Une autorité mondiale, pourquoi, comment

Discours du Saint-Père devant l'Assemblée plénière du Conseil Pontifical pour la justice et la paix. Ma traduction (3/12/2012)

Texte original en italien: http://press.catholica.va

     

Ces jours-ci se tient à Rome l'Assemblée plénière du Conseil Pontifical pour la justice et la paix, présidé par le cardinal Turkson.
Le thème de la réflexion est celui d'une autorité globale, déjà évoqué dans l'encyclique (aussi célèbre que peu connue) de Jean XXIII "Pacem in terris" (dont on célébrera en avril 2013 le 50e anniversaire de la publication) et dont il avait été question aussi dans Caritas in Veritate, soulevant une certaine perplexité, car il avait été mal compris.
Voici le discours du pape aux participants, en forme de mise au point, et de recadrage.

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Messieurs les Cardinaux,
Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers frères et sœurs!

Je suis heureux de vous accueillir à l'occasion de votre Assemblée plénière. Je salue le Cardinal Président, que je remercie de ses paroles courtoises, et l'évêque secrétaire, les fonctionnaires du Dicastère et vous tous, membres et consultants, réunis pour ce moment important de réflexion et de planification. Votre Assemblée se célèbre en l'«Année de la Foi» , après le Synode consacré à la nouvelle évangélisation, et - comme cela a été dit - le cinquantième anniversaire du Concile Vatican II et - dans quelques mois - de l'encyclique Pacem in terris du Bienheureux Pape Jean XXIII. C'est un contexte qui déjà en soi offre de multiples stimuli.

La doctrine sociale, telle que l'a enseignée le Bienheureux Pape Jean-Paul II, est une partie intégrante de la mission évangélisatrice de l'Église (cf. Enc. Centesimus Annus , 54), et à plus forte raison elle doit être considérée comme importante pour la nouvelle évangélisation. En accueillant Jésus-Christ et son Evangile, non seulement dans sa vie personnelle, mais aussi dans les relations sociales, nous devenons porteurs d'une vision de l'homme, de sa dignité, de sa liberté et relationnalité, qui est marquée par la transcendance, à la fois horizontalement et verticalement.
De l'anthropologie intégrale, qui dérive de la Révélation et de l'exercice de la raison naturelle, dépendent le fondement et la signification des droits et des devoirs de l'homme, comme nous l'a rappelé le bienheureux Jean XXIII justement dans Pacem in Terris (cf. n. 9. Les droits et devoirs, en effet, n'ont pas comme unique et exclusif fondement la conscience sociale des peuples, mais dépendent principalement de la loi morale naturelle inscrite par Dieu dans la conscience de chaque personne, et donc finalement de la vérité sur l'homme et la société .

Bien que la défense des droits ait fait de grands progrès à notre époque, la culture d'aujourd'hui se caractérise, entre autres, par un individualisme utilitariste et un économisme technocratique, qui tendent à dévaloriser la personne. Celle-ci est conçue comme un être «fluide», sans consistance permanente. Bien qu'il soit immergé dans un réseau infini de relations et de communications, l'homme d'aujourd'hui apparaît paradoxalement souvent comme un être isolé, car indifférent à la relation constitutive de son être, qui est la racine de toutes les autres relations, celle avec Dieu.
L'homme d'aujourd'hui, est considéré dans une 'clé' essentiellement biologique, ou comme «capital humain», «ressource», élément d'un engrenage productif et financier qui le dépasse.

Si, d'un côté, on continue à proclamer la dignité de la personne, de l'autre, de nouvelles idéologies - comme celle, hédoniste et égoïst(iqu)e des droits sexuels et reproductifs ou celle d'un capitalisme financier non réglementé qui règne sur la politique et déconstruit l'économie réelle - contribuent à considérer le salarié et son travail comme des biens «mineurs» et à saper les fondements naturels de la société, en particulier la famille. En fait, l'être humain, constitutivement transcendant par rapport à d'autres êtres et biens terrestres, jouit d'une vraie primauté qui le place comme responsable pour lui-même et la création. Concrètement, pour le christianisme, le travail est un bien fondamental pour l'homme, en vue de sa personnalisation, de sa socialisation, de la formation d'une famille, de la contribution au bien commun et à la paix. Pour cette raison, l'objectif de l'accès à l'emploi pour tous est toujours une priorité, même en période de récession économique (cf. Caritas in veritate , 32).

D'une nouvelle évangélisation de la société peuvent dériver un nouvel humanisme et un engagement cultuel et projectuel renouvelé. Elle aide à détrôner les idoles modernes, à remplacer l'individualisme, le consumérisme matérialiste et la technocratie, par une culture de fraternité et de gratuité, d'amour solidaire. Jésus-Christ a résumé et accompli les préceptes dans un commandement nouveau: «Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres» ( Jn 13:34).
Là est le secret de toute vie sociale pleinement humaine et pacifique, ainsi que le renouvellement de la politique et des institutions nationales et mondiales.
Le bienheureux Pape Jean XXIII a motivé l'engagement pour la construction d'une communauté mondiale, avec une autorité correspondante, justement à partir de l'amour, et précisément de l'amour pour le bien commun de la famille humaine. Ainsi nous lisons dans l'encyclique Pacem in Terris: «Il y a une relation intrinsèque entre les contenus historiques du bien commun d'une part, et la configuration des Pouvoirs publics de l'autre. Autrement dit, l'ordre moral, de même qu'il exige l'autorité publique dans la société pour la mise en œuvre du bien commun, exige également que l'autorité à cet effet soit efficace»(n. 71).

L'Église n'a certes pas la tâche de suggérer, en termes politiques et juridiques, la configuration concrète d'un tel ordre international, mais elle offre à ceux qui en ont la responsabilité ces principes de réflexion, critères de jugement et orientations pratiques qui peuvent en assurer le cadre anthropologique et éthique autour du bien commun (cf. Caritas in veritate , 67).
Dans la réflexion, cependant, il faut garder à l'esprit que l'on ne doit pas imaginer un super-pouvoir, concentré dans les mains de quelques-uns, qui dominerait tous les peuples, exploitant les plus faibles, mais que toute autorité doit être comprise d'abord comme une force morale, une faculté d'influencer selon la raison (cf. Pacem in Terris , 27), c'est à dire comme une autorité associée, limitée dans sa compétence et par le droit.


Je remercie le Conseil pontifical Justice et Paix, parce que, de concert avec d'autres institutions pontificales, il a entrepris d'étudier les lignes directrices que j'ai offertes dans Caritas in Veritate. Et cela, aussi bien à travers les réflexions pour une réforme du système monétaire et financier international, que par la Plénière de ces jours-ci, et le Séminaire international sur l'encyclique Pacem in Terris de l'année prochaine.

Que la Vierge Marie, Celle qui, avec foi et amour a accueilli le Sauveur en Elle pour le donner au monde entier, nous guide dans l'annonce et le témoignagede la Doctrine sociale de l'Eglise, pour rendre plus efficace la nouvelle évangélisation.
Avec ces voeux, je donne volontiers à chacun de vous ma Bénédiction apostolique.
Merci.