Le Pape sur la loi naturelle

Le Pape s'est adressé ce matin (5 octobre) aux membres de la Commission théologique internationale en conclusion de leur réunion plénière annuelle (1-5 octobre, sous la présidence du Cardinal William Joseph Levada).

J'archive ici son discours que je crois majeur, en reprenant la dépêche du VIS.

Benoît XVI y met en garde contre "une conception du droit...selon laquelle "l'humanité, la société, voire une majorité de citoyens est la source ultime du droit... S'il en était ainsi, la majorité du moment serait source unique du droit, alors que l'histoire démontre que les majorités peuvent se tromper".
Il y voit un risque majeur pour la démocratie, qui "serait radicalement touchée dans ses fondements mêmes"

Et il en appelle à la conscience de tous, "y compris non croyants ou fidèles d'autres religions afin qu'ensemble ils rétablissent dans la culture comme dans la société les conditions nécessaires à la prise de conscience de la valeur indispensable de la loi morale naturelle".

Cette grande voix qui s'élève me fait penser un phare dans la nuit, mais qui entend cette voix, qui voit ce phare?

Le site du Vatican ne propose à ce jour que la version en italien.
J'en propose ici ma traduction:

SUPERIORITE DE LA LOI MORALE NATURELLE

...A l'occasion de l'Audience du 1er décembre 2005, j'ai présenté quelques lignes fondamentales du travail que le théologien doit accomplir en communion avec la voix vivante de l'Église, et sous le guide du Magistère.
Je voudrais à présent m'arrêter de manière plus particulière sur le thème de la loi morale naturelle.
Comme vous le savez sans doute, à l'invitation de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, se sont tenus ou s'organisent, venant de plusieurs centres universitaires et associations, des symposiums ou des journées d'étude afin de déterminer des lignes et des convergences utiles pour un approfondissement constructif et efficace de la doctrine sur la loi morale naturelle.
Une telle invitation a trouvé jusqu'à présent un accueil positif et un écho considérable. C'est donc avec un grand intérêt qu'on attend la contribution de la Commission Théologique Internationale, visant surtout à justifier et illustrer les fondements d'une éthique universelle, appartenant au vaste patrimoine de la sagesse humaine, qui d'une certaine manière constitue une participation de la créature rationnelle à la loi éternelle de Dieu.
Il ne s'agit donc pas d'un thème de type exclusivement ou essentiellement confessionnel, même si la doctrine sur la loi morale naturelle est éclairée et s'accomplit dans sa plénitude à la lumière de la Révélation chrétienne et de l'accomplissement de l'homme dans le mystère de Christ.

Le Catéchisme de l'Église Catholique résume bien le contenu central de la doctrine sur la loi naturelle, en remarquant qu'elle "indique les règles premières et essentielles qui règlent la vie morale. Elle a comme axe l'aspiration et la soumission à Dieu, source et juge de tout bien, et aussi le sens de l'autre comme égal à soi-même. Dans ses préceptes principaux, elle est exposée dans le Décalogue. Cette loi est appelée 'naturelle', non pas par rapport à la nature des êtres irrationnels, mais parce que la raison qui la promulgue est propre à la nature humaine ".
Avec cette doctrine on rejoint deux buts essentiels : d'un côté, il est clair que le contenu éthique de la foi chrétienne ne constitue pas une imposition dictée de l'extérieur à la conscience de l'homme, mais une règle qui a son fondement dans la nature humaine elle-même ; de l'autre, en partant de la loi naturelle, en elle-même accessible à chaque créature rationnelle, on pose avec elle la base pour entrer en dialogue avec tous les hommes de bonne volonté et, plus largement, avec la societé civile et séculière.

Mais précisément en raison de l'influence de facteurs d'ordre culturel et idéologique, la société civile et séculière aujourd'hui se trouve dans une situation de perte et de confusion: on a perdu l'évidence à l'origine des fondements de l'être humain et de son "agir" éthique, et la doctrine de la loi morale naturelle se heurte à d'autres conceptions qui en sont la négation directe. Tout cela a des conséquences énormes et graves à la fois dans les ordres civil et social.
Auprès de nombreux penseurs semble aujourd'hui dominer une conception positiviste du droit. Selon eux, l'humanité, ou la societé, ou de fait la majorité des citoyens, deviendrait la source ultime de la loi civile. Le problème qui se pose n'est pas donc la recherche du bien, mais celle du pouvoir, ou plutôt de l'équilibre des pouvoirs. À la racine de cette tendance, il y a le relativisme éthique, dans lequel certains voient même une des conditions principales de la démocratie, parce que le relativisme garantirait la tolérance et le respect réciproque des personnes. Mais s'il en était ainsi, la majorité d'un instant deviendrait la source ultime du droit. L'histoire montre avec une grande clarté que les majorités peuvent se tromper. La vraie rationalité n'est pas garantie par le consentement d'un grand nombre, mais seulement par la transparence de la raison humaine à la Raison créatrice et par l'écoute commune de cette Source de notre rationalité.

Lorsque sont en jeu les exigences fondamentales de la dignité de la personne humaine, de sa vie, de l'institution familiale, de l'équité du système social, c'est-à-dire les droits fondamentaux de l'homme, aucune loi faite par les hommes ne peut subvertir la règle écrite par le Créateur dans le coeur de l'homme, sans que la societé elle-même ne soit dramatiquement frappée dans ce qui constitue sa base inaliénable. La loi naturelle devient ainsi la vraie garantie offerte à chacun pour vivre libre, respecté dans sa dignité, et défendu contre toute manipulation idéologique et de tout arbitraire et abus du plus de fort. Personne ne peut se soustraire à cet appel. Si, par un tragique obscursissement de la conscience collective, le scepticisme et le relativisme éthique arrivaient à éliminer les principes fondamentaux de la loi morale naturelle, le système démocratique lui-même serait blessé radicalement jusque dans ses fondements.
Contre cet obscursissement, qui est une crise de la civilisation humaine, plus encore que chrétienne, il faut mobiliser toutes les consciences des hommes de bonne volonté, laïques ou même appartenant à des religions différentes du Christianisme, afin qu'ensemble et de manière active ils s'engagent à créer, dans la culture et dans la société civile et politique, les conditions nécessaires pour une pleine conscience de la valeur inaliénable de la loi morale naturelle. Du respect d'elle en effet dépend le cheminment des individus et de la societé sur la route de l'authentique progrès, conformément à la raison, qui est un élément de la Raison éternelle de Dieu.

L'Avvenire: un numéro-souvenir
"Les angelus cachés de Benoît XVI"