Et si les progressistes quittaient l'Eglise?

C'est la question posée sur le ton de l'humour par une star du journalisme américain, et relayée par La Vie. Les réponses et les explications de Louis-Marie Lamotte, sur le remarquable blog de réflexion Contre-débat (20/7/2012)

Le 22 juin dernier, La Vie ouvrait une nouvelle rubrique, intitulée "Chrétiens en débat".
Elle est présentée ici.
Le 6 juillet, l'un des thèmes débattus était "Les catholiques progressistes doivent-ils quitter l'Eglise ?".
Suite à la rebellion des religieuses américaines de la LCWR (cf. benoit-et-moi.fr/2012(II)), c'était la question-provocation posée par Bill Keller, "ex-rédacteur-en-chef du New York Times, dans une des tribunes en ligne les plus discutées entre catholiques américains actuellement (315 commentaires modérés en dix jours)".
Le journaliste du NYT, écrivait: Et si les catholiques qui ne sont pas d'accord avec la ligne du Vatican s'en allaient ? Après tout, il y a plein d'autres Eglises, y compris des communautés catholiques non romaines. Cela résoudrait la crise du catholicisme contemporain.

De sa part, il s'agissait peut-être d'humour, mais je suis persuadée que, de la part de beaucoup de catholiques 'normaux', c'est une question qui n'a rien d'une boutade! Personnellement, en lisant les Gaillot, Noyer, Soupa, Hans Kung et autres Pietro di Paoli, je me la suis déjà plus d'une fois posée. Et je m'étais spontanément apportée la réponse qu'il est toujours plus facile de saper une institution de l'intérieur: que seraient ces "opposants" s'ils n'étaient plus dans l'Eglise? Que vaudrait leur parole? Leur ouvrirait-on encore toutes grandes les portes des studios de radio et des plateaux de télévision pour cracher leur venin? Il est permis d'en douter.

Parallèlement (si j'ose dire, mais le mot n'a rien d'incongru, car les cathos du NYT évoluent dans un univers strictement parallèle au mien...) mon ami Louis-Marie Lamotte consacre depuis le 26 juin, sur son blog de haut niveau "Contre-débat" une série de réflexions sur les Catholiques de gauche.
(1er article ici: Les catholiques de gauche (1) : La "nouvelle chrétienté")
Tout est à lire, bien entendu, mais je veux m'attarder sur le dernier article, datant du 18 juillet, et qui apporte une réponse à la question du NYT, Les catholiques de gauche (6) : Pourquoi les progressistes restent-ils dans l'Eglise ?

Et si les progressistes quittaient l’Eglise ?
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La question peut dès lors se poser : pourquoi des catholiques de gauche que leur doctrine entraîne toujours plus loin des enseignements de l’Eglise en matière de foi et de mœurs restent-ils dans l’Eglise ? La question a été sérieusement posée par Bill Keller, ancien rédacteur en chef du New York Times. « Ce texte, note La Vie, a été fortement discuté dans des milieux progressistes catholiques. » L’hebdomadaire chrétien et humaniste mentionne l’une des principales réponses données à cette question, celle de la théologienne Jamie L. Manson dans le National Catholic Reporter du 27 juin 2012[4]. Cette réponse, à bien des égards, est très intéressante ; elle l’est d’ailleurs bien plus par ce qu’elle omet que par ce qu’elle affirme. Je reproduis donc l’essentiel du résumé que fait La Vie de son article :
Jamie L Manson explique que « le fait de quitter l'Eglise est un luxe que le monde ne peut s'offrir ». Certes, admet-elle, « la prise en main hostile de l'Eglise par des forces archi-conservatrices [...] est un fait accompli [...] et les choses ne vont pas changer. » De même, elle partage tout à fait l'avis de Keller sur les responsables de l'Eglise qui semblent souhaiter que les dissidents catholiques s’en aillent. Mais, elle n'est pas d'accord sur un point : si les catholiques vivant en Occident pourraient effectivement quitter l'Eglise pour « faire leurs courses dans le vaste marché spirituel, où l'on trouve tout, de la médiation zen à l'Evangile de la prospérité », ceux qui vivent dans les pays pauvres n'auraient guère cette possibilité. « Il est important de rester en solidarité avec les catholiques à travers le monde et continuer ainsi nos actions afin de réformer l’enseignement de l’Eglise.

De fait, on n’aurait pu être plus clair. Si Mme Manson refuse de quitter l’Eglise catholique, ce n’est pas parce qu’en dépit de son malaise, elle y reconnaît l’Eglise de Dieu, l’Eglise divinement instituée et fondée sur Pierre par Notre-Seigneur Jésus-Christ pour être l’unique arche du salut, son Corps mystique, « l’Evangile qui continue », comme l’écrivait le cardinal Journet. Ce n’est pas non plus parce qu’elle estime que cela est nécessaire à sa sanctification et au salut de son âme. Elle reste dans l’Eglise parce qu’elle veut la changer.

Changer l’Eglise
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On touche ici à une conviction centrale de ces catholiques de gauche. Elle est loin d’être propre à Mme Manson ; on la retrouve par exemple sous la plume d’Anne Soupa, théologienne elle aussi, dans une tribune qu’elle signait dans La Croix en 2009 : « Ce qui fonderait donc le fait de rester, malgré l’amertume de ces jours, est la conviction que la critique est destinée au relèvement. »
On peut toujours objecter que ce singulier attachement à l’Eglise catholique, apostolique et romaine est le fait de quelques extrémistes ; et c’est certainement vrai ; bien des catholiques de gauche, assurément, gardent ne serait-ce que confusément le sentiment d’appartenir par leur baptême à l’unique Eglise fondée par Jésus-Christ. Mais il n’est pas anodin que de tels propos d’une part soient tenus par une théologienne revendiquée, qui devrait pourtant en mesurer la portée, d’autre part bénéficient d’un aussi puissant relai que celui du quotidien La Croix (ndlr: et de Radio Vatican en français, ce qui est un comble!!!), sans semble-t-il que la rédaction assomptionniste n’ait trouvé de quoi se scandaliser. Il est accepté, il est admis que des catholiques déclarent rester dans une Eglise dont ils ne partagent visiblement pas la foi ou la doctrine, non pour le salut de leur âme, mais parce qu’ayant perdu foi en l’institution divine de l’Eglise, ils veulent la changer pour la refaire selon leur bon plaisir et selon les valeurs modernes qu’ils assument si pleinement, a planta pedis usque ad verticem capitis. Le monde et son évolution jouant désormais le rôle d’un Magistère infaillible et immédiatement contraignant, il n’y a plus lieu de se préoccuper du Magistère ecclésiastique, sinon pour conformer celui-ci à celui-là.

Sortir de l’Eglise… sans en sortir
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Ces catholiques néoprogressistes qui, ayant poussé jusqu’au bout l’écoute du monde et l’assomption des valeurs de la modernité, ne croient plus à la divinité ni même à la nécessité de l’Eglise catholique, ces catholiques contre le catholicisme, loin d’attendre dans l’ombre leur heure, peuvent s’exprimer dans les colonnes de la grande presse religieuse, voire ici ou là dans les diocèses à l’invitation des évêques, sans que nul ne trouve rien à y redire. Jean Madiran explique ainsi ce que signifie la formule apparemment absurde du cardinal Marty : L’Eglise doit sortir d’elle-même.
« Ils veulent sortir de l'Eglise, écrit-il, ils en sont déjà sortis […], mais ils n'en sont pas sortis individuellement : ils en sont sortis « en Eglise », collégialement et conciliairement ; ils en sont sortis tous ensemble, mais sans démissionner, sans rien abdiquer, en conservant au contraire leurs dignités, leurs grades, leurs pouvoirs, en demeurant comme devant, chacun selon son rang, docteurs, hiérarques et pontife. »

Louis-Marie Lamotte