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Rétrospective 2011

Quand les difficultés matérielles fortifient la foi... Depuis la visite de Jean-Paul II, en 1988, une ouverture qui ne cesse de progresser.Interview du cardinal Jaime Lucas Ortega y Alamino, archevêque de la Havane, dans le numéro de mars 2008 de la revue 30 Giorni (8/1/2012)

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Parmi toutes les informations données par le prélat, ces deux-là peuvent provoquer notre surprise... ou susciter notre réflexion, nous faisant toucher du doigt le vide effarant de la présence de l'Eglise en tant qu'institution dans l'univers des medias chez nous:

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A cause de la difficulté de construire des églises, il a été nécessaire d’utiliser des habitations privées et de créer de petites communautés de vingt, trente personnes ou un peu plus. Ces maisons de prière ou de mission, comme on les appelle d’habitude, sont des centres de catéchèse pour les enfants, de catéchuménat pour les adultes et on y prêche la parole de Dieu. Dans un bon nombre d’entre elles se déroule aussi une vie sacramentelle. Il y en a plus de cinq cents dans l’archidiocèse de La Havane. Ces petites communautés vivent en quelque manière l’expérience des débuts de l’Église...
Bref, les difficultés stimulent la vitalité de l’Église, du moins c’est ce qui s’est produit dans notre pays.


-> Il y a actuellement beaucoup d’informations sur le Pape:
toutes ses déclarations sont retransmises à la télévision et occupent une place qui, parfois, nous surprend. Et les conditions sont réunies pour que l’Église ait encore plus de place à sa disposition. Les évêques cubains peuvent parler aux radios de province qui ont un fort taux d’écoute, en particulier à l’occasion d’importantes fêtes religieuses comme Noël ou la fête de la patronne de Cuba, la Virgen de la Caridad del Cobre.

Une ouverture qui grandit
Interview du cardinal Jaime Lucas Ortega y Alamino par Davide Malacaria
Texte complet ici: http://www.30giorni.it/..

Dix ans sont passés depuis la visite du pape Jean Paul II à Cuba. Cet anniversaire tombe dans un moment de transition du régime cubain. Nous demandons au cardinal Jaime Lucas Ortega y Alamino, archevêque de La Havane depuis 1981 et créé cardinal en 1994 par Jean Paul II, quels sont, selon lui, les espoirs de l’Église catholique en ce moment de passage.

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- L’Église cubaine peut-elle se considérer comme une Église vivante et féconde?

JAIME LUCAS ORTEGA Y ALAMINO (OYA): L’Église de Cuba a une grande vitalité mais je ne pense pas que la vitalité exclue les difficultés. Je crois au contraire que vitalité et difficulté sont, d’une certaine façon, complémentaires, parce que les difficultés exigent des efforts et nous réveillent de notre somnolence. Je pense que les difficultés que l’Église a rencontrées pendant des années à Cuba nous ont poussés à développer notre imagination pastorale. Par exemple, l’une des grandes difficultés de l’Église cubaine a été de ne pas pouvoir construire d’églises dans les nouveaux quartiers des villes, dans les zones rurales et dans les nouvelles implantations; il a donc été nécessaire d’utiliser des habitations privées et de créer de petites communautés de vingt, trente personnes ou un peu plus. Ces maisons de prière ou de mission, comme on les appelle d’habitude, sont des centres de catéchèse pour les enfants, de catéchuménat pour les adultes et on y prêche la parole de Dieu. Dans un bon nombre d’entre elles se déroule aussi une vie sacramentelle. Il y en a plus de cinq cents dans l’archidiocèse de La Havane. Ces petites communautés vivent en quelque manière l’expérience des débuts de l’Église et le plus grand problème est celui de leur soin pastoral au moment où elles commencent à avoir une vie sacramentelle. Le prêtre peut y célébrer l’Eucharistie une fois par mois, mais la communauté se réunit toutes les semaines autour de diacres, de religieuses et surtout d’animateurs laïques formés pour cette mission. Les difficultés nous ont aussi amenés à intégrer de façon très dynamique les laïcs dans la pastorale. Bref, les difficultés stimulent la vitalité de l’Église, du moins c’est ce qui s’est produit dans notre pays.
La pratique religieuse à Cuba est très faible. Trois pour cent seulement de la population va à la messe, le dimanche, alors qu’il y a plus de soixante-cinq pour cent de baptisés. Quand j’ai été nommé archevêque, il y avait six mille baptêmes par an, il y en a vingt-cinq ou vingt-six mille aujourd’hui et, parmi ces baptisés, il y a aussi des adultes. Dans beaucoup d’endroits, par manque d’églises et de prêtres, il est difficile de célébrer la messe du dimanche. Mais il y a d’autres indices de la religiosité de notre peuple. Il y a, par exemple, dans le cimetière de La Havane, une grande chapelle dans laquelle se célèbrent soixante-quinze pour cent de tous les enterrements de la capitale. La religion cubaine est très “Amérique latine”, très populaire. Elle donne lieu à de grands pèlerinages dans les sanctuaires, les lieux de culte, où accourent aux moments forts de l’année, comme Noël et Pâques, des dizaines de milliers de personnes. Depuis dix ans déjà, le 25 décembre est un jour de fête et non un jour ouvrable et, cette année, les enfants ont eu droit à de longues vacances au moment de Noël, de la veille de Noël à l’Épiphanie. Une décision qui favorise le retour aux traditions de Noël et permet aux familles de se réunir. Le nombre des vocations augmente, même si c’est lentement. Nous avons un séminaire national avec soixante séminaristes à La Havane et un nouveau siège est en construction en dehors de la ville.

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- Durant sa visite, Jean Paul II a émis le voeu que Cuba s’ouvre au monde et le monde à Cuba. Qu’est devenu ce vœu?

OYA: Je crois que le Pape ne se référait pas aux relations diplomatiques de Cuba avec d’autres pays, parce que Cuba entretenait déjà des relations de ce genre, ni à d’autres relations de nature commerciale ou économique. Pour comprendre les paroles du Pape, il faut se rappeler la période qui a précédé sa visite. Une période semblable à celle qu’avait traversée la patrie du Pape polonais. Pour des raisons économiques, idéologiques et commerciales, Cuba a toujours été très lié aux pays de l’Est et à l’Union Soviétique. C’est là que beaucoup de Cubains ont fait leurs études, c’est de là qu’arrivaient les techniciens et les experts étrangers qui venaient travailler sur l’île, le russe était l’une des langues enseignées à l’école. Mais Cuba se trouve au cœur de l’Amérique et a beaucoup de choses en commun, du point de vue culturel, linguistique et religieux, avec l’Amérique latine. Notre culture est européenne, espagnole en particulier, même si elle a subi une forte influence africaine. C’est pourquoi nous faisons partie du monde occidental chrétien. Jean Paul II connaissait notre culture. Lorsqu’il formait le voeu que Cuba s’ouvre au monde et le monde à Cuba, il demandait que notre île puisse se réinsérer dans ce monde auquel elle appartient culturellement et que le monde puisse aider Cuba à réaliser cette réinsertion. Je crois que c’était cette idée qu’exprimait le Pape. J’estime que, dix ans plus tard, l’ouverture au monde occidental s’est produite, malheureusement aussi dans ses aspects les plus délétères, à savoir la sécularisation, l’hédonisme et la frénésie de consommation. L’ouverture à ce monde toujours plus globalisé comporte des avantages et des risques, mais c’est ainsi qu’elle se manifeste. Les effets de la visite sont, du point de vue ecclésiastique, multiples. L’Église a été confirmée dans sa mission et ses pasteurs renforcés: l’Église cubaine a été connue dans le monde pour sa vitalité et son enthousiasme et le Pape a fait connaître l’Église au peuple cubain lui-même. C’est la première fois que les catholiques ont eu la possibilité de descendre dans la rue: quelque chose de nouveau a eu lieu et rien ne pourra plus être comme avant.


- Dans sa lettre aux catholiques chinois, Benoît XVI a rappelé que l’Église ne doit pas lutter pour changer les régimes mais pour annoncer l’Évangile.

OYA:
C’est vrai. C’est l’attitude que l’Église cubaine a adoptée à l’égard de ses fidèles et du gouvernement. À Cuba, on soupçonnait l’Église de vouloir changer ou déstabiliser le pouvoir. Cette méfiance envers l’Église peut avoir trouvé à Cuba un terrain fertile en raison des étroites relations entre le Parti communiste et ses homologues de l’Europe de l’Est et de l’Union Soviétique, mais dans notre île, en ce qui concerne les restrictions et les contrôles, il n’y a jamais eu de politique semblable à celle de la Hongrie, de la Pologne ou de la Tchécoslovaquie. Le gouvernement cubain a toujours maintenu des relations diplomatiques avec le Saint-Siège. À Cuba, l’Église n’a jamais dû soumettre la nomination des évêques et des curés à l’approbation de l’État, et il n’y a jamais eu de numerus clausus pour les séminaristes ni dans aucun autre domaine. Cependant la vie de l’Église s’est toujours déroulée sous le regard du gouvernement qui, craignant que la foi ne soit utilisée à des fins politiques, était toujours prêt à imposer des restrictions. Les paroles de Benoît XVI nous ont rappelé les décennies passées, l’époque où l’Église cubaine et le Saint-Siège s’efforçaient, entre préjugés et méfiance, de présenter l’Église comme le Pape l’a fait dans le paragraphe de la lettre aux Chinois que vous avez cité. Tel est le chemin de l’Église toujours et partout, il ne peut y en avoir d’autre et je le dis en regardant notre passé récent, vu qu’aujourd’hui, à Cuba, les choses ont changé.


- Dans une interview à 30Jours, il y a très longtemps, vous vous plaigniez de la difficulté qu’il y avait à obtenir des visas d’entrée pour les religieux, du peu de place qu’avait l’Église dans les media et de l’impossibilité dans laquelle vous vous trouviez d’accomplir une œuvre d’éducation catholique. Qu’en est-il maintenant?

OYA: Il est plus facile aujourd’hui d’obtenir des visas pour les missionnaires étrangers, c’est désormais chose courante; dans la pratique, après la visite du pape Jean Paul II, il y a eu des changements et c’est une question qu’aujourd’hui nous gérons ensemble. Nous pouvons aussi importer facilement des livres: bibles, catéchismes, revues et autres. Nous avons pu publier une série de revues locales et nationales. À La Havane, il y a aussi un centre de Bioéthique appelé “Juan Pablo II” qui prête ses services au niveau national. Le centre produit une série de textes, adoptés aussi à l’Université, et ses membres sont demandés pour être rapporteurs dans les thèses de doctorat en Bioéthique. En ce qui concerne les media officiels, j’étais déjà apparu une première fois à la télévision, avant la visite historique du Pape. Quand Jean Paul II est tombé malade, la télévision est venue me trouver et m’a demandé de parler de son état de santé. Puis, quand il est mort, les journaux ont publié à la une de gros titres qui disaient: «Un bon pasteur est mort». J’ai lu ces articles au moment d’entrer en conclave: c’était émouvant. La messe que j’ai célébrée dans la cathédrale pour la mort du Pape et à laquelle ont participé le président et tout le gouvernement a été elle aussi retransmise à la télévision. Les services d’information ont “couvert” tous les moments de l’agonie et de la mort de Jean Paul II, comme aussi l’élection de Benoît XVI.
Il y a actuellement beaucoup d’informations sur le Pape: toutes ses déclarations sont retransmises à la télévision et occupent une place qui, parfois, nous surprend. Et les conditions sont réunies pour que l’Église ait encore plus de place à sa disposition. Les évêques cubains peuvent parler aux radios de province qui ont un fort taux d’écoute, en particulier à l’occasion d’importantes fêtes religieuses comme Noël ou la fête de la patronne de Cuba, la Virgen de la Caridad del Cobre. Nous demandons maintenant à avoir un programme fixe. Mais il reste le problème de l’éducation, qui sera long et difficile à résoudre. Quand on m’interviewe, je réponds toujours la même chose: c’est un point auquel l’Église ne peut renoncer. Même si, quand nous parlons d’éducation catholique, seules les personnes âgées peuvent se souvenir des grands collèges et des institutions que l’Église avait autrefois à Cuba et qui, ne jouissant pas de subvention de l’État, devaient subsister grâce aux droits d’écolage des élèves. C’est pour cela que les écoles catholiques ont été accusées de pratiquer une éducation de classe. Mais je pense qu’aujourd’hui il y a différentes possibilités pour l’Église d’être présente dans le domaine de l’éducation, sans devoir retourner à la situation du passé, situation que l’Église elle-même ne souhaite pas.

- L’Église cubaine a condamné l’embargo auquel est soumis Cuba…

OYA: La première condamnation de la part de la Conférence des évêques remonte à 1969. L’Église s’est toujours opposée à cet embargo comme à tous les embargos. Nous voyons, par exemple, aujourd’hui, la crise que l’embargo a déclenchée chez les Palestiniens, tous sans exception, dans la Bande de Gaza, où commencent à manquer les moyens de subsistance. Il ne s’agit pas seulement du manque de nourriture. Commence à manquer aussi ce qui est nécessaire à l’assistance médicale. C’est une situation qui existe aussi chez nous. Les évêques d’Amérique du Nord ont à plusieurs reprises fait des déclarations contre l’embargo qui frappe notre île. Pour nous, le refus de l’embargo est une question de principe. Nous souhaitons qu’il cesse. Le Pape l’a dit très clairement quand il est venu en 1998. À la fin de sa visite, il a parlé de «mesures économiques restrictives, injustes et éthiquement inacceptables, imposées de l’extérieur du pays».


- Cuba est en train de vivre un moment de transition? Quels sont vos vœux?

ORTEGA Y ALAMINO: Nous, évêques cubains, nous avons parlé de cela à l’occasion du message de Noël: dernièrement, des attentes sont nées dans la population, il y a eu une possibilité de discussion dans les lieux de travail, dans les centres d’étude, dans les organisations sociales; il y a même eu une invitation de la part du président Raúl Castro à une confrontation claire, ouverte et sincère. J’ai qualifié tout cela en une autre occasion de processus intéressant en soi, parce que la possibilité de discuter de cette façon est quelque chose de nouveau à Cuba. Et de prometteur. Lors des dernières élections, Raúl Castro a dit au cours d’une interview que le nouveau Parlement aura un grand travail à accomplir sur des questions relatives à la transcendance, questions qui doivent être abordées avec calme… Il me semble que tout cela est porteur d’attentes et d’espoirs. Ce serait très dur pour les gens si ces espoirs étaient déçus, mais je ne crois pas que cela arrivera. Il pourra y avoir quelque impatience devant les temps d’application, mais je crois que l’on assiste déjà à quelque chose de nouveau. Depuis un an et demi que la maladie a écarté Fidel Castro du pouvoir, il n’y a eu aucun changement négatif pour les activités de l’Église. Au contraire, s’est maintenu l’esprit d’ouverture qui est né avec la visite de Jean Paul II et qui s’est peu à peu développé. Mais maintenant, pour ce que nous réserve l’avenir, ce n’est pas une matière que l’on puisse analyser…