Une poignée de main savamment mise en scène



Une poignée de mains savamment mise en scène

Sans doute, la photo officielle de la récente visite du président Sarkozy au pape Benoît XVI n’appartient-elle pas [aux] chefs-d’œuvre du patrimoine universel.
- Elle est seulement conforme au stéréotype auquel sacrifient les dirigeants politiques qui se rencontrent quand ils veulent laisser de leur échange une preuve de leur entente cordiale : une poignée de main est offerte longuement à la nuée de photographes accrédités pour qu’ils fixent l’instant et le répandent « urbi et orbi ». Ce n’est donc pas un instantané ; au contraire, les deux dirigeants posent complaisamment, le sourire crispé à force d’activer les muscles zygomatiques devant les flashs qui tardent à étinceler.
- Mais la poignée de mains peut être plus ou moins franche. Ici, manifestement, les deux dirigeants prennent soin de ne pas trop s’étreindre les doigts. Rien à voir avec le « shake-hand » de deux amis qui se transmettent leur énergie respective ! Ce n’est d’ailleurs ici ni le lieu ni le type de relations convenables. Si les deux hommes s’effleurent à peine les deux premières phalanges, ce n’est pas par réticence ni pudeur non plus. Non, c’est le geste paternel d’un Saint-Père prenant la main d’un fils qui se laisse conduire. Car en offrant la paume de sa main au spectateur et non le dos, le pape a pris soin de se mettre en position de guide pour emmener son invité vers l’avant.
- L’effusion n’est pas de mise dans cet instant qui reste avant tout une rencontre pastorale. La preuve ? Tout est symbole dans les rites ecclésiastiques. Le pape reçoit son invité, revêtu, par-dessus sa mosette rouge, de la riche étole pastorale brodée qui indique clairement qu’il est en service de prédication évangélique et non seulement en simple représentation. Peut-être même vient-il de recevoir sa confession. Qui sait ? À tout pêcheur miséricorde ! Il en tient même un de haute volée. Le pape ne serait pas vêtu autrement pour l’entendre.
- L’arrière-plan symbolique choisi avec soin confirme du moins la teneur religieuse de l’entretien : un crucifix est planté entre les deux hommes et les domine, même si le président Sarkozy, par un artifice dont il est coutumier, paraît plus grand que le pape. On ne s’étonnera pas que ce crucifix soit en métaux précieux, plus qu’en bois brut. Un luxe même ostentatoire n’a rien qui puisse effrayer le président Sarkozy, à en juger par les huit premiers mois de sa présidence. Quant à l’Église catholique, il y a belle lurette qu’elle a rejeté la thèse franciscaine d’un Christ qui n’aurait pas été propriétaire de sa tunique, comme le raconte Le Nom de la rose, ce livre d’Umberto Ecco si magnifiquement porté à l’écran par Jean-Jacques Annaud.

Mais à ces deux experts en communication que sont l’Église catholique et le président Sarkozy, il a peut-être échappé qu’à force d’être trop savamment composée, une image peut se retourner contre ses concepteurs. Visiblement construite méticuleusement pour l’édification des masses illettrées ou peu s’en faut, la photo précisément en devient ambiguë. Cette croix placée entre eux deux, pour proclamer leur commune obédience, peut renvoyer, par intericonicité, comme nombre de tableaux le montrent, à celle du Christ plantée au Golgotha entre les deux larrons. Du coup, la photo change de sens : par ce toucher de mains du bout des doigts, ne donnent-ils pas l’impression de s’entendre comme deux larrons en foire ? Le Christ sur sa croix a peut-être du souci à se faire.



Le chanoine du Latran



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