les rapports avec Küng ... ne tournent pas au conflit sanglant. Ils deviennent simplement plus lâches à travers un détachement intérieur lent et silencieux, un éloignement progressif.
«Küng n’a attaqué Ratzinger qu’une seule fois,et ce n’était pas à cause de la théologie... Ils se sont mis d’accord pour assurer alternativement, par semestre, l’un, le cours principal de Théologie et l’autre, le cours de soutien, cours plus léger qui libère du temps pour d’autres activités. Quand Ratzinger annonce qu’il va quitter Tübingen parce qu’il a été “appelé “ par la nouvelle faculté de Théologie de Ratisbonne, sa décision bouleverse les plans de son collègue qui a déjà pris toute une série d’engagements pour son semestre “léger”... Küng a tempêté, attaqué, invectivé Ratzinger, insistant pour qu’il respecte leur accord.
Ratzinger est resté calme mais inébranlable dans sa décision.

Les "procès du peuple" et les violences de 68
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Ratzinger subit à plusieurs reprises ces “procès du peuple” de la part des étudiants...«Ils interrompaient le cours en hurlant ou montaient sur la chaire et l’obligeaient à répondre à leurs questions “révolutionnaires”». D’autres enseignants essaient de faire des clins d’yeux aux contestataires. Le professeur bavarois répond paisiblement avec sa logique habituelle. Mais sa faible voix est souvent couverte par les hurlements.... «Il est très fort dans les discussions paisibles, argumentées. Mais dans l’opposition violente, il perd contenance. Il ne sait pas crier, il est incapable de parler plus fort que les autres de façon à s’imposer»

Ratisbonne: un hâvre de paix
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...après l’été 1969, Joseph Ratzinger rejoint ce qu’il pense alors être son poste définitif.
«Son frère Georg était devenu directeur des Domspatzen. Se transférer à Ratisbonne voulait dire que les trois frères Ratzinger pourraient finalement vivre ensemble. Je suis sûr que cela a été la raison décisive de son arrivée ici et non les polémiques théologiques». Dans le bourg de Pentling, où il va habiter avec sa soeur et où il se fera construire en 1972 une petite villa avec jardin, Joseph Ratzinger dit la messe tous les jours, y compris le dimanche. Sa soeur est toujours à ses côtés: «Voilà, Joseph et Marie arrivent», disent en plaisantant les paroissiens quand ils les voient déboucher sur le sentier qui mène à l’Église.

Malgré l’amertume que suscitent en lui les conflits qui déchirent l’Église au milieu des années Soixante-dix, le théologien, qui a désormais presque cinquante ans, goûte déjà les joies ordinaires de ce qui lui semble être la gare d’arrivée de son parcours universitaire: vivre dans sa Bavière natale, jouir de l’affection de ses frères bien-aimés, apporter des fleurs à ses parents qui qui reposent au cimetière, près de chez lui. Et faire, comme travail, ce qui lui plaît le plus.

"Suis-moi": tempête sous un crâne
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...Quand durant l’été 1976, meurt à l’improviste le cardinal archevêque de Munich Julius Döpfner, Ratzinger ne prend pas au sérieux les bruits qui commencent à circuler et qui l’indiquent comme l’un des successeur possibles...
Et pourtant le choix de Paul VI tombera sur lui.
Reinhard Richardi, qui était, ces années-là, professeur à la Faculté de Droit et qui noua avec Ratzinger une solide amitié qui dure encore, raconte à 30Jours: «La surprise a été très grande. Évidemment Paul VI l’appréciait... et il voulait le faire participer à la direction de l’Église. On l’a compris aussi à la sollicitude avec laquelle il l’a créé cardinal quelques mois après l’avoir nommé archevêque. Maintenant, en voyant qu’il lui a succédé sur le trône de Pierre, il dirait peut-être: j’étais certain que le Seigneur tournerait son regard vers lui». Mais, à cette époque, le futur Benoît XVI ne pensait vraiment pas à cela.

«Je me rappelle très bien», raconte Richardi, «quand s’est répandue la nouvelle de sa nomination comme successeur de Döpfner. Ce jour-là, ma femme, mes enfants et moi-même étions invités chez lui. Il nous a appelés au téléphone et nous a dit: “L’invitation est confirmée, même si on m’a nommé évêque. À plus tard”».

Le Pape en Pologne

S'y ajoute un article de Marco Tosatti, le vaticaniste de la Stampa, qui relate le voyage en Pologne:
Douceur et courage du Pape en Pologne

On y lit, sur la chaleur de l'accueil polonnais, que nous avions constatée en direct, à l'époque, mais que la presse dans sa grande majorité avait tenté d'obscurcir par une polémique:
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Cracovie s’est montrée royale dans son accueil. Comment était-il possible de résister à la foule qui, à Kalwaria, criait «Wir lieben dich», «Nous t’aimons», et répondait dans un cri «Nous nous souviendrons! Nous nous souviendrons!» à la demande du Pape de prier pour lui et pour l’Église? ou qui le submergeait sous la musique de «Sto Lat», «Cent ans», le chant augural qu’elle réservait jusqu’à il y a un peu plus d’un an à Karol Wojtyla? Il n’était pas possible de résister et, de fait, Benoît XVI n’a pas résisté. Au point qu’à Blonie, le samedi soir, durant la rencontre-veillée avec les jeunes, on a clairement vu le Pape remuer les lèvres comme pour s’unir aux chants des jeunes et esquisser le geste de battre des mains en rythme. Une ébauche, un début de geste, aussitôt contrôlé, comme s’il avait peur d’exagérer ou de vouloir imiter Jean Paul II qui, à ce jeu, se prêtait de tout son cœur. Mais une ébauche suffisante pour trahir l’allégresse, la joie que laissait aussi transparaître son sourire et son visage. Il était, à l’évidence, intérieurement touché; et la digue de sa timidité a semblé céder sous les flots d’une affection si véhémente.
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Et aussi, à propos des images de Benoît dans le camp d'Auschwitz:
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Il était impressionnant de voir Benoît XVI entrer en solitude dans le camp, avancer seul, suivi, loin derrière, par les cardinaux, les évêques et le groupe. Seul, comme s’il devait affronter un ennemi et que les autres, apeurés, restaient en arrière. Le visage tendu, les traits tirés. Une idée nous a traversé l’esprit. C’est ainsi que devait marcher Jésus vers le jardin de Gethsémani, cette nuit-là. Seul. Benoît XVI avançait pour la troisième fois, de son petit pas bref et rapide, vers le lieu-symbole du Mal: il était déjà allé à Auschwitz, en 1979, avec Jean Paul II, et puis l’année suivante avec les évêques allemands. Et vraiment, il marchait comme s’il connaissait bien la route. Une rafale d’images se fixent dans la mémoire: la prière devant le Mur de la Mort, le vent qui soulève sa calotte, le signe de la croix; les larmes d’une femme qui a survécu, le visage tendu du Pape pendant que s’élève la lamentation du Kaddish, la prière pour les morts, et l’arc-en-ciel dans son dos, un signe qui scelle la visite, sur un ciel gonflé de nuages et de tempête.
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Voir aussi ici: Les voeux des cardinaux pour ses 80 ans

Le style de Benoît XVI
L'Avvenire: un numéro-souvenir