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Ce n'est un secret pour personne, ceux qui veulent honorer le Pape, lui faire plaisir, lui offrent un concert. Ce site s'efforce, dans la mesure du possible, de reproduire à chaque occurrence les commentaires de l'extraordinaire musicologue qu'est le saint-Père.
Voici une magnifique recension du livre "
L'esprit de la musique" par le Frère Daniel Bourgeois, sur le site de la paroisse Saint-Jean-de-Malte à Aix-en-Provence . Merci à Belgicatho. (7/2/2012)


Tout est à savourer. Et l'éloge a d'autant plus de valeur que, nous dit l'auteur:

"Pour tout vous dire, je me trouve assez à l’aise dans la manière dont il aborde ces questions, mais je vous préviens tout de suite, « je ne roule pas pour le Vatican », je ne suis pas stipendié pour faire de la publicité ! Mais en toute vérité, je crois que c’est un texte important : pas nécessairement pour la fonction du magistère pontifical comme tel, mais parce qu’il s’agit d’une réflexion sur la nature, de l’existence et du culte chrétiens, de leur lien avec la Parole de Dieu, du rôle décisif de la musique sacrée et de sa place dans la culture contemporaine".

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Voici quelques passages. Le texte en entier est à lire ici: www.moinesdiocesains-aix.cef.fr/

C’est un certain abbé Eric Iborra ... qui a réuni un très intéressant corpus de textes de Joseph Ratzinger, qui remontent pour certains d’entre eux à l’époque où il n’était pas encore cardinal, jusqu’aux derniers texte que, comme Pape sous le nom de Benoît XVI, il a récemment publiés sur la musique.
Je suis littéralement tombé en arrêt parce que je crois que Joseph Ratzinger cache bien son jeu : il parle très franchement, mais ce qui surprend dans la lecture de ce livre, c’est la somme incroyable de connaissances musicologiques dont témoigne cet homme. Il cite tout le monde, depuis Haydn en passant par Bach, Hindemith, les grands critiques modernes, les spécialistes de musique pop et de musique rock, sans oublier les professeurs allemands de liturgie. Il a tout lu ! … Je n’avais lu jusqu’ici que des ouvrages de Ratzinger traitant de questions théologiques, mais je ne soupçonnais pas une minute qu’il avait une culture musicologique aussi étendue, érudite et aussi approfondie.

Une deuxième chose que je dois préciser, c’est que dans la famille Ratzinger, ils sont tous très doués pour la musique. Son frère, prêtre également, était le directeur de l’équivalent des petits chanteurs d’Aix, mais à Regensburg, en plein cœur de l’Allemagne dans ce qu’elle a d’architecturalement et musicalement baroque. Georg Ratzinger a une vocation musicale précoce et l’accomplira comme chef de chœur du chœur de la cathédrale de Ratisbonne, la plus ancienne chorale d’Occident (six siècles d’existence). Le milieu familial lui-même, comme beaucoup de familles allemandes, a favorisé ces dons, leur a donné une sensibilité extrêmement profonde et riche, dans le domaine musical. Jusque-là, rien d’étonnant, sinon qu’un pape ait un violon d’Ingres, après tout, pourquoi pas ? Vous connaissez l’épisode un peu épique de la montée de son piano dans ses appartements privés au dernier étage du Vatican ... Le Pape se délasse en jouant les sonates de Mozart, et de ce point de vue-là, c’est un homme doué d’une formation musicale complète .

Connaissance musicale du répertoire de très haut niveau, les quelques allusions qu’il y fait (parce que ce n’est pas le but du livre), montrent qu’il connaît le répertoire de la musique sacrée essentiellement chrétienne, parce qu’il est très profondément et spirituellement lié à cette tradition musicale, il la connaît jusqu’à l’époque la plus moderne : il se paye le luxe de manifester son désaccord avec des pièces du répertoire musical de la tradition religieuse catholique qu’il n’apprécie pas et il ne s’en cache pas. Il trouve par exemple qu’une certaine musique religieuse italienne de la fin du XIXe siècle était trop orientée vers l’opéra et qu’une excessive ornementation mélodique, une orchestration trop virtuose lui inspirent des réflexions très critiques vis-à-vis de certaines œuvres produites surtout avant l’avènement de Pie X .

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Ce qui m’a séduit et finalement décidé à vous en parler dans le cadre de ces rencontres de l’Avent, c’est le fait suivant : encore cardinal – et cela s’est poursuivi jusqu’au cœur même de son pontificat –, Joseph Ratzinger est obsédé comme homme et comme philosophe, comme témoin jetant un regard critique sur l’époque actuelle, il est obsédé, dis-je, par une question qu’on n’a jamais posée à ce degré de finesse et de profondeur et qui fait tout l’intérêt de son livre : pourquoi y a-t-il une tradition musicale chrétienne – et plus spécifiquement catholique – qui est si viscéralement et profondément liée à l’exercice du culte, voire même liée à la compréhension de la foi chrétienne ? Car il va jusque-là : si je vous avais demandé avant de faire cet exposé, pourquoi il y a de la musique dans le culte chrétien, ce que nous appelons précisément la musique sacrée, je pense que beaucoup d’entre vous m’auraient répondu : "parce que ça fait joli, parce que cela met de l’ambiance, parce que sans musique, le culte serait un peu triste !" S’il ne s’agissait que de cela, la musique serait un peu comme la crème Chantilly et les fruits confits sur le baba au rhum … Or il s’agit de tout autre chose que d’un élément simplement décoratif.

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La conviction première de Joseph Ratzinger, – et cela va certainement vous surprendre – il la partage avec le Mahatma Gandhi. L’Esprit de la musique est un livre assez difficile, hélas, et la seule partie vraiment accessible, simple et de belle tenue, s’étend de la page 142 à 212 : c’est un régal, et je ne m’y attarderai pas car vous pourrez vous-même la goûter tranquillement le soir à la veillée. Mais les 140 premières pages sont des réflexions très haut de gamme sur le problème de la théologie de la musique liturgique. Dans l’un de ses articles, intitulé « L’image du monde et de l’homme dans la liturgie », – vous voyez déjà la hauteur et l’ampleur du propos –, il conclut sa réflexion, en citant le célèbre sage hindou:

« Pour conclure, je voudrais citer une belle parole du Mahatma Gandhi que j’ai trouvé récemment sur un calendrier. Gandhi évoque les trois milieux dans lesquels s’est développée la vie dans le cosmos et il note que chacun d’eux porte une façon d’être propre. Dans la mer vivent les poissons silencieux. Les animaux qui vivent sur la terre ferme crient. Les oiseaux qui peuplent le ciel chantent. Le silence, le cri et les chants. Le silence est le propre de la mer, le propre de la terre ferme, c’est le cri, le propre du ciel, c’est le chant. L’homme participe des trois. Il porte en soi la profondeur de la mer, le silence, le fardeau de la terre, le cri, la souffrance, et les hauteurs du ciel, le chant des oiseaux. C’est pourquoi il est aussi silence, cri et chant. Aujourd’hui – ajouterai-je –, nous le voyons, il ne reste souvent que le cri à l’homme sans transcendance parce qu’il ne veut plus être que terre, et parce qu’il tente aussi de transformer en sa terre les profondeurs de la mer et les hauteurs du ciel».

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La musique païenne dans bien des cas, a pour but de provoquer l’état des sens par le rythme et l’on s’éclate, mais ce faisant, elle n’introduit pas les sens dans l’esprit. Prolongeant cette réflexion, il écrit encore ceci pour mettre les choses au point en lui comparant la musique pop telle qu’elle envahit le monde occidental :

La musique pop se veut musique populaire, à l’encontre de la musique élitaire. On peut alors se demander ci ce n’est pas là précisément ce dont nous avons besoin ? Et la musique populaire n’a-t-elle pas toujours été chez elle dans l’Église? Il faut ici regarder de plus près : le peuple auquel se réfère la musique pop n’est pas le peuple, mais la société de masse, ce qui est tout autre chose. La musique populaire au sens originel est l’expression d’une vaste communauté par la langue, l’histoire, les modes de vie qui élabore ses expériences et donne une forme musicale. On peut qualifier sa musique de naïve, mais elle surgit d’un contact originel avec les expériences fondamentales de l’existence. Mais la société de masse est quelque chose de tout à fait différent de la communauté de vie qui a porté la musique populaire. La masse comme telle ne connaît pas d’expérience de première main, elle ne connaît que des expériences reproduites, standardisées. C’est une musique généralement très technique. Aussi la culture de masse vise-t-elle à la quantité, à la production, au succès, elle est une culture du mesurable et du vendable. C’est dans cette culture que s’inscrit la musique pop. Elle est le miroir de … cette société, la transposition musicale du kitsch ... Dans la production de masse industrielle, on produit du pop comme n’importe quel produit technique dans un système totalement inhumain et dictatorial – selon l’expression de Paul Hindemith.

Voilà ce que Ratzinger reproche à la musique pop : elle ne dit plus rien, elle revient au cri et c’est l’effet que nous ressentons par exemple face aux pulsations d’une batterie ou son d’une guitare électrique, l’effet d’un cri mécanisé.

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Ce qui fait problème actuellement, ce n’est ni la compétence (exceptionnelle) des artistes, ni la richesse du trésor de la tradition musicale prêt à livrer d’immenses secrets sur sa compréhension musicale de l’existence humaine : Joseph Ratzinger ne cesse de féliciter en termes chaleureux tous les musiciens qui lui font la joie d’un concert de grande musique dans un Vatican qui avait presque totalement perdu la dimension de la vie artistique au profit d’un discours purement magistériel sur d’épineux problèmes dogmatiques et éthiques (??). Mais le problème reste de savoir si, au niveau de la création, on peut attendre un renouveau de la grande tradition de la musique sacrée : Joseph Ratzinger pense à certains milieux restreints (sans dire lesquels) et écrit à ce propos que « le terme de sous-culture ne devrait pas nous effrayer » , manière élégante de dire que le renouveau en ce domaine ne saute pas aux yeux de cet observateur attentif qui attend davantage des nouvelles communautés chrétiennes africaines ou asiatiques que du monde occidental. Actuellement, si l’on en croit Joseph Ratzinger (et Benoît XVI …), l’attitude la plus nécessaire en ce domaine, c’est wait and see : somme toute, c’est la traduction concrète de la confiance dans l’Église qui a les promesses de la vie éternelle et du fait qu’il a fallu cinq cents ans minimum en Occident pour que naisse ce premier grand répertoire de musique sacrée qu’est le chant grégorien. Il est bien difficile de vivre musicalement dans un monde qui a perdu l’endurance, la finesse du goût et la patience …