L'ambassadeur spécial de Jésus

Un article "inspiré" de Peter Seewald, écrit juste avant le voyage en Autriche -et un bonheur à savourer.
Il annonçait "il y aura un 'effet Benoît'...". C'est exactement ce qui va se passer lorsque le Saint-Père viendra en France, l'année prochaine.
(Illustration: Le Cardinal et Peter Seewald en 1996 lors de l'entretien qui a donné naissance au "Sel de la Terre", in 'Benedikt XVI, Ein Porträt aus der Nähe')



 

La version anglaise de l'article, issue du Papa Ratzinger Forum, m'a été transmise par Sheelagh, et figure ici, sur son blog. Il s'agit d'une traduction (Teresa?) d'une interview en allemand réalisée par le site kath.com , sous le titre original Der Sonder-Botschafter Jesu (5 septembre 2007)

Ma traduction en français.

Der Sonder-Botschafter Jesu

L'ambassadeur spécial de Jésus.
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VIENNE, 5 septembre 2007 (www.kath.net) -
Texte original en allemand: http://www.kath.net/detail.php?id=17656
"On peut dire que le pape allemand a intensifié le travail de tri, de nettoyage, ce qu'il faut revoir - pour effacer ce qui est faux et périmé [dans l'Eglise]", explique au cours d'un entretien avec KATHNET, le journaliste allemand spécialiste du Pape, Peter Seewald.

Il analyse pour nous la signification de la visite de Benoît, pour l'Autriche et pour le catholicisme. Voici une transcription de l'interview réalisée par Maria Cavagno.

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Question: Quand avez-vous vu Benoît XVI pour la dernière fois? Et comment va-t'il?

Peter Seewald: Notre dernière rencontre date de février 2006. Il a été attentif, aimable et simple, comme toujours. Mais quelque chose avait changé. Je trouve qu'il ne tend plus les épaules en avant comme un bouclier protecteur, comme il pensait qu'il devait le faire auparavant.
Mon impression fut que c'était quelqu'un qui était entièrement avec Dieu et donc était devenu complètement lui-même. Et c'est le cas. Benoît ne porte pas seulement l'empreinte du Christ, mais il lui a permis d'être transformé. Il est devenu un mystique, dont l'existence est presque prophétique.

Comment caractériseriez-vous les relations du Pape avec l'Autriche?

Très personnelles et intimes. C'est un voisin par l'origine et par la mentalité, et il parle la même langue. C'est aussi lié à son histoire familiale. Son père est originaire de Basse-Bavière, mais ses ancêtres sont venus de Haute-Autriche, et sa grand-mère et sa mère sont du Tyrol du Sud.
Le Pape lui-même, comme chacun sait, a grandi à la frontière entre l'Autriche et la Bavière, sous l'influence de la cité épiscopale de Salzbourg. Son lien avec l'Autriche ressort à l'évidence des nombreuses vacances qu'il y a passées en tant que professeur, évêque et préfet de la CDF. Je dirais que ce n'était pas seulement par amour, mais que (pour lui), il s'agit d'une partie de sa patrie.

Il semble que Benoît a une grande affection pour Mariazell. Comment cela se fait-il?

Aussi grandes que soient ses capacités intellectuelles, son cœur est tourné vers la piété des gens simples. Son don mystique a été jusqu'ici totalement sous-évalué. Ratzinger aime les pèlerinages, surtout vers les sanctuaires mariaux classiques. Avec leur ambiance spéciale, leurs mouvements de foule, leur aura mystique enfin, le pouvoir des saints, qui unit les grands et les petits.
Il est venu à Mariazell une seule fois avant cela, en 2004, en tant que cardinal, date à laquelle il a été invité par l'Union européenne des notaires pour célébrer l'Eucharistie [au cours de leur pèlerinage], mais il a immédiatement aimé l'endroit. Ainsi il a saisi l'occasion lorsque les évêques d'Autriche l'ont invité [pour les célébrations du 850e anniversaire].
Il a publiquement déclaré qu'il "ne pouvait pas dire non à une invitation, qu'il considèrait comme providentielle". Il est intéressant de noter qu'il a visité les sanctuaires mariaux importants dans tous ses déplacements étrangers jusqu'ici: Altoetting, Czetochowa, Aparecida, et maintenant Mariazell. [Seewald oublie d'inclure Éphèse.] On pourrait dire que le pasteur rassemble ses brebis, et cela sous le manteau de la Vierge.

Quels sont les points que vous attendez de voir soulignés par le Pape dans son discours à l'Autriche?

Le Pape vient pour renforcer les chrétiens dans leur foi. Le calendrier liturgique lui donne l'occasion de prêcher à propos de l'Incarnation du Christ. La lettre aux Colossiens, qui sera lue Vendredi, fête du Sacré-Coeur de Jésus, dit: "Le Christ est l'image du Dieu invisible .... tout est créé par lui et en lui."
Le lendemain, l'Eglise célèbre, dans la fête de la nativité de Marie, le début du Salut, qui est venu au monde par l'Incarnation.
Globalement, l'accent mis en Autriche sera le même que celui de la visite du Pape en Bavière. Il a trait à la nécessité de surmonter partout dans le monde une surdité à Dieu, afin d'obtenir une meilleur regard vers le Créateur et son monde, vers ce qui compte vraiment dans la vie. Ratzinger montre que la foi n'est pas opposée à la raison, mais plutôt qu'elle est fondamentalement une expression de la raison.
Et qu'il est utile de reconnaître à nouveau la totale pertinence de l'Évangile. Qu'elle ne doit plus être considérée avec méfiance, mais comme la Révélation, qui nous fournit des réponses pour la vie. La foi n'est pas un système de théories, mais une relation personnelle avec Dieu. Cette question a repris une place centrale aujourd'hui, après des décennies de "développements" erronés chez certains membres du clergé, les théologiens et même des laïcs.

Après la visite brésilienne, le voyage autrichien est le deuxième et dernier voyage de cette année. Quelles différences et similitudes voyez-vous?

La différence réside dans l'occasion et dans l'ampleur. En Amérique du Sud, le Pape a ouvert la 5e Conférence générale des évêques de l'Amérique latine et des Caraïbes, une assemblée écclésiale historique représentant 40% de la population catholique du monde.
Il s'agit de donner des réponses aux nouveaux défis tels que les sectes, mais surtout, les problèmes sociaux et économiques des pays d'Amérique latine. Un observateur a jugé plus tard que "le pape avait pris les populations marginalisées dans ses bras." À la fin de la Conférence, rien de moins qu'une "mission continentale" a été décidé. 'Mission' est également une tâche de l'hémisphère occidental, mais naturellement avec un autre accent.
En Europe, nous faisons l'expérience de deux courants parallèles. D'un côté, il y a un affaiblissemnt considérable de la conscience chrétienne, et pas seulement dans la vie publique, mais même parmi les familles. Ajoutez à cela que, dans les 10 prochaines années, l'Eglise catholique va connaître un effondrement quantitatif sans précédent. Pendant cette période, quelque chose comme un tiers de croyants, prêtres, religieux et religieuses vivant aujourd'hui mourront sans être remplacés.
Dans le même temps, cependant, nous commençons à voir une puissante renaissance des valeurs et formes éprouvées, qui, selon de nombreux scientifiques pourraient bien dépasser la Renaissance médiévale.
Et ceci est amplifié par la peur de la déchéance morale et culturelle de la civilisation telle que nous la connaissons, de même que la terreur d'une éventuelle catastrophe de proportions apocalyptiques. Tous les systèmes s'effondrent en même temps. Et donc, la question est la suivante: Comment en sommes-nous arrivés à ce que l'humanité avec tous ses énormes progrès technologique et économique, se sente si profondément menacée?

Et qu'est-ce que cela signifie pour l'Eglise?

Beaucoup. Cette Renaissance se fait également sentir par le biais d'un nouvel intérêt pour le christianisme. Il y a une formidable aspiration à la plénitude, au Salut. Ceux qui se sont tenus à l'écart sont prêts une fois de plus à examiner ce que leur religion ancestrale a à offrir.
Ils se rendent compte que parmi les tempêtes de la mondialisation et du "turbo capitalisme", l'Eglise catholique s'est révélée être le seul abri, l'unique pôle de sécurité. Et c'est un fait à ne pas sous estimer - en des temps troublés.
Au sein de l'Eglise catholique elle-même, nous vivons avec Benoît le début d'une heure historique, un changement de paradigmes. L'ancien paradigme était: Si nous ne nous adaptons pas à la société sécularisée, alors nous quittons le troupeau. Le résultat a été l'"auto-sécularisation", la démystification, et en fin de compte, la dé-sanctification.
Le nouveau paradigme est: Ce n'est pas le monde qui s'est orienté vers l'Église ... mais l'Église vers du monde.
Mais quand l'Église abandonne ce qu'il ya de plus sacré en elle, alors, elle s'abandonne elle-même. Le sacré disparaît, les certitudes se dissolvent, et les bénédictions diminuent.
Cette analyse, la réflexion d'une minorité, devient applicable partout, avec un intellectuel et théologien de génie comme Joseph Ratzinger à la tête de Rome. C'est extrêmement important. Parce que jusqu'à présent, il semble qu'il y avait une démission à propos de l'état critique de l'église. Maintenant, cette démission n'est tout simplement plus acceptée.
Il y aura des corrections nécessaires, un retour vers la simplicité, en particulier dans les institutions de l'Eglise, afin qu'elles puissent s'épanouir à nouveau. C'est pourquoi une bataille contre les faux dieux (fausses idoles?) a également commencé au sein de l'Église. Et Benoît a réalisé cet exploit sans déchaîner de divisions ni de polarisation, comme beaucoup le craignaient.

En résumé?

On peut dire que le pape allemand a intensifié le travail de tri, de nettoyage, ce qu'il faut revoir -pour effacer ce qui est faux et périmé. Cela vaut également pour l'oecuménisme.
Tous ceux qui sont d'accord avec le Pape doivent se joindre à lui maintenant, et pas à la "Saint-Jamais"! (ndt: en français, on dirait peut-être à la saint-glinglin, mais je crains que l'expression ne soit trop familière)
Une grande partie du protestantisme est de manière évidente devenue inaccessible. L'anti-Catholicisme semble maintenant être devenu l'élément indispensable de leur identité.
Au contraire, le processus de réunification avec l'orthodoxie est quantitativement et qualitativement très prometteur, et à portée de main.
"Nous avons presque tout en commun", s'est réjoui récemment le pape. "Par-dessus tout, nous partageons l'espoir sincère d'unité. Du fond de mon coeur, je prie pour que ce rêve puisse être réalisé prochainement. "

Comment pensez-vous que les catholiques autrichiens recevront Joseph Ratzinger dans leur patrie?

Une majorité va sincèrement se réjouir, d'autres vont le rejeter, comme ils l'ont fait jusqu'à maintenant. Mais il y aura sans aucun doute quelque chose comme un effet Benoît. L'encyclique du Pape a atteint plus d'un million d'exemplaires, son livre Jésus est vendu dans le monde entier, et à Rome, il y a des records d'affluence aux audiences.
Avec Ratzinger, il ne faut pas voir un unique sens à tout, parce que, même les non croyants voient cet ambassadeur spécial de Jésus de plus en plus comme une source d'inspiration, un médiateur de sens, porteur d'espoir, qui parle des perspectives d'un nouvel avenir. Et donc la question ne sera pas combien vont l'écouter, mais combien sont prêts à le suivre. Au sein de l'Eglise aussi, où il y a un attitude de rejet extrêmement persistante parmi les réactionnaires, pour qui les choses doivent être comme elles sont, qui s'accrochent à leurs positions sans esprit critique , même si elles les ont égarés dans le passé.

Comment Benoît XVI peut-il construire un pont vers ceux qui regardent cette visite avec scepticisme?

En les invitant à venir vers lui avec la même franchise qu'ils ont toujours mis à contester l'Eglise. Parce que ce Pape est en mesure d'atteindre des cercles qui étaient auparavant inaccessibles. Son style, d'humilité et de dialogue, mais aussi ses mots clairs - son brio intellectuel et son écoute envers ses interlocuteurs trouveront une réception sympathique.
L'Église est devenue un sujet de débat public, et la foi chrétienne a été récemment découverte en tant que sujet et possibilité.Les abandons de l'Église ont diminué, et la participation à des séminaires indique un changement de tendance. Et le fait même que le chef de l'Église catholique pourrait évincer Harry Potter du haut de la liste des best-sellers est un signe spectaculaire.
Jean-Paul II a ouvert la voie à ce mouvement. Il était lui-même "M. Bombastic" (?). Plus précisément, c'était son attitude, plus que ce qu'il prêchait, que les gens acceptaient. Maintenant, on peut dire que, dans la manière dont Wojtyla et Ratzinger diffèrent, ils se complètent parfaitement.
Benoît est une 'personnalité' irréelle, souvent un peu comme une poupée. Mais plus sa 'personnalité' s'efface, plus ce qu'il dit vient à l'avant-plan.

Qu'est-ce que vous demanderiez d'abord au Pape si vous pouviez l'interroger maintenant?

Nous voyons que la vie sur cette planète a atteint un certain seuil. Nous n'avons plus toutes les options disponibles. Nous sommes au pied du mur. Il y a quelques jours, Benoît a formulé quelques réflexions sur la catastrophe environnementale écologique -mais surtout spirituelle- au cours de la réunion des jeunes à Loreto, et lancé un appel dramatique pour un changement de mode de vie.
Il leur a dit: "Aller à contre-courant! Ne vous laissez pas tenter par des voix insinuantes et intéressées, celles des médias, pour un mode de vie fait d'arrogance et de violence ", "un mode de vie de la réussite à tout prix", qui est entièrement fondé sur "l'apparaître et l'avoir", et non pas sur "l'être".
C'était aussi une puissante critique des médias, que personne d'autre n'aurait osé. La protection de la création, a-t-il poursuivi, est devenue une tâche brûlante. Il nous faut "forger une nouvelle charte d'obligations entre l'homme et la terre" - "avant qu'il ne soit trop tard", a-t-il ajouté.
Peut-être est-ce une question stupide, mais je voudrais savoir combien de temps il nous reste.

Allez-vous suivre vous-même la visite du Pape en Autriche?

La télévision bavaroise m'a invité à travailler avec eux dans leurs retransmissions de Mariazell et de Vienne. Donc je serai sur place, et je me réjouis par avance des impressions et des stimuli associés. Mais une consolidation, comme celle que ce Pape effectue, n'est pas un spectacl. Le véritable travail se déroule dans le silence, invisible.
Pourtant il s'agit d'un processus passionnant et insoupçonné et, surtout, qui en vaut la peine.
Je pense que Benoît XVI a entendu les paroles de Dieu il y a longtemps, tout comme Saint Benoît et avant lui, François d'Assise: "Va reconstruire ma maison qui, comme tu peux le constater, est menacée de ruine."
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A propos

Peter Seewald soit parler de Benoît mieux que personne, parce qu'il l'aime.
Voir aussi cet article: Benoît, notre don de Dieu

Une exposition sur le pape à Stuttgart
Rencontre avec Georg Ratzinger