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Le Cimetière de Prague

Le dernier best-seller d'Umberto Eco, démasqué par Massimo Introvigne: théorie du complot revisitée, et anti-catholicisme primaire. (12/5/2011)

Le dernier livre d'Umberto Eco est paru en France, et il occupe depuis plusieurs semaines le sommet des hit-parades des meilleures ventes de livres.
Il était déjà sorti en Italie en 2010, et Massimo Introvigne en avait livré alors une critique extrêmement érudite (il est un grand spécialiste des sujets qu'Eco aborde dans son roman, et celui-ci s'est même inspiré de l'un de ses ouvrages) que j'avais mis de côté, me proposant de la traduire plus tard.
Le cimetière de Prague est un de ces romans destinés, à travers une semi-fiction, à flatter le goût du public pour le mystère, lui donnant la sensation d'accéder au statut d'"initié", tout en répandant sournoisement l'idée que le catholicisme est pervers, et l'Eglise un repaire d'escrocs, de refoulés sexuels et d'imbéciles.
Là, l'entreprise est particulièrement efficace, car Umberto Eco n'est pas un sot, il est lui-même très cultivé, et lui, ou les documentalistes qui travaillent pour lui, rapportent des évènement historiques de façon convaincante et, en gros, exact.
En plus, il est fait allusion à des ouvrages soit impossibles à trouver en France, ou au moins inaccessibles au grand public, soit carrément interdits... Autant dire (et c'est souvent le cas dans ce genre d'ouvrages) que le lecteur moyen est écrasé par le déploiement de l'érudition, réelle ou supposée.
On est donc au niveau au-dessus de Ken Follet, ou Dan Brown (et pas seulement Da Vinci Code... voir ici), ou de multiples autres sous-produits qui font les têtes de gondoles des grandes surfaces "culturelles".

La loi, en France, fait qu'il est impossible de rendre coup pour coup (et bien sûr... ce ne serait pas chrétien).
Mais en lisant entre les lignes, on peut compléter la brillante argumentation du sociologue italien.

Il y a complot et complot.
Le cimetière de Prague par Umberto Eco (1)
Massimo Introvigne (CESNUR)
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Le thème des théories du complot a toujours intéressé Umberto Eco, et se retrouve déjà en 1988 dans son roman Le Pendule de Foucault. Les complotistes du Pendule de Foucault , cependant, sont toujours des personnages historiquement marginaux, quoique dangereux pour eux-mêmes et les autres. Les complots de ce roman commencent et se terminent dans le cercle fermé de la sous-culture ésotérique, et leur influence sur la société et l'histoire est négligeable. Il n'en est pas de même pour le nouveau roman d'Eco, Le cimetière de Prague , qui rassemble quatre complots - vrais ou présumés - qui ont eu une réelle influence sur l'histoire de l'Europe, les cousant ensemble à travers un personnage unique, imaginaire, présenté comme le protagoniste central de tous.

L'Abbé Augustin Barruel, SJ (1741-1820), d'abord jésuite, puis prêtre séculier après la suppression de la Compagnie de Jésus entre 1773 et 1815, puis de nouveau jésuite après la restauration de son ordre , est à l'origine des théories qui attribuent à un complot maçonnique la Révolution française. Comme je l'ai essayé de le montrer dans mon livre Le symbole retrouvé (Piemme, Milan 2010), les monumentales Mémoires pour servir l'histoire du jacobinisme de Barruel contiennent plusieurs erreurs historiques, mais avec des observations aigües montrant que l'auteur n'était pas alors le fou qu'une grande partie de la littérature ultérieure, et aujourd'hui Eco aussi, nous ont présenté. Barruel parle d'un complot maçonnique, pas d'un complot juif. Un certain capitaine Simonini, dont on ignore les détails biographiques, lui écrit pour lui demander de rendre compte de cette omission, et la lettre apparaît dans plusieurs éditions de l'ouvrage de Barruel. Eco imagine que ce Simonini a un petit-fils, Simon, qui hérite de la haine de son grand-père pour les Juifs, et parcourt une très longue carrière d'agent provocateur, faussaire, et tueur à gages au service à la fois de son profit personnel, et des gouvernement piémontais, français, allemand et russe.

Simonini - qui a des capacités extraordinaires de faussaires et aucun scrupule moral - serait le protagoniste inconnu de quatre épisodes qui appartiennent à l'histoire réelle, même si bien sûr il est peu probable qu'il y ait toujours eu derrière une seule personne. L'agent 007 lui-même, dans ses jours de gloire, n'aurait pas pu être dans les coulisses des épisodes cruciaux de l'histoire de son siècle.
La première vilaine affaire dont Simonini s'occupe dans le roman est la suppression du poète Ippolito Nievo (1831-1861). Vice-trésorier de Giuseppe Garibaldi (1807-1882) dans l'entreprise des Mille, Nievo a conservé un certain nombre de papiers compromettants qui révèlent comment les chemises rouges ont pu vaincre l'armée bien plus nombreuse des Bourbon, non pas en raison d'une plus grande valeur militaire, mais d'un réseau de complicités maçonnique et de la trahison des généraux des Deux-Siciles, financés par l'or britannique et les services du Piémont. Nieva est tué par une bombe fabriquée par Simonini, qui coule à pic en haute mer le navire qui transporte le poète de la Sicile vers Gênes. Ici Eco insère astucieusemnt une touche qui relie son roman aux différentes célébrations de 2011 (ndt: 150e anniversaire de l'indépendance de l'Italie). Mais il est vrai que la disparition de Nievo n'a jamais été complètement élucidée.

«Cédé» par les services piémontais à ceux français, Simonini continue à commettre des assassinats et à faire arrêter les conspirateurs auxquels il est mêlé, mais par cupidité, pour obéir à ses maîtres et pour donner libre cours à sa haine anti-juive, il est impliqué dans trois autres complots de grande importance. Mandaté à la fois par les services français, les jésuites, et la franc-maçonnerie elle-même qui a tout à gagner à la propagation d'un anti-maçonnisme truffé de révélations fausses et grotesques, Simonini organise la fausse conversion au catholicisme de l'ex-maçon et polémiste anticlérical Léo Taxil (1854-1907) et sa prodigieuse production de faux documents. Ceux-ci révèlent comment la maçonnerie est dirigée par un ordre secret de satanistes, dont la grande prêtresse Diana Vaughan s'est convertie ensuite au catholicisme. L'histoire va de la pseudo-conversion de Taxil, en 1885, à la "confession" de 1897, au moment où, l'imposture s'étant avérée insoutenable, il avoue qu'il s'agissait d'une gigantesque supercherie. Eco raconte l'histoire de Taxil, de manière relativement fidèle, suivant largement mon "Enquête sur le satanisme", 1994, qui contient une vaste revue de documents publiés et inédits sur l'affaire, mais je ne pense pas qu'il ait consulté mon ouvrage suivant "I satinisti" , où il aurait trouvé la réponse à certaines questions que j'avais laissées en suspens en 1994. Eco transforme en certitude ce que dans mon livre j'avance comme une hypothèse - que Diana Vaughan n'était pas une pure invention de Taxil, mais une déséquilibrée américaine dont l'imposteur s'était servi; et que Taxil avait également utilisé des documents qui provenaient du prêtre excommunié Joseph-Antoine Boullan (1824-1893) - mais, après tout, c'est un roman. Plus discutable est d'attribuer à Boullan une messe noire qu'Eco tire plutôt littéralement du roman "Là-bas" de Joris-Karl Huysmans (1848-1907), parce que les satanistes dont ce romancier dit du mal dans "Là-bas" ne sont pas des adeptes mais des ennemis de Boullan, lequel pratiquait des rituels à caractère sexuel, mais avec l'intention de combattre, et non pas servir le diable.

L'appétit vient en mangeant, et Simonini est chargé par les services Français de préparer les faux qui serviront à condamner pour espionnage le capitaine Juif de l'armée française Alfred Dreyfus (1859-1935) - qui sera par la suite réhabilité après une "affaire" qui a un rôle crucial à la fois dans l'histoire de l'antisémitisme et de la confrontation entre catholiques et laïcistes en France - et par ceux de la Russie, de fabriquer le faux appelé ensuite Protocoles des Sages de Sion , la preuve supposée d'une conspiration juive pour conquérir le monde, dont la source est correctement identifiée par Eco dans un texte anti-bonapartiste de l'avocat Maurice Joly (1829-1879), altéré pour transformer les accusations contre la famille Bonaparte en charges contre les Juifs. Quant à l'autre source des protocoles , le roman Biarritz de l'écrivain anti-sémite allemand Hermann Goedsche (1815-1878), Eco en explique la relation avec Joly en émettant l'hypothèse que l'omniprésent Simonini, jouant le triple jeu entre les services français, allemand et russe, avait livré une première ébauche de son texte à Goedsche. Même cette histoire de la genèse des Protocoles n'est pas nouvelle, et Eco la reprend d'une série d'auteurs allant de Norman Cohn (1915-2007), qui n'est pas sa seule source, aux récents et plus documentés Pierre-André Taguieff et Cesare G. De Michelis.

En dépit de quelques erreurs de détail ou de licence poétique - par exemple, la datation de l'histoire Boullan est modifiée pour permettre à Simonini de le rencontrer au bon moment - l'histoire des quatre complots qui s'entrecroisent dans le Cimetière de Prague est reconstruite en substance avec exactitude.
Toutefois, c'est le ton général du roman de Eco qui laisse perplexe.
Eco, bien sûr, n'est pas Simonini: et Simonini - voleur et meurtrier, et pourtant onctueux et bigot - est si antipathique qu'aucun lecteur ne risque de s'identifier à lui ou de se laisser convaincre par sa propagande antisémite, si manifestement exagérée, qu'elle provoque l'effet contraire. Le problème est ailleurs. Transparaît dans le roman l'idée, qu'Eco et tout un milieu dont il est le champion ont exposé ailleurs, de la supériorité anthropologique du monde laïque, progressiste, éclairé, sur les catholiques réactionnaires et rétrogrades qui s'opposent à la raison et au progrès, dont le répugnant Simonini est présenté comme le prototype. Peut-être, suggère Echo dans les pages d'un goût assez malsain et trouble, les catholiques hostiles au sort magnifique du sécularisme souffrent-ils de troubles pathologiques à arrière-plan sexuel - Simonini finit par être traité par un médecin, dont le nom est estropié en "Froïd", mais qui est évidemment Sigmund Freud (1856-1939) - ou ont-ils été molestés par un prêtre lorsqu'ils étaient enfants, comme cela est arrivé à son protagoniste.

Sur la critique de la franc-maçonnerie, le roman fait feu de tous bois: le pape Léon XIII (1810-1903) et son encyclique de 1884 sur la Franc-Maçonnerie "Humanum genus" sont présentés comme en quelque sorte partie de ce même anti-maçonnisme malsain et ridicule inventé par Taxil . Mais entre les livres de l'imposteur français, où le diable apparaît dans les loges maçonniques sous la forme d'un crocodile, et la magistrale critique du relativisme philosophique maçonnique d'Humanum genus, court la même différence qui existe entre la caricature et la réalité. On ne peut nier que Léon XIII reçut et bénit Taxil, qui lui avait été présenté comme un bon catholique: le fausse conversion et les révélations de Taxil sont postérieures à 1884, date de l'encyclique Humanum genus qui ne doit certainement rien à l'imposteur français.

Le monde du Cimetière de Prague est un monde en noir et blanc, où les catholiques du XIXe siècle - s'ils ne sont pas tous aussi naïfs, et Eco reconnaît que certains d'entre eux avaient découvert avant les autres la supercherie de Taxil - sont, cependant, toujours enfermés dans un horizon auto-référentiel, obsédés par le sexe et l'antisémitisme, et même, pour tout dire, un peu imbéciles.
Eco donne à penser que s'il n'y a pas grand complot universel, il y a pourtant continuellement dans l'histoire, une quantité de petits complots. Une thèse qu'on peut partager. Mais parmi ces complots, il oublie d'indiquer - peut-être parce que, d'une certaine façon, il en fait partie - celui qui, à travers un martellement médiatique dont la culture populaire et les romans sont une partie intégrante, vise à présenter les catholiques qui s'opposent, hier comme aujourd'hui, au sécularisme et à la "dictature du relativisme" comme une race culturellement inférieure de bigots et de crétins.

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(1)
Lire ici la critique "correcte" de Pierre Assouline: http://www.magazine-litteraire.com/...

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