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Avec François, une nouvelle ère commence

Entretien avec un théologien allemand (que je croyais à tort) ami de Joseph Ratzinger... Il y a quelque chose de fort qui fermente dans l'aire germanophone (6/12/2013)

Wolfang Beinert est une ancienne connaissance de ce site.
Une semaine après l'élection de Benoît XVI, il avait donné une conférence à la salle communale de Pentling, rapportée dans la presse locale, où il racontait ses souvenirs personnels sur Joseph Ratzinger, qu'il connaissait bien, pour être lui-même un habitant de Pentling, et un de ses anciens élèves (enfin, il me semble...).
J'ai repris récemment le texte de sa conférence ici: benoit-et-moi.fr/2013-II/benoit/souvenir-dun-habitant-de-pentling.
En lisant l'interviewe qu'il vient de donner à un journal autrichien, il me vient des doutes....
Mais il est fort intéressant de voir ce qui fermente en ce moment dans l'aire germanophone. Beinert, même s'il "se trompe" représente sans aucun doute un courant de pensée dont François devra tenir compte, et qu'il risque d'avoir beaucoup de mal à contrôler, s'il ne l'a pas lui-même suscité.

     

Le théologien Beinert: François commence une nouvelle ère
Entretien avec Wolfgang Beinert
religion.orf.at
4 Décembre 2013 (d'après la traduction en italien de www.finesettimana.org)
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- Herr Beinert, il y a quelques jours, le pape a publié son «programme de gouvernement», Gaudium Evangelii. Comment voyez-vous ce document?
- Avant tout, avec beaucoup d'enthousiasme, parce qu'il y a des choses pour lesquelles, il y a seulement 20 ans, on aurait été appelé à répondre à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (ndt: qui était alors à la tête de la CDF, herr Beinert?). Je vois en revanche un aspect négatif dans le fait quil s'agit d'un document extrêmement long, où ont été enfilées beaucoup de choses qui ne sont pas liées les uns aux autres .
D'autre part, le document a une langue vivante et fraîche (!!) et - si j'ose dire - jeune. Le Cardinal Reinhard Marx a dit qu'il arrive rarement que la lecture d'un document papal fasse aussi rire, et ici, on le doit, et même on le peut - et il a tout à fait raison .

- Quelles sont les choses pour lesquelles, il y a 20 ans, on aurait été appelé devant la Congrégation pour la Doctrine de la Foi ?
- Par exemple, la relativisation de la papauté qui est ici entreprise. Il est dit que le pape n'est pas obligé de dire quelque chose à propos de tout, et parfois peut même dire des choses qui peuvent être discutées. Ou bien la promesse de vraiment réaliser la collégialité des évêques. C'est une chose qui avait déjà été décrété par le Concile il y a 50 ans, mais qui a eu peu de suite - et cela aussi, est écrit dans le document .

- Dans le document, François s'est aussi clairement exprimé contre le sacerdoce des femmes. C'était une surprise pour vous?
- Non. Mais qu'est-ce que cela signifie exactement? Récemment à ce sujet, il a dit que les portes étaient fermées , et à présent, il est écrit dans Evangelii Gaudium «ce n'est pas en discussion». Jean-Paul II, en revanche, avait dit que c'était définitivement exclu. Ce sont deux catégories différentes de mots, qui ont été choisies. Si quelque chose ne va pas, dans un sens définitif, cela signifie que ça ne va vraiment pas et qu'il faut arrêter d'en parler. Mais si je dis que ce n'est pas en discussion, je ne dis pas comment les choses iront demain. Et même à huis clos, on peut les rouvrir.

- Selon vous, quelles réformes concrètes peuvent-elles être mises en œuvre de façon réaliste par François sur le rôle des femmes? Diaconesses ou même cardinalesses, comme l'a récemment demandé une pétition suisse?
- Ce ne serait pas du tout un problème. Parmi les cardinaux du dix-neuvième siècle, il y avait certainement des laïcs (enfin, un, sous Pie IX !). Le cardinalat est un titre personnel qui est attribué à une personne spécifique, indépendamment de son statut, consacrée ou non .

- C'est une chose réaliste sous ce pape ?
- Il ne faut mettre des obstacles à personne. Je n'aurais aucun problème avec cela. Même si évidemment, un titre ne suffit pas. Mais à la tête d'une congrégation, par exemple, comme cardinalesse ou moins, je pourrais l'imaginer. Pas seulement comme standardiste au Vatican .

- Et diaconesses ?
- Personnellement, cela ne me semble pas grand chose. Dans ce cas, la femme ne recevrait que le degré le plus bas de la consécration, et aujourd'hui, on ne sait pas exactement quel sens cela aurait. Donc, s'il doit y avoir consacration, qu'il y ait tous les grades, sinon rien. Il faut être conséquent sur ce point.

- Sur François, les avis divergent un peu . Alors que certains croient qu'il y aura des changements majeurs au niveau dogmatique, d'autres sont d'avis qu'il est dans la continuité de ses prédécesseurs et qu'il a seulement changé de style. Qu'en pensez-vous ?
- Je crois que ce n'est pas seulement une question de style , mais qu'un nouveau départ a vraiment été donné. Après Evangelii Gaudium, on peut le dire avec certitude. Dans ce document, on ne dit pas des choses très différentes que ce qui a été dit jusqu'à présent, mais maintenant, les choses ont été écrites . Avec beaucoup de prudence, j'oserais même dire qu'avec Benoît XVI, s'est achevée une époque papale, et que maintenant peut commencer une nouvelle ère.

- À votre avis, quand a commencé l'époque que vous considérez comme terminée?
- On ne peut pas en déterminer la date exacte. Cela a commencé essentiellement avec la Réforme, quand l'Église commence à avoir peur. Cela devient absolument clair avec le XVIIe siècle , puis avec les Lumières. A cette époque, l'Église toujours et uniquement contre. Elle réagit seulement, mais elle n'agit plus. Et maintenant, le pape prend l'initiative et dit: nous devons changer certaines choses. Si quelque chose va vraiment changer, verrons, mais au moins il a cette intention , et il l'a incontestablement établi.

- Alors, vous pensez que ce qui se passe maintenant est une encore plus grande révolution de Vatican II ?
- Le Concile Vatican II, bien sûr, a donné le lancement, mais c'était plutôt une hirondelle, et une hirondelle ne fait pas ... l'été. En outre, il a été très souvent rétracté, très fortement, par exemple sous Benoît XVI ... Et maintenant, il s'agit clairement d'une nouvelle ouverture qui va au-delà de ce qu'a fait le Concile.
Quand par exemple le pape écrit qu'on peut critiquer les déclarations papales, et qu'elles ne sont pas nécessairement des décisions d'instance ultime, c'est en réalité une révocation du Concile Vatican I, si on l'entend au sens strict. Ce que François fait, c'est la poursuite, la mise en œuvre du Concile Vatican II. Le Conseil a mis les fondements avec ses documents, qui toutefois n'ont pas vraiment été mis en œuvre .

- Comment jugez-vous la façon dont les médias se comportent avec le pape François? Etant donné que la rupture avec Benoît semble si forte, n'est-il pas vu de manière totalement acritique?
- L'image qui en résulte est certes déjà très euphorique. Personnellement, je suis à cet égard un peu plus attentif, car le pape, en fin de compte, n'est pas seulement une seule personne qui détient toutes les ficelles dans ses mains, mais il dépend du travail de ses collaborateurs, comme tout chef. Et je doute que tous collaborent avec enthousiasme .

- En Allemagne, depuis quelques semaines, on discute du problème de divorcés et remariés dans l'Église catholique. Quels changements pensez-vous réalistes?
- Je suis de l'opinion qu'on a déchaîné un vacarme qu'on ne pourra plus contrôler. On le voit, par exemple, du fait qu'un cardinal [le Cardinal Reinhard Marx] fait savoir au préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi qu'on ne peut pas décider une chose de cette façon. Il n'y a pas si longtemps une telle chose aurait été considérée comme une monstruosité. Donc, quelque chose va se passer .

- Vous connaissez le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Gerhard Ludwig Müller, depuis l'époque où il était évêque de Ratisbonne. Crouyez-vous qu'il se voit comme le dernier dépositaire de la tradition ?
- Je suppose, oui. Je le connais depuis sa jeunesse, et je pense qu'il ne peut tout simplement pas comprendre. Il a toujours son opinion solide, et son directeur de thèse, le cardinal Lehmann, l'a défini une fois devant moi comme «insensible aux conseils». Probablement qu'il est terriblement difficile pour lui d'admettre que des opinions différentes sont catholiques.