Il s'est réellement passé quelque chose de grand

Mgr Müller présente le septième volume des "Oeuvres Complètes" de Joseph Ratzinger - dont il supervise la publication. Ce volume est consacré aux écrits sur le Concile. Article dans l'OR du 29 novembre, ma traduction (29/11/2012)

La préface, signée du Pape en personne, avait été publiée le 10 octobre dernier.
>> Cf. Vatican II: un chroniqueur d'exception
Si l'on est croyant, on ne peut pas ne voir qu'un simple hasard dans la circonstance qui a fait de l'expert de pointe du Concile, le Pape choisi pour en assurer la compréhension correcte, après un demi siècle d'errances.

Texte original en italien: Raffa.

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Il s'est réellement passé quelque chose de grand.
Les écrits conciliaires de Joseph Ratzinger présentés par le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi
Un outil précieux pour comprendre et interpréter le Concile Vatican II à partir de ses textes

de Gerhard Ludwig Müller
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Joseph Ratzinger, en tant que théologien, a contribué à donner forme, et a accompagné, le Concile Vatican II dans toutes ses phases. Son influence se fait sentir dés la phase préparatoire, avant l'ouverture officielle du Concile, le 11 Octobre 1962.
Il a participé de façon significative à la genèse des textes les plus variés, d'abord aux côtés de l'archevêque de Cologne, le Cardinal Joseph Frings, et plus tard comme membre autonome de différentes commissions.
Dans la phase de réception, il ne se lasse pas de rappeler que le Concile doit être évalué et compris à la lumière de son intention authentique.
Le Concile est partie intégrante de l'histoire de l'Eglise et ne peut donc être compris correctement que si l'on considère ce contexte de deux mille ans. Grâce à son travail sur le concept d'Église chez saint Augustin et sur le concept de la Révélation chez saint Bonaventure, qui lui avait valu son diplôme de docteur, Joseph Ratzinger était particulièrement apte et préparé à affronter les questions fondamentales posées à l'Eglise au XXe siècle. Parmi celles-ci, après les expériences de la guerre et d'une société en profonde mutation dans les années soixante, il y avait aussi une perte croissante de la signification et de la présence de l'Eglise dans le monde.
Dans sa préface à cet ouvrage, le pape Benoît XVI a décrit ainsi la tâche du Concile: «La perception de cette perte du temps présent de la part du christianisme et la tâche qui s'ensuivait a été le mieux résumée par le mot 'aggiornamento'. Le christianisme doit être dans le présent afin de façonner l'avenir».

Le septième volume de l'Opera Omnia, qui paraît aujourd'hui, juste à temps pour le cinquantième anniversaire de Vatican II, est le recueil dans une synthèse chronologique et systématique des écrits de Joseph Ratzinger sur les enseignements du Concile. Le sous-titre du volume «Formulation, transmission, interprétation» veut illustrer les phases du travail de Joseph Ratzinger en relation avec le Concile.

Nous pouvons partir de l'activité de formulation, avec la participation de Joseph Ratzinger à la commission et son travail pour le cardinal Frings. La collaboration entre le cardinal Frings et Joseph Ratzinger, marquée par une grande confiance, émerge dans les événements qui peuvent être mis en relation avec la Conférence de Gênes. C'est de là qu'on trouve l'origine de la nomination de Joseph Ratzinger comme expert et conseiller théologique de l'archevêque de Cologne. Frings avait demandé à Ratzinger de lui préparer un premier projet de la conférence que le cardinal devait prononcer à Gênes le 20 Novembre 1961. Ratzinger lui remit très vite le manuscrit, que Frings jugea réussi au point de le prendre comme il était, à l'exception d'un petit changement final. Le Pape Jean XXIII lui-même, ayant pris connaissance du rapport de l'archevêque de Cologne, convoqua Frings et dit: «Cher Cardinal, vous avez dit tout ce que je pensais et que je voulais dire, mais que je ne pouvais pas dire»: et quand Frings, avec sincérité, répondit que c'était le jeune professeur Ratzinger qui avait écrit le texte, le Pape se limita à observer qu'il avait lui aussi besoin d'aide. Il serait important, poursuivit-il, de trouver les bons conseillers (1).
A partir de ce moment, Frings fit examiner tous les textes de caractère théologico-systématique par le professeur de théologie fondamentale à Bonn.
Les textes rassemblés dans ce volume sont pour la plupart inédits à ce jour. Il y a des avis sur des ébauches de schémas conciliaires, sur des projets de discours de Frings prononcés par la suite, sur des prises de positions et des propositions de modification de documents spécifiques du Concile, ainsi que des opinions exposées par Ratzinger dans les cercles plus restreints devant des évêques et des cardinaux, sur des propositions concrètes. de texte
Seule la vision d'ensemble des textes rassemblés ici permettra à beaucoup de voir clairement l'intensité, la compétence et la précision avec laquelle le jeune professeur de 35 ans Joseph Ratzinger s'est mis au service de l'Eglise et du Concile. Le Concile porte l'écriture (la calligraphie) du pape Benoît XVI.

Le 10 Octobre 1962, il y eut une conférence à la bibliothèque du Collège de Sainte-Marie de l'Âme (Santa Maria dell'Anima). Ratzinger critique en particulier la définition de «Sources» de la Révélation, au pluriel, qui ne serait pas vraiment conforme à la tradition. Il met en garde contre l'approbation d'une doctrine controversée au niveau théologique et développe dans les grandes lignes sa propre conception de la Tradition. Le cardinal Frings fait sienne la critique constructive du schéma De fontibus par le professeur de théologie fondamentale à Bonn, comme en témoigne son discours à la Congrégation Générale, le 14 Novembre.

C'est Joseph Ratzinger lui-même qui a raconté dans deux essais sa collaboration, dès l'ouverture des consultations conciliaire, avec le cardinal Frings, déjà presque complètement aveugle. Son récit rend évident la discrétion qui l'anime, et il met l'accent sur l'apport créatif de ses Frings. A la base des dix-neuf interventions conciliaires de l'archevêque de Cologne, où sont formulées des questions théologiquco-systématiques, il y a les projets établis par Ratzinger. Pour la première fois, dans ce volume, ils sont accessibles au public. Ils sont aussi un hommage à cardinal Frings qui à chaque fois en intégra et en développa les lignes de base, pouvant ainsi fournir aux Pères Conciliaires des stimuli décisifs.

Passons à l'activité d'élaboration de Ratzinger. Des actes du Concile, il ressort sa collaboration à deux commissions: il a d'abord été membre de la sous-commission de la commission théologique qui avait la tâche de préparer les passages décisifs du schéma De Ecclesia. Il a également contribué aux propositions d'amélioration du schéma De fontibus, et donc directement à la Constitution dogmatique sur la Révélation divine Dei Verbum.

En second lieu, Ratzinger a œuvré efficacement à la rédaction du décret Ad gentes, lequel relie à nouveau avec force l'activité missionnaire de l'Eglise la mission du Fils dans le monde, qui trouve son prolongement dans l'Eglise, indiquant ainsi clairement que la mission appartient à la nature même de l'Église.

Il y eut ensuite une activité de communication de Ratzinger, dédiée à la transmission de contenus. Pendant le Concile, à la fois à Rome et dans les lieux de son activité scientifique à Bonn et à Münster, il fut souvent un interlocuteur très demandé pour des interviewes, et un conférencier recherché sur Vatican II. De cette intense activité de transmission des contenus naquirent les volumes publiés à plusieurs sur les quatre périodes du Concile, offrant au lecteur allemand des perspectives utiles et intéressantes sur le Concile. Le septième volume de l'Opera Omnia comprend également ces publications qui aident à comprendre la première activité de réception en relation étroite avec les différentes périodes et les différents groupes de travail du Concile. Ratzinger transmit pour ainsi dire «de première main» au lecteur les résultats du Concile, stimulant le débat et la réception.

Après Vatican II commença dans le monde entier une phase de commentaire. Les textes furent traduits dans les principales langues et livrés au scientifique. Joseph Ratzinger écrivit des commentaires sur Lumen gentium, Sacrosanctum Concilium, Dei Verbum , et Gaudium et spes. Ses travaux, écrits entre 1966 et 2003 - à présent inégalés et qui font désormais partie des classiques de la théologie - sont toujours motivés par le désir de ne pas trahir la source.

Point de départ de toutes ses prises de positions sur le Concile, il y a le texte approuvé dans l'original en latin, qui montre la volonté des Pères dans sa forme originale. Celui qui veut comprendre Vatican II doit examiner avec soin tous les constitutions, décrets et déclarations parce qu'eux seuls, dans leur unité, représentent l'héritage valide du Concile. Et le présent volume présente de façon adéquate, dans toute sa clarté et sa précision, cette étape décisive dans la réception du Concile.

Dans son discours à la Curie romaine du 22 Décembre 2005, qui suscita un intérêt considérable, Benoît XVI souligna «l'herméneutique de la réforme dans la continuité», contre une «herméneutique de la discontinuité et de la rupture». Joseph Ratzinger se place donc dans le sillage de ses affirmations de 1966. Cette interprétation est la seule possible selon les principes de la théologie catholique, autrement dit en considérant l'ensemble indissoluble de la Sainte Ecriture, la Tradition pleine et entière et le Magistère, dont la plus haute expression est le Concile présidé par le successeur de Pierre, comme chef de l'Eglise visible. En dehors de cette unique interprétation orthodoxe, il existe malheureusement une interprétation hérétique, à savoir l'herméneutique de la rupture, à la fois sur le versant progressiste, et sur celui traditionaliste.
Ces deux versants sont unis par le refus du Concile: les progressistes veulent le laisser derrière eux, comme s'il était juste une saison à abandonner pour aborder à une autre Église; les traditionalistes ne veulent pas y arriver, comme si c'était l'hiver de la "Catholique".

«Continuité» signifie correspondance permanente avec l'origine, et non pas adaptation à quoi que ce soit, qui pourrait également conduire sur le mauvais chemin.
Le mot d'ordre si souvent cité «aggiornamento» ne signifie donc pas «sécularisation» de la foi, chose qui conduirait à sa dissolution, mais origine qui peut être annoncée en des temps nouveaux, origine à partir de laquelle le salut est donné aux hommes; «aggiornamento» signifie donc «rendre présent» le message de Jésus-Christ. Il s'agit au fond de la réforme de temps en temps nécessaire dans la fidélité constante au Christus Totus, selon les célèbres paroles de saint Augustin: «Tout le Christ, c'est-à-dire la Tête et les membres. Que signifie ‘la Tête et les membres’? Le Christ et l'Eglise» (In Iohannis evangelium tractatus, 21, 8).

Vatican II lui-même a déclaré que, «sur les traces des conciles de Trente et de Vatican I, il entend proposer la doctrine authentique sur la Révélation divine et sa transmission afin que par l'Annonce du salut, le monde entier en écoutant, croie, en croyant, espère, en espérant, aime» (Constitution dogmatique Dei Verbum, 1). Le Concile ne veut pas annoncer une autre foi, mais, dans la continuité des précédents Conciles, la rendre présente.

En dehors de cela, la «tradition d'origine apostolique se développe dans l'Église avec l'assistance du Saint-Esprit: croît en effet la compréhension des choses et des paroles transmises, à la fois avec la contemplation et l'étude des croyants qui les méditent dans leur cœur (cf. Lc, 2, 19 et 51), avec l'intelligence donnée par une expérience plus profonde des choses spirituelles, avec la prédication de ceux qui ont reçu par la succession épiscopale, un charisme sûr de vérité. Ainsi, l'Église au cours des siècles tend sans cesse vers la plénitude de la vérité divine, jusqu'à ce qu'en elle se concrétise la parole de Dieu (...) Ainsi Dieu, qui a parlé dans le passé, ne cesse pas de parler avec l'épouse de son Fils bien-aimé, et l'Esprit Saint, par qui la voix vivante de l'Évangile retentit dans l'Église et par elle dans le monde, conduit les croyants dans toute la vérité, et en eux fait habiter la parole du Christ dans toute sa richesse (cf. . Colossiens 3: 16.) »
Le septième volume des Gesammelte Schriftenfond dans l'unité des textes dispersés et d'origines diverses, offrant ainsi au lecteur un outil pour comprendre et interpréter le Concile Vatican II à partir de ses textes. Dans la préface du livre, le pape Benoît rappelle l'atmosphère qui a précédé l'ouverture du Concile: «Ce fut un temps d’attente extraordinaire. De grandes choses allaient se passer».
Si à cinquante ans de cet événement historique, nous regardons en arrière, on peut dire avec conviction qu'il s'est vraiment «passé» quelque chose de grand! Le Concile ouvre le chemin de l'Église vers l'avenir et se présente comme un instrument fondamental pour la nouvelle évangélisation.

(© L'Osservatore Romano, 29 Novembre 2012)

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(1) Cette anecdote est racontée ici : Comment Jean XXIII découvrit Joseph Ratzinger (http://benoit-et-moi.fr/2008 )