Le Sud sous-représenté dans le Sacré Collège

Pas d'accord!

John Allen fait certainement figure de "leader d'opinion" parmi les vaticanistes, ses avis sont donc précieux au moins à ce titre, car, plus ou moins déformés, ils risquent de servir de référence à de nombreux commentaires.
C'est pourquoi je traduis cet article - qui m'inspire beaucoup de réserves. Au moins, je sais à peu près ce qu'il a écrit...

John Allen fait parler les chiffres -un peu trop à mon gré- pour analyser les nominations des nouveaux cardinaux.
C'est la suite de son papier "brut" Les choix de Benoît . On y retrouve ce travers que je trouve très américain, de tout ramener à des statistiques, et, accessoirement, à la politique. Cela devient gênant lorsque le sujet -c'est le cas ici- ne s'y prête pas vraiment.
Il me vient assez malicieusement à l'esprit cette réflexion que je m'étais déjà faite: "Comme l'Eglise Catholique se porterait mieux, si John Allen était le conseiller secret, ou le "spin doctor" de Benoît XVI!". Il est probable, en effet, que ses "conseils au pape" procèdent d'une bonne intention.
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Lisant les compte-rendus de la presse française, j'avais mis en doute la pertinence d'une dépêche de l'AFP reproduisant ses propos (Une dépêche de l'AFP ), je dois à l'honnêteté de reconnaître qu'elle avait de l'avance sur moi.

Avant de reproduire le long article, très bien documenté, et très intéressant comme toujours, je me permets de souligner que l'Eglise, ce n'est pas une multi-nationale comme IBM, ou Microsoft.
L'Eglise n'a pas à se plier à une politique de 'quota', et le Pape n'est pas un super DRH chargé d'en gérer au mieux les "ressources humaines" selon des critères fluctuant au gré du poliquement correct (on en revient à la fameuse "dictature du relativisme"). Il y a toute une dimension spirituelle qui est -c'est dommage- complètement ignorée ici. Il n'y a pas un seul moment où le journaliste admet "Le Pape a ses raisons". Il ne fait la liste que des points négatifs.
Et il ne peut pas être sur la même longueur d'ondes que le Saint-Père, lorsqu'il s'exprime sur l'Eglise. L'un nous parle de "l'Epouse du Christ", et l'autre de "micro-gestion"!!!

Extraits (très significatifs)
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le nouvel arrivage de cardinaux est remarquablement peu représentatif de la localisation actuelle des catholiques.
- Pour résumer ces chiffres en un petite phrase, les deux tiers des cardinaux viennent du Nord, tandis que les deux tiers des catholiques vivent dans le Sud.
- [..] ces chiffres donnent à penser que, pour rendre le Collège des Cardinaux davantage semblable à l'Eglise, de sérieux réajustements sont nécessaires.
- Nul besoin d'être un ecclésiologue virtuose pour se demander, "Qu'est-ce qui ne va pas là-dedans?"
- [La question est de savoir] s'il est sain pour l'église que ses dirigeants sont si peu représentatifs de sa composition
- Bien sûr, l'Eglise n'est pas une démocratie représentative, mais de tels écarts sont néanmoins remarquables.
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Article original en anglais sur le site de NCR: Global South underrepresented in college of cardinals
Ma traduction

L'hémisphère Sud sous-représenté

... dans le collège des cardinaux

En nommant 23 nouveaux cardinaux, mercredi, le Pape Benoît XVI a choisi de reconnaître une partie de la réalité démographique, mais d'en ignorer largement une beaucoup plus grande.

Les Américains ont fait remarquer, à juste titre, que la nomination de Mgr Daniel DiNardo à Houston reflète bien un déplacement de la population catholique des Etats-Unis de la côte Est, vers le Sud et le Sud-Ouest. D'un point de vue global, cependant, le nouvel arrivage de cardinaux est remarquablement peu représentatif de la localisation actuelle des catholiques.

Pour comprendre cela, il est essentiel de rappeler que le catholicisme a connu une révolution démographique au cours du 20e siècle. En 1900, il y avait 266 millions de catholiques dans le monde, 200 millions d'entre eux vivaient en Europe et en Amérique du Nord. Un siècle plus tard, il y a 1,1 milliard de catholiques, seuls 380 millions d'entre eux sont en Europe et en Amérique du Nord, alors que 720 millions vivent en Amérique latine, en Afrique et en Asie. Les pays du Sud représentaient 25% de la population catholique il y a un siècle; aujourd'hui il sont à 67%, et ce chiffre est en hausse.

A observer les nominations faites par Benoît, on pourrait toutefois l'ignorer. En se concentrant uniquement sur les 18 nouveaux cardinaux électeurs - c'est-à-dire ceux de moins de 80 ans, ayant le droit d'élire le prochain pape- dix sont des Européens et deux viennent des États-Unis. (Trois parmi les cinq cardinaux de plus de 80 ans nommés par Benoît XVI sont également Européens...). Avec ces nouveaux cardinaux... 60 des 121 électeurs seront européens. En y ajoutant les cardinaux des États-Unis et du Canada, le montant total pour l'ensemble du Nord s'élève à 76 électeurs sur 121, c'est-à-dire 63%.

Pour résumer ces chiffres en un "petite phrase", les deux tiers des cardinaux viennent du Nord, tandis que les deux tiers des catholiques vivent dans le Sud.

Ces disparités ne sont pas passés inaperçues. L'annonce du Pape a été faite à peu près à 11 heures et demie à Rome, et une demi-heure plus tard, j'avais un e-mail de La Tercera, un journal de Santiago, au Chili, me demandant de réagir à la question suivante: : "Les deux tiers des candidats sont originaires de l'Europe de l'Ouest ou des Etats-Unis. Pourquoi?"

Pourquoi en effet? Trois raisons aux moins s'imposent.

Tout d'abord, en dépit de tous les efforts déployés par le Vatican pour nier que Benoît XVI soit "eurocentrique", il est clair que le coeur des préoccupations personnelles du Pape est le sort du christianisme dans le milieu ultra-sécularisé d'Europe occidentale, ce qu'il a qualifié de "dictature du relativisme." Si l’on pense vraiment, comme le fait apparemment Benoît XVI, que lorsque l’Europe éternue le reste du monde prend froid, alors c’est évidemment logique de ne procéder ici (aux USA) qu’à un nombre limité de nominations.

Deuxièmement, historiquement parlant, le Collège des cardinaux n'a jamais eu la prétention de refléter l'ensemble de l'église. A l'origine, les cardinaux étaient les membres les plus importants du clergé local de Rome, chargés de l'administration des grandes paroisses romaines, des actions caritatives, et de conseiller le pape.
Ce n'est qu'au cours du 12e siècle, que des papes ont commencé à nommer des cardinaux qui vivaient en dehors de Rome. Les premiers cardinaux nés en Amérique latine ou en Afrique ne furent nommés qu'au 20ème siècle, et de sérieux efforts pour internationaliser le Collège des cardinaux n'ont commencé qu'à l'époque du pape Paul VI, dans les années 1960.

Troisièmement, Benoît XVI est un homme de tradition, ce qui signifie qu'il se sent obligé d'honorer la coutume selon laquelle toute une série de postes au Vatican sont attribués à des cardinaux. Sur les 18 nouveaux cardinaux électeurs, nommés par Benoît, les sept premiers sont des responsables du Vatican. Étant donné que les Européens, et surtout les Italiens, sont toujours surreprésentés dans ces postes, ils sont également surreprésentés parmi les cardinaux.

Ces facteurs peuvent rendre la prépondérance des Européens et des Nord-Américains plus compréhensible, mais en fin de compte, ils n'abordent pas la question de savoir s'il est sain de l'église que ses dirigeants sont si peu représentatifs de sa composition.

Cette question possède à la fois une dimension interne et une dimension externe.
D'un point de vue interne, il est juste de se demander si le collège peut développer une compréhension réaliste de la situation catholique mondiale quand il y a pléthore de cardinaux venant d'une seule partie du monde, où la population baisse. Par exemple, lorsque le collège s'est réuni en avril 2006, il a passé un bon bout de temps à débattre de l'ancienne messe latine. On peut se demander si cela aurait été la priorité retenue par les cardinaux en dehors de l'Europe et les Etats-Unis, dans des endroits où la scission d'après Vatican II entre les libéraux et les conservateurs, dont les débats sur l'ancienne messe sont souvent un symbole, n'a jamais vraiment eu lieu.

Du point de vue externe, le profil actuel du Collège des Cardinaux ne peut s'empêcher de créer l'impression d'un "plafond de verre" pour les Africains, les Asiatiques et les Latino-Américains. Aussi obscur que le catholicisme semble aux yeux des profanes, il y a tout de même peu de gens qui sont incapables de saisir la différence entre un cardinal et n’importe quelle autre personne. Etant donné qu'à bien des égards l'avenir du catholicisme se situe dans le sud, et que dans une grande partie de cette région (du sud) l'Eglise doit faire face à de sérieux défis de la part de concurrents religieux, un intérêt purement personnel suffirait déjà pour susciter un élan permettant au collège de refléter davantage la répartition géographique des catholiques.
S'appuyant sur l'édition la plus récente de l'Annuario, l'annuaire officiel du Vatican, la population catholique mondiale se décompose comme suit: Amérique latine, 43%; Europe, 22%; Afrique, 14%; Asie, 11%; Amérique du Nord, 8%; Et Océanie, 2%. Si le Collège des cardinaux avait 120 électeurs, et s'il s'agissait d'une réplique exacte de l'ensemble de la population, il devrait donc ressembler à ceci: 52 Latino-Américains, 26 Européens, 17 Africains, 13 Asiatiques, 10 Américains du Nord, et 2 d'Océanie.

Bien que peu de gens proposent des quotas aussi rigides, ces chiffres donnent à penser que, pour rendre le Collège des Cardinaux davantage semblable à l'Eglise, de sérieux réajustements sont nécessaires.

Examinons les chiffres. Benoît XVI est déterminé à rester proche de la limite de 120 cardinaux électeurs imposée par Paul VI... Sur la base d'un consistoire tous les deux ans, un pape pourvoit à chaque fois à environ 20 nominations. Si entre cinq et dix sont attribuées au personnel du Vatican, les possibilités de créer de nouveaux cardinaux sont par ailleurs très limitées.
Changer le profil du Collège, pourrait par conséquent exiger la réduction du nombre de cardinaux issus du Vatican.
Par exemple, presque tous ceux qui connaissent l'Eglise vont se réjouir du choix de l'archevêque John Foley, une figure aimable qui a vu 8 consistoires depuis 1984.... Mais politiquement, est-il vraiment indispensable que le Grand Maître de l'Ordre équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem devienne cardinal? Ou, dans le même ordre d'idées, l'Archiprêtre de la Basilique Saint-Pierre, ou le gouverneur de la Cité du Vatican?

Certains théologiens progressistes affirment que les fonctionnaires du Vatican ne devraient même pas être évêques, et encore moins cardinaux, afin de souligner que les organismes du Vatican sont censés servir les églises locales plutôt que de les "microgérer". Il n'est toutefois pas nécessaire d'approfondir cette polémique pour se risquer à faire une supposition selon laquelle le pouvoir ordinaire du Pape qui, selon les termes du droit canon, est un pouvoir suprême, entier, immédiat et universel, ne serait pas gravement compromis si l'Archiprêtre de Sainte Marie Majeure ou le chef des archives du Vatican, était un simple archevêque.

En outre, il ya des endroits où le nombre limité de places pour les nouveaux cardinaux pourraient être mieux exploité : Voici une projection de ce que les dix plus importants pays catholiques sur la terre sera en 2050, en termes de population:

Brésil: 215 millions
Mexique: 132 millions
Philippines: 105 millions
États-Unis: 99 millions
République démocratique du Congo: 97 millions
Ouganda: 56 millions
France: 49 millions
Italie: 49 millions
Nigeria: 47 millions
Argentine: 46,1 millions

Après le consistoire du 24 novembre, ces 10 pays auront un total de 55 cardinaux électeurs, dont 41 proviennent de l'Italie, la France et les Etats-Unis. Les autres nations ont un total cumulé de seulement 14, dont quatre sont des responsables du Vatican. La République démocratique du Congo, le plus grand pays catholique sur le continent avec le taux le plus rapide de la croissance catholique, n'a aucun cardinal, et le seul Ougandais a plus de 80 ans. Les Philippines n'ont que trois cardinaux, avec deux électeurs.

A titre de comparaison, voici les pays catholiques ayant le plus grand nombre de cardinaux électeurs:

Italie: 22
Etats-Unis: 13
France: 6
Espagne: 6
Allemagne: 6
Brésil: 4
Mexique: 4
Canada: 3
Pologne: 3
Inde: 3
Colombie: 3

Nul besoin d'être un ecclésiologue virtuose pour se demander, "Qu'est-ce qui ne va pas là-dedans?"

Briser cette tendance va probablement nécessiter moins de cardinaux au Vatican. Si ce n'est pas Benoît XVI qui s'en charge, alors quelque futur pape pourrait bien voir cette réduction comme un compromis judicieux.

* * * * * *

Comme la répartition ci-dessus l'indique clairement, les États-Unis sont également fortement surreprésentés dans le Collège des Cardinaux, au moins sur la base des chiffres de la population.

Après le 24 novembre, il y aura 17 américains et 13 cardinaux électeurs, le deuxième plus grand total après les Italiens. A titre de comparaison, il faut considérer que le Brésil, le Mexique et les Philippines, les trois autres parmi les plus grande pays catholiques sur la terre, en ont 16, et seulement 8 cardinaux électeurs, en dépit d'une population catholique cumulée de 315 millions contre environ 70 millions aux Etats-Unis.

Lors du conclave d'avril 2005 qui a élu Benoît XVI, l'Amérique avait 11 cardinaux votants, autant que l'ensemble de l'Afrique, même si l'Afrique a le double de la population catholique. Le Brésil avait trois voix seulement, ce qui, en chiffres bruts représente un cardinal-électeur pour six millions de catholiques américains, contre un pour 43 millions de catholiques au Brésil.

Bien sûr, l'Eglise n'est pas une démocratie représentative, mais de tels écarts sont néanmoins remarquables.

A la recherche des signes d'un réveil en Autriche